Corps expéditionnaire russe en France
Le corps expĂ©ditionnaire russe en France est une force de lâarmĂ©e impĂ©riale russe engagĂ©e dans les combats de la PremiĂšre Guerre mondiale sur le front français.
Historique
Ă la suite d'une demande du gouvernement français qui propose Ă lâEmpire russe du matĂ©riel de guerre contre lâenvoi dâhommes en France, lâĂ©tat-major russe du gĂ©nĂ©ral AlekseĂŻev forme en janvier 1916 la 1re brigade spĂ©ciale dâinfanterie, composĂ©e de deux rĂ©giments[1] (fort chacun de trois bataillons), sous le commandement du gĂ©nĂ©ral-major NikolaĂŻ Alexandrovitch Lokhvitski. Par voie ferrĂ©e, les 8 942 hommes rejoignent Dalian, sur le golfe de CorĂ©e, oĂč ils montent Ă bord de navires français (Latouche-TrĂ©ville, L'Himalaya, Sontay et LutĂ©tia...) et russes (Jaroslav et Tambov) qui les emmĂšnent Ă Marseille quâils atteignent entre le 20 avril et le 4 mai 1916.
En juillet 1916, la 2e brigade spĂ©ciale dâinfanterie, commandĂ©e par le gĂ©nĂ©ral Dieterichs, est envoyĂ©e via la France sur le front de Thessalonique oĂč elle dĂ©barque Ă partir du 30 juillet. Son voyage d'Arkhangelsk Ă Brest se fait sur les navires Venezuela, Umtali, MartazanâŠ
La 3e brigade spĂ©ciale dâinfanterie[2] fut formĂ©e en juin 1916 et envoyĂ©e en France au mois dâaoĂ»t via le port dâArkhangelsk. Elle est commandĂ©e par le gĂ©nĂ©ral V. Marouchevski.
Enfin, la 4e brigade spĂ©ciale dâinfanterie commandĂ© par le gĂ©nĂ©ral-major Maxime Leontiev fut envoyĂ©e en MacĂ©doine, ralliant dâabord Brest depuis Arkhangelsk Ă bord des paquebots Ekaterina II, Veronej, Umona, Martazan, Melbourne, Tchikatchev et Loire et arrivant finalement Ă Salonique en octobre 1916.
Formation
Les troupes russes arrivant ne sont pas opĂ©rationnelles, elles manquent d'Ă©quipement et de services de soutien. Elles sont alors Ă©quipĂ©es et encadrĂ©es Ă la française : casques Adrian, masques Ă gaz, fusils français, cantines roulantes, ambulances... Les troupes russes se trouvent rassemblĂ©es, pour leur Ă©quipement, au camp de Mailly. La coordination entre armĂ©e française et armĂ©e russe se met en place avec des corps de traducteurs et les Russes coordonnent leur action avec les AlliĂ©s. Les troupes russes se retrouveront engagĂ©es dans des rĂ©gions oĂč elle collaborent avec les Britanniques, les Français, les Italiens mais aussi les Albanais, les Grecs et les Portugais, en France comme en en MacĂ©doine.
Engagements
En France, la brigade se prépare au combat au camp de Mailly, en Champagne et est envoyée entre Suippes et Aubérive sur le front. Les unités russes maintiennent le front de Champagne tandis que les unités françaises se battent à Verdun. Les Russes occuperont le fort de la Pompelle prÚs de Reims.
Au printemps 1917, les 1re et 3e brigades sont rattachĂ©es Ă la 5e armĂ©e française afin de participer Ă lâoffensive Nivelle sur le Chemin des Dames. Elles attaquent les positions allemandes et prennent Courcy[3], la cĂŽte 108[4], le Mont Spin, le Mont Sapigneul et le fort de Brimont[5]. Durant ces combats, les 1re et 3e brigades russes perdent 4 500 hommes et sont toutes deux citĂ©es Ă lâordre de lâarmĂ©e, avant d'ĂȘtre envoyĂ©es se reposer au camp de La Courtine. Elles deviennent ensemble la division spĂ©ciale sous le commandement du gĂ©nĂ©ral-major Lokhvitski.
En Macédoine, les troupes russes participent à la reprise du territoire serbe lors des batailles de Monastir en 1916 et 1917.
Mutinerie Ă La Courtine
En septembre 1917 a lieu la mutinerie des soldats russes Ă La Courtine, rĂ©primĂ©e dans le sang. Neuf mutins sont tuĂ©s par lâartillerie, 81 meneurs sont envoyĂ©s Ă Bordeaux pour ĂȘtre jugĂ©s, 549 sont emprisonnĂ©s Ă Bourg-Lastic et Ă l'Ăle-d'Aix, et 7 500, dĂ©sarmĂ©s, sont retenus au camp de La Courtine.
Toutefois, le nombre de tués n'a jamais été établi de façon sérieuse ; les bolcheviks russes diront, à compter de 1920, aprÚs le retour de soldats russes sur leur terre, que plusieurs centaines de soldats auraient été tués par l'armée française lors de la répression de cette mutinerie. Le chiffre officiel de 9 morts déclaré par les autorités françaises est aussi fantaisiste. L'historien Rémi Adam estime le nombre de tués proche d'une centaine. Les mutins furent enterrés « furtivement, de nuit, à l'insu de leurs camarades et de la population »[6].
LĂ©gion russe
Le corps expĂ©ditionnaire subit la dĂ©composition de lâarmĂ©e comme toute lâarmĂ©e impĂ©riale aprĂšs les rĂ©volutions de 1917. 11 000 soldats sont appelĂ©s Ă travailler en France comme bĂ»cherons, cantonniers, mineurs, ouvriers agricoles, ouvriers dâusine, sous le contrĂŽle des autoritĂ©s françaises et 4 800 sont envoyĂ©s d'autoritĂ© en AlgĂ©rie française. Enfin, prĂšs de 2 000 acceptent de rejoindre lâarmĂ©e française. Ils seront intĂ©grĂ©s soit dans la LĂ©gion Ă©trangĂšre française, soit dans la LĂ©gion polonaise qui combat sur le front français, oĂč ils seront aussi rassemblĂ©s dans une lĂ©gion russe des volontaires, aussi appelĂ©e LĂ©gion dâhonneur russe qui n'est pas considĂ©rĂ©e comme une unitĂ© rĂ©guliĂšre par l'Empire allemand et par les bolcheviks[7].
Un total de quatre bataillons est constitué[7] :
- le Premier bataillon est mis sur pied en décembre 1917, comptant entre 600 et 650 hommes. Commandé par le colonel Gothoua, puis par le capitaine Loupanoff, il est affecté auprÚs du 8e régiment de zouaves de la 1re division Marocaine du Général Daugan. Ce bataillon continue le combat notamment au cours de la seconde bataille de la Marne et sera dissous en 1919.
- le DeuxiÚme bataillon sera mis sur pied en janvier 1918 comptant entre 500 et 550 hommes. Mis à la disposition successive de plusieurs unités, il est peu engagé sur le front.
- le TroisiÚme bataillon, formé à Salonique, compte entre 650 et 700 hommes. Arrivant en France en mars 1918, ses hommes causent rapidement des problÚmes lorsqu'ils apprennent que la Russie se retire de la guerre. Il est dissous fin juin et une centaine de ses membres volontairement rejoignent le premier bataillon.
- le QuatriÚme bataillon est en place fin avril 1918 avec un effectif de 250 hommes .Il sera commandé par le capitaine Kovaleff, puis par le lieutenant Batoueff. Il est envoyé fin mai renforcer le premier bataillon.
Chef de corps du bataillon
- Colonel Gothoua, de décembre 1917 au 10 août 1918 .
- Chef de bataillon Tramuset. Du 11 août 1918 au 3 septembre 1918 (tué à l'ennemi).
- Chef de bataillon Durand. Du 4 septembre 1918 au 25 décembre 1918.
Personnalités ayant servi au sein du corps expéditionnaire russe en France
- Nikolaï Alexandrovitch Lokhvitski (1867-1933), général commandant du corps expéditionnaire russe en France, engagé dans les armées blanches aprÚs la révolution, ayant émigré par la suite en France et reposant au cimetiÚre russe de Sainte-GeneviÚve-des-Bois.
- Rodion Malinovski (1898-1967), qui deviendra maréchal de l'Union soviétique et ministre de la Défense de l'Union Soviétique. Il fut gravement blessé lors de la répression de la mutinerie de septembre 1917 et sera soigné ensuite dans un hÎpital militaire français. AprÚs son rétablissement, il rejoint la Division marocaine au sein du bataillon de légion russe et prend part aux plus importants combats de 1918. Il participa par la suite notamment à la bataille de Stalingrad en 1942/1943.
- Alexandre Zinoview (1889-1977), artiste peintre, engagĂ© volontaire dans la LĂ©gion ĂtrangĂšre et dĂ©tachĂ© comme interprĂšte au sein de la 1re Brigade Russe SpĂ©ciale.
DĂ©corations
- 2 citations à l'ordre de l'armée. Le bataillon reçoit la fourragÚre aux couleurs du ruban de la Croix de guerre 1914-1918 le .
« Le 26 avril 1918, s'est portĂ© Ă l'attaque avec une fougue impĂ©tueuse et un superbe dĂ©dain de la mort. S'est maintenu sur les positions conquises malgrĂ© les contre-attaques et le bombardement continu, faisant l'admiration de tous. A pris une part non moins brillante aux opĂ©rations devant Soissons, les 29 et , oĂč il a dĂ©ployĂ© les mĂȘmes qualitĂ©s d'allant, de sacrifice, d'Ă©nergie et d'opiniĂątretĂ©. »
â Ordre GĂ©nĂ©ral N° I2.236/D du 10 dĂ©cembre 1918, du MarĂ©chal de France, Commandant en Chef.
« Bataillon d'Ă©lite dont la haine implacable de l'ennemi anime toutes les actions, joignant Ă un mĂ©pris complet de la mort le plus bel enthousiasme pour une cause sacrĂ©e. Le , a fait preuve des plus belles qualitĂ©s manĆuvriĂšres, d'un remarquable esprit de sacrifice, d'une vigueur et d'une tĂ©nacitĂ© au-dessus de tout Ă©loge. Ătant bataillon de deuxiĂšme ligne, s'est spontanĂ©ment portĂ© en avant de la premiĂšre ligne dont la progression Ă©tait arrĂȘtĂ©e par des feux violents d'artillerie et de mitrailleuses. Par une habile manĆuvre, a dĂ©bordĂ© et tournĂ© par l'est le village de Terny-Sorny, s'en est emparĂ© et s'y est maintenu aprĂšs une lutte des plus Ăąpres, allant jusqu'au corps Ă corps et durant toute la nuit. A rĂ©sistĂ© le lendemain et le surlendemain Ă de furieuses contre-attaques. Le , a contribuĂ© Ă la rĂ©duction d'un nid de mitrailleuses puissamment organisĂ© et dĂ©fendu avec acharnement. Puis, continuant sa progression avec une Ă©nergie inlassable et un esprit de sacrifice des plus Ă©levĂ©s, a contribuĂ© Ă l'enlĂšvement du plateau Ă l'est d'Allemant, dont l'ennemi avait fait une position redoutable »
â Ordre GĂ©nĂ©ral N° 344 du 12 octobre 1918, de la Xe ArmĂ©e.
Souvenir
Le est inauguré, à Paris, place du Canada dans le 8e arrondissement, un Monument du Corps expéditionnaire russe (entre le pont Alexandre-III et le Grand Palais), en présence du Premier ministre français François Fillon et du président de la fédération de Russie Vladimir Poutine[8].
Dans la Marne, d'autres monuments furent édifiés : l'un sur le fort de la Pompelle le 4 septembre 2010 ; un autre au cimetiÚre russe de Saint-Hilaire-le-Grand qui est un ensemble mémoriel comprenant une chapelle et également une colonne ; un autre monument a été inauguré le 12 juin 2011 ; un monument à Courcy commémorant tous le sacrifice des brigades russes sur le front de l'Ouest[3].
Une stĂšle a Ă©tĂ© inaugurĂ©e en 2012 au cimetiĂšre de La Courtine. Elle rappelle le souvenir des mutins de septembre 1917 et proclame - en russe - « Ă bas la guerre » (ĐŽĐŸĐ»ĐŸĐč ĐČĐŸĐčĐœŃ!). Une association intitulĂ©e La Courtine 1917 (disposant d'un site Internet) perpĂ©tue cette mĂ©moire.
Le 15 juillet 2016 est inauguré, à Brest en France, place du général de Gaulle, un Monument d'hommages au Corps expéditionnaire russe.
Références
Notes
- 1er régiment spécial aux ordres du colonel Netchvolodov, 2e régiment - colonel Dyakonov.
- 5e régiment - colonel Narbout, 6e régiment - colonel Simonov.
- Courcy : Monument aux soldats Russes
- Bataille de l'Aisne, la 87e brigade dans l'offensive Nivelle
- L'armée russe au Chemin des Dames en 1914-1918
- Histoire des soldats russes en France 1915-1920, LâHarmattan, p. 163.
- Jean de Lantivy, « La LĂ©gion russe pour lâhonneur sur le front français en 1918 », La voix du combattant, no 1835,â , p. 25-27.
- « Inauguration d'un monument à la mémoire du corps expéditionnaire russe 1916 - 1918 », sur MinistÚre des Armées, (consulté le )
Liens externes
Bibliographie
- Rémi Adam, Histoire des soldats russes en France, 1915-1920 : les damnés de la guerre, Paris, L'Harmattan, coll. « Les chemins de la meឿoire », , 383 p. (ISBN 978-2-7384-4187-4, OCLC 243859593, lire en ligne).
- Rémi Adam, 1917, la révolte des soldats russes en France, Paris, les Bons caractÚres, coll. "Histoire", 2007.
- Gérard Gorokhoff, Andrei Korliakov, Le Corps Expéditionnaire Russe en France et à Salonique 1916-1918, édition YMCA-PRESS, Paris, 2003 - 656 p. 1005 illustrations.
- (en) Jamie Cockfield, With snow on their boots : the tragic odyssey of the Russian Expeditionary Force in France during World War I, New York, St. Martin's Press, , 396 p. (ISBN 978-0-312-17356-2, OCLC 504029913, lire en ligne)
- Gilbert Cahen, Le temps retrouvé du soldat russe Anissim Ilitch Otmakhov : France 1916-1920, Versailles, G. Cahen, , 288 p., 30 photos, 2 cartes (ISBN 978-2-7466-5606-2, OCLC 843370099).
- Gilbert Cahen, Autour des brigades russes pour la France, 1915-1917, Versailles, G. Cahen, 2021,428 p., 20 photos, 4 cartes (ISBN 978-2-9575899-0-6).