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Tremblay c. Daigle

L'arrĂȘt Tremblay c. Daigle est une dĂ©cision de la Cour suprĂȘme du Canada rendue le et reconnaissant que le fƓtus n'a pas le statut lĂ©gal d'une personne au Canada, ni selon la common law canadienne, ni selon le Code civil du QuĂ©bec. L'une des consĂ©quences directes du jugement est qu'une personne ne peut pas invoquer la protection des droits du fƓtus (en) pour obtenir une injonction empĂȘchant l'avortement d'une autre personne.

Tremblay c. Daigle
Description de l'image Supreme Court of Canada.jpg.
Informations
Références [1989] 2 R.C.S. 530; (1989), 62 D.L.R. (4th) 634
Date 8 août 1989
Juges et motifs
Opinion per curiam Dickson et les juges Lamer, Wilson, La Forest, L'Heureux‑DubĂ©, Sopinka, Gonthier, Cory et McLachlin

Jugement complet

texte intégral sur csc.lexum.org

Tandis que Chantale Daigle avait perdu les premiĂšre et deuxiĂšme instances, les juges de la Cour suprĂȘme furent rappelĂ©s de vacances en plein Ă©tĂ© pour entendre la cause. MalgrĂ© le fait qu'il leur fut annoncĂ© que la femme s'Ă©tait fait avorter et que la cause devenait sans objet, ils dĂ©cidĂšrent de rendre jugement vu l'importance de la cause[1]. La Cour suprĂȘme du Canada se prononce alors Ă  l'unanimitĂ© en faveur de Daigle[2].

Historique

PremiĂšre instance

Le litige oppose deux QuĂ©bĂ©cois, Chantale Daigle et Jean-Guy Tremblay[3]. Ces deux personnes eurent des relations sexuelles en 1988 et 1989. En 1989, Chantale Daigle tombe enceinte d'un enfant dont le pĂšre Ă©tait prĂ©sumĂ©ment Jean-Guy Tremblay. Leur relation prend fin aprĂšs l'annonce de la grossesse et Daigle envisage l'avortement. En rĂ©action, Tremblay demande une injonction pour empĂȘcher l'avortement, invoquant le droit du fƓtus Ă  la vie. Le juge de premiĂšre instance a accordĂ© l'injonction.

Le juge de premiĂšre instance Jacques Viens[4] fonde en partie sa dĂ©cision sur un argument d'interprĂ©tation lĂ©gislative d'effet utile[5] avancĂ© par l'avocat de Tremblay Me Henri Kelada. Cet argument consiste Ă  affirmer que si le lĂ©gislateur avait voulu limiter la notion d'ĂȘtre humain aux personnes nĂ©es Ă  l'article 1er de la Charte quĂ©bĂ©coise, il l'aurait dit de façon claire et il ne serait pas restĂ© silencieux. D'autre part, puisque la Charte quĂ©bĂ©coise[6] est une loi quasi constitutionnelle qui s'interprĂšte de façon large afin de mieux protĂ©ger les droits[7], le juge Viens a fait une interprĂ©tation extensive de la notion d'ĂȘtre, il dit qu'ĂȘtre signifie exister et que nul ne conteste que le fƓtus existe dĂšs la conception. Le juge Viens s'appuie ensuite sur un ouvrage Ă©crit par la juriste Bartha Knoppers [8]qui soutient une opinion similaire. Il fonde Ă©galement sa dĂ©cision sur les articles 338 et 345 du Code civil du Bas-Canada[9] lorsqu'il est question du curateur au fƓtus.

Cour d'appel

La Cour d'appel du QuĂ©bec donne raison Ă  Tremblay[10], malgrĂ© l'absence de disposition claire sur le statut juridique du foetus. Il rĂ©ussit en partie en raison de l'article 608 du Code civil du Bas-Canada qui traite des droits successoraux du fƓtus une fois que celui-ci naĂźtra. La dĂ©cision cite Ă©galement l'art. 338 C.C.B.C., qui permettait la nomination d'un curateur Ă  un enfant conçu mais non nĂ©. La dĂ©cision interprĂšte l'arrĂȘt Montreal Tramways[11], l'art. 1053 CCBC qui traite de responsabilitĂ© extracontractuelle et la Charte quĂ©bĂ©coise d'une maniĂšre qui accorde un droit Ă  la vie au fƓtus. Le jugement d'appel fait valoir que l'arrĂȘt Morgentaler[12] n'accorde pas un droit absolu et illimitĂ© Ă  l'avortement. Le juge de Cour d'appel Louis Lebel faisait partie du groupe des juges qui ont donnĂ© raison Ă  Tremblay, ce qui ne l'empĂȘchera pas d'accĂ©der plus tard Ă  la Cour suprĂȘme du Canada.

Cour suprĂȘme

Au moment oĂč la cause est entendue par la Cour suprĂȘme du Canada, Daigle quitte le QuĂ©bec pour les États-Unis afin de mettre fin Ă  sa grossesse. MalgrĂ© ce fait, la cause fut jugĂ©e suffisamment importante pour que la Cour suprĂȘme accepte de rendre une dĂ©cision en dĂ©pit de l'impossibilitĂ© de donner suite au recours invoquĂ©. La cause a donc Ă©tĂ© entendue pour son seul intĂ©rĂȘt thĂ©orique (mootness (en))[1].

La Cour suprĂȘme insiste sur l'exigence de common law que les intĂ©rĂȘts du foetus ne sont protĂ©gĂ©s que s'il naĂźt vivant et viable, conformĂ©ment Ă  l'arrĂȘt Montreal Tramways. Cette exigence de naĂźtre vivant et viable provient ultimement de la dĂ©cision anglaise Earl of Bedford's Case[13] de 1587. La Cour cite la doctrine civiliste de Baudouin[14] et la doctrine publiciste de Garant[15] en appui de cette position. La Cour suprĂȘme dit que les articles du Code civil qui reconnaissent le fƓtus sont une fiction de droit civil. Elle dit que le terme « ĂȘtre humain » dans la Charte quĂ©bĂ©coise n'inclut pas le fƓtus. La Charte canadienne ne peut pas non plus ĂȘtre invoquĂ©e[16] car il s'agit d'une action de droit privĂ© seulement, oĂč aucune action gouvernementale n'est prĂ©sente. Elle observe que la prĂ©tention de Tremblay d'ĂȘtre un « pĂšre en puissance » n'a aucun fondement juridique.

En ayant recours Ă  la common law comme elle l'a fait, il semble que la Cour suprĂȘme ait voulu donner une portĂ©e pan-canadienne Ă  cette dĂ©cision, afin qu'elle n'ait pas seulement un impact en droit privĂ© quĂ©bĂ©cois. En rĂšgle gĂ©nĂ©rale, le recours Ă  la common law pour interprĂ©ter le droit civil est l'exception plutĂŽt que la rĂšgle[17]. De plus, il est plutĂŽt rare qu'une dĂ©cision de droit civil ait un impact important dans les provinces de common law[18]. En effet, dans l'arrĂȘt Rubis c. Gray Rocks Inn Ltd.[19] de 1982, la Cour suprĂȘme dit de maniĂšre explicite qu'il faut Ă©viter autant que possible de mĂȘler les concepts de droit civil avec les concepts de la common law. Si la Cour suprĂȘme a momentanĂ©ment mis de cĂŽtĂ© sa propre politique de ne pas faire du mĂ©tissage entre le droit civil et la common law, c'est qu'elle Ă©tait convaincue qu'il y avait dans cette affaire particuliĂšre un enjeu juridique et politique d'importance nationale[20].

Tout en faisant abstraction de l'enjeu de fond sur l'avortement, des auteurs civilistes importants comme Paul-AndrĂ© CrĂ©peau[21] et Suzanne Philips-Nootens[22] ont nĂ©anmoins critiquĂ© l'arrĂȘt Daigle sur le plan purement formel du respect du droit civil puisque selon eux, la Cour suprĂȘme aurait fait preuve de mĂ©connaissance envers la tradition civiliste dans cette dĂ©cision, notamment concernant la notion d'infans conceptus. Cela dit, et Ă  la dĂ©charge de la Cour suprĂȘme, au moment oĂč le Code civil du Bas-Canada Ă©tait en vigueur, il Ă©tait acceptĂ© que le droit français et le droit anglais pouvaient ĂȘtre des sources de rĂšgles supplĂ©tives au droit quĂ©bĂ©cois lorsque le Code Ă©tait silencieux sur une question de droit.

Affaires subséquentes de Tremblay devant les tribunaux

Quelques annĂ©es plus tard, en 2012, Jean-Guy Tremblay a Ă©tĂ© arrĂȘtĂ© pour agression sexuelle. D'aprĂšs un article de Radio-Canada, il a un lourd passĂ© de violence conjugale[23]. Selon TVA Nouvelles, il aurait Ă©galement passĂ© cinq ans en prison en Alberta pour des agressions contre les femmes[24].

Notes et références

  1. Ian BuissiÚres, « Affaire Chantale Daigle: aprÚs 20 ans, l'avocat de Tremblay ne regrette rien », Le Soleil,
  2. Dickson et al. 1989, p. 8
  3. Zone SociĂ©tĂ©- ICI.Radio-Canada.ca, « Chantal Daigle et le droit Ă  l’avortement », sur Radio-Canada.ca (consultĂ© le )
  4. Tremblay c. Daigle, [1989] R.J.Q. 1980
  5. StĂ©phane BEAULAC et FrĂ©dĂ©ric BÉRARD, PrĂ©cis d'interprĂ©tation lĂ©gislative, 2e Ă©dition, MontrĂ©al, LexisNexis Canada, 2014
  6. Charte des droits et libertés de la personne, RLRQ, c. C-12
  7. Insurance Corporation of British Columbia c. Heerspink, [1982] 2 RCS 145
  8. Knoppers, Bartha Maria. Conception artificielle et responsabilité médicale: une étude de droit comparé. Cowansville: Yvon Blais Inc., 1986.
  9. (S prov C 1865 (29 Vict), c. 41
  10. Daigle c. Tremblay, [1989] R.J.Q. 1735
  11. [1933] SCR 456
  12. R. c. Morgantaler, [1988] 1 RCS 30
  13. Earl of Bedford's Case (1587), 7 Co. Rep. 7b, 77 E.R. 42
  14. Baudouin, Jean‑Louis et Yvon Renaud. Code civil annotĂ©, vol. 1. MontrĂ©al: Wilson & Lafleur, 1989.
  15. Garant, Patrice. "Droits fondamentaux et justice fondamentale". Dans Charte canadienne des droits et libertĂ©s, 2e Ă©d. ÉditĂ© par GĂ©rald‑A. Beaudoin et Edward Ratushny. MontrĂ©al: Wilson & Lafleur, 1989.
  16. Art. 32 LC 1982, a contrario
  17. The Canadian Pacific Railway Co. v. Robinson, [1891] 19 RCS 292 ; Augustus c. Gosset, [1996] 3 RCS 268
  18. Un exemple serait l'arrĂȘt Cinar Corporation c. Robinson, 2013 CSC 73.
  19. [1982] 1 RCS 452
  20. Tremblay c. Daigle, [1989] 2 RCS 530, p. 36 PDF: « Il est Ă©galement utile [d'examiner le statut juridique du fƓtus] pour Ă©viter la rĂ©pĂ©tition, dans les provinces de common law, de l'expĂ©rience subie par l'appelante. »
  21. Paul-AndrĂ© CrĂ©peau, L'affaire Daigle et la Cour suprĂȘme du Canada, ou, La mĂ©connaissance de la tradition civiliste, Centre de recherche en droit privĂ© & comparĂ© du QuĂ©bec, 1993
  22. Suzanne PHILIPS-NOOTENS, « Être ou ne pas ĂȘtre... une personne juridique : variations sur le thĂšme de l'enfant conçu », pp. 197-215, in MĂ©langes Germain BriĂšre, MontrĂ©al, Wilson & Lafleur LtĂ©e, 1993, 890 pages, .
  23. Jean-Guy Tremblay arrĂȘtĂ© pour violence conjugale
  24. Jean-Guy Tremblay veut se marier

Annexes

Articles connexes

Bibliographie

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