Joseph Joanovici
Joseph Joanovici, Ă©galement orthographiĂ© Joinovici, nĂ© le Ă ChiÈinÄu, (actuelle Moldavie) et mort le Ă Clichy (France), est un ferrailleur russe[1]. Il fut fournisseur de mĂ©tal pour les autoritĂ©s allemandes pendant l'Occupation de la France, mais aussi pourvoyeur de fonds pour la RĂ©sistance, et peut-ĂȘtre mĂȘme agent du Komintern soviĂ©tique. Le commerce avec l'Allemagne le rend milliardaire, et en 1949, il est condamnĂ© pour collaboration Ă cinq ans de prison. LibĂ©rĂ© sous conditions, il fuit et tente de s'installer en IsraĂ«l, qui l'expulse et le renvoie derriĂšre les barreaux. Il retrouve sa libertĂ© en en raison de son Ă©tat de santĂ© et meurt ruinĂ© le .
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Biographie
Joseph Joanovici naĂźt en Bessarabie Ă ChiÈinÄu (Ă l'Ă©poque Kichinev dans l'Empire russe), officiellement le (mais il est possible quâil ait trichĂ© sur son Ăąge), dans une famille juive. Ses parents sont tuĂ©s peu aprĂšs dans un des deux pogroms de sa ville natale (1903 et 1905, mais il se peut aussi que ses assertions soient fausses), il arrive en France en 1925 et devient chiffonnier-ferrailleur. Bien quâillettrĂ©, par son travail, sa gouaille et son protecteur Yacoub (Jakub dans la version polonaise du prĂ©nom Jacques), un immigrĂ© polonais lui aussi ferrailleur, Joanovici devient Monsieur Joseph, un ferrailleur rĂ©putĂ© Ă Clichy en banlieue parisienne[2].
Lorsque la Seconde Guerre mondiale Ă©clate, le ferrailleur comprend quâĂ©tant juif, il aura besoin de « protection » et que les Allemands vont avoir besoin de gens pour leur vendre du mĂ©tal, le nerf de la guerre. Pour cela, il livre des mĂ©taux au bureau d'achat de l'Abwehr, Ă lâhĂŽtel LutĂ©tia[3]. Il fait ainsi fortune pendant les quatre ans de l'Occupation, argent qui lui sert Ă entretenir de nombreuses hautes relations de tous bords. Il fournit l'Allemagne en mĂ©tal, soudoie les nazis, finance la RĂ©sistance et transmet peut-ĂȘtre aussi des informations au renseignement soviĂ©tique.
Ă partir de 1942, Joanovici se place sous la protection de Henri Lafont, qui dĂ©clare aprĂšs son arrestation : « Je l'ai ressorti plusieurs fois des mains des Allemands comme de celles des Français. Tout le monde savait qu'il Ă©tait protĂ©gĂ© par moi. »[4]. On dit que lors d'un dĂźner, Henri Lafont, chef de la Gestapo française, lui lance : « AprĂšs tout, Joseph, tu n'es qu'un sale youpin ! ». Joanovici aurait alors levĂ© sa coupe de champagne et rĂ©pliquĂ© : « Ăa coĂ»te combien pour ne plus l'ĂȘtre, HauptsturmfĂŒhrer ? ». La DST affirme avoir eu en sa possession une fiche allemande l'immatriculant comme agent de la Gestapo[Note 1]. Il est quelquefois qualifiĂ© d'« aryen d'honneur ».
Joanovici joue aussi trĂšs tĂŽt la carte de la RĂ©sistance. DĂšs son nom apparaĂźt dans des dossiers de policiers rĂ©sistants relevant du rĂ©seau Turma-Vengeance. Quand tombe un pan de la structure (l'inspecteur Albert Dhalenne de Clichy et le brigadier Ămile Gaget sont fusillĂ©s au Mont ValĂ©rien en janvier et ), il apparaĂźt que Joanovici finançait leur sous-rĂ©seau d'exfiltration de dĂ©serteurs et de prisonniers Ă©vadĂ©s vers l'Angleterre via son neveu Ivrail ou Avraili, qui dirigeait la succursale de son entreprise Ă La Rochelle. Il employait aussi Gaget sur son site de Saint-Ouen, aprĂšs sa rĂ©vocation de la Police pour abandon de poste. Avraili fut alors condamnĂ© Ă cinq ans de prison par un tribunal allemand. Vers la LibĂ©ration, Joanovici finance certains rĂ©seaux de la RĂ©sistance, comme le mouvement « Honneur de la police »[Note 1], ainsi que des groupements communistes[Note 1]. En , il fait libĂ©rer Françoise Giroud de Fresnes[5]. Il dĂ©nonce de plus les membres de la Gestapo française quâil connaĂźt, permettant lâarrestation de Pierre Bonny et dâHenri Lafont le dans une ferme de Bazoches-sur-le-Betz (Loiret). Apprenant qui lâa dĂ©noncĂ©, Lafont aurait eu ce mot : « Pour une fois que Joano donne quelque chose ! ».
Il est plusieurs fois arrĂȘtĂ© et interrogĂ© sur ses affaires avec les nazis ; il est toujours relĂąchĂ©. Roger Wybot, alors directeur de la DST, affirme quâil est protĂ©gĂ© par la prĂ©fecture de police[Note 2]. Le , alors que la DST tente de lâinterpeller Ă la prĂ©fecture de police mĂȘme, des complicitĂ©s internes lâaident Ă Ă©chapper aux enquĂȘteurs[Note 3] et Ă partir Ă lâĂ©tranger. Il sâensuit une purge, qui touche jusqu'au prĂ©fet Charles Luizet, alors quâil Ă©tait remplacĂ© pour cause de maladie.
Joseph Joanovici revient en France se livrer Ă la police : il prĂ©pare un faux rendez-vous Ă Phalsbourg pour le , mais se rend directement Ă la PrĂ©fecture de police, pour Ă©viter dâĂȘtre arrĂȘtĂ© par la DST. Il est incarcĂ©rĂ© le Ă la prison de la SantĂ©[Note 4].
AccusĂ© de collaboration Ă©conomique, son procĂšs, du 5 au , est menĂ© sans zĂšle excessif et avec des annonces contradictoires (sâil a collaborĂ©, il a aussi armĂ© la RĂ©sistance). Il aurait dit : « Je nâĂ©tais pas vendu aux Allemands puisque câest moi qui les payais ! »[6] ou encore : « Que voulez-vous faire contre les Allemands ? Moi, j'ai fait fortune »[7]. Joanovici Ă©cope de cinq ans de prison, mais est libĂ©rĂ© en 1952. La France tente de lâexpulser du territoire, puisquâil sâest prĂ©sentĂ© comme SoviĂ©tique, puis comme Roumain[Note 5], mais aucun pays nâaccepte de le recevoir. AssignĂ© Ă rĂ©sidence Ă Mende, il tente de reconstruire ses affaires mais, poursuivi par le fisc, il se lance en dans une cavale qui le conduit Ă HaĂŻfa via GenĂšve et Casablanca. Ă cause de son passĂ© de collaborateur des nazis, il est expulsĂ© dâIsraĂ«l (il est avec Robert Soblen et Meyer Lansky lâun des trois seuls juifs Ă qui IsraĂ«l refusa dâappliquer la loi du retour, en vertu de laquelle la citoyennetĂ© israĂ©lienne est accordĂ©e Ă tout juif qui sâinstalle sur son sol[8]).
Il est incarcĂ©rĂ© en 1958 Ă la prison des Baumettes. Affaibli par une longue grĂšve de la faim, minĂ© par l'artĂ©riosclĂ©rose, il est libĂ©rĂ© en « par humanitĂ© » pour raison de santĂ© et ne quitte plus son modeste deux-piĂšces de l'avenue Anatole-France Ă Clichy oĂč le soigne son ancienne secrĂ©taire et maĂźtresse Lucie Schmidt, surnommĂ©e Lucie-Fer. RuinĂ©, il meurt dans le dĂ©nuement le [9].
Bibliographie
- Grégory Auda, Les belles années du « milieu », 1940-1944 : le grand banditisme dans la machine répressive allemande en France, Paris, Michalon, , 254 p. (ISBN 2-84186-164-3, OCLC 50493997).
- Philippe Bernert, Roger Wybot et la bataille pour la DST, Presses de la Cité, 1975.
- Philippe Bernert, « Honneur et police », in Le roman vrai de la IIIe et de la IVe République - tome 2, s.d. Gilbert Guilleminault, Robert Laffont, collection « Bouquins », 1991.
- Jacques Bonny, Mon pĂšre, l'inspecteur Bonny, Robert Laffont, Paris, 1975.
- Alphonse Boudard, L'Ă©trange Monsieur Joseph (Joseph Joanovici), Robert Laffont, Paris, 1998.
- Jacques Delarue, Trafic et crimes sous lâOccupation, Fayard, 1968.
- André Goldschmidt, L'affaire Joinovici : collaborateur, résistant... et bouc émissaire, Toulouse, Privat, 2002.
- Historia, numéros hors-série 26 & 27, « La Gestapo en France », Tallandier, Paris, 1972.
- Roger Maudhuy, Les Grands procĂšs de la Collaboration, Lucien Souny, 2009.
- Henry Sergg (un nom de plume de Serge Jacquemard), Paris Gestapo, Laffont, Bonny et les autres, Jacques Grancher, 1989.
- Henry Sergg, Joinovici : l'empire souterrain du chiffonnier milliardaire, Fleuve noir, 2003.
- Dominique Venner, Histoire de la collaboration, Pygmalion, Paris, 2002.
- Pierre Boutang, La RĂ©publique de Joinovici, Amiot-Dumont, 1949.
Bandes dessinées
- Il était une fois en France, par Fabien Nury et Sylvain Vallée
- tome 1 : L'Empire de Monsieur Joseph, Glénat 2007.
- tome 2 : Le Vol noir des corbeaux, Glénat 2008.
- tome 3 : Honneur et Police, Glénat 2009.
- tome 4 : Aux armes, citoyens !, Glénat 2010.
- tome 5 : Le Petit Juge de Melun, Glénat 2011.
- tome 6 : La Terre Promise, Glénat 2012.
Filmographie
- 2004 : 93, rue Lauriston téléfilm réalisé par Denys Granier-Deferre, avec Hervé Briaux dans le rÎle de Joseph Joanovici.
- 2001 : L'Ătrange Monsieur Joseph, tĂ©lĂ©film rĂ©alisĂ© par JosĂ©e Dayan sur un scĂ©nario d'Ăric-Emmanuel Schmitt d'aprĂšs le livre d'Alphonse Boudard, avec Roger Hanin dans le rĂŽle de Joseph Joanovici. Cette adaptation fut critiquĂ©e pour sa reprĂ©sentation jugĂ©e excessivement bienveillante du personnage de Joseph Joanovici[10] - [11] - [12].
- 1996 : Un hĂ©ros trĂšs discret, film rĂ©alisĂ© par Jacques Audiard, dâaprĂšs le roman de Jean-François Deniau. Le personnage de Monsieur Jo, jouĂ© par François BerlĂ©and, est inspirĂ© de Joseph Joanovici (origines juive et Ă©trangĂšre, double jeu collaboration/rĂ©sistance, personnage controversĂ© Ă la LibĂ©ration...)[13].
Notes et références
Notes
- Philippe Bernert, Roger Wybot et la bataille pour la DST
- (en) « Foreign News: Notes on Survival », Time,â (lire en ligne)
Références
- Son dossier de demande de naturalisation 2590 X 34 est conservé aux Archives nationales de France sous la cote 19770882/69. Sa demande a été refusée. il n'a donc jamais été naturalisé français
- Henry Sergg, Paris Gestapo, Dualpha, , p. 41.
- Henry Sergg, Joinovici : l'empire souterrain du chiffonnier milliardaire, Paris, Fleuve noir,
- Rochebrune., Les patrons sous l'Occupation. Nouvelle Ă©dition., Paris, Odile Jacob Editions, , 959 p. (ISBN 978-2-7381-2938-3, OCLC 840886873, lire en ligne)
- Colonel RĂ©my, MĂ©moires dâun agent secret de la France Libre, Ă©ditions France-Empire, Paris, 1998
- Edmond Bergheaud, Les Grandes Ă©nigmes de la IVe RĂ©publique, Ăditions de Saint-Clair, , p. 144.
- Impr. Brodard et Taupin), L'étrange monsieur Joseph : récit, Paris, Pocket, , 346 p. (ISBN 2-266-09790-3, OCLC 469249641, lire en ligne)
- "Quand la justice américaine s'inquiÚte de la loi du retour", Le Monde, 23 décembre 2008.
- Gilbert Guilleminault, La France de Vincent Auriol, Denoël, , p. 254.
- « L'Etrange Monsieur Joseph » : ridicule, Le Parisien, 27 novembre 2001
- Hanin dans le pétrin, Libération, 27 novembre 2001
- Auda 2013, p. 12, n. 10.
- Chris Reyns-Chikuma, « MĂ©moire et histoire dans un roman graphique en six volumes : double jeu, infotainment, obsession française ? », Modern & Contemporary France, vol. 22, no 2,â , p. 207-229 (DOI 10.1080/09639489.2013.842206).