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Jeu de Marseille

Le Jeu de Marseille est une variante du jeu de 54 cartes créée en mars 1941 par les artistes surréalistes exilés à la villa Air-Bel à Marseille.

As, génies, sirènes, mages et jokers du jeu de Marseille

Circonstances historiques

Le , le journaliste américain Varian Fry, antinazi ayant sauvé entre 2000 et 4000 juifs (1907-1967), arrive à Marseille en tant que représentant de l'Emergency Rescue Committee (« Comité américain de secours ») avec pour mission de permettre à des personnalités artistiques, politiques ou scientifiques, sous les menaces de l'application de l'article 19 de la convention d'armistice qui stipule la livraison aux Allemands de tous les étrangers déclarés « poursuivis et indésirables », de quitter le territoire français[1]. Il est aidé financièrement par une riche héritière, Mary Jayne Gold, et bénéficie du patronage d'Eleanor Roosevelt, femme du président des États-Unis, Franklin Delano Roosevelt.

Pour accueillir les réfugiés dans l'attente d'un visa de sortie du territoire, Varian Fry loue une bastide de dix-huit pièces entourée d'un jardin, dans le quartier de La Pomme, la villa Air-Bel. Au début du mois d' arrivent les premiers occupants : l'écrivain Victor Serge avec sa femme Laurette et leur fils Vlady, puis André Breton, sa femme Jacqueline Lamba et leur fille Aube.

D'autres artistes surréalistes rejoignent Breton : les peintres Victor Brauner, Max Ernst, Wifredo Lam, André Masson, Oscar Dominguez, Jacques Hérold, Jacqueline Lamba, et le poète Benjamin Péret. Ils reconstituent un groupe et tentent de reprendre leurs activités malgré l'absence de moyens.

Jeu de Marseille

Au cours d'une des fréquentes réunions Au Brûleur de loups, un café sur le Vieux Port, quelqu'un lance l'idée de créer un jeu de cartes.

Il s'agit de « substituer de nouvelles images aux anciennes » sans « rompre la structure générale du jeu de 32 ou 52 cartes (...) et sa division à parties égales en couleurs rouges et noires. »[2] Pour Breton, ce qui est récusé de l'ancien jeu de cartes, c'est « d'une manière générale, tout ce qui indique en lui la survivance du signe et de la chose signifiée[3]. »

Par souci d'identité nationale, les surréalistes s'en prennent « aux valeurs sociales des figures, destituant le « roi » et la « reine » de leur pouvoir depuis longtemps révolu et déchargeant intégralement l'ancien « valet » de son rang subalterne[2]. »

Le roi, la reine et le valet deviennent ainsi « Génie »[4], « Sirène » et « Mage ». Les personnages, à fort sens symbolique, sont choisis d'un commun accord.

Quant aux quatre enseignes (généralement appelées couleurs), elles deviennent : la flamme d'amour, l'étoile de rêve, la roue de révolution et la serrure de connaissance[2].

Après tirage au sort des figures, vingt-deux projets de cartes sont dessinés par[5] Victor Brauner, André Masson, Oscar Dominguez, Max Ernst, Jacques Hérold, Wifredo Lam, Jacqueline Lamba et André Breton.

Enfin, le joker est figuré « sous les traits d'Ubu, dessiné par Jarry. »[2]

Le Jeu a été publié pour la première fois dans la revue surréaliste VVV en 1943, puis exposé au musée d'art moderne de New York. En 1983, le Jeu a été édité par André Dimanche à Marseille, et reproduit dans le catalogue de l'exposition La Planète affolée en 1986. En 2003, Aube Elléouët-Breton et sa fille Oona offrent au Musée Cantini les vingt-deux dessins du jeu, acquis lors de la vente Breton[6], en mémoire de Varian Fry.

Les projets pour le jeu de Marseille

- Paracelse. Mage de Connaissance. Serrure, encre de Chine noire et aquarelle, sur papier Canson contrecollĂ© sur papier, 23,7 Ă— 13,8 cm. (Paracelse (1493-1541) Ă©tait un alchimiste et philosophe suisse, père de la mĂ©decine hermĂ©tique, qui donnait une place prĂ©pondĂ©rante aux maladies invisibles, dĂ©lires de la foi et de l'imagination.)

- As de Connaissance. Serrure, aquarelle, encre de Chine et crayon sur papier, 27,8 Ă— 18 cm.

- HĂ©lène Smith. Sirène de Connaissance. Serrure, crayons noir et de couleurs sur papier-calque, 27,4 Ă— 18,1 cm. (HĂ©lène Smith (1861-1920), nĂ©e Catherine Élise MĂĽller, prĂ©tendait revivre le destin de personnages rĂ©els comme Marie-Antoinette ou imaginaire telle une princesse hindoue et disait avoir rencontrĂ© des Martiens. Elle connut la cĂ©lĂ©britĂ© au dĂ©but du XXe siècle quand parut l'ouvrage du docteur ThĂ©odore Flournoy, Des Indes Ă  la planète Mars. Étude sur un cas de somnambulisme avec glossolalie (1900).)

- Hegel. GĂ©nie de Connaissance. Serrure, crayons noir et de couleurs sur papier-calque, 27,6 Ă— 17,8 cm. (Dans l'Anthologie de l'humour noir, Breton emprunte Ă  Hegel sa dĂ©finition de l'humour objectif qui rĂ©sulte de ce que « l'esprit, tout en gardant son caractère subjectif et rĂ©flĂ©chi, se laisse captiver par l'objet et sa forme rĂ©elle[7]. »)

- Freud. Mage de RĂŞve. Étoile, aquarelle, crayons de couleur et encre de Chine sur papier Canson, 27,1 Ă— 17 cm.

- As de RĂŞve. Étoile, crayon bleu et encre de Chine sur papier, 27 Ă— 16,6 cm.

- Pancho Villa. Mage de RĂ©volution. Roue, crayons noir et de couleurs sur papier, 29,7 Ă— 19,8 cm. (Pancho Villa (1878-1923) devint un gĂ©nĂ©ral mexicain en 1920 après avoir Ă©tĂ© hors-la-loi dès l'âge de seize ans Ă  la suite du meurtre d'un homme qui voulait sĂ©duire sa sĹ“ur. Constamment rĂ©voltĂ© et idĂ©aliste, il soutint trois « rĂ©volutionnaires » qu'il combattit, successivement et avec la mĂŞme vigueur, une fois ces hommes devenus prĂ©sident[8]. Il mourut assassinĂ©. Avec Emiliano Zapata, il est une figure lĂ©gendaire de l'histoire du Mexique.)

- As d'Amour. Flamme, crayons noir et rouge sur papier-calque, 23,3 Ă— 13,5 cm.

- As d'Amour. Flamme, variante, crayons noir et rouge, 29,7 Ă— 19,8 cm.

- Lamiel. Sirène de RĂ©volution. Roue, encre de Chine et crayons de couleurs sur papier, retouches de gouache blanche, 27,1 Ă— 17 cm. (Lamiel est l'hĂ©roĂŻne du dernier roman de Stendhal (1783-1843), restĂ© inachevĂ©. Pendant fĂ©minin de Julien Sorel (Le Rouge et le noir), Lamiel est une jeune fille instable, dĂ©vorĂ©e d'ambition, affamĂ©e de plaisir et, en mĂŞme temps, un esprit libre et Ă©levĂ©, sachant passer outre la vulgaritĂ© et la sottise de son temps et convaincre de la nĂ©cessitĂ© de l'hypocrisie sociale.)

- Sade. GĂ©nie de RĂ©volution. Roue, encre de Chine et crayons de couleurs sur papier, 27,2 Ă— 17 cm.

- LautrĂ©amont. GĂ©nie de RĂŞve. Étoile, encre de Chine et crayon sur papier, 32,4 Ă— 25,1 cm.

- Alice. Sirène de RĂŞve. Étoile, encre de Chine et crayon sur papier, 32,6 Ă— 25,1 cm.

- As de RĂ©volution. Roue, taches d'encre rouge projetĂ©es sur papier et collage de la roue centrale (encres rouge et noire), 24 Ă— 13,6 cm.

- Baudelaire. GĂ©nie d'Amour. Flamme, gouache, encre de Chine et collage sur papier Canson, 27,9 Ă— 16 cm. (Ă€ l'origine de la critique picturale faite par des poètes, Charles Baudelaire a insistĂ© sur la nĂ©cessaire sympathie qui doit unir le critique Ă  l'Ĺ“uvre qu'il considère. Les surrĂ©alistes ont Ă©rigĂ© en principe cette nĂ©cessaire sympathie.)

- Baudelaire. GĂ©nie d'Amour. Flamme, variante, aquarelle et encre de Chine sur papier Canson, 27,9 Ă— 18 cm.

- La Religieuse portugaise. Sirène d'Amour. Flamme, aquarelle et crayon sur papier Canson, 27,2 Ă— 17 cm. (HĂ©roĂŻne des Lettres portugaises, titre donnĂ© Ă  cinq lettres d'amour, qui, si elles ne sont pas authentiques, furent sans doute inspirĂ©es par une aventure vĂ©cue entre Mariana Alcoforado, religieuse portugaise, et un gentilhomme français, le marquis de Chamilly. Elles eurent un immense succès dès leur publication en 1669.)

- La Religieuse portugaise. Sirène d'Amour. Flamme, variante, encre de Chine et crayon sur papier, reprise Ă  la gouache blanche, 33,2 Ă— 21,2 cm.

- Novalis. Mage d'Amour. Flamme, encre de chine sur papier, 33 Ă— 21,4 cm. (« Le dĂ©sir de Novalis d'Ă©laborer une science de l'imagination en acte donnant au poète la facultĂ© de voyance, la mise en avant d'un sens du surrĂ©el jouèrent un rĂ´le de premier plan pour la quĂŞte des surrĂ©alistes vers les pouvoirs de l'inconscient et l'automatisme. », Danièle Giraudy[9].)

- Novalis. Mage d'Amour. Flamme, variante, aquarelle et crayon sur papier Canson, avec collage des deux flammes, 27,9 Ă— 16,7 cm.

  • FrĂ©dĂ©ric Delanglade Ă  la demande d'AndrĂ© Breton, a "normalisĂ©" ces dessins et rĂ©alisĂ© les dos des cartes :

- Dos rectangulaire, encre de Chine et reprises Ă  la gouache blanche sur papier, 30,9 Ă— 24 cm.

- Dos circulaire, encre rouge et encre de Chine sur carton, 16,4 Ă— 13,7 cm.

Bibliographie

  • Le Jeu de Marseille. Autour d'AndrĂ© Breton et du surrĂ©alistes Ă  Marseille en 1940-1941, sous la direction de Danièle Giraudy, Marseille, Éditions Alors Hors Du Temps, 2003, avec la reproduction pleine page des vingt-deux projets, pages 86 Ă  129 (ISBN 2-9517932-5-1).
  • Varian Fry et les candidats Ă  l'exil. Marseille 1940-1941, Arles, Actes Sud, 1999.
  • AndrĂ© Breton, Le Jeu de Marseille, dans La ClĂ© des champs, 1953 in Ĺ’uvres complètes, tome 3, Paris, Ă©ditions Gallimard, coll. « Bibliothèque de la PlĂ©iade », 1999, p. 705-708.
  • Annie Le Brun, « “Cette Ă©chelle qui s'appuie au mur de l'inconnu” », dans Un espace inobjectif. Entre les mots et les images, Paris, Gallimard, coll. « Art et Artistes », 2019, p. 169-183.

Notes et références

  1. Varian Fry…, op. cit., p. 41.
  2. La Clé des champs, op. cit., p. 708 et Mark Polizzotti, André Breton, Gallimard, 1999, p. 562.
  3. La Clé des champs, op. cit?, p. 706.
  4. Cette dénomination a été inventée pendant la Révolution française,». Étienne-Alain Hubert, André Breton, œuvres complètes, tome 3, éditions Gallimard, Bibliothèque de La Pléiade, Paris, 1999, note 3 p. 1354.
  5. Chaque projet est reproduit en pleine page dans le catalogue, op. cit., page 87 Ă  129.
  6. À l'Hôtel Drouot à Paris, en avril 2003.
  7. Breton, Anthologie de l'humour noir, in Œuvres complètes, tome 2, éditions Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, Paris, 1992, p. 870.
  8. Porfirio DĂ­az (1910), Victoriano Huerta (1912) et Venustiano Carranza (1920).
  9. Op. cit., p. 122.
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