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Charte des droits et libertés de la personne

La Charte des droits et libertés de la personne, aussi surnommée la « Charte québécoise », est une loi dite « quasi constitutionnelle » adoptée à l'unanimité par l'Assemblée nationale du Québec le 27 juin 1975, sous le gouvernement libéral de Robert Bourassa. Elle est entrée en vigueur le 28 juin 1976[1] - [2].

Charte des droits et libertés de la personne
Présentation
Titre Charte des droits et libertés de la personne
Référence RLRQ, chap. C-12
Pays Drapeau du Canada Canada
Province Drapeau du Québec Québec
Type Loi publique
Branche Droits et libertés
Adoption et entrée en vigueur
Législature 30e législature
Gouvernement Gouvernement Bourassa
Adoption
Entrée en vigueur
Modifications (multiples)

Lire en ligne

texte officiel

La Charte reconnaît que tous les individus qui se trouvent au Québec sont égaux en valeur et en dignité. Ayant pour objectif d'assurer les droits humains et d'harmoniser les rapports des citoyens entre eux et avec leurs institutions, la Charte s’applique tant aux activités de l’État (législatives et exécutives) qu’aux rapports de droit privé (entre citoyens). La Charte institue aussi la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse, qui est chargée de sa promotion et de son application, ainsi que le Tribunal des droits de la personne.

La Charte est un texte fondamental du système juridique québécois, qui a préséance sur les lois et règlements provinciaux. Ce faisant, tout texte législatif et réglementaire québécois doit s'y conformer, sous peine de déclaration de non-validité. Seule la Constitution du Canada (ce qui inclut la Charte canadienne des droits et libertés) a préséance sur la Charte québécoise. Elle est la loi suprême. Les autres provinces et territoires canadiens ont des lois quasi-constitutionnelles similaires, appelées Code des droits de la personne ou Loi sur les droits de la personne, bien que ces lois ne garantissent pas une aussi large variété de droits que la Charte québécoise.

Description

La Charte québécoise a été décrite comme un « document unique dans l'histoire législative canadienne »[3]. Elle a été rédigée sur la base des principes d'indivisibilité, d'interdépendance et d'indissociabilité des droits de la personne. La Charte s'inspire notamment de la Déclaration universelle des droits de l'homme, du Pacte international relatif aux droits civils et politiques et du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels.

Elle protège entre autres le droit Ă  l’égalitĂ© de tous les individus par son article 10. En effet, cet article interdit la discrimination en garantissant Ă  toute personne le droit d’être traitĂ©e en pleine Ă©galitĂ© et d’exercer ses droits et libertĂ©s sans « distinction, exclusion ou prĂ©fĂ©rence Â» fondĂ©e sur une caractĂ©ristique personnelle qui constitue un motif de discrimination interdit. La Charte interdit la discrimination fondĂ©e sur une liste exhaustive de motifs : la race, la couleur, le sexe, l'identitĂ© ou l'expression de genre, la grossesse, l'orientation sexuelle, l'Ă©tat civil, l'âge (sauf dans la mesure prĂ©vue par la loi), la religion, les convictions politiques, la langue, l'origine ethnique ou nationale, la condition sociale, le handicap ou l'utilisation d'un moyen pour pallier ce handicap.

Distinction avec les autres instruments de protection des droits de la personne

La Charte québécoise se distingue de la Charte canadienne des droits et libertés par un certain nombre d'éléments, dont :

  • l'inclusion de certains droits Ă©conomiques et sociaux;
  • l'application de la Charte non seulement aux rapports entre les citoyens et l'État, mais aussi dans les rapports privĂ©s;
  • l'existence d'un mĂ©canisme de recours particulier en cas de discrimination fondĂ©e sur un motif interdit, mĂ©canisme consistant en une plainte Ă  la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse, suivie d'un recours Ă©ventuel devant le Tribunal des droits de la personne;
  • La prĂ©sence d'une liste exhaustive de motifs prohibĂ©s de discrimination.

À noter toutefois qu'avec le Pacte international relatif aux droits civils et politiques de l'ONU, la Charte québécoise est l'une des deux sources principales pour la rédaction de la Charte canadienne des droits et libertés, d'après les mémoires du rédacteur de la Charte canadienne Roger Tassé[4] - [5].

La Charte québécoise se distingue aussi des lois ou des codes de droits humains adoptés par les autres provinces et territoires canadiens du fait qu'elle ne se limite pas qu'à interdire la discrimination, mais garantit également toute une panoplie de droits et libertés.

Contenu

La Charte est divisée en sept parties :

  • La partie I Ă©nonce les droits des personnes. Ses six chapitres proclament les libertĂ©s et droits et fondamentaux, le droit Ă  l'Ă©galitĂ©, les droits politiques, les droits judiciaires et les droits Ă©conomiques et sociaux, en plus d'Ă©noncer certaines dispositions spĂ©ciales et interprĂ©tatives (dont celle qui Ă©tablit la primautĂ© de la Charte par rapport au reste de la lĂ©gislation) (articles 1 Ă  56);
  • La partie II institue la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (articles 57 Ă  85);
  • La partie III encadre la mise en place de programmes d'accès Ă  l'Ă©galitĂ© (articles 86 Ă  92);
  • La partie IV garantit certains droits Ă  la confidentialitĂ© (articles 93 Ă  96);
  • La partie V donne au gouvernement certains pouvoirs de rĂ©glementation (articles 97 Ă  99);
  • La partie VI institue le Tribunal des droits de la personne (articles 100 Ă  133);
  • La partie VII Ă©numère les dispositions finales de la Charte, qui prĂ©voient notamment des sanctions de nature pĂ©nale (articles 134 Ă  139).

Application

Application publique et privée

Toutes les personnes, les groupes et organismes, les entreprises privĂ©es, les services publics et les services privĂ©s, ainsi que le gouvernement du QuĂ©bec (ses institutions et les administrations gouvernementales municipales et scolaires, Ă  tous les Ă©chelons de la hiĂ©rarchie) doivent respecter la Charte. Seules les institutions de compĂ©tence fĂ©dĂ©rale Ă©chappent Ă  l’application de la Charte, soit: la fonction publique fĂ©dĂ©rale, les banques, les entreprises de tĂ©lĂ©communications (Radio-Canada, TVA, etc.), les services de transport aĂ©rien, ferroviaire ou maritime (Air Canada, Via Rail, etc.). C'est la Loi canadienne sur les droits de la personne qui s'applique Ă  ces institutions et c'est la Commission canadienne des droits de la personne qui peut intervenir.

Loi quasi-constitutionnelle

La Charte est une loi fondamentale qui a prĂ©sĂ©ance sur toutes les autres lois quĂ©bĂ©coises. En effet, l'article 52 de la Charte prĂ©voit que « aucune disposition lĂ©gislative, mĂŞme postĂ©rieure Ă  la Charte, ne peut dĂ©roger aux articles 1 Ă  38 (…) Ă  moins que cette loi n'Ă©nonce expressĂ©ment que cette disposition s'applique malgrĂ© la Charte Â». Seuls les droits fondamentaux, politiques et judiciaires ont donc prĂ©valence sur les autres lois.

Non-préséance des droits économiques et sociaux

Ainsi, même s’ils sont inscrits dans la Charte, d’autres droits ne jouissent pas du même statut. C’est notamment le cas de l’ensemble des droits économiques et sociaux (articles 39 à 48), une situation décriée par la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse depuis de nombreuses années[6].

Commission des droits de la personne et de la jeunesse et Tribunal des droits de la personne

La Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse est l'organisme responsable de l'application de la Charte et peut intervenir dans les cas de discrimination et de harcèlement fondés sur des motifs interdits et dans les cas d’exploitation des personnes âgées ou handicapées. La Commission peut faire enquête à la suite de la réception d'une plainte et défendre des causes devant le Tribunal des droits de la personne, par exemple. Le Tribunal des droits de la personne, un tribunal spécialisé en matière de discrimination, de harcèlement, d’exploitation et de programmes d’accès à l’égalité, assure quant à lui le respect des différents droits protégés par la Charte depuis le 10 décembre 1990.

Il faut tenir compte du fait que l'art. 71 CDLP affirme que la Commission des droits de la personne est compétente seulement pour les articles 10 à 19 et 48 de la Charte québécoise[7]. Et lorsque l'article 10 sur la discrimination est invoqué, il doit obligatoirement être joint à un autre droit ou à une autre liberté de la Charte[8]. En outre, l'énumération des discriminations de l'article 10 est exhaustive, alors toute discrimination qui ne figure pas dans la section 10 à 19 de la Charte serait en principe permise par le régime québécois du droit à l'égalité[9].

Bien que la Commission des droits de la personne ne soit pas compétente pour recevoir des plaintes en vertu des articles 1 à 9 ou 20 à 38 de la Charte, les tribunaux de droit commun peuvent l'être, par exemple les recours en diffamation à la Cour supérieure en vertu de l'art. 4 CDLP[10].

Historique

La Charte des droits et libertés de la personne est le résultat d'un important travail préparatoire amorcé sous le gouvernement unioniste de Daniel Johnson.

Au début des années 1970, le Québec ne possède pas encore de loi protégeant les droits et libertés. À cette époque, le Code civil sert à défendre les droits de la personne, alors que plusieurs provinces canadiennes ont déjà des lois en ce sens. La Ligue des droits de l’Homme (aujourd’hui Ligue des droits et libertés), entreprend alors de convaincre le gouvernement d’adopter une loi pour protéger les droits et libertés[11]. Plusieurs professeurs participent à l’ébauche et à la rédaction d’un avant-projet de loi, dont Paul-André Crépeau, Jacques-Yvan Morin et Frank Scott.

Le 29 octobre 1974, le ministre libéral de la Justice, Jérôme Choquette, répond aux demandes de la Ligue des droits de l’homme en déposant un projet de loi à l’Assemblée nationale. Le 27 juin 1975, l’Assemblée nationale vote à l’unanimité l’adoption de la Charte, qui entrera en vigueur le 28 juin 1976.

Depuis son entrée en vigueur, la Charte a été modifiée à plusieurs reprises pour renforcer la protection des droits de la personne, notamment en ajoutant l’orientation sexuelle (1977), le handicap (1982), la grossesse (1982), l’âge (1982) et l'identité ou l'expression de genre (2016) aux motifs prohibés de discrimination.

  • 1979 : La Charte reconnaĂ®t le droit de toute personne Ă  des conditions de travail qui respectent sa santĂ© et sa sĂ©curitĂ©.
  • 1982 : La Charte est modifiĂ©e pour interdire le harcèlement discriminatoire. Elle est Ă©galement modifiĂ©e de façon Ă  interdire de refuser l’embauche, de congĂ©dier ou de pĂ©naliser une personne dans le cadre d’un emploi, en raison de ses antĂ©cĂ©dents judiciaires si l’infraction n’a aucun lien avec l’emploi ou si cette personne a obtenu le pardon. La Partie III de la Charte, qui encadre l'Ă©laboration et l'implantation de programmes d'accès Ă  l'Ă©galitĂ© dans les entreprises et les organisations quĂ©bĂ©coises, est Ă©galement adoptĂ©e.
  • 1989: Le mĂ©canisme de protection de la Charte est modifiĂ© par l'ajout de la partie IV de la Charte, qui crĂ©e le Tribunal des droits de la personne, et une modification consĂ©quente de la partie II qui concerne la Commission des droits de la personne.
  • 2006 : La Charte reconnaĂ®t le droit Ă  toute personne de vivre dans un environnement sain et respectueux de la biodiversitĂ©.
  • 2008 : Adoption d’une clause interprĂ©tative sur l’égalitĂ© homme-femme.
  • 2019: Modification de la Charte par l’insertion du principe de laĂŻcitĂ© Ă  l’article 9.1 et dans le prĂ©ambule[12].
  • 2022: Ajout d'un considĂ©rant au PrĂ©ambule de la Charte selon lequel « le français est la seule langue officielle du QuĂ©bec ainsi que la langue commune de la nation quĂ©bĂ©coise et la langue d’intĂ©gration Ă  celle-ci », ajout du « droit de vivre en français » (art. 3.1 CDLP), insertion de « l’importance accordĂ©e Ă  la protection du français » Ă  l'article 9.1 et ajout d'un alinĂ©a Ă  l'article 50 prĂ©cisant que la CDLP doit « ĂŞtre interprĂ©tĂ©e de manière Ă  ne pas supprimer ou restreindre la jouissance ou l’exercice d’un droit visant Ă  protĂ©ger la langue française »[13].

L'évolution du texte de la Charte ainsi que son interprétation résultent non seulement des décisions des tribunaux, mais aussi des luttes menées par la société civile[14].

Aucune contrainte parlementaire pour modifier la Charte

Bien que l'Assemblée nationale du Québec aurait pu fixer des règles modificatives pour procéder à des amendements à la Charte québécoise, comme c'est le cas pour la modification de la Constitution du Canada, elle a choisi de ne pas le faire. Par conséquent, le contenu des droits peut être modifié par une majorité simple de députés. La modification peut même avoir lieu sous bâillon, quand le parti majoritaire décide de recourir à la procédure législative d'exception pour limiter le temps de débat des parlementaires. Cette réalité législative est parfois critiquée au motif que l'absence d'exigence d'un consensus plus élevé que 50 % + 1 des députés soumet les droits fondamentaux aux humeurs de la majorité[15], mais il s'agit tout de même de la procédure qui a permis de modifier la Charte québécoise au moment de l'adoption de la Loi sur la laïcité de l'État[16].

Quelques décisions importantes relatives à la Charte québécoise

Parmi les décisions et arrêts de principes relatifs à la Charte québécoise, l'on retrouve :

Notes et références

  1. La Charte québécoise : origine, enjeux et perspectives
  2. Canada, Québec. « Charte des droits et libertés de la personne », L.Q. 1975, c. 6 [lire en ligne (page consultée le 2021-04-08)]
  3. André MOREL, « La Charte québécoise: Un document unique dans l'histoire législative canadienne », Revue juridique Thémis, vol. 21,‎
  4. Tassé, Roger, Ma vie, le droit, la Constitution et bien plus encore ! : mémoires d'un sous-ministre fédéral de la justice Montréal : Éditions Yvon Blais, 2013.
  5. La Presse. Michel C. Auger. « Quelle Charte des droits ? « Notre » Charte ! ». En ligne. Page consultée le 2022-04-25
  6. Voir par exemple, Après 25 ans, la Charte quĂ©bĂ©coise des droits et libertĂ©s. Bilan et recommandations (2003) : et la DĂ©claration de la Commission sur la lutte contre la pauvretĂ© et l’exclusion sociale (2010).
  7. Charte des droits et libertĂ©s de la personne, RLRQ c C-12, art 71 <http://canlii.ca/t/6c3nj#art71> consultĂ© le 2020-10-04
  8. Collectif, Droit public et administratif - Collection de droit 2019-2020, Volume 8, Montréal, Éditions Yvon Blais, 2019, p. 70.
  9. Ibid.
  10. Charte des droits et libertĂ©s de la personne, RLRQ c C-12, art 4 <http://canlii.ca/t/6c3nj#art4> consultĂ© le 2020-10-04
  11. Rapport de 1974 de la Ligue des droits de l'homme
  12. Micheline Labelle, Université du Québec à Montréal (UQAM), « Loi sur la laïcité : quel effet sur l’immigration actuelle et future ? », sur L’actualité (consulté le )
  13. « Loi 96, Loi sur la langue officielle et commune du Québec, le français » [PDF], sur Publications du Québec
  14. Lucie Lamarche, « À qui la Charte ? À nous la Charte ? », Revue Relations, no 778,‎ , p. 32-33
  15. Agnès Gruda. La Presse. La loi du bâillon. En ligne. Page consultée le 2022-02-23
  16. La Presse. 16 juin 2019. « La loi sur la laïcité adoptée sous le bâillon ». En ligne. Page consultée le 2022-02-23

Voir aussi

Bibliographie

  • AndrĂ© Morel, « La Charte quĂ©bĂ©coise des droits et libertĂ©s : un document unique dans l'histoire lĂ©gislative canadienne », Revue juridique ThĂ©mis, vol. 21,‎ , p. 1-23.
  • Tanguay, Vanessa (2021)."La Charte quĂ©bĂ©coise des droits et libertĂ©s permet-elle de mobiliser l’intersectionnalitĂ© comme cadre d’analyse de la discrimination? Quelques pistes de rĂ©flexion" Canadian Journal of Law and Society / Revue Canadienne Droit Et SociĂ©tĂ©, 36(1), 47-67. doi:10.1017/cls.2020.42

Articles connexes

Liens externes

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