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Histoire dans une histoire

Une histoire dans une histoire est un dispositif littĂ©raire qui consiste Ă  en faire raconter une partie importante par un personnage Ă  l'intĂ©rieur du rĂ©cit mĂȘme[1]. Cette narration peut ĂȘtre une sĂ©rie de retours explicatifs dans le passĂ© ou la mise en sĂ©quence des points de vue qui utilise plusieurs types de narrateurs, (notamment un narrateur principal extradiĂ©gĂ©tique qui ne fait pas partie de la diĂ©gĂšse, c'est-Ă -dire de l'histoire elle-mĂȘme, ainsi qu'un ou plusieurs narrateurs intradiĂ©gĂ©tique, qui eux sont des personnages de la diĂ©gĂšse[2]). Cette pratique est la mise en abyme littĂ©raire oĂč le temps passĂ© Ă  lire sert Ă  la prise de connaissance complĂšte de ce qui est reprĂ©sentĂ©. En rapport avec les autres arts plastiques oĂč l'abyme est une reprĂ©sentation emboitĂ©e d'un mĂȘme contenu. Cela fait initialement rĂ©fĂ©rence Ă  la pratique hĂ©raldique consistant Ă  placer l'image d'un petit bouclier sur un bouclier plus grand. L'histoire dans une histoire relĂšve vĂ©ritablement du rĂ©cit enchĂąssĂ© qui prend alors place dans un rĂ©cit cadre. Le Roman Comique de Paul Scarron en est particuliĂšrement exemplaire.

Utilisation et intĂ©rĂȘt

Une histoire dans une histoire peut ĂȘtre utilisĂ©e dans tous les types de narration : romans, nouvelles, piĂšces de thĂ©Ăątre, Ă©missions tĂ©lĂ©visĂ©es, films, poĂšmes, chansons et essais philosophiques. Ces rĂ©cits dans le rĂ©cit sont racontĂ©s pour divertir, ou plus gĂ©nĂ©ralement pour servir d'exemple aux autres personnages. Dans les deux cas, l’histoire a souvent une signification symbolique et psychologique pour les personnages de l’histoire contenue comme fil conducteur. Il y a souvent un parallĂšle entre deux rĂ©cits, et la fiction de l'histoire interne est utilisĂ©e pour rĂ©vĂ©ler la vĂ©ritĂ© dans l'histoire externe. Ce procĂ©dĂ© est souvent utilisĂ© pour satiriser des points de vue, non seulement dans l’histoire racontĂ©e, mais aussi dans le monde rĂ©el.

Ce dispositif permet Ă  l'auteur -qui bien souvent ne connait pas la fin de son rĂ©cit lorsqu'il le commence Ă  Ă©crire-, de jouer sur la perception des personnages par le lecteur - les motivations et la fiabilitĂ© du narrateur sont automatiquement en cause. Les rĂ©cits internes peuvent ainsi rĂ©vĂ©ler les motivations, l'origine ainsi que le point de vue de personnages. Ils peuvent aussi contribuer Ă  mettre en place un dĂ©cor constituĂ© d'Ă©vĂ©nements, de mythes ou de lĂ©gendes qui influencent l'intrigue. Ils permettent mĂȘme parfois des dĂ©tournements de points narratifs issus de l'extĂ©rieur de l'intrigue.

Dans certains cas, le rĂ©cit imbriquĂ© se passe dans l'action de l'intrigue de l'histoire externe. Dans d'autres, l'histoire interne est indĂ©pendante, de sorte qu'elle peut ĂȘtre ignorĂ©e ou lue sĂ©parĂ©ment. Parfois, l’histoire intĂ©rieure sert de dĂ©bouchĂ© aux idĂ©es abandonnĂ©es que l’auteur juge tout de mĂȘme trop mĂ©ritantes pour ĂȘtre complĂštement Ă©cartĂ©es, une dĂ©cision similaire Ă  l’inclusion des scĂšnes coupĂ©es dans les DVD des films. Il arrive rĂ©guliĂšrement que d'autres histoires internes soient racontĂ©es dans des rĂ©cits internes, ce qui conduit Ă  une fiction profondĂ©ment imbriquĂ©e, le fameux abyme qui provient du jeu de s'observer en reflets infinis dans deux miroirs disposĂ©s face Ă  face.

L'histoire dans l'histoire est un procĂ©dĂ© dĂ©pendant du dispositif connu sous le nom de rĂ©cit-cadre, oĂč une histoire supplĂ©mentaire est utilisĂ©e pour aider Ă  raconter l'histoire principale. En rĂšgle gĂ©nĂ©rale, dans ce cas, le rĂ©cit extĂ©rieur ou le « cadre » n'a pas beaucoup d'importance, et l'essentiel du travail consiste en une ou plusieurs histoires complĂštes racontĂ©es par un ou plusieurs conteurs.

Exemples de l'utilisation du procédé d'histoire dans l'histoire

En littérature orientale

Les premiers exemples de rĂ©cit-cadre et d'histoires dans une histoire remontent Ă  l'Égypte ancienne et Ă  la littĂ©rature indienne. On y trouve par exemple le conte Ă©gyptien Conte du naufragĂ©[3] et les Ă©popĂ©es indiennes comme le Ramayana, le Roman des sept sages, l'Hitopadesha et Vikram et le Vampire. Dans le Pañchatantra de Vichnou-Sarma, une sĂ©rie d'histoires sont racontĂ©es, chaque rĂ©cit s'imbriquant dans l'autre, parfois jusqu'Ă  trois ou quatre couches de profondeur, et puis subitement le lecteur est ramenĂ© au rĂ©cit-cadre pour maintenir son attention, par effet de contraste. Dans l'Ă©popĂ©e du Mahabharata, la Guerre Kurukshetra est racontĂ©e par un personnage de Vyasa's Jaya, lui-mĂȘme racontĂ© par un personnage dans Vaisampayana's Bharata, lui-mĂȘme racontĂ© par un personnage dans Ugrasrava du Mahabharata.

En littérature grecque et romaine

Ce procĂ©dĂ© est utilisĂ© dans l'OdyssĂ©e d'HomĂšre : Les aventures d'Ulysse en mer sont toutes relatĂ©es par Ulysse Ă  la cour du roi AlcinoĂŒs. Les MĂ©tamorphoses d'ApulĂ©e et les MĂ©tamorphoses d’Ovide jouent aussi sur la profondeur du cadrage.

L'exemple le plus connu d'histoire dans l'histoire se trouve peut-ĂȘtre la structure des Mille et une nuits, oĂč l'histoire gĂ©nĂ©rale est racontĂ©e par un narrateur inconnu, et au sein de ce rĂ©cit, les histoires sont racontĂ©es par ShĂ©hĂ©razade. Dans beaucoup de rĂ©cits de ShĂ©hĂ©razade, on trouve d'autres petites histoires imbriquĂ©es dans des histoires plus grandes et racontĂ©es par des personnages. Un exemple de cette rĂ©currence se trouve dans le conte des « Trois Pommes », un mystĂšre de meurtre racontĂ© par SchĂ©hĂ©razade. Dans le rĂ©cit, aprĂšs que le meurtrier se soit rĂ©vĂ©lĂ©, il fait un retour en arriĂšre et raconte les Ă©vĂ©nements qui ont conduit au meurtre. Au sein de ce retour en arriĂšre, un narrateur peu fiable raconte une histoire pour tromper le meurtrier potentiel, qui dĂ©couvre ensuite qu'il a Ă©tĂ© induit en erreur aprĂšs qu'un autre personnage lui ai racontĂ© la vĂ©ritĂ©[4]. À la fin de l’histoire, le « conte de NĂșr al-DĂ­n AlĂ­ et son fils » y est racontĂ©. On peut faire remonter ce travail perpĂ©tuellement populaire aux traditions de narration arabes, persanes et indiennes.

En littérature britannique

Les Contes de Canterbury de Chaucer constituent un exemple fondateur d'histoires-cadres et d'histoires dans l'histoire. Les personnages racontent des histoires adaptées à leur personnalité de maniÚre à la mettre en valeur. Par exemple, le noble chevalier raconte une histoire noble ; le personnage ennuyeux raconte une histoire trÚs fade et le grossier meunier raconte une histoire sale.

Frankenstein de Mary Shelley possĂšde une structure d’histoire de cadre profondĂ©ment imbriquĂ©e qui comprend la narration de Walton, qui enregistre la narration de Victor Frankenstein, qui raconte la narration de sa crĂ©ation, qui raconte l’histoire d’une famille de cabanes qu’il observe secrĂštement.

On peut aussi mentionner les Hauts de Hurlevent d'Emily Brontë comme autre occurrence de ce dispositif littéraire puisque la majorité de la narration est assurée par la gouvernante de la famille centrale à un pensionnaire.

De mĂȘme, La merveilleuse histoire de Henry Sugar de Roald Dahl, parle d'un riche cĂ©libataire qui trouve un essai Ă©crit par quelqu'un qui a appris Ă  « voir » Ă  travers les cartes Ă  jouer. Le texte intĂ©gral de cet essai est inclus dans l'histoire et comprend lui-mĂȘme une longue histoire racontĂ©e comme une expĂ©rience vraie par l'un des protagonistes de l'essai, Imhrat Khan.

Le roman Aelwyd F'Ewythr Robert (1852) de Gwilym Hiraethog (en) convoque le procédé d'histoire dans l'histoire : un visiteur d'une ferme située dans le nord du pays de Galles raconte l'histoire de La Case de l'oncle Tom, d'Harriet Beecher Stowe aux personnes rassemblées autour du foyer.

Elle, roman d'Henry Rider Haggard (1887), commence par une introduction. Le narrateur y explique que le rĂ©cit qui suit vient d'un ami qui lui en confia le manuscrit annotĂ©. Celui-ci lui demande de changer son nom et celui de son fils adoptif, ainsi que tous les Ă©lĂ©ments concernant leurs identitĂ©s, afin d'ĂȘtre anonymisĂ©s.

Dans Les Horizons perdus, roman de James Hilton paru en 1933, le prologue et l'Ă©pilogue est racontĂ© par un personnage, le neurologue. Le cƓur du roman est le rĂ©cit du hĂ©ros, Conway.

En littérature italienne

Le Décaméron de Boccace est un autre exemple fondateur d'histoires-cadres et d'histoires dans l'histoire.

En littérature française

Le roman de l'abbĂ© PrĂ©vost, Manon Lescaut, est un exemple d'histoire dans l'histoire oĂč le narrateur, le chevalier Des Grieux, peut ĂȘtre soupçonnĂ© de partialitĂ© dans la façon dont il relate l'histoire relative Ă  Manon Lescaut, dont la voix propre n'est jamais entendue.

Jacques le fataliste et son maßtre de Denis Diderot et les nombreuses digressions de Jacques sont aussi un exemple d'une histoire dans une histoire, ou de récit enchùssé, dans laquelle l'auteur joue sur les niveaux de narrations[5] et leur confusion[6] pour venir exposer plusieurs récits dans un récit-cadre.

En littérature polonaise

Dans Manuscrit trouvĂ© Ă  Saragosse (1797-1815) de Jean Potocki, un soldat napolĂ©onien dĂ©couvre un rĂ©cit biographique dans une maison de Saragosse (Espagne). Une fois prisonnier, il en fait la lecture Ă  son geĂŽlier. Il lui raconte alors le voyage d'un militaire Ă  travers les montagnes andalouses. Dans le cadre du rĂ©cit, celui-ci rencontre divers personnages qui lui racontent Ă  leur tour leur histoire, celle de personnes qu'ils ont rencontrĂ© et mĂȘme des contes qu'ils ont entendu. En plus de mettre en place des fictions dans une fiction, ce roman instaure des enchĂąssements jusqu'au quintuple, avec des thĂšmes rĂ©currents comme les fantĂŽmes ou la religion.

En littérature canadienne

L'Étrange Manuscrit trouvĂ© dans un cylindre de cuivre (1888) de James De Mille met en scĂšne quatre hommes naviguant sur un bateau. DĂ©couvrant dans la mer un cylindre de cuivre, ils le repĂȘchent et trouvent un manuscrit dont ils font, chacun leur tour, la lecture aux autres. Entre chaque session de lecture, ils discutent et argumentent sur la possible vĂ©racitĂ© du rĂ©cit relatĂ©, Ă  propos d'un voyage vers un monde perdu en Antarctique.

En littérature jeunesse

De nombreuses collections d'histoires pour enfants modernes sont essentiellement des Ɠuvres d'anthologie liĂ©es par ce dispositif, telles que les Mouse Tales d'Arnold Lobel, The Little Swineherd de Paula Fox, et Ears and Tails and Common Sense de Phillip et Hillary Sherlock.

Au cinéma et à la télévision

Un exemple moderne de rĂ©cit-cadre est Princess Bride. Dans le film, fondĂ© sur le roman de William Goldman paru en 1973, un grand-pĂšre lit l'histoire de Princess Bride Ă  son petit-fils. Dans le roman, une histoire cadre plus dĂ©taillĂ©e demande Ă  un pĂšre d’éditer un travail beaucoup plus long (mais fictif) pour son fils, crĂ©ant ainsi sa propre « Good Parts Version » (comme le livre l’appelle) en laissant de cĂŽtĂ© toutes les parties qui ne conviendraient pas au jeune garçon. Le livre et le film affirment tous deux que l'histoire principale est tirĂ©e d'un livre intitulĂ© The Princess Bride d'un auteur imaginaire appelĂ© S. Morgenstern.

Dans l'Ă©pisode L'Histoire apparemment sans fin de la sĂ©rie Les Simpsons, le scĂ©nario ne suit pas le schĂ©ma habituel et fait intervenir une sĂ©rie d'histoires mises en abyme Ă  travers l'histoire de Bart qui dans laquelle Lisa raconte l'histoire de Monsieur Burns qui raconte lui-mĂȘme l'histoire de Moe qui raconte celle d'Edna.

Parfois, un rĂ©cit-cadre existe dans le mĂȘme cadre que l'histoire principale. Dans la sĂ©rie tĂ©lĂ©visĂ©e Les Aventures du jeune Indiana Jones, par exemple, chaque Ă©pisode est prĂ©sentĂ© comme Ă©tant racontĂ© par un Indiana Jones plus ĂągĂ©. Le mĂȘme procĂ©dĂ© d’un narrateur adulte reprĂ©sentant la version plus ĂągĂ©e d’un jeune protagoniste est utilisĂ© dans les films Stand By Me et A Christmas Story et dans la sĂ©rie Les AnnĂ©es coup de cƓur.

Voir aussi

Références

  1. David Herman, Manfred Jahn et Marie-Laure Ryan, Routledge Encyclopedia of Narrative Theory, Routledge, , 720 p. (ISBN 978-1-134-45840-0, lire en ligne), p. 134
  2. GĂ©rard Genette, Figures III, Éditions du Seuil, coll. « PoĂ©tique », .
  3. The Encyclopedia of Fantasy, Macmillan, , 1079 p. (ISBN 978-0-312-19869-5), p. 312
  4. (en) David Pinault, Story-Telling Techniques in the Arabian Nights, Leiden, Brill Publishers, , 262 p. (ISBN 90-04-09530-6, lire en ligne), p. 94
  5. Daniel Maher, « Un fil d’Ariane? le rĂ©cit de l’hĂŽtesse dans Jacques le fataliste », Lumen: Selected Proceedings from the Canadian Society for Eighteenth-Century Studies / Lumen : travaux choisis de la SociĂ©tĂ© canadienne d'Ă©tude du dix-huitiĂšme siĂšcle, vol. 13,‎ , p. 117–124 (ISSN 1209-3696 et 1927-8284, DOI 10.7202/1012527ar, lire en ligne, consultĂ© le )
  6. Maxime Abolgassemi, « La contrefiction dans Jacques le Fataliste », PoĂ©tique, vol. 134, no 2,‎ , p. 223 (ISSN 1245-1274 et 1968-3871, DOI 10.3917/poeti.134.0223, lire en ligne, consultĂ© le )
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