Malouf tunisien
Le malouf tunisien est l'un des principaux types de musique traditionnelle tunisienne. Type particulier de la musique arabo-andalouse, on peut la considérer comme le fruit d'une synthèse entre le fonds culturel propre à cette région — autrefois appelée Ifriqiya — et les apports andalous et orientaux.
Histoire
Kairouan, capitale des Aghlabides et première ville religieuse du pays, cultive vers la fin du VIIIe siècle un art musical comparable à celui qui fleurit à Bagdad et son influence s'étend jusqu'à Fès (Maroc) en passant par Béjaïa, Constantine et Tlemcen en Algérie. C'est pourquoi l'illustre musicien Ziriab, fraîchement expatrié de Bagdad, en fait une longue étape de son voyage vers l'Occident (aux environs de 830) avant de s'établir à Cordoue où il fondera la première école de musique andalouse. Avec Ziriab, un style spécifique va naître en Andalousie, même si du fait de ses origines il demeure très marqué par l'Orient.
Au XIIIe siècle, sous les Hafsides, l'on voit arriver à Tunis quelque 8 000 réfugiés andalous chassés par les chrétiens qui ont entamé la reconquête de l'Espagne. Ils apportent avec eux un répertoire musical puisé aux sources du fonds maghrébin et qui s'est enrichi au cours des siècles passés en Andalousie. Les styles et les répertoires apportés par les immigrants andalous ne tardent pas à subir à leur tour l'influence locale et à se modifier au contact des autochtones. Dans ce contexte, la culture turque en Tunisie, devenue province de l'Empire ottoman en 1574, exerce une certaine influence. Le malouf intègre ainsi des formes musicales propres aux écoles orientales alors en plein essor (Istanbul, Alep, Damas et Le Caire) alors que les musiciens tunisiens adoptent l'oud et le kanoun.
Le malouf occupe dans la tradition musicale tunisienne une place privilégiée car il comprend l'ensemble du patrimoine musical traditionnel et englobe aussi bien le répertoire profane (hazl) que les répertoires religieux (jadd) rattachés aux liturgies des différentes confréries. Il recouvre toutes les formes de chant traditionnel classique : le mouachah, genre post-classique dont la forme se détache du cadre rigide du qasida classique, le zadjal qui s'apparente au mouachah mais fait surtout usage de la langue dialectale, et le shghul, chant traditionnel « élaboré ». Mais la forme principale du malouf est la nouba, terme désignant à l'origine la séance de musique et que l'on peut aujourd'hui traduire par « suite musicale ».
Nouba
Selon al-Tifashi al-Gafsi (XIIIe siècle), la nouba se compose des pièces suivantes : le nashîd (récitatif), l'istihlâl (ouverture), le ‘amal (chant sur un rythme lourd), le muharrak (chant sur un rythme léger), le mouachah et le zadjal. Si l'on se réfère au cheikh Muhammad al-Dharif (XIVe siècle), les noubas enchaînaient autrefois treize modes musicaux différents : sikah, dhîl, rmal, asbahân, raml al maya, mazmûm, ‘irâq, hsîn, nawâ, rasd al-dhîl, mâya, rasd et asba‘ayn. C'est à Mohamed Rachid Bey, mélomane, oudiste et violoniste, que l'on doit d'avoir remanié et fixé le répertoire des noubas tunisiennes : il en arrange les différentes parties et y ajoute des pièces instrumentales d'inspiration turque. On lui attribue également la composition de la majeure partie des pièces instrumentales des noubas, à savoir les ouvertures (istiftâh et msaddar) et les intermèdes (tûshiya et fârigha).
De nos jours, la nouba se présente comme une composition musicale construite sur un mode principal dont elle prend le nom et formée d'une suite de pièces vocales et instrumentales exécutées selon un ordre convenu. La structure de la nouba tunisienne met ainsi en évidence divers effets de contraste et de symétrie qui se manifestent entre ses parties ou au sein de chacune d'entre elles. Ainsi, la première partie privilégie les rythmes binaires et la seconde les rythmes ternaires. Chaque partie commence sur des rythmes lents pour se terminer sur des rythmes vifs. De même, cette alternance de rythmes lents et allègres peut se reproduire au sein des pièces elles-mêmes.
Les noubas puisent dans les formes poétiques du genre classique (qasida) ou post-classique (mouachah et zadjal). Les abyat par lesquels commence la nouba, généralement au nombre de deux, sont en arabe littéral. Les autres parties chantées sont en dialecte tunisien. Les thèmes de prédilection de ces poèmes sont l'amour, la nature, le vin ainsi que d'autres thèmes ayant trait à la vie mondaine. Certains khatm abordent cependant des sujets religieux, prônant la piété et implorant la clémence divine. Les textes des noubas sont anonymes pour la plupart.
Les noubas sont habituellement exécutées par de petites formations musicales comprenant des instruments à cordes dont les principaux sont l'oud tunisien qui diffère du luth oriental par sa forme plus allongée et son nombre de cordes, la rebec à deux cordes en boyau montées sur une caisse monoxyle, le violon introduit dès le XVIIIe siècle et enfin le qanûn. Les orchestres comprennent également un instrument à vent, le ney, et des instruments à percussion : târ, darbouka et nagharas. Les petites formations tendent à disparaître, cédant la place à des orchestres plus massifs comprenant une quinzaine d'instrumentistes et une dizaine de choristes. L'utilisation des instruments à cordes d'origine européenne à côté des instruments traditionnels et la notation de la musique, nécessaire aux grandes formations, ont conféré à l'interprétation du malouf une âme et une dimension nouvelles.
Les noubas, pièces maîtresses du patrimoine traditionnel, sont toujours exécutées dans les concerts publics et à l'occasion des fêtes familiales, plus particulièrement en milieu urbain. Des villes ayant connu une concentration de réfugiés andalous (comme Testour ou Soliman) perpétuent cette tradition.
Bibliographie
- (en) Ruth Frances Davis, Maʻlūf: reflections on the Arab Andalusian music of Tunisia, éd. Scarecrow Press, Lanham, 2004 (ISBN 9780810851382)