Fusil Enfield Pattern 1853
Le fusil militaire britannique Enfield Pattern 1853 est un rifle musket (fusil à poudre noire, à un coup, se chargeant par la bouche, à canon rayé et à mise à feu par capsules de fulminate de mercure) produit par l'Arsenal royal d'Enfield (et des industriels sous-traitants) entre 1853 et 1867.
Ce modèle, aussi connu sous les dénominations Enfield Pattern 1853 Rifle-Musket, Pattern 1853 Enfield, P53 Enfield, et Enfield Rifle-Musket est, comme les fusils équipant plusieurs puissances de l'époque, un dérivé du fusil Minié français de 1850. Il remplace le fameux mousquet Brown Bess et sera transformé en fusil Snider-Enfield à chargement par la culasse.
Histoire et Évolution
L'agonie prolongée de Brown Bess
Le mousquet Brown Bess a eu un long règne (1722-1860), ainsi que ses variantes, qui étaient comme lui munies d'une batterie à silex et d'un canon lisse de calibre approximatif .753, tirant une balle ronde de diamètre inférieur (.710, soit 18 mm)[1]. Quand la nécessité de moderniser l'arme d'épaule des troupes de Sa Majesté devient évidente, les Brown Bess sont transformées pour la mise à feu par percussion d'une capsule : c'est le fusil Enfield Pattern 1842.
Puis il faut adopter la nouvelle balle Minié : ceci amène les Britanniques à concevoir un rifle musket (toujours à poudre noire et à un coup, mais à canon rayé, et de calibre .702) : le fusil Enfield Pattern 1851.
L'Enfield Pattern 1851
Le fusil Enfield Pattern 1851, de calibre .702, n'est produit par l'Arsenal royal d'Enfield (dans la vallée de la Lea, une banlieue au nord de Londres) que pendant 2 ans, jusqu'à ce qu'on se rende compte que les balles de petit calibre issues d'un canon rayé ont une trajectoire plus tendue, donc plus de précision (tout en ayant encore assez de pouvoir vulnérant) que les balles de plus gros calibre.
On opte alors pour un fusil de calibre .577 peu différent de celui des autres puissances européennes qui ont adopté elles aussi des copies du fusil Minié[2]. Le fusil Enfield Pattern 1853 est alors conçu…
Et encore cette politique sinueuse inspirée au British Ordnance System par le conservatisme et l'esprit d'économie a-t-elle été simplifiée par un incendie survenu à la tour de Londres en 1841 : un gros stock de vénérables et indestructibles Brown Bess (de calibre .753) qui pouvaient être transformées a alors définitivement disparu. Mais sur le terrain (et en particulier pendant la guerre de Crimée) les soldats britanniques utiliseront longtemps des projectiles de calibre différent, ce qui est une aberration sur le plan logistique.
Le fusil Enfield P.1853
Le fusil Enfield P.1853 a grosso modo la même longueur que le fusil à canon lisse qu’il remplace : 55 pouces (140 cm). Comme la formation de tir était habituellement en rangs, on cherchait en effet à l’époque à voir les bouches des fusils du 2e rang dépasser la tête des soldats du 1er rang. Par ailleurs le « manche de la baïonnette » devait être assez long, en particulier afin qu’un fantassin puisse atteindre un cavalier.
Le canon de calibre .577 (15 mm) avait 39 pouces (99,2 cm) de long, et comportait trois rayures internes au pas de 1:78. Il était fixé au fût par trois grenadières de métal (bands), et le fusil était parfois désigné comme three-bands rifle pour le différencier du modèle two-bands plus court.
La cartouche de papier gras contenait 68 grains (4,4 g) de poudre noire, et la balle Minié (appelée Pritchett ou Burton en Grande-Bretagne), en plomb, pesant 530 grains (34,3 g) atteignait environ 900 pieds par seconde (300 m/s) à la bouche.
La mire ajustable du fusil Enfield P.53 était graduée pour 100 yards (« distance de combat »), 200, 300 et 400 yards. De plus elle était doublée d’une mire pliante (de forme variable selon les versions) dotée d’une échelle graduée pour les distances de 900 à 1 250 yards. En effet les soldats de métier de l’armée britannique étaient régulièrement entraînés à tirer à 600 et à 900 yards sur une cible de 6 × 2 pieds (approximativement les dimensions d’un homme debout). Au centre de cette cible le blanc (bull’s eye) avait 2 pieds de diamètre (et comptait 2 points) pour le tir à 600 yards, et 3 pieds de diamètre (et comptait 3 points) pour le tir à 900 yards. Les tireurs d’élite étaient ceux qui arrivaient à totaliser 7 points sur 20 coups.
Tous les fusils Enfield P.53 (ainsi que leurs versions courtes ultérieures) n'ont pas été fabriqués par l'Arsenal royal d'Enfield, mais aussi par des sous-traitants (comme Corbett pour la platine, Turner & Sons pour le canon…), puis examinés, essayés et acceptés par le War Department[3].
La succession : le fusil Snider-Enfield
À partir de 1867, le P53 est progressivement transformé[4] en Snider-Enfield à chargement par la culasse grâce au système inventé par l'Américain Jacob Snider.
La guerre de Crimée
Entre et ), la Grande-Bretagne était en plein processus de transformation de son fusil militaire, et passait du Brown Bess Pattern 1842 à percussion et canon lisse de calibre 0.753 (19,2 mm) au rifle musket à canon rayé P.51, de calibre presque identique. Aussi, alors que la plupart des soldats de l’empire britannique étaient encore dotés du P.1842, trois régiments sur quatre de la force expéditionnaire britannique en Crimée reçurent le fusil Minié britannique Pattern 1851, un rifle musket de transition[6].
C'est en que le fusil Enfield Pattern 53 est enfin distribué aux troupes britanniques[7], ce qui aboutit au fait qu'en Crimée les Britanniques sont donc dotés de trois fusils différents : le Brown Bess transformé en Pattern 1842 Musket à canon lisse (balle ronde de calibre .71), le P.51 (balle Minié de calibre .702) et le nouveau P.53 (balle Minié de calibre .577)[8].
La révolte des cipayes de 1857
Le nouveau mode de chargement de fusil Enfield P53 fut une des causes déclenchantes[9] de la « Grande Mutinerie » : parmi les cipayes levés par la Compagnie britannique des Indes orientales se répandit une rumeur selon laquelle le papier de la cartouche et la balle elle-même étaient enduits de lard de porc ou de suif de bœuf. Or les tireurs devaient déchirer avec les dents le papier graissé de la cartouche, et même, si la graisse lubrifiant la balle était sèche ou fondue, ils devaient humecter le projectile avec leur salive avant de l'enfoncer dans la gueule du canon[10]. Il y eut un mouvement d'horreur parmi les cipayes : ceux de religion musulmane abhorraient le porc – tandis que les hindouistes adoraient la vache et pensaient qu'en manger est une faute gravissime compromettant définitivement le saṃsāra.
Les officiers à qui les hommes allèrent se plaindre leur proposèrent de fabriquer eux-mêmes leurs cartouches en les graissant avec des corps gras autorisés par leur religion, ce qui revenait à admettre que les cartouches anglaises qu'ils utilisaient depuis près de 100 ans contenaient bel et bien de la graisse de porc ou de bœuf…
On proposa aussi aux cipayes de déchirer dorénavant les cartouches à la main[11]. Mais les soldats indigènes objectèrent alors que leurs maîtres britanniques les entraînaient quotidiennement à charger leurs armes à la cadence très rapide de trois, voire quatre coups par minute (un des facteurs qui avaient rendu leur troupe invincible depuis 100 ans), et qu'ils étaient de ce fait tellement entraînés à déchirer la cartouche avec les dents que, dans le feu de l'action, ils allaient fatalement revenir aux vieilles habitudes et contaminer leur bouche. L'indifférence et l'entêtement que les cipayes rencontrèrent alors chez leurs officiers anglais (qui, dans la structure sociologique de leurs corps, étaient l'équivalent de patriarches) les incita à se révolter.
Pendant les guerres maories (1845-72)
Cette guerre de Nouvelle-Zélande (précédée par les guerres des mousquets inter-tribales résultait de l'obtention d'armes à feu par les Maoris).
Les régiments de la British Army présents sur les îles, la milice coloniale, les corps de volontaires, et par la suite la New Zealand Armed Constabulary furent largement pourvus de fusils Enfield P53 dès le milieu du conflit et jusqu'à sa fin. Le 58th Regiment et le 65th Regiment stationnés sur les îles le reçurent quant à eux en 1858[12].
Beaucoup de fusils Enfield parvinrent entre les mains des Maoris insurgés, soit par l'intermédiaire de tribus fidèles qui en reçurent, soit directement vendus par des trafiquants d'armes.
Après l'introduction du nouveau fusil Snider-Enfield, les surplus de fusils Enfield P53 furent vendus au public, et devinrent des armes de chasse et de tir très appréciées, et ceci jusque bien après la diffusion d'armes à chargement par la culasse de cartouches métalliques.
Pendant la guerre de Sécession
Pendant cette guerre, le fusil Enfield P. 1853, acheté en grand nombre par les 2 belligérants et utilisé aussi bien par le Nord que par le Sud, fut le second fusil militaire le plus répandu après le fusil Springfield Model 1861, et avant le fusil Lorenz.
La Confédération importa ses fusils de Grande-Bretagne, d'abord de source gouvernementale - puis grâce à des intermédiaires ou des forceur de blocus lorsque le gouvernement britannique décida de ne plus aider officiellement le Sud[13].
Plus de 900 000 fusils Enfield P53 entrèrent ainsi en Amérique du Nord, et furent utilisés dans tous les combats majeurs, de la bataille de Shiloh () et du siège de Vicksburg (), jusqu'aux batailles finales de 1865.
À la mi-, Arthur Fremantle, jeune officier britannique en visite d'études dans le Sud est immobilisé sur un vapeur à aubes : il cherche à atteindre Natchez, mais les canonnières unionistes patrouillent la Washita. Les autres voyageurs veulent se préparer à la bataille : il y a quelques fusils Enfield à bord. Fremantle, pragmatique, leur déconseille de tenter l'expérience…
Lors du 2e jour de la bataille de Gettysburg, le , le 20th Maine Volunteer Infantry, régiment unioniste conduit par le colonel Joshua Lawrence Chamberlain, chargea à la baïonnette les Confédérés qui se préparaient à attaquer pour la 3e fois Little Round Top et les repoussa, faisant même 400 prisonniers. Chamberlain rédigea ainsi son rapport : « Nous avons employé les intervalles de la lutte à évacuer nos blessés (et aussi ceux de l'ennemi), à ramasser les munitions dans les cartouchières des blessés (amis ou ennemis), et même à nous procurer de meilleurs mousquets que les Enfield, car nous avons trouvé qu'ils ne tenaient pas le coup »[14].
Pour les Confédérés, au contraire (et en particulier le général Josiah Gorgas, chargé de leur armement) le P.53 était « le meilleur fusil du monde » et n'était dépassé en précision que par un autre produit anglais, le fusil Whitworth[15]
En , le premier régiment de cavalerie des USCT (United States Colored Troops) , le 5e United States Colored Cavalry, est formé dans l'urgence et, faute de mieux, on arme les soldats noirs avec des fusils Enfield, qui sont très peu adaptés au maniement par des cavaliers : longs et lourds, ils ne peuvent de plus pas être rechargés par un homme à cheval. Le premier engagement des cavaliers noirs réguliers des USA est en fait un combat de fantassins : la première bataille de Saltville () les verra charger à pied dans une pente abrupte, baïonnette au canon, et l'Enfield leur fut alors certainement aussi utile que les Spencer dont leurs collègues des corps de cavalerie blanche US étaient armés.
Versions courtes du P.53
Le fusil court P.56
Dénommé également sergeant's rifle, ou two bands rifle (« fusil à 2 grenadières », par opposition au fusil long P.53 qui en comporte 3) le fusil court P.56 a un canon de 33 inches au lieu de 39 pour le fusil d'infanterie. Il est délivré à tous les sergents des régiments de ligne, à la Rifle Brigade et au 60th Regiment, aux Cape Mounted Rifles et aux Royal Canadian Rifles.
Le mousqueton Enfield P.1861
Cette arme est une version courte (musketoon) du Enfield P.53, destinée à la cavalerie. Le canon est plus épais, et les rayures à profondeur décroissante ont un pas plus serré (1/48 au lieu de 1/78) que sur les versions P.53 et P.56, afin de récupérer la précision que le raccourcissement lui a fait perdre[16]. Plus maniable (car plus court et plus léger) et cependant très précis, le P.61 était très recherché chez les Confédérés, et donné de préférence aux tireurs d'élite[17].
À noter que le fusil d'infanterie yankee, le fusil Springfield Model 1861, n'a pas comporté de version courte : les cavaliers nordistes ont été assez rapidement équipés de la Spencer (arme) courte à répétition. Par ailleurs Arthur Fremantle et Heros von Borcke ont tous deux noté que les cavaliers confédérés avaient plus souvent un solide fusil de chasse (à deux coups et de gros calibre) qu'un mousqueton.
Au Japon, pendant la guerre de Boshin
Les combattants de cette guerre civile (1868-1869) utilisèrent (parmi de nombreux modèles de fusils plus ou moins modernes que les puissances proposaient) quelques Enfield P53.
De nos jours
Le fusil Enfield Pattern 1853 est très recherché par les collectionneurs, tireurs à la poudre noire et reenactors : il est précis, solide, fiable.
Des bonnes reproductions du Springfield P.53 ont été fabriquées par la firme Parker-Hale, et le sont encore par les armureries italiennes Euroarms et Armi Chiappa (Armi Sport).
En 2003, un entrepôt d'armes anciennes aurait été mis au jour dans l'arsenal royal de Kathmandou, et de nombreux fusils de type Enfield P 53 (de fabrication locale ?) ont été mis en vente…
Sources
- (en) Cet article est partiellement ou en totalité issu de l’article de Wikipédia en anglais intitulé « Pattern 1853 Enfield » (voir la liste des auteurs).
Bibliographie
- Martin J. Dougherty, Armes à feu : encyclopédie visuelle, Elcy éditions, 304 p. (ISBN 9782753205215), p. 114-115.
Notes
- pour le mousquet à canon lisse, la balle ronde est de diamètre inférieur à celui de l'âme du canon afin de lutter contre les effets de l'encrassage de la lumière du canon par les résidus de poudre. Pour les rifle muskets ultérieurs à canon rayé et tirant la balle Minié, la balle est aussi de diamètre inférieur à celui du canon, mais s'expanse pour « prendre » les rayures. Par ailleurs, les calibres rayés se mesurent soit au fond de la rayure soit au sommet de la rayure, ce qui explique les différences de chiffrage. Cette différence n'aura d'ailleurs vraiment d'importance qu'avec l'apparition des petits calibres à haute vitesse initiale…
- selon WP english, le Vereinsgewehr 1857 (en) du Württemberg, Bade et Hesse est de calibre 13,9 mm (.547) - comme le fusil Lorenz de l'Autriche. Le fusil Springfield Model 1861 nord-américain sera de calibre .58 (15 mm)
- voir http://www.svartkrutt.net/articles/vis.php?id=2
- comme le fusil Springfield Model 1861 est transformé en Model 1866, puis en Model Trap-door…Springfield 61 et Enfield 53, fusils presque identiques, ont eu une évolution semblable, et une longévité équivalente
- voir article de WP english "Battle of Balaclava"
- selon "http://www.militaryheritage.com/enfield1853.htm", les régiments qui ne partaient pas en Crimée cédèrent leurs fusils à ceux qui faisaient partie du corps expéditionnaire
- Diary entry of 23 February 1855 - Well Done the 68th, The Durhams in the Crimea and New Zealand, 1854 - 1866. John Bilcliffe (ISBN 0-948251-75-1)
- voir l'article de WP english "British Military rifles" et "http://www.militaryheritage.com/enfield1853.htm"
- entre autres causes sociales, économiques, religieuses - sans compter l'intransigeance du général George Anson alors Commander-in-Chief of India. Voir les articles de WP english "Causes of the Indian Rebellion of 1857" et "Bite the cartridge
- Instruction of Musketry, 1856.
- ce qui tendit ultérieurement à devenir une procédure régulière : cf Field Exercises and Evolutions of Infantry, 1861. En effet, compte tenu des exercices d'entrainement au tir qui faisaient partie de l'emploi du temps quotidien des troupiers britanniques, sucer du plomb (risque de saturnisme) et respirer les fumées de plomb sortant du canon ainsi que celles de mercure émises par les capsules de mise à feu (voir infra l'illustration du chapitre "De nos jours") pouvait à la longue être très dangereux pour la santé - sans parler des expositions massives lors des campagnes militaires. On peut penser que dans les armées coloniales de l'époque, un bon nombre de cas de maladies nerveuses mis sur le compte de l'alcoolisme, de la syphilis, du climat ou des « fièvres » récurrentes fut en fait dû au plomb et au mercure - ou à l'association de toutes ces causes…
- ms Diary of the 65th Regiment, 1858 entry.
- voir La Grande-Bretagne et la guerre de Sécession
- « The intervals of the struggle were seized to remove our wounded (and those of the enemy also), to gather ammunition from the cartridge-boxes of disabled friend or foe on the field, and even to secure better muskets than the Enfields, which we found did not stand service well. » . Le colonel Chamberlain ne précise pas quels ont été les défauts que les fusils Enfield ont présenté après 2 h de décharges et de rechargements hâtifs (soit environ une quarantaine de tirs à la file par fusil…). Il ne dit pas non plus s'il décida la charge à la baïonnette parce que les Enfield P53 de ses soldats ne pouvaient plus tirer - ou si l'attaque (charge en courant dans la pente de Little Round Top, baïonnette en avant et en hurlant, dans la tradition des guerres napoléoniennes) lui parut préférable à la défense sans espoir, tout en bout de ligne, alors que plus bas le 15th Alabama se reformait pour un 3e et décisif assaut… Selon les articles de WP english "20th Maine Volunteer Infantry Regiment" et "Little Round Top", les unionistes sur Little Round Top étaient totalement à court de munitions. L'infériorité technique de l'Enfield par rapport au Springfield ne parait donc pas nettement établie.
- selon "http://www.cfspress.com/sharpshooters/arms.html"
- selon http://www.svartkrutt.net/articles/vis.php?id=2
- selon http://www.cfspress.com/sharpshooters/arms.html