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Kasbah d'Amergou

La kasbah d’Amergou (en arabe: Ù‚Ű”ŰšŰ© ŰŁÙ…Ű±ÙƒÙˆ ŰŁÙˆ ŰŁÙ…Ű±ŰŹÙˆ) est une forteresse mĂ©diĂ©vale, situĂ©e au nord du Maroc, sur le territoire de la commune rurale Moulay Bouchetta al-Khammar de la province de Taounate.

Kasbah d'Amergou
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Présentation
Type
Kasbah / Forteresse
Noms précédents
Amargu ; Imargu
Fondation
Moyen Ăąge
Matériau
Pierre ; moellon dégrossi ; briques ; stuc
Patrimonialité
Patrimoine national du Maroc
Localisation
Pays
RĂ©gion
FĂšs-MeknĂšs
Province
Taounate
Commune rurale
Moulay Bouchetta al-Khammar
Village
Amergou
Coordonnées
34° 30â€Č 10,55″ N, 5° 07â€Č 41,01″ O
Carte

MentionnĂ©e par les chroniqueurs dĂšs le XIIe siĂšcle[Notes 1], la forteresse fait partie d’un arsenal de constructions militaires employĂ©es entre le XIe siĂšcle et le XIIe siĂšcle par l'empire almoravide afin de contrecarrer les insurrections des tribus rebelles installĂ©es au nord du Maroc et faire face Ă  la montĂ©e en puissance des Almohades[1] - [2] - [3]. La kasbah est Ă©galement connue comme Ă©tant un dernier refuge Ă  plusieurs armĂ©es durant les Ă©poques almohade, mĂ©rinide et saadienne.

L'origine et les influences d'Amergou font encore débat. Certains historiens, dont Henri Terrasse, attribuent la paternité du site aux Almoravides et décÚlent des influences andalous-chrétiennes dans la construction de certaines parties de la kasbah, notamment quelques éléments rappelant les chùteaux forts féodaux[4]. Des travaux récents[5] - [6] - [7]contestent néanmoins cette affirmation ainsi que son attribution aux Almoravides et suggÚrent des influences plutÎt orientales.

ClassĂ© patrimoine national depuis 1930. Le site est ouvert aujourd'hui au public et aux tournages cinĂ©matographiques aprĂšs l’achĂšvement de sa restauration partielle[8].

Topographie

À 73 km nord-ouest de FĂšs et Ă  65 km ouest de Taounate, dans la commune rurale de Moulay Bouchetta al-Khammar se dresse la forteresse au sommet du mont Imergou d’environ 640 m d’altitude. Cette Ă©lĂ©vation lui permet de dominer toute la plaine de l’Ouergha et les rĂ©gions environnantes, faisant de ce lieu un point militaire hautement stratĂ©gique. L’emplacement est de fait soigneusement choisi. En plus de l’élĂ©vation du site, la construction de la forteresse s’intĂšgre Ă  la morphologie du terrain dans la mesure oĂč elle suit la longueur de l’éperon du mont Imergou en dressant ses courtines tout au long des crĂȘtes rocheuses sĂ©parant les versants du sommet et en implantant des tours Ă  chacun des angles du mont. Ceci lui permet de rendre le relief raid avantageux aux occupants de la forteresse Ă  l’instar des fortifications mĂ©diĂ©vales du bassin de la MĂ©diterranĂ©e[Notes 2].

DotĂ©e d’un climat subhumide, la rĂ©gion dans laquelle est implantĂ©e la casbah jouit d’immenses plaines arables traversĂ©es par la riviĂšre Ouergha, ainsi que de plusieurs espaces forestiers oĂč l’on trouve multiples espĂšces de chĂȘnes[9]. Ceci permit le dĂ©veloppement de diverses communautĂ©s rurales tout au long de l’histoire du Maroc. Selon H. Terrasse, l’implantation d’une forteresse au milieu de cet espace rĂ©sulterait donc d’une volontĂ© de vouloir garder un Ɠil sur les tribus des plaines de l’Ouergha[10].   

Le lac créé par le barrage Al-Wahda.
Le lac créé par le barrage Al-Wahda.

Inexistant au Moyen Âge, cette rĂ©gion bĂ©nĂ©ficie aujourd’hui, et ce depuis 1997, d’un large barrage appelĂ© Al-Wahda dont l’affluent principal est la riviĂšre Ouergha. SituĂ©e Ă  quelques kilomĂštres de la forteresse, cette infrastructure, en plus d’avoir crĂ©Ă© un rĂ©servoir d’eau utile Ă  l’irrigation, permet de contrĂŽler les crues rĂ©currentes de ladite riviĂšre tout en fournissant Ă  la rĂ©gion une source d’énergie hydraulique[11]. Le lac crĂ©Ă© par ce barrage est visible depuis la kasbah d’Amergou.

En bas de la forteresse se trouve un petit village portant le mĂȘme nom, Douar Amergou, et Ă  3 km au sud se situe le village Moulay Bouchetta al-Khammar. Ce dernier porte le nom et abrite le mausolĂ©e d’un saint de la rĂ©gion dont la traduction signifierait "l’enivrĂ©, seigneur de la pluie". Selon Paul Odinot[12], la lĂ©gende de ce saint remonte au XVIe siĂšcle et le mot enivrĂ© (al-Khammar/Ghommar) porterait principalement le sens figurĂ© de transe religieuse, mais n’empĂȘche pas le sens initial d’ivresse.  

AccĂšs au site

Le site est accessible via plusieurs routes rurales. Venant de Taounate, il faut prendre d’abord la N8 par le sud de la ville puis se diriger Ă  l’ouest en empruntant la R408 jusqu’au village Moulay Bouchetta el-Khammar. Cette mĂȘme route relie ce village avec Ouezzane au nord. Venant de FĂšs, il faut d’abord prendre la R501 jusqu’au village Sidi Daoud, puis soit prendre la R506 qui dĂ©bouche sur la route P5307; soit continuer jusqu’au village Moulay Abdelkrim ensuite prendre la R408 jusqu’au village Moulay Bouchta el-Khammar. Au nord de cette commune rurale se trouve le petit village de Douar Amergou. Une route pavĂ©e a Ă©tĂ© amĂ©nagĂ©e allant du village jusqu’à un parking situĂ© au bas du mont Imergou. De lĂ , un sentier de quelques minutes de marche mĂšne directement Ă  la forteresse.

Histoire

Fondation

Vu sa nature propice Ă  la vie sĂ©dentaire, la rĂ©gion dans laquelle est implantĂ©e la forteresse est peuplĂ©e bien avant sa construction. Plusieurs sites majeurs de l’histoire marocaine se trouvent aux alentours d’Amergou. L’une des plus anciennes est la capitale de la MaurĂ©tanie antique, Volubilis qui se situe aux environs de 87 km au sud-ouest de la casbah. Viennent s’ajouter Ă  la capitale Ain Schkour ainsi que Tocolosida qui n’y sont pas loin. L’emplacement d’Amergou dans la rĂ©gion de l’Ouergha et sa proximitĂ© avec ces sites antiques l’auraient de fait confondue aux yeux de certains gĂ©ographes, tels Paul Odinot et La MartiniĂšre, avec des fortifications romaines. En effet, ce dernier place le poste de Prisciana Ă  l’emplacement actuel de la kasbah, attribuant ainsi sa construction aux Romains[13]. Cependant, les chroniqueurs arabes des Ă©poques mĂ©diĂ©vales et subsĂ©quentes ainsi que les chercheurs qui ont Ă©tudiĂ© ce site[Notes 3], s’accordent tous sur l’origine et le caractĂšre mĂ©diĂ©vaux de cette forteresse.

Une origine pré-almoravide?

Depuis 2010, l'origine d’Amergou fait dĂ©bat chez les chercheurs. Manuel P. A. Almansa remet en question la parentĂ© almoravide de cette forteresse. Pour ce dernier, l’interprĂ©tation de certaines sources historiques arabes est problĂ©matique[14], notamment celle d’al-Baydaq et le livre Kitab al Istibsar[15], sur lesquelles se seraient basĂ©s les historiens pour affirmer la construction de la forteresse par les Almoravides comme ligne de front contre les Almohades. Par exemple, la source Kitab al Istibsar, oĂč les Almoravides figurent comme Ă©tant les bĂątisseurs de cette forteresse est pour lui Ă©loignĂ©e chronologiquement de l’ùre de cette dynastie et serait par consĂ©quent fortement influencĂ©e par une tradition orale non fiable. M. Almansa situe en effet ce livre aux environs du XVIIe siĂšcle, alors que la dynastie des Almoravides prend fin vers la deuxiĂšme moitiĂ© du XIIe siĂšcle. Il relĂšve Ă©galement des diffĂ©rences de construction entre cette forteresse et celles de Zagora et Tasghimout, qui toutes deux sont attribuĂ©es aux Almoravides. Pour soutenir davantage sa thĂšse, il Ă©tablit des parallĂ©lismes architecturaux entre Amergou et les murailles de la ville idrisside Al-Basra et ceux de Dimna dans la rĂ©gion de Tanger, nommĂ©ment l’utilisation exclusive de la pierre, du moellon dĂ©grossi et le recours aux tours circulaires. Ainsi, en relevant des influences de la MĂ©diterranĂ©e orientale, M.P.A. Almansa affirme qu’Amergou se rapproche beaucoup plus du style de construction idrisside ou fatimide que du style almoravide. Il Ă©loigne de fait l’interprĂ©tation d’Henri Terrasse selon laquelle l’architecture d’Amergou serait d’influence hispano-chrĂ©tienne probablement due Ă  la prĂ©sence de milices chrĂ©tiennes au service des Almoravides[16]. M.P.A. Almanasa, suggĂšre donc une datation prĂ©-almoravide, possiblement idrisside ou fatimide[17].

Paternité almoravide

La paternitĂ© prĂ©-almoravide est Ă©cartĂ©e cependant par des Ă©tudes rĂ©centes[6] - [7]. Un collectif de trois chercheuses portugaises ainsi que la chercheuse espagnole MarĂ­a Marcos Cobaleda s’accordent sur les origines almoravides d’Amergou. Elles assertent d’abord que le caractĂšre tardif de la source Kitab al Istibsar, suggĂ©rĂ© par M. Almansa, est erronĂ©. Pour elles, ce livre est chronologiquement proche des Almoravides pour plusieurs raisons. D’abord le livre lui-mĂȘme mentionne son Ă©criture faite au XIIe siĂšcle par le biais d’un rĂ©viseur (An-Nazir)[18]; vient ensuite la mention du livre par des Ă©crivains ayant vĂ©cu avant le XVIIe siĂšcle, comme Al-himyari (XIVe siĂšcle) ainsi que LĂ©on l'Africain (XVe-XVIe siĂšcle). Dans une rĂ©cente rĂ©Ă©dition[18] de Kitab al Istibsar, le chercheur Saad Zaghloul Abdel-Hamid note Ă©galement une mention de ce livre dĂšs le dĂ©but du XIVe siĂšcle dans Rawd al-Qirtas d’Ibn Abi Zar. De fait, ces Ă©lĂ©ments sont pour ces chercheuses suffisants afin d’attester de l’anciennetĂ© de cette source et de mettre en doute le premier argument de M. Almansa selon lequel le livre serait fortement influencĂ© par une tradition orale peu fiable. En outre, ayant toutes quatre Ă©tudiĂ© rĂ©cemment le site almoravide d’Algesiras, ces chercheuses ont pu relever des similitudes architecturales entre les fortifications de cette ville andalouse et celles du Maroc, notamment celle d’Amergou et de Tasghimout. Leurs Ă©tudes se rejoignent pour affirmer que les mĂ©thodes de construction ainsi que l’architecture de ces trois sites sont tĂ©moins de leurs origines almoravides[19] - [20], Ă©cartant ainsi le deuxiĂšme argument de M. Almansa et rejoignant par lĂ -mĂȘme l’interprĂ©tation historique d’Henri Terrasse.

Les quatre chercheuses sont toutefois d’accord avec M. Almansa sur la diffĂ©rence chronologique entre la forteresse d’Amergou et celle de Tasghimout. Sauf que pour elles, cet Ă©cart s’expliquerait simplement par une Ă©volution des techniques de construction des Almoravides entre le rĂšgne de Youssef Ibn Tachfin et de son fils. La fondation de la forteresse d’Amergou reviendrait selon elles au fameux Ă©mir almoravide Youssef Ibn Tachfin alors que celle de la casbah de Tasghimout serait l’Ɠuvre de son fils Ali Ibn Youssef[19] - [20]. Ainsi, ces chercheuses donnent raison Ă  la version de Henri Terrasse et d'E. LĂ©vi Provençal[21] selon laquelle Youssef Ibn Tachfin aurait construit Amergou au cours du XIe siĂšcle afin de contrĂŽler des tribus rebelles installĂ©es au nord-ouest de l'actuel Maroc. Ce qui confirme davantage cette assertion Ă  leurs yeux est la similitude d’Amergou avec les constructions militaires de l’époque de cet Ă©mir, notamment Qasr al-Hajar Ă  Marrakech et les fortifications d'AlgĂ©siras.

Le rÎle défensif contre les Almohades

Affaiblissement des Almoravides et montée des Almohades.

AprĂšs la mort de Youssef Ibn Tachfin, L’empire Almoravide ne connaĂźt relativement qu’une brĂšve pĂ©riode de paix au sud du dĂ©troit de Gibraltar. Durant le rĂšgne de son fils Ali ben Youssef, un mouvement religieux et militaire se dĂ©veloppe en 1120 dans le Haut-Atlas. Ce mouvement, dont le chef, Ibn Tumart, se proclame Ă©tant le mahdi attendu des Musulmans, se donne pour but de les unifier. C’est ainsi que naĂźt le conflit opposant les Almoravides aux Almohades (les unificateurs). Durant cette lutte, plusieurs fortifications servent Ă  contrecarrer la montĂ©e en puissance des Almohades. Il est rapportĂ© par Al-Baydaq[22] que la forteresse d’Amergou joue un rĂŽle dĂ©fensif durant cet Ă©pisode, prĂ©cisĂ©ment pendant les annĂ©es 1241-1242. Au cours de cette pĂ©riode, les Almoravides font face Ă  plusieurs mouvements hostiles, l’un au nord menĂ©s par les rois chrĂ©tiens[Notes 4], et l’autre au sud dirigĂ© par le successeur d’Ibn Tumart, Abd al-Mumin Ibn Ali. Cette situation s’aggrave avec la mort d’Ali ben Youssef en 1243 qui accĂ©lĂšre la chute des villes clĂ©s des Almoravides. En effet, peu d’annĂ©es aprĂšs sa mort, entre 1245 et 1247, Tlemcen, Oran, Marrakech et FĂšs tombent dans l’emprise des Almohades. Durant cette date, Amergou rĂ©apparaĂźt Ă  nouveau dans les chroniques d’al-Baydaq[22] jouant le rĂŽle de refuges aux derniers Almoravides chassĂ©s de FĂšs. Les Almohades, dirigĂ©s par Abd al-Mumin Ibn Ali, finissent Ă©ventuellement par s’emparer de la casbah[23].

Le dernier retranchement des rebelles mérinides

Depuis l’ùre almohade, l’on ne connaĂźt que peu sur le rĂŽle historique d’Amergou puisqu’elle n’apparaĂźt que ponctuellement chez les chroniqueurs comme Ă©tant un lieu de refuge Ă  quelques forces rebelles. Une chronique anonyme des MĂ©rinides sous le titre Al-Dhakhira al Saniya fi Tarikh al Dawla al Mariniya (Ű§Ù„Ű°ŰźÙŠŰ±Ű© Ű§Ù„ŰłÙ‘Ù†ÙŠŰ© في ŰȘŰ§Ű±ÙŠŰź Ű§Ù„ŰŻÙˆÙ„Ű© Ű§Ù„Ù…Ű±ÙŠÙ†ÙŠŰ© – Le TrĂ©sor Magnifique Sur L’Histoire de l’État MĂ©rinide)[24] rapporte par exemple qu’en 1270-71[25], durant le rĂšgne mĂ©rinide, la forteresse est connue pour avoir abritĂ© des membres de la famille royale en fuite aprĂšs s’ĂȘtre insurgĂ©s contre l’émir de l’époque. Il indique que les rebelles, menĂ©s par Mohammed Ibn Idriss Ibn Abd Al Haq et Moussa Ibn Rahou Ibn Abd Al Haq se sont retranchĂ©s dans la forteresse d’Amergou. Ils sont alors poursuivis d’abord par le fils de l’émir, Abu Yaqub Yusuf an-Nasr, qui mobilise 5000 chevaliers Ă  cette fin. Son frĂšre, Abu Malik, le rejoint lors du second jour du siĂšge en apportant avec lui 5000 chevaliers supplĂ©mentaires. Au troisiĂšme jour du siĂšge, le livre rapporte[24] que l’émir Abu Yusuf Yaqub ben Abd al-Haqq, s'est dĂ©placĂ© lui-mĂȘme depuis Marrakech avec d’autres troupes afin d’écraser la rĂ©bellion. Cette opĂ©ration dure deux jours supplĂ©mentaires. AprĂšs moins d’une semaine de siĂšge, les rebelles se sont rendus une fois avoir obtenu la promesse d’amnistie de la part de l’émir Ă  condition de s’exiler Ă  Tlemcen.

Enterrement de Mohammed Chaoui et conflit interne des Saadiens

Durant l’ùre saadienne (XVIe-XVIIe siĂšcle) le domaine immĂ©diat de la forteresse d’Amergou connaĂźt un dĂ©veloppement religieux et dĂ©mographique qui perdura jusqu’à prĂ©sent. À peine 3 km au sud de la casbah l’on enterre en 1589[26] Mohammed Ibn Moussa Ach-Chaoui, un saint et prĂ©cepteur de la rĂ©gion. Il avait comme disciple Sidi Mohammed el Hadj el-Baqqal qui aurait jouĂ© un rĂŽle non nĂ©gligeable dans la rĂ©gion de Ghomara pendant le conflit interne de succession des Saadiens[27]. L’enterrement d’Ach-Chaoui a fondĂ© autour de lui la lĂ©gende de Moulay Abu As-Sita / Moulay Bouchta. Ce surnom signifiant "seigneur/pĂšre de la pluie" vient d’un "miracle" de la part d’Ech-Chaoui qui aurait fait tomber la pluie pendant une pĂ©riode de sĂ©cheresse. Il devient de fait un saint patron de la rĂ©gion et un mausolĂ©e est construit Ă  son honneur oĂč des moussems sont organisĂ©s pĂ©riodiquement.

Le sultan Ahmed el-Mansour dont le fils serait réfugié probablement à Amergou

C’est Ă  travers ce lieu saint que sera mentionnĂ©e indirectement la forteresse d’Amergou dans des chroniques traitant de la pĂ©riode saadienne. Il est relatĂ© par exemple par Mohamed el Saghir al-Ifrani (XVIIe-XVIIIe siĂšcle) dans Nuzhat el Hadi (نŰČÙ‡Ű© Ű§Ù„Ű­Ű§ŰŻÙŠ ۣۚ۟ۚۧ۱ ملوك Ű§Ù„Ù‚Ű±Ù† Ű§Ù„Ű­Ű§ŰŻÙŠ) ainsi que par Abou El Kacem Zayani (XVIIIe-XIXe siĂšcle) dans son livre, al-Turguman al-mu'rib 'an duwal al-Masriq wal Magrib (Ű§Ù„ŰȘŰ±ŰŹÙ…Ű§Ù† Ű§Ù„Ù…Űč۱ۚ Űčن ŰŻÙˆÙ„ Ű§Ù„Ù…ŰŽŰ±Ù‚ ÙˆŰ§Ù„Ù…Űș۱ۚ)[28], que le mausolĂ©e de Moulay Bouchta fut la scĂšne d’une bataille entre Saadiens. Mohammed ech-Cheikh el-Mamoun, gouverneur de FĂšs Ă  l’époque, rĂ©fute l’autoritĂ© de son pĂšre, le sultan Ahmed al-Mansour, dĂ©clenchant ainsi un conflit avec lui. Quand le fils d’Al-Mansour apprend l’arrivĂ©e imminente de son pĂšre au moment oĂč il n’avait que peu de soldats Ă  sa disposition, il quitte FĂšs fuyant vers les montagnes de Fechtala. Il se rĂ©fugie alors au mausolĂ©e de Moulay Bouchta aux environs de 1603. Suivant les instructions d’Al Mansour, le pacha Judar et le caĂŻd Mansour Nabili le suivent et se battent contre lui jusqu’à sa dĂ©faite qui dĂ©boucha sur son emprisonnement. Vu la nature non dĂ©fensive du mausolĂ©e, une interprĂ©tation rĂ©cente[29] de cet Ă©vĂ©nement propose que la bataille se soit dĂ©roulĂ©e au Casbah d’Amergou qui aurait Ă©tĂ© utilisĂ©e comme dernier refuge au fils du sultan avant sa capture.

Architecture

Plan vertical de la fortification de la kasbah et de son réduit central.

L’architecture de la casbah d’Amergou prĂ©sente quelques diffĂ©rences avec les forteresses et fortifications de l’époque mĂ©diĂ©vale encore debout au Maroc. Ceci lui attribue un caractĂšre assez atypique et curieux. En effet, son plan, son organisation ainsi que son mode de construction soulĂšvent plusieurs questions et interprĂ©tations quant Ă  son origine et ses influences.

La forteresse suit un plan irrĂ©gulier qui s’intĂšgre Ă  la topographie de l’éperon du mont Imergou sur lequel elle est bĂątie. Cela lui procure plus de longueur que de largeur et lui permet de dresser des courtines tout au long des crĂȘtes rocheuses, sĂ©parant chacun des versants du sommet, obtenant de ce fait une forme polygonale avec plusieurs angles dĂ©fensifs. La surveillance ainsi que la dĂ©fense du site sont renforcĂ©es par seize tours circulaires (n°14) et hĂ©misphĂ©riques (n°15) aux dimensions inĂ©gales. La superficie totale de l’ensemble se situe selon H. Terrasse aux environs de 225 x 62 m soit presque 1,4 hectare. En se basant sur les vestiges du site, la casbah peut ĂȘtre divisĂ©e en quatre parties:

1. L'avant-mur

C'est un espace situĂ© au nord-est qui comprend deux tours jointes par une courtine. Une autre Ă©difiĂ©e Ă  l’est les rattache Ă  l’enceinte principale. Cet espace ne prĂ©sente toutefois aucune fermeture Ă  son angle ouest. Par ailleurs, une ouverture (n°7) jouxte une des tours de l’enceinte centrale et donne ainsi un accĂšs direct Ă  cet espace. Cette composition curieuse suscite plusieurs interprĂ©tations. Certains, dont H. Saladin, l’ont comprise comme une sorte de barbacane[30]; d’autres, comme H. Terrasse, pensent que c’est Ă©galement une forme prĂ©curseuse des tours albarranes[31]; enfin, restes ceux qui, Ă  la maniĂšre de M. Almansa, rĂ©futent ces deux interprĂ©tations et prĂ©conisent une Ă©tude plus approfondie de cette partie[32].

2. Le réduit

Intérieur du réduit central.
Intérieur du réduit central.

L’intĂ©rieur de la forteresse comprend une structure centrale qui dĂ©coupe quasiment l’ensemble en trois espaces. De forme carrĂ©e, ce rĂ©duit partage sa partie sud, composĂ©e de deux tours circulaires jointes par une courtine, avec le reste de l’enceinte. Sa partie nord, constituĂ©e de deux tours hĂ©misphĂ©riques jointes par une autre courtine, est toutefois sĂ©parĂ©e de la partie nord de l’enceinte gĂ©nĂ©rale crĂ©ant ainsi un couloir Ă©troit (n°16) qui relie les deux extrĂ©mitĂ©s de la casbah. Cet espace est percĂ© de deux portes (n° 11 et 12), l’une en face de l’autre, ouvrant sur les deux flancs de la forteresse. Les vestiges Ă  l’intĂ©rieur du rĂ©duit (n°8) permettent d’entrevoir les restes de murs de sĂ©paration. Certains[3] y voient Ă©galement la prĂ©sence d’un silo. L’emplacement, la forme ainsi que l’amĂ©nagement de ce lieu donnent naissance Ă  de multiples hypothĂšses sur sa nature et sa fonction. H. Saladin suppose que cet espace aurait servi comme logis aux occupants de la forteresse[30]; H. Terrasse affirme quant Ă  lui que le rĂ©duit forme un donjon[33]. M. Almansa conteste cependant cette dĂ©nomination pour manque de preuves solides de la part de H. Terrasse[31].

3. L'espace du sud-est

Formant une grande cour, il donne accĂšs Ă  l’extĂ©rieur via deux portes, l’une (n°7) au nord s’ouvrant sur l’espace n°1 et une Ă  l’est (n°10) flanquĂ©e de deux tours. On trouve au milieu de la cour un espace creusĂ© de forme rectangulaire (n°6) laissant penser que l’approvisionnement de la casbah en eau viendrait d’une probable citerne amĂ©nagĂ©e Ă  cet endroit. La rĂ©cente rĂ©habilitation du site a permis entre autres de dĂ©gager et restaurer la base d’une structure circulaire Ă  l’angle sud-ouest de cet espace (n°9). Toutefois, aucun des chercheurs susmentionnĂ©s ne l’a Ă©voquĂ©e.

4. L'espace du nord-ouest

À l’instar de la cour du sud-est, cette partie de la forteresse comporte deux ouvertures. L’une est situĂ©e tout au nord (n°13); l’autre est relativement en face d’elle, dont il s’agit probablement de l’entrĂ©e principale (n°5). Elle se caractĂ©rise par deux arcs en fer Ă  cheval reliĂ©s par un couloir voĂ»tĂ©. Ce dernier est flanquĂ© de deux piĂšces (n°5). La premiĂšre de forme rectangulaire au nord-ouest, et une deuxiĂšme de forme carrĂ©e au sud-est. Hormis ces deux petites constructions, aucune trace d’autres structures n’est visible ou n’a Ă©tĂ© relevĂ©e dans les descriptions des chercheurs susmentionnĂ©s.

Style architectural

Le matĂ©riau de choix dans la construction d’Amergou sont la pierre et le moellon dĂ©grossi. On retrouve ces deux Ă©lĂ©ments dans l’édification de ses courtines, bastions et ouvertures. Une utilisation probable de stuc comme revĂȘtement n’est pas Ă  Ă©carter vu sa prĂ©sence sur certaines parties de l’enceinte. L’utilisation de la pierre n’est toutefois pas exclusive puisque quelques ouvertures sont bĂąties Ă  l’aide de briques rouges. Hormis la porte sud-est, ce matĂ©riau est utilisĂ© dans toutes les portes extĂ©rieures; les deux portes donnant accĂšs au rĂ©duit; ainsi que dans quelques fenĂȘtres des tours. L’ouverture des murs s’est faite Ă  Amergou sous deux formes, un arc dit plein cintre donnant accĂšs Ă  toutes les tours et formant quelques portes extĂ©rieures; et un arc outrepassĂ© brisĂ© appelĂ© Ă©galement arc en fer Ă  cheval formant l’entrĂ©e principale de la forteresse (n°5) ainsi que la porte donnant accĂšs Ă  l’espace nord-est (n°7). Ce type d’arcs se retrouve aussi comme Ă©lĂ©ment dĂ©coratif dans la porte du cĂŽtĂ© ouest du rĂ©duit (n°12).

Influences

Se basant sur la prĂ©sence de milices et/ou de renĂ©gats chrĂ©tiens, notamment de la pĂ©ninsule ibĂ©rique, au service des Almoravides, H. Terrasse suppose que l’architecture d’Amergou est fortement influencĂ©e par celle des chĂąteaux forts de l’Europe mĂ©diĂ©vale[4]. Pour lui, l’utilisation de la pierre, la prĂ©sence d’un rĂ©duit et d’un avant-mur dĂ©fensif au nord-est, qu’il considĂšre respectivement comme donjon et barbacane, ainsi que le recours aux tours hĂ©misphĂ©riques sont les preuves d’une nette influence hispano-chrĂ©tienne. Les rĂ©centes Ă©tudes[5] - [6] - [7] mentionnĂ©es plus hauts contestent toutefois cette affirmation. Pour M. Almansa, la prĂ©sence du rĂ©duit s’expliquerait plutĂŽt par la construction en Ă©tapes de la casbah[34]: les bĂątisseurs aurait probablement commencĂ© par la construction du rĂ©duit central pour ensuite le renforcer par l’enceinte qui domine l’éperon pour enfin terminer avec un avant-mur dĂ©fensif comprenant deux tours au nord-est. Ensuite, M. Almansa asserte que les tours hĂ©misphĂ©riques des chĂąteaux forts en Espagne, que H. Terrasse propose comme possibles sources d’influences fĂ©odales, ne sont pas plus anciennes que celles du Maghreb[31]. Il Ă©tablit enfin des parallĂ©lismes entre Amergou et des fortifications prĂ©-almoravides en MĂ©diterranĂ©e, au Maghreb et surtout celles prĂ©sentes au Maroc, comme celles de la ville idrisside Al-Basra et de la ville Dimna. Elles sont elles aussi bĂąties avec de la pierre et ne comportent que des tours hĂ©misphĂ©riques. Pour lui, cela indiquerait une influence de la MĂ©diterranĂ©e orientale en donnant comme preuve des similitudes avec les fortifications fatimides, aghlabides, omeyyades et byzantines[35].

De nos jours

  • Le site est classĂ© patrimoine national depuis le 16 janvier 1931 par le Dahir du 10 dĂ©cembre 1930[8].
  • Le ministĂšre de la Culture et de la Communication – DĂ©partement Culture – du Maroc a annoncĂ© en 2019 l’ouverture du site au public et au tournage cinĂ©matographique et documentaire aprĂšs la restauration partielle et la rĂ©habilitation de la forteresse entamĂ©es quelques annĂ©es auparavant. Environ deux millions de dirhams ont Ă©tĂ© allouĂ©s Ă  cette fin[8].

Pour en savoir plus

Publications sur la forteresse d'Amergou

G. Camps, “Amergou ”, EncyclopĂ©die berbĂšre, 4 | 1986, 589-590. Lire en ligne (consultĂ© le 28 aoĂ»t 2021).

LĂ©vi-Provençal, Evariste, Les ruines almoravide du pays de l’Ouergha, Bulletin ArchĂ©ologique,

(es) Manuel Pedro Acién Almansa, "La fortaleza de Amergo (Marruecos) ¿Otro ejemplo de influencia hispånica en el Magreb?", sur www.Issuu.com, 2010, Lire en ligne, (consulté le 28 août 2021)

Paul Odinot, "Moulay Bouchta - Amergou", in Nord-Sud, Casablanca, Nord-Sud, p. 31. lire en ligne, (consulté le 28 août 2021)

Saladin, Henri, Note sur un essai d'identification des ruines de Bani-Teude, Mergo, Tansor et Angla : situées dans la région de l'Ouerghia (subdivision de Fez) [Maroc] et relevées par le Capitaine Odinot, Bulletin Archéologique, 1916.

Terrasse, H., "la forteresse almoravide d’Amergou", in Al Andalus, t. XVIII, 1953.

Publications générales sur le thÚme de l'architecture médiévale

Marçais, G., L’architecture musulmane d’Occident, Paris, Arts et mĂ©tiers graphiques, 1954.

Mesqui, J., Chñteaux d’Orient: Liban Syrie, Paris, Hazan, 2001.

Articles connexes

Almoravides

Liste des forteresses du Maroc

Liens externes

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Amergou - Iventaire et documentation du patrimoine culturel du Maroc

(eng) Moulay Bouchetta el-Khammar

Notes et références

Notes

    1. Dont al Baydaq, Ali Ibn Abi Zar et Al-Ifrini et d'autres chroniqueurs anonymes
    2. ChĂąteau de SaĂŽne, le Krak des chevaliers et d'autres.
    3. Dont H. Saladin, H. Terrasse, E. Lévi provençal, M. Almansa, M. Cobaleda et d'autres.
    4. Voir Ă  ce propos la Reconquista.

      Références

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