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La Pointe courte

La Pointe Courte est un film français réalisé par Agnès Varda, tourné à Sète et sorti en 1955.

La Pointe courte
Description de cette image, également commentée ci-après
Quartier de La Pointe Courte à Sète
Titre original La Pointe Courte
Réalisation Agnès Varda
Scénario Agnès Varda
Acteurs principaux
Sociétés de production Ciné-Tamaris
Pays de production Drapeau de la France France
Genre Drame
Durée 89 minutes
Sortie 1955

Pour plus de détails, voir Fiche technique et Distribution

Résumé

À la Pointe Courte, un quartier de pêcheurs de Sète, une famille de pêcheurs voit d'un mauvais œil l'arrivée de deux contrôleurs sanitaires. L'oncle Jules les renvoie chez eux sans ménagement. Les deux hommes, mécontents, ne comptent pas laisser tomber l'affaire et envisagent de revenir ultérieurement pour intensifier leurs contrôles.

En parallèle, un homme revient au village après plusieurs années d'absence pour quelques jours de vacances. Il est venu avec sa compagne parisienne, mais celle-ci lui annonce qu'elle veut le quitter. Il lui répond qu'elle a besoin de soleil, entreprend de lui faire découvrir les environs. Un ami les héberge dans une petite habitation isolée au bord de la mer.

Pendant ce temps, les pêcheurs pêchent, mais ils pêchent mal. L'un des plus jeunes d'entre eux, Raphaël, se fait arrêter par la police fluviale. Il reçoit une verbalisation pour avoir ramené des coquillages dans le but d'effectuer un triage à terre au lieu d'un triage en mer. Beaucoup de pêcheurs du village ont recours à cette pratique interdite.

Les deux amoureux, de leur côté, réfléchissent à leur amour au gré de leurs promenades. La jeune femme est triste qu'ils ne s'aiment plus comme aux premiers jours. Lui n'y voit aucune raison d'inquiétude. « Tu ne m'enlèveras pas de l'esprit que l'amour entre nous a vieilli et qu'il y a de quoi pleurer » dit-elle. « Tu ne vas quand même pas rester amère jusqu'à la fin de tes jours parce que pendant quatre ans nous avons vieilli ensemble ! » répond-il.

Au village, dans la famille de l'oncle Jules, un jeune enfant meurt de maladie. Raphaël est quant à lui emmené par la gendarmerie pour effectuer cinq jours de prison. L'oncle Jules voit d'un mauvais œil la mésaventure de Raphaël et ne souhaite pas que sa fille Anna, âgée de 16 ans, continue à fréquenter le jeune homme.

De leur côté, les amoureux réfléchissent toujours à leur amour. Le calme ambiant finit par apaiser le cœur lourd de la jeune femme. « Je venais pour me séparer de toi. Il y a mieux à faire ». Le couple se rend à la ville où ont lieu les traditionnelles joutes de Sète, que la jeune femme apprécie. « Avoue que c'est gai chez moi. Tu ne regrettes plus maintenant d'être venue ? » « Je ne savais pas (...). C'est toi que je vais aimer. Natif de la Pointe Courte, fils d'un charpentier de marine, amateur de joutes et de soleil ! »

Parmi les jouteurs se trouve Raphaël, qui a bénéficié d'une permission pour participer au concours. L'oncle Jules apprécie la performance du jeune homme : « Il a bien jouté. Ça, ça va être un homme ! » Il accepte dès lors que sa fille continue à le fréquenter. Un bal est organisé après les joutes. C'est soir de fête, tout le monde chante et danse. Anna et Raphaël sont amoureux. Le couple de vacanciers repart vers Paris le cœur léger.

Fiche technique

Distribution

Production

Genèse

Agnès Varda[1] : « Mon ignorance totale des beaux films très anciens ou récents m'a permis d'être naïve et culottée quand je me suis lancée dans le métier d'image et de son. […] Ainsi me suis-je mise, assise dans ma cour, à écrire un projet de film, les samedis et les dimanches, et quelquefois aussi pendant que des photos glaçaient ou séchaient. […] J'aimais les pêcheurs de Sète, leurs propos imagés, leur énergie à faire vivre leurs familles. […] C'est la vie quotidienne qui animait ma vie plus que ce que l'on appelait à l'époque des états d'âme. Il y avait aussi du désarroi devant la maladie de Pierre F., rongé par un cancer du cerveau. Père de deux enfants, marié à une amie très proche qui s'était vue obligée de commencer un métier. Je l'avais prise en apprentissage accéléré, puis comme assistante. Pierre était souvent là. On faisait, en semi-mensonges pieux, des projets charmants pour lui occuper l'esprit dont celui de descendre à Sète en voiture et de le filmer pour s'amuser. Qui me prêta une caméra 16 mm ? En tout cas je partis avec Pierre et Suzou pour faire des plans filmés et des plans sur la comète. La Pointe Courte, j'y allais quand j'habitais Sète dans les années 1940. C'est un quartier de pêcheurs. […] Quant on y retourna et y tourna avec Pierre F. bien malade, Suzou et lui marchaient dans les ruelles de La Pointe Courte et parmi les barques. Ce couple amical et muet préfigurait le couple bavard que j'allais imaginer plus tard. […] La maladie faisait son sale boulot, la santé de Pierrot s'aggravait. […] Suzou était près de lui quand il est mort, moi aussi. […] Je lui ai dédicacé La Pointe courte. En fait, peut-être ai-je commencé à écrire le scénario pour donner une forme à ces impressions ressenties avec lui à La Pointe Courte ? »

Casting

« Je voulais que les acteurs ne jouent pas ni n'expriment de sentiments, qu'ils soient là et qu'ils disent leur dialogue comme s'ils le lisaient. En fait, je pensais à des récitants de spectacles orientaux, aux couples des structures égyptiennes, mains posées sur les cuisses et aux gisants qui vont par deux dans les églises sombres. […] En tous cas, je ne dirai jamais assez avec quelle générosité Silvia et Philippe m'ont permis d'aller au bout de ce projet, essai, manifeste, déclaration de foi et premier film qu'est La Pointe courte. »

— Agnès Varda dans Varda par Agnès[1].

  • Agnès Varda[1] :
    — « Philippe Noiret à la silhouette imposante. Il avait joué, deux ans auparavant, le duc de Lorenzaccio avec un force et une ampleur rares chez un si jeune homme. Il avait aussi, entre autres, une nuque exquise : ses cheveux se terminaient en une douce vague. Je lui ai proposé le rôle à quelques jours du tournage. Il a accepté d'emblée et a vécu loyalement et calmement notre aventure sans argent ni confort. Il a souffert de mes manques et de mes choix. »
    — « Silvia Monfort, curieuse et pionnière de nature, elle s'essayait dans un genre différent de celui de la gouvernante de Feuillère dans L'Aigle à deux têtes de Cocteau. Elle se jeta dans le projet avec délice et discipline. […] Je crois bien qu'elle jubilait de militer pour un cinéma à venir. Elle me plaisait pour sa ressemblance avec les femmes de Piero della Francesca, avec leur regard absent dans des visages ronds et calmes qui prolongent des cous paisibles. Son hiératisme naturel me convenait. »

Tournage

  • PĂ©riodes de prises de vue : 10 aoĂ»t au 30 septembre 1954 et 1re semaine de janvier 1955.
  • ExtĂ©rieurs : quartier de La Pointe Courte Ă  Sète (HĂ©rault).
  • Agnès Varda[1] : « Il a fallu le hasard d'une rencontre avec Carlos et Jane VilardebĂł pour que tout devienne rĂ©alitĂ©, production et action. Il Ă©tait assistant de films et rĂ©alisateur d'un court mĂ©trage, elle Ă©tait scripte. Ă€ les Ă©couter, il suffisait de se lancer. Ils savaient oĂą louer une camĂ©ra, comment se faire prĂŞter des lampes... Moi je venais d'hĂ©riter de mon père, dĂ©cĂ©dĂ© peu avant, deux millions de francs (de 1954). Ma mère me prĂŞta trois millions. On emprunta un million et demi avec son appartement en garantie. Quant au capital-travail que reprĂ©sentait la part des techniciens et acteurs rĂ©unis en coopĂ©rative, il valait trois millions et demi. Cela faisait six millions et demi Ă  dĂ©penser et dix millions Ă  rembourser, dont trois et demi en coopĂ©rative. Un film moyen en France en 1954 coĂ»tait soixante-dix millions. On avait donc dix fois moins de sous et dix fois plus de culot, car Ă  cette Ă©poque, contrairement Ă  aujourd'hui, personne ne tournait avant un certain âge. […] Comme c'Ă©tait mon premier film, j'avais peur de ne pas savoir. Ayant peu confiance en moi-mĂŞme, je prĂ©voyais donc tout. J'avais imaginĂ© chaque plan, tout prĂ©parĂ© par des photographies et des dessins. […] Les Pointus — puisque c'est ainsi que l'on nomme ces quelque 250 habitants de La Pointe — s'Ă©taient pris au jeu. Ils nous prĂŞtaient leurs barques, leurs outils, leurs enfants et leurs chats. Ils Ă©taient contents que j'aie choisi de filmer la chronique de leurs travaux et de leurs soucis de pĂŞche. […] J'ai tournĂ© La Pointe courte en muet. Les pĂŞcheurs et leurs familles, acteurs improvisĂ©s, faisaient de leur mieux pour lire les dialogues, mais je ne savais pas encore « diriger » des non-professionnels (ni les pros, Noiret s'en est pas mal plaint). Faute d'argent, il n'y avait pas de camĂ©ra synchrone avec du son direct. On pouvait seulement enregistrer des ambiances, des voix et des cris de mouettes. C'est Ă  Paris qu'il a fallu faire doubler, en post-synchro et après montage, les voix des pĂŞcheurs par des comĂ©diens mĂ©ridionaux. »

Montage

  • Agnès Varda[1] : « Il fallait trouver un monteur qui accepte de travailler sans salaire, en coopĂ©rative comme les autres techniciens. On me parle de Resnais dont je ne savais rien. […] Je n'oublierai jamais sa gĂ©nĂ©rositĂ©, la façon dont, non rĂ©munĂ©rĂ©, il a travaillĂ© des mois durant Ă  ce montage, ni la leçon que j'en ai retenue. […] Il disait qu'il fallait garder au film sa raideur, sa lenteur et son parti pris sans concession. […] Resnais n'a pas essayĂ© de se servir de son talent de monteur pour transformer le film, l'arranger, l'adapter Ă©ventuellement Ă  une forme plus facile, plus vive ou plus rapide. Il a cherchĂ© juste le rythme de ce film-lĂ . Plus tard, Henri Colpi a pris le relais pour les finitions, et c'est ainsi qu'il a fait, ensuite, avec moi, le montage de Du cĂ´tĂ© de la cĂ´te. »

Accueil

  • AllMovie3/5 Ă©toiles[2] : « Au moment de sa sortie, on parlait beaucoup du fait que La Pointe courte Ă©tait rĂ©alisĂ© par une simple “femme de 25 ans”. Cette femme Ă©tait la photographe professionnelle Agnès Varda, plus tard honorĂ©e par les aficionados comme “La grand-mère de la Nouvelle Vague”. Couvrant un large Ă©ventail de questions sociopolitiques, la première production cinĂ©matographique de Varda, qui aurait dĂ©marrĂ© avec un budget d'environ 20 000 $, consiste pratiquement Ă  deux films en un, parallèlement dĂ©veloppĂ©s. Les scĂ©narios contigus dĂ©crivent les tentatives simultanĂ©es d'un mari et de sa femme afin de reconstruire leur mariage dĂ©liquescent, mais les intĂ©rĂŞts de Varda rĂ©sident clairement dans ce qui se passe autour d'eux, dans la trame plutĂ´t que dans la progression linĂ©aire des histoires elles-mĂŞmes. MontĂ© par Alain Resnais, La Pointe courte a Ă©tĂ© initialement et Ă  court terme rejetĂ© par certains critiques amĂ©ricains comme Ă©tant “trop artistique” ; il a depuis Ă©tĂ© rĂ©Ă©valuĂ© par la critique comme “le premier film de la Nouvelle Vague française. Son interaction, entre conscience, Ă©motions et monde rĂ©el, en fait directement le prĂ©curseur d’Hiroshima mon amour”. »
  • Yvette BirĂł[3] : « Ce qui est remarquable dans La Pointe courte, c'est qu'Agnès Varda, en confrontant deux sphères de vie, Ă©tablit un parallèle entre deux expĂ©riences temporelles. Les Ă©vĂ©nements simples de ce village de pĂŞcheurs sont plus qu'un arrière-plan de l'histoire du couple qui est aux prises avec ses sentiments : ils deviennent un Ă©trange adversaire dramatique. De par leurs simultanĂ©itĂ©, identitĂ© et antagonisme, concordance et diffĂ©rence, ils crĂ©ent une tension. Plus la partie documentaire est dense, tout Ă©tant effacĂ©e, plus elle cède d'impulsions — inconsciemment — Ă  l'autre qui est en apparence plus intensive et plus intellectuelle. Le passage du temps est un Ă©lĂ©ment commun Ă  toutes les deux, mais le rythme et la respiration sont diffĂ©rents. Tout se passe comme si, sur le tissu du temps objectif, chronologie et calme, un autre se dessinait : un temps subjectif, intĂ©rieur, plus tourmentĂ©, qui n'obĂ©it qu'aux lois de la dĂ©composition et de l'usure, mais qui — au bord de l'Ă©puisement — est capable de puiser l'Ă©nergie dans l'existence « extĂ©rieure », ordinaire. Dès que nos hĂ©ros prennent part Ă  la vie du village, ils sont imperceptiblement imprĂ©gnĂ©s de rĂ©solutions, d'une activitĂ© qui se met Ă  travailler Ă  l'encontre de l'abandon. »
  • Jacques Siclier[Note 1] : « Tant de cĂ©rĂ©bralitĂ© chez une jeune femme a quelque chose d'affligeant. […] Agnès Varda doit ĂŞtre bien sĂ©duisante pour qu'on ait dĂ©fendu La Pointe courte avec autant de mauvaise foi »[Note 2].
  • Un pĂŞcheur du quartier de La Pointe courte[Note 3] : « Ce serait très bien s'il n'y avait pas ces deux bourriques. » (Les deux bourriques Ă©taient les acteurs Monfort et Noiret...).
  • The Wall Street Journal[4] - [Note 4] : « Mme Varda, dĂ©cĂ©dĂ©e au dĂ©but de cette annĂ©e Ă  l'âge de 90 ans, a commencĂ© sa carrière de rĂ©alisatrice en tant que pionnière de la Nouvelle Vague française et a continuĂ© en effectuant un vivifiant travail tout au long de sa vie, incluant films de fiction, documentaires, films d'essai, photographies et installations artistiques. […] Elle rĂ©alise son premier long mĂ©trage, La Pointe courte, Ă  Sète, en France, oĂą sa famille a vĂ©cu après avoir fui la Belgique en temps de guerre. MĂ©lange de faits quotidiens et de fiction, d'acteurs professionnels et non professionnels, le film dĂ©peint Ă  la fois la rude vie de familles de pĂŞcheurs et la balade onirique d'un couple mariĂ© jouĂ© par Silvia Monfort et Philippe Noiret. Ses visuels en noir et blanc partagent avec ses premières photographies un Ĺ“il pour le cadrage, les textures et l'organisation des figures dans l'espace. »

Distinctions

RĂ©compenses

SĂ©lection

Analyse

Sans expérience cinématographique, Agnès Varda, jusqu'alors photographe attitrée du TNP de Jean Vilar, tisse, comme malgré elle, les prémices de ce que sera la Nouvelle Vague. Avec peu de moyens, en décors naturels et avec le jeu volontairement minimaliste d'un couple de comédiens dont le hiératisme issu de l’art de la tragédie[Note 5] détonne par rapport à la figuration locale, le premier film de Varda va à la fois déconcerter le public et inspirer toute une génération de jeunes cinéastes.

Notes et références

Notes

  1. Agnès Varda, dans ses mémoires Varda par Agnès, retranscrit « quelques lignes inoubliables sous la plume de M. Jacques Siclier. […] Comment ne pas devenir féministe ! » (critique parue dans L'Essor à l'époque de la sortie du film).
  2. Note d'Agnès Varda dans Varda par Agnès : « Quelle a été ma surprise quand je me suis vue classée parmi les intellectuelles, les cérébrales, les penseuses, voire les emmerdeuses ! »
  3. Réaction retranscrite par Agnès Varda après la projection en avant-première en août 1955, en présence des acteurs, au cinéma Le Colisée de Sète (dans ses mémoires Varda par Agnès).
  4. En ce mois de décembre 2019, à New York, Janus Films (en) présente son œuvre cinématographique avec Varda : une rétrospective au Lincoln Center for the Performing Arts sous l'égide de l'organisme Film at Lincoln Center et Agnès Varda : une force irrésistible, co-présenté par le Berkeley Art Museum and Pacific Film Archive et le Musée d'Art moderne de San Francisco, deux manifestations qui débutent le 20 décembre. D'autres lieux à travers le pays présenteront des variations de ces manifestations tout au long de l'année 2020.
  5. À l'époque, les deux comédiens font partie de la troupe du Théâtre national populaire.

Références

  1. Extrait de Varda par Agnès, voir bibliographie.
  2. (en) Critique d'Hal Erickson.
  3. Extrait du chapitre Les Cariatides du temps ou Le Traitement du temps dans l'œuvre d'Agnès Varda de l'essai : Études cinématographiques no 179–186 : Agnès Varda, Paris, Lettres Modernes Minard, , 212 p. (ISBN 2-256-90894-1)
  4. (en) Extrait de l'article de Kristin M. Jones paru le : Les Vivantes Visions d'Agnès Varda.
  5. Source : projection copie restaurée format DCP le au Festival international du film de Melbourne (site officiel du MIFF)
  6. Tribune de Genève du 26 avril 2019.

Annexes

Bibliographie

Liens externes

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