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Chandâla

Chândâla (चांडाल, « mangeur de chien ») est un terme pour dĂ©signer la « dernière des crĂ©atures Â» ainsi dĂ©finie selon les Lois de Manu, terme utilisĂ© dans l'hindouisme par la littĂ©rature sanskrite pour dĂ©signer dans l'AntiquitĂ© les chasseurs, les gens « durs, cruels, refusant les devoirs prescrits Â» (c'est-Ă -dire non nobles).

Hindouisme

Par extension, dans le langage courant en Inde, le terme peut désigner un bandit, un violeur, un criminel, un boucher, un mangeur de chair animale (spécialement bovine) ou tout individu dangereux, « démoniaque » selon les brahmanes.

Le chândâla est hors du système des varnas, puisque l’Ahimsâ (« Non-violence Â», Ă©pouse du Dharma[1]) est le devoir primordial des quatre castes sacrĂ©es vĂ©diques : l'Ahimsâ prouve la « noblesse Â» ou l’aryanitĂ© selon les Lois de Manu (livre 10, verset 63) ; le chândâla se situe hiĂ©rarchiquement, non seulement en dessous du shudra/serviteur (shudra qui est aussi Arya, « Noble Â», bien que non dvija, non « deux fois nĂ© Â», non initiĂ© aux VĂ©das), mais de toutes les autres crĂ©atures, animales ou vĂ©gĂ©tales : son ombre ne doit mĂŞme pas toucher celle du brâhmane (d'oĂą l'expression occidentale d'« intouchable Â» concernant le chândâla)[2], du fait de sa dangerositĂ© et hostilitĂ© envers l'Ahimsâ (les Lois de Manu indiquent que les chândâlas de l'Inde ancienne pratiquent la circoncision, l'excision, sont bourreaux, mangent des animaux pour le seul plaisir, pratiquent l'inceste, le mariage forcĂ© ou par enlèvement, etc.).

Les Lois de Manu dĂ©clarent que le chândâla est le rĂ©sultat de l'union sexuelle entre un homme shudra et une femme nĂ©e de parents brahmanes. Il est donc d'origine impure selon l'hindouisme, qui se dĂ©finit en sanskrit comme l’Arya Dharma, la « religion noble Â» ; l'hindouisme considère qu'il est impossible de se dĂ©livrer seul de son conditionnement : il faut, soit la Grâce de la DivinitĂ©, soit que la communautĂ© — dont on dĂ©pend — se purifie aussi. Mais l'impuretĂ© du chândâla est avant tout liĂ©e Ă  son comportement, un comportement refusant les valeurs brahmaniques (comme l'Ahimsâ, etc.), et pas du tout par rapport Ă  son apparence physique :

« 57 Un homme d'origine impure, n'appartenant Ă  aucune caste (varna), mais dont le caractère n'est pas connu, qui n'est pas Arya (« Noble Â»), mais a l'apparence d'un Arya (« Noble Â»), on peut dĂ©couvrir ce qu'il est par ses actes. 58. Le comportement indigne d'un Arya (« Noble Â») : la grossièretĂ©, la duretĂ©, la cruautĂ©, la nĂ©gligence des devoirs prescrits trahissent en ce monde un homme d'origine impure. »

— Lois de Manu, livre 10[3].

Les Lois de Manu considèrent qu'en sept gĂ©nĂ©rations une lignĂ©e de « hors caste Â» peut retrouver une caste, la plus Ă©levĂ©e (celle des brâhmanes), grâce aux pratiques purificatrices collectives :

« 63. L'Ahimsâ (refus de violenter, nuire aux crĂ©atures), la vĂ©racitĂ©, le non-vol, la puretĂ© et le contrĂ´le des sens, Manu a dĂ©clarĂ© ĂŞtre le rĂ©sumĂ© du Dharma (« loi Â») pour les quatre castes. 64. Si une femme, issue d'un homme Brahmane et d'une femme Shudra, porte l'enfant d'un membre d'une plus haute caste, les infĂ©rieurs atteignent la plus haute caste au sein de la septième gĂ©nĂ©ration. 65. Ainsi, un Shudra atteint le rang d'un Brahmane, et (d'une manière similaire) un Brahmane choit au niveau d'un Shudra ; mais sachez qu'il en est de mĂŞme avec la progĂ©niture d'un Kshatriya ou d'un Vaishya. (…) 67. La dĂ©cision est la suivante : « Celui qui a Ă©tĂ© engendrĂ© par un Arya (« Noble Â») avec une femme non-noble, peut devenir Arya par ses vertus ; celui qui a Ă©tĂ© portĂ© par une mère arya (« noble Â»), mais qui a pour père un non-noble, est et reste l'opposĂ© d'un Arya ». »

— Lois de Manu, livre 10[3].

Cette théorie a un écho dans l'ouvrage d'Arthur Schopenhauer, Parerga et Paralipomena, où le philosophe affirme que l'enfant prend, de son père, la volonté, et de sa mère, l'intellect.

Adi Shankara déclara que l'homme qui a une apparence de chandâla, mais qui connaît l'Atman (l'âme incréée et indestructible, capable de transmigrer dans toutes les formes de vie et de s'unir à jamais au Brahman, l'Âme universelle), n'est pas un chândâla[4].

Plusieurs castes d'intouchables sont encore désignée par le mot chandala dans l'Inde du Nord (Maharashtra, Orissa, Uttar Pradesh, Bihar et Bengale).

L'orthodoxie hindoue reconnaĂ®t aux chândâla la capacitĂ© de devenir brâhmanes, s'ils affichent des preuves de leur volontĂ© Ă  ĂŞtre purifiĂ©s par des signes et pratiques strictement brahmaniques. Dans le Shiva-purâna, composĂ© par le brâhmane mythique Vyasa, compilateur des VĂ©das (et issu lui-mĂŞme d'une mère d'un clan chândâla), on peut constater que l'Ă©tat de « mangeur de chien Â» est relatif et aboli par le fait que les symboles chers aux brâhmanes, portĂ©s sur soi, sont très purificateurs pour une personne complètement Ă©trangère Ă  la sphère brahmanique comme l'est un « chasseur Â», qui devient ainsi similaires Ă  eux en portant, par exemple, les symboles sacrĂ©s shivaĂŻtes :

« MĂŞme un chândâla [« mangeur de chien Â», adepte de la violence] qui porte le chapelet de rudrâksha Ă  son cou et le tripundra sur son front est digne de considĂ©ration. Il appartient de ce fait Ă  la plus excellente de toutes les castes [les brâhmanes, gardiens de l'ahimsâ ][5]. »

Un exemple dans le bouddhisme

L’usage du terme sanskrit s’est généralisé en Orient jusqu’au Japon pour qualifier (en Occident) des membres des hors-castes nommés intouchables, situés hors de la société ârya, de ceux ayant théoriquement pour devoir commun l'universelle non-violence (Ahimsâ), qu'ils soient brâhmanes (lettrés, artistes), kshatriya (gendarmes, princes), vaishyas (paysans, artisans) ou shudra (serviteurs, non-initiés au Véda/Savoir comme le sont aussi tous les enfants de brâhmanes)[6]. En Inde, les Intouchables constituent une part importante de la population (dans Le modèle indou, Guy Deleury rappelle qu'un parti politique en Inde ne peut remporter une élection sans un large soutien des Intouchables, et que les brâhmanes sont soit apolitiques, soit proches d'idéologies en faveur du droit au bien-être matériel collectif et des minorités persécutées ou spoliées), tandis que les brâhmanes sont une minorité pauvre mais respectée pour son savoir sacré et son éthique gardienne de l'Ahimsâ, vivant près des musulmans dans leurs bidonvilles afin d'être protégés de la violence des mafias de nationalistes hindous, intouchables, etc., comme l'indique Naipaul dans son ouvrage L'Inde, un million de révoltes.

Un exemple notoire : afin de montrer son origine modeste car il est issu d’une famille de pêcheurs, au XIIIe siècle, le moine bouddhiste Nichiren se qualifie lui-même de membre de la classe des chândâla[7] - [8] - [9]. Sa méthode pour convertir à l’école qu’il fonde en , la Nichiren Shū, considérée selon lui comme la seule correcte à l’époque de Mappō, est shakubuku dont la traduction littérale est « casser et soumettre »[10] l'attachement aux enseignements jugés inférieurs car périmés à l’époque de Mappō ou selon une autre traduction « briser et soumettre »[11] les attachements aux enseignements précédant le Sūtra du Lotus. Il s’opposera jusqu’à sa mort en aux autres écoles bouddhiques de son temps, en particulier Jōdo shū (Nembutsu), Zen, Shingon et Ritsu.

En Occident

Friedrich Nietzsche fait plusieurs fois rĂ©fĂ©rence au terme de chândâla, notamment dans L'AntĂ©christ (aphorisme 45) et dans Le CrĂ©puscule des Idoles, pour parler du christianisme ou du socialisme comme Ă©tant des « religions de chândâla », basĂ©es sur une « morale d'esclaves », incarnant le « ressentiment des faibles », qu'elles opposent Ă  la « morale des maĂ®tres »[12].

« Qu’on lise la première partie de ma Généalogie de la morale : pour la première fois, j’y ai mis en lumière le contraste entre une morale noble et une morale de Tchândâla, née de ressentiment et de vengeance impuissante. Saint Paul était le plus grand des apôtres de la vengeance… »

Fortement influencé par Nietzsche, l'écrivain et dramaturge suédois August Strindberg (1849-1912) publie en 1888 une nouvelle intitulée Tschandala[13].

Notes et références

  1. Mythes et Dieux de l'Inde, Le Polythéisme Hindou, Alain Daniélou, éd. Flammarion.
  2. Encyclopédie des religions, Gerhard J. Bellinger, éditions le Livre de poche.
  3. (en) « The Laws of Manu X », sur sacred-texts.com (en) (consultĂ© le ).
  4. Vidéo indienne sur Adi Shankaracharya, avec sous-titre en anglais : https://www.youtube.com/watch?v=Ewta7YJCmyw
  5. La légende immémoriale du Dieu Shiva, Le Shiva-pûrana, traduit du sanskrit, présenté et annoté par Tara Michaël, éditions Gallimard, connaissance de l'Orient, page 154, (ISBN 978-2-07-072008-8).
  6. Hindouisme, anthropologie d'une civilisation, Madeleine Biardeau, Ă©ditions Flammarion.
  7. Nichiren, « Les Écrits de Nichiren : ÉCRIT 32, Lettre de Sado », sur nichirenlibrary.org (consulté le ).
  8. Mouvement bouddhiste Soka, « Fier d'être une personne ordinaire », sur soka-bouddhisme.fr (consulté le ).
  9. Nichiren, « Les Écrits de Nichiren : ÉCRIT 25, Banissement à Sado », sur nichirenlibrary.org (consulté le ).
  10. (en) Handbook of Contemporary Japanese Religions, Leiden/Boston, BRILL, , 652 p. (ISBN 978-90-04-23436-9, lire en ligne), p. 272.
  11. Encyclopédie des religions, Gerhard J. Bellinger, préface de Pierre Chaunu, La Pochotèque, page 116, (ISBN 2-253-13111-3).
  12. (en) Koenraad Elst, Nietzsche, Power and Politics. Rethinking Nietzsche’s Legacy for Political Thought, Berlin / New York, , « Manu as a Weapon against Egalitarianism. Nietzsche and Hindu Political Philosophy », p. 543-582.
  13. (en) Anatoly Livry, August Strindberg : de Rhadamanthe Ă  Busiris et l'Etna de Zarathoustra, Berlin, Nietzscheforschung, Akademie Verlag, , p. 123-135.

Voir aussi

Bibliographie

  • (en) Koenraad Elst: Manu as a Weapon against Egalitarianism. Nietzsche and Hindu Political Philosophy, dans Siemens, Herman W. / Roodt, Vasti (Hg.): Nietzsche, Power and Politics. Rethinking Nietzsche’s Legacy for Political Thought, Berlin / New York 2008, 543-582.

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