Jean de Largentaye
Jean de Largentaye, né en 1903 et mort en 1970, est un haut fonctionnaire et économiste français, traducteur de la Théorie générale de John Maynard Keynes publiée en anglais en 1936 et en français en 1942, administrateur français au Fonds monétaire international (FMI) de 1946 à 1964.
Naissance | |
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Décès |
(Ă 66 ans) 4e arrondissement de Paris |
Nom de naissance |
Jean Marie René Olivier Rioust de Largentaye |
Formation |
École polytechnique (à partir de ) |
Activités |
A travaillé pour |
Mouvement général des fonds (d) Fonds monétaire international |
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Biographie
Jeunesse et Ă©tudes
Issu d'un milieu monarchiste et de parents propriétaires fonciers, Jean de Largentaye est né en 1903 à Plédran, Côtes du Nord (aujourd'hui Côtes d'Armor). Après une éducation chez les jésuites exilés à Jersey, il est admis à Polytechnique en 1921 à l'âge de 17 ans[1].
Parcours professionnel
À sa sortie de Polytechnique, il est recruté comme ingénieur par la société L'Air Liquide et nommé dans un établissement situé dans les Asturies au nord de l'Espagne. Il sera licencié après quelques années, à la suite de la crise économique de 1929.
Il prépare alors le concours de l'Inspection des finances et est admis dans ce corps en 1931. Chargé de mission dans le cabinet du ministre des Finances Marcel Régnier en 1935, il est affecté au Mouvement général des fonds en 1936 et y travaille sous la direction de Jacques Rueff jusqu'à sa mobilisation en septembre 1939. C'est sous le gouvernement du Front populaire de Léon Blum, que Jean de Largentaye découvre la General Theory de Keynes. Cette lecture qui « l'illumina », selon ses propres termes, l'incite à se proposer comme traducteur à Keynes, qui accepte ses services. La traduction comporte in fine un « lexique » de la terminologie keynésienne, soit une cinquantaine de termes techniques traduits et définis en français[2], qui découle d'une abondante correspondante avec Keynes, soucieux de trouver le mot juste en français. Selon Pierre Rosanvallon, Jean de Largentaye est avec Georges Boris l'un des principaux propagateurs de la vision keynésienne notamment auprès des fonctionnaires qui préparent le plan de relance de Léon Blum d'avril 1938[3].
Dans le cadre de sa mobilisation au ministère des armements, Jean de Largentaye part à l'ambassade de France à Madrid début 1940, alors que Philippe Pétain y est ambassadeur, puis est nommé attaché financier en Espagne et au Portugal sous l'autorité de François Piétri, Ambassadeur. Il quitte son poste le [4], pour rejoindre le Comité français de libération nationale (CFLN) à Alger où il sera le collaborateur de Pierre Mendès France. En juillet 1944, celui-ci conduit la délégation française à la conférence de Bretton Woods dont Largentaye fera partie[5].
Entre 1946 et 1964, il est administrateur français au FMI. Ce long mandat sera marqué par de fortes tensions entre la France et l'institution internationale, notamment sur la question de la dévaluation Mayer (), sur les exportations de capitaux américains en France et sur la prétendue insuffisance des liquidités internationales au moment des premiers accords généraux d'emprunt signés en 1962. Il s'y distinguera par son opposition marquée à l'hégémonie américaine comme le soulignera dans ses mémoires André de Lattre, son suppléant en 1954-1955[6]. De retour en France en 1964, il siège au Conseil économique et social dans la section finances, crédit et fiscalité. Il participe au débat sur le système monétaire international organisé par cette assemblée en 1966 et s'oppose au retour à l'étalon-or défendu par Jacques Rueff ainsi qu'à la monnaie fiduciaire (les droits de tirage spéciaux) prônée par Robert Triffin et reprise par Albin Chalandon[7].
En 1969, il termine la révision complète de sa traduction de la Théorie générale de Keynes et y ajoute une « note du traducteur », son « testament économique »[8].
Il meurt en 1970 à Paris à l'âge de 66 ans.
Pensée économique
Formé par l'école classique, doxa enseignée à l'École libre des sciences politiques, à Polytechnique et à la Faculté de droit, il était néanmoins convaincu dès le début des années 1930 de la dangerosité des politiques déflationnistes menées par les responsables politiques en fonction (Laval en France en 1935, Brüning en Allemagne en 1932, Hoover aux Etats-Unis en 1929-1933)[1]. La lecture de Keynes lui donne un cadre théorique qui vient appuyer cette intuition et le conduira à critiquer à la fois l'épargne, en tant qu'elle conduit au chômage, et le système monétaire de Bretton Woods qui subordonne l'objectif du plein emploi à celui du respect des contraintes internationales.
Pourtant, à la fin de sa vie, Jean de Largentaye prend progressivement ses distances avec John Maynard Keynes. Les réflexions qu'il mène dans son cadre professionnel le portent à la conclusion que la Théorie générale est certes valable pour les économies régies par des monnaies fiduciaires mais que les politiques s'en inspirant sont incapables d'assurer à la fois le plein emploi et la stabilité des prix[1].
Aussi explique-t-il, dans l'article « L'émission de la monnaie fiduciaire », que les banques privées se sont approprié le privilège régalien de l'émission monétaire. Or, celle-ci, pense-t-il, doit être gagée sur des biens réels pour que la monnaie recouvre à la fois sa neutralité et sa fonction contracyclique.
En marge de ses fonctions au FMI (1946-1964) puis ouvertement au CES (1964-1969) il mène un combat jusqu'à la fin de sa vie pour une réforme monétaire radicale visant à remplacer les monnaies fiduciaires par des monnaies marchandises. Dans ce combat, il reprend les idées défendues par Benjamin Graham aux niveaux à la fois national[9] et international[10] et par Piero Sraffa s'agissant de la théorie de la valeur[11].
Ses réflexions monétaires donnent lieu à la publication en 1967 d'un article dans Economie appliquée dans lequel il détaille son projet[12]. Il propose la mise en place d'une monnaie adossée à un panier de biens dont la composition précise doit être fixée par les parties prenantes. Une agence monétaire s'occuperait d'entreposer ces biens, ainsi que de les acheter et de les vendre afin d'en réguler les prix. Le dépôt de ces biens par les producteurs donnerait lieu à l'émission de « certificats d'étalon marchandise », qui fonctionneraient comme des billets de banque dans les échanges de l'économie réelle. Ces certificats seraient en tout temps convertibles en marchandises auprès de l'agence monétaire. Par un mécanisme de vases communicants entre le secteur producteur de biens inclus dans l'étalon et les secteurs producteurs d'autres biens, ce système monétaire assurerait automatiquement à la fois la stabilité des prix et le plein emploi estime Jean de Largentaye.
Au plan international, un tel dispositif permettrait aux différents pays du monde de se soustraire du « privilège exorbitant » des États-Unis, producteurs de la monnaie de référence, le dollar, monnaie fiduciaire émise par le système bancaire américain. Ce système serait bénéfique en particulier pour les pays en voie de développement, principaux producteurs des matières premières incluses dans l'étalon comme le défendit Pierre Mendès France dans plusieurs numéros du Courrier de la République[13].
Publications
Les œuvres choisies de Jean de Largentaye ont été publiées chez Classiques Garnier en avril 2023 dans un recueil intitulé Jean de Largentaye, économiste non conformiste. L'ouvrage contient également une biographie de Largentaye[14].
- « L'écueil de l'économie monétaire », Revue d'Alger, no 1,‎ , p. 50-59.
- « L'émission de la monnaie fiduciaire », Revue d'Alger, no 5,‎ , p. 1-17.
- L'organisation Ă©conomique internationale, Paris, Librairie sociale et Ă©conomique, .
- « La liquidité internationale », Tiers-Monde,‎ , p. 463-480.
- « Un faux problème : le manque de liquidité internationale », Le Monde,‎ 5 et 6 juin 1966.
- « L'étalon – marchandises », Economie Appliquée,‎ .
- Jean de Largentaye, Alban Chalandon et Jacques Rueff, La réforme du système monétaire international, Paris, Editions France-Empire, , 119-143 et 165-175.
- J.M. Keynes (dir.) et Jean de Largentaye, Seconde note du traducteur, Payot, (réimpr. 2017), « La Théorie générale », p. 19-27.
Notes et références
- Armand de Largentaye, « Jean de Largentaye, l'ardent traducteur de The General Theory », Revue d'histoire de la pensée économique, vol. 2, no 12,‎ , p. 48-52
- Hélène de Largentaye, « Le lexique de l'édition française de The General Theory de Keynes », Revue d'histoire de la pensée économique, vol. 2, no 12,‎ , p.75-125
- Pierre Rosanvallon, L'État en France de 1789 à nos jours, Paris, Seuil, , 370 p. (ISBN 9782020115230), p. 240-241
- Robert Belot, Aux frontières de la liberté, Paris, Fayard, , 793 p. (ISBN 9782213591759), p. 230-231
- Jean-Charles Asselin, Dictionnaire historique des inspecteurs des Finances 1801-2009 : Dictionnaire thématique et biographique, Paris, Comité pour l'histoire économique et financière de la France, , 1131 p., « Jean de Largentaye (1902-1970) », p. 238-239Note : cet ouvrage donne une date de naissance erronée. Jean de Largentaye est bien né en 1903, et non 1902, comme l'atteste, par exemple, sa nécrologie parue dans Le Monde le 28 février 1970.
- André de Lattre, Servir aux Finances, Paris, Comité pour l'histoire économique et financière de la France, , p. 85
- Albin Chalandon, Jacques Rueff et Jean Rioust de Largentaye, La réforme du système monétaire international, Paris, Éditions France-Empire, , 191 p.
- Jean de Largentaye (trad.), La Théorie générale de J. M. Keynes, Paris, Payot, , « Seconde note du traducteur », p. 35-47
- Benjamin Graham, Storage and Stability, New York, Mac-Graw Hill, , 182 p.
- Benjamin Gaham, World Commodities & World Currencys, New York, Mac-Graw Hill, , 182 p.
- Piero Sraffa, Production of Commodities by Means of Commodities, Cambridge, Cambridge University Press, , 99 p.
- Jean de Largentaye, « L'étalon-marchandises », Économie appliquée,‎
- Pierre Mendes France, « Les problèmes monétaires internationaux », Courrier de la République, no 75,‎
- Hélène de Largentaye, Jean de Largentaye, économiste non conformiste, Paris, Classiques Garnier, , 835 p. (ISBN 978-2-406-14334-5)