Coefficient modérateur
Le coefficient modérateur ou le coefficient thermique modérateur, ou encore coefficient de vide, est une grandeur utilisée en physique des réacteurs nucléaires. Elle caractérise l'évolution de la réactivité du réacteur en cas de diminution de la densité du fluide caloporteur. Un exemple serait le cas d'une excursion de puissance ou une fuite importante conduisant à la formation de bulles de vapeur dans l'eau utilisée comme liquide de refroidissement.
Au sens de la physique des réacteurs, la réactivité mesure la tendance du réacteur à augmenter sa puissance, la diminuer, ou se maintenir à l'état stable (état critique). Le coefficient de vide mesure l'un des facteurs de la réactivité.
Les réacteurs dont le modérateur ou le caloporteur est liquide ont en général un coefficient de vide négatif ou positif. Les réacteurs sans liquides (par exemple modérés au graphite et refroidis par un gaz) ont un coefficient de vide nul.
Un coefficient de vide négatif (cas des réacteurs à eau pressurisée du parc français[1]) correspond à un effet auto-stabilisant de la réaction nucléaire : si la puissance neutronique augmente, la densité de l'eau diminue, ce qui a pour effet de diminuer la densité du modérateur (l'eau est à la fois caloporteur et modérateur), d'où une diminution de la puissance.
En revanche, un coefficient de vide positif (cas des réacteurs de type Tchernobyl) correspond à un auto-emballement potentiel du réacteur ; c'est l'un des facteurs qui ont mené à la catastrophe de Tchernobyl en 1986.
Explication
Les réacteurs à fission nucléaire fonctionnent avec des réactions nucléaires en chaîne, dans lesquelles chaque noyau qui subit une fission libère de la chaleur et des neutrons. Chaque neutron peut impacter un autre noyau et provoquer sa fission. La vitesse de ce neutron affecte sa probabilité de provoquer une fission supplémentaire, tout comme la présence de matériau absorbant les neutrons. D'une part, les neutrons lents sont plus facilement absorbés par les noyaux fissiles que les neutrons rapides, donc un modérateur de neutrons qui ralentit les neutrons augmentera la réactivité d'un réacteur nucléaire. D'autre part, un absorbeur de neutrons diminuera cette réactivité. Ces deux mécanismes sont utilisés pour contrôler la puissance thermique d'un réacteur nucléaire.
Afin de maintenir un réacteur nucléaire intact et fonctionnel, et d'en extraire la puissance utile, un système de refroidissement doit être utilisé. Certains réacteurs font circuler de l'eau sous pression ; certains utilisent du métal liquide, comme le sodium, le NaK (alliage de sodium et de potassium), le plomb ou le mercure, d'autres utilisent des gaz. Si le réfrigérant est un liquide, il peut bouillir si la température à l'intérieur du réacteur augmente. Cette ébullition conduit à des vides à l'intérieur du réacteur (par vide, il faut entendre absence de liquide puisque celui-ci s’est transformé en vapeur). Des vides peuvent également se former si du liquide de refroidissement est sorti du réacteur lors d'un accident (appelé accident de perte de liquide de refroidissement, qui présente d'autres dangers). Certains réacteurs fonctionnent avec le liquide de refroidissement dans un état d' ébullition constant, utilisant la vapeur générée au sein même du réacteur pour faire tourner les turbines.
Le liquide de refroidissement peut agir comme un absorbeur de neutrons, comme un modérateur de neutrons, généralement les deux, mais avec l'un ou l'autre des rôles les plus influents. Dans les deux cas, la quantité de vide à l'intérieur du réacteur peut affecter la réactivité du réacteur. Le changement de réactivité provoqué par un changement de vide à l'intérieur du réacteur est directement proportionnel au coefficient de vide.
Un coefficient de vide positif signifie que la réactivité augmente à mesure que la teneur en vide à l'intérieur du réacteur augmente en raison de l'augmentation de l'ébullition ou de la perte de liquide de refroidissement ; par exemple, si le fluide caloporteur agit principalement comme absorbeur de neutrons. Ce coefficient de vide positif provoque une boucle de rétroaction positive, en commençant par la première apparition de bulles de vapeur. Ceci peut rapidement faire bouillir tout le fluide caloporteur dans le réacteur, s'il n'est pas contré par un mécanisme de contrôle (automatique), ou si le temps de réponse dudit mécanisme est trop lent. Cela s'est produit dans le réacteur RBMK qui a été détruit lors de la catastrophe de Tchernobyl car le mécanisme de contrôle automatique était en grande partie désactivé (et les opérateurs essayaient quelque peu imprudemment de restaurer rapidement un niveau de puissance élevé. En raison de la mauvaise conception des barres de commande, les opérateurs ne savaient pas qu'il y avait un niveau maximal d’ empoisonnement neutronique dans le cœur, en l’occurrence du Xénon 135.
Un coefficient de vide négatif signifie que la réactivité diminue à mesure que la teneur en vide à l'intérieur du réacteur augmente - mais cela signifie également que la réactivité augmente si la teneur en vide à l'intérieur du réacteur est réduite. Dans les réacteurs à eau bouillante avec des coefficients de vide négatifs importants, une augmentation soudaine de la pression (provoquée, par exemple, par la fermeture imprévue d'une vanne de ligne) entraînera une diminution soudaine de la teneur en vide : l'augmentation de la pression contraindra certaines bulles de vapeur à condenser (« s'effondrer »); et la puissance thermique augmentera probablement jusqu'à ce qu'elle soit interrompue par des systèmes de sécurité, par une formation accrue de vide due à la puissance plus élevée, des composants qui relâchent la pression (soupapes) ou, éventuellement, par des défaillances du système, provoquant une augmentation du contenu de vide et une diminution de la puissance.
Les réacteurs à eau bouillante sont tous conçus (obligatoirement) pour gérer ce type de transitoire. D'un autre côté, si un réacteur est conçu pour fonctionner sans aucun vide, un grand coefficient de vide négatif peut servir de système de sécurité. Une perte de liquide de refroidissement dans un tel réacteur diminue la puissance thermique, mais bien sûr la chaleur qui est générée n'est plus évacuée, donc la température pourrait augmenter (si tous les autres systèmes de sécurité tombaient en panne simultanément).
Ainsi, un coefficient de vide élevé, qu'il soit positif ou négatif, peut être soit un problème de conception (nécessitant des systèmes de contrôle plus prudents et agissant plus rapidement) soit une qualité souhaitée en fonction de la conception du réacteur. Les réacteurs refroidis au gaz n'ont pas de problèmes de formation de vides.
Conceptions de réacteurs
Les réacteurs à eau bouillante ont généralement des coefficients de vide négatifs et, en fonctionnement normal, le coefficient de vide négatif permet d'ajuster la puissance du réacteur en modifiant le débit d'eau à travers le cœur. Le coefficient de vide négatif peut provoquer une augmentation imprévue de la puissance du réacteur lors d'événements (tels que la fermeture soudaine d'une vanne de ligne) où la pression du réacteur est soudainement augmentée. De plus, le coefficient de vide négatif peut entraîner des oscillations de puissance en cas de réduction soudaine du débit du cœur, comme cela pourrait être causé par une défaillance de la pompe de recirculation. Les réacteurs à eau bouillante sont conçus pour garantir que le taux d'augmentation de la pression due à la fermeture soudaine de la vanne de ligne est limité à des valeurs acceptables, et ils comprennent plusieurs systèmes de sécurité conçus pour garantir que toute augmentation soudaine de la puissance du réacteur ou oscillations de puissance instables s'arrête avant que des dommages puissent survenir au combustible ou aux tuyauteries.
Les réacteurs à eau pressurisée fonctionnent avec une quantité relativement faible de vides, et l'eau sert à la fois de modérateur et de réfrigérant. Ainsi, un grand coefficient de vide négatif garantit que si l'eau bout ou est perdue, la puissance thermique chutera. Il s’agit de la technologie la plus employée dans le monde à l’heure actuelle.
Les réacteurs CANDU ont des coefficients de vide positifs suffisamment petits pour que les systèmes de contrôle puissent facilement réagir à l'ébullition du liquide de refroidissement avant que le réacteur n'atteigne des températures dangereuses.
Les réacteurs RBMK, tels que les réacteurs de Tchernobyl, ont un coefficient de vide positif dangereusement élevé. Ce design s’est imposé pour un fonctionnement avec de l'uranium non enrichi et ne nécessitant aucune eau lourde, ce qui a comme conséquence (ou comme cause) de réduire les coûts (en outre, contrairement à d'autres réacteurs principaux russes VVER, les RBMK avaient un second usage: être capables de produire du plutonium de qualité militaire. Avant l'accident de Tchernobyl, ces réacteurs avaient un coefficient de vide positif de 4,7 bêta, qui après l'accident a été abaissé à 0,7 bêta afin qu'ils puissent rester en service en sécurité.
Les surgénérateurs rapides n'utilisent pas de modérateurs, car ils fonctionnent aux neutrons rapides, mais le caloporteur (souvent du plomb ou du sodium) peut servir d'absorbeur et de réflecteur de neutrons. Pour cette raison, ils ont un coefficient de vide positif.
Les réacteurs Magnox, les réacteurs avancés refroidis au gaz et les réacteurs à lit de boulets (ou lit de galets) sont refroidis au gaz et les coefficients de vide ne sont donc pas un problème. En fait, certains peuvent être conçus de manière que la perte totale de fluide de refroidissement ne provoque pas la fusion du cœur même en l'absence de systèmes de contrôle actifs. Comme pour toute conception de réacteur, la perte de refroidissement n'est qu'une des nombreuses défaillances possibles pouvant potentiellement conduire à un accident. En cas d'entrée accidentelle d'eau liquide dans le cœur des réacteurs à lit de galets, un coefficient de vide positif peut apparaître. Les réacteurs Magnox et Uranium naturel graphite gaz ont été conçus dans le double objectif de produire de l'énergie électrique et du plutonium de qualité militaire.
- (en) Cet article est partiellement ou en totalité issu de l’article de Wikipédia en anglais intitulé « Void coefficient » (voir la liste des auteurs).
Voir aussi
Notes et références
- Paul Reuss, Précis de neutronique, Les Ulis, EDP science, , 533 p. (ISBN 2-86883-637-2), p. 281