Berbérisme
L'amazighisme ou le berbĂ©risme[1] (en amazighe : TamaziÉŁiáșri) est un mouvement politique et identitaire qui milite pour la reconnaissance de la dimension culturelle, historique, identitaire, et linguistique amazighe dans les pays d'Afrique du Nord-Ouest.
L'amazighisme, en tant qu'interprĂ©tation idĂ©ologique de l'histoire du l'Afrique du Nord-Ouest faisant de la permanence de l'identitĂ© amazigh une clĂ© de cette histoire, pour en tirer des consĂ©quences politiques, doit ĂȘtre distinguĂ© du fait amazigh, c'est-Ă -dire l'existence de populations dĂ©finies par une langue spĂ©cifique vĂ©hiculant une culture particuliĂšre[2].
Histoire
Il est difficile de situer avec exactitude la genÚse du mouvement berbériste : on peut toutefois la dater de l'émergence des travaux culturalistes des premiers lettrés berbéristes du XXe siÚcle, tel Kateb Yacine ou Mouloud Mammeri ou Ouali Bennaï ou Amar ould-Hamouda la crise berbÚre de 1949 et des instituteurs, essentiellement au tournant du XXe siÚcle.
Durant la colonisation
Selon l'historien Guy PervillĂ©, le berbĂ©risme est en partie une crĂ©ation des auteurs coloniaux qui s'appuyant sur le fait berbĂšre en avaient tirĂ© la justification d'une politique visant Ă sĂ©parer les BerbĂšres des Arabes pour rapprocher les premiers des colonisateurs français. « Cette valorisation des BerbĂšres se faisait en les rapprochant de lâOccident europĂ©en, par lâaffirmation dâune communautĂ© dâorigine et de âraceâ, garante de vertus hĂ©rĂ©ditaires communes Ă des peuples Ă©galement sĂ©dentaires, travailleurs, Ă©conomes et dĂ©mocrates. » Cette communautĂ© de civilisation aurait Ă©tĂ© brisĂ©e par la conquĂȘte arabe et l'islamisation. Cette vision idĂ©ologique a inspirĂ© une politique kabyle en AlgĂ©rie et une politique berbĂšre au Maroc, mais, selon PervillĂ©, « ni lâune ni lâautre ne sont allĂ©es au-delĂ des dĂ©clarations dâintentions »[2].
La crise berbériste dans le mouvement PPA/MTLD
L'annĂ©e 1949 est un repĂšre historique important, c'est l'annĂ©e oĂč Ă©clate la crise berbĂ©riste qui visait Ă intĂ©grer la dimension amazighe et rejeter la dimension singuliĂšre dans le mouvement nationaliste algĂ©rien, lequel avait pour objectif l'indĂ©pendance du pays. Les militants voulaient une AlgĂ©rie algĂ©rienne qui serait multiethnique, reconnaissent toutes les composantes du pays. Lors de la crise berbĂ©riste au Mouvement pour le triomphe des libertĂ©s dĂ©mocratiques en AlgĂ©rie (MTLD), la fĂ©dĂ©ration de France du MTLD fit voter (28 voix sur 32) â- Ă l'initiative de Rachid Ali Yahia â- une motion allant Ă l'encontre des idĂ©es du parti : « AlgĂ©rie AlgĂ©rienne ». S'ensuivit une purge au sein du parti, consĂ©quence directe de ce vote.
La nĂ©gation de la dimension amazighe : identitĂ©, culture, langue⊠se fait au profit dâune dĂ©finition arabo-islamique de la nation algĂ©rienne, dont les fondements se situent dans le panarabisme. La prĂ©dominance exclusive de la vulgate arabo-islamiste exclut l'entitĂ© amazighe du terrain politique et social. La thĂšse de l'AlgĂ©rie algĂ©rienne est dĂ©noncĂ©e ce qui remet en cause le concept de lâarabo islamisme par le fait quâelle a Ă©clatĂ© en France chez les cadres de lâimmigration, et qu'elle nâa pas touchĂ© les militants dâAlgĂ©rie, pas mĂȘme en Kabylie, rĂ©gion pourtant particuliĂšrement concernĂ©e. Car en France, il existe lâhypothĂšse des effets dâinfluence de la sociĂ©tĂ© française (laĂŻcitĂ©, position des jeunes intellectuels berbĂšres en France, en rupture avec les coutumes religieuses et les traditions familiales, volontĂ© de sortir dâun nationalisme jugĂ© trop Ă©troit pour lâintĂ©gration plus grande aux luttes sociales en France). Mais cette hypothĂšse paraĂźt fantaisiste, la laĂŻcitĂ© s'inscrit dans un cadre rĂ©volutionnaire universaliste de rupture avec la tradition, d'autant plus que les langues rĂ©gionales en France ont longtemps Ă©tĂ© persĂ©cutĂ©e dans ce mĂȘme contexte, l'arabe dialectal semble donc bien plus cohĂ©rent pour ce genre de mouvement (la majoritĂ© des arabophones de France comme d'Afrique du Nord (Ă l'exception de l'Egypte) sont d'origine amazighe), il semblerait que ce soit plutĂŽt l'inverse qui se produit, un rejet de cette vision française aliĂ©nante qui motive ces intellectuels berbĂšristes. Peu importe, aprĂšs la dĂ©faite politique des auteurs de la thĂšse AlgĂ©rie algĂ©rienne devant la direction du PPA, qui nâest pas dâailleurs la consĂ©quence de la faiblesse de leur proposition, mais celle de la fragilitĂ© dâune AlgĂ©rie colonisĂ©e, dĂ©sorganisĂ©e, aliĂ©nĂ©e, pauvre culturellement, incapable de vivre pour elle-mĂȘme et de se doter dâune identitĂ© structurante propre.
Ă dĂ©faut dâimprimer lâidentitĂ© berbĂšre aux textes fondamentaux du mouvement nationaliste, indĂ©pendantisteâŠPPA, MTLD, UDMA, puis FLN, les militants de la thĂšse AlgĂ©rie algĂ©rienne ont tentĂ© Ă diffĂ©rentes pĂ©riodes de lâhistoire de contribuer aux documents fondamentaux Ă©difiant la nation algĂ©rienne : Le CongrĂšs de la Soummam en 1956, La Charte de Tripoli en 1962, la Charte dâAlger en 1964, la Charte nationale, les diffĂ©rentes Constitutions... intĂ©grant la dimension berbĂšre. Ces auteurs militants, s'ils ont pas Ă©tĂ© tuĂ©s, ont Ă©tĂ© emprisonnĂ©s ou poussĂ©s Ă lâexil, comme furent aussi d'autres militants qui prĂŽnaient une AlgĂ©rie dĂ©mocratique dans le cadre des principes Islamiques. Ce n'est qu'en 1980, que la revendication berbĂšre avec l'adhĂ©sion de toutes les couches sociales a investi la rue, aprĂšs le refus par les autoritĂ©s de la tenue dâune confĂ©rence de Mouloud Mammeri, Ă©crivain, chercheur, linguiste sur la poĂ©sie ancienne kabyle. Le MCB, le mouvement associatif, les ligues des Droits de lâHomme, Amnesty Internationale font de la revendication berbĂšre leur cheval de bataille. Sans parler de lâAcadĂ©mie berbĂšre, des sites Web, des radios associatives, de BerbĂšre TĂ©lĂ©vision (BRTV) et divers relais de la diaspora berbĂšre. Les partis dĂ©mocratiques Ă lâouverture du processus dĂ©mocratiques en 1989, juste aprĂšs la rĂ©volte populaire du 5 octobre 1988 (plus de 500 jeunes ont trouvĂ© la mort) ont intĂ©grĂ© la revendication dans leur projet de sociĂ©tĂ©, Ă lâinstar du FFS, RCD principalement. Ă des degrĂ©s moindres le PT, le PST, le PC⊠Puis le mouvement des comitĂ©s de village aprĂšs la rĂ©volte de 2001, rĂ©digeant la plateforme dâElkseur. Ainsi que le Mouvement pour l'autodĂ©termination de la Kabylie (MAK), et des petits partis naissant.
Conséquence de cette crise
Les militants sont vite indexĂ©s et marginalisĂ©s. Certains sont Ă©liminĂ©s par l'ALN ; c'est le cas de Amar Ould Hamouda et Mbarek At Menguellat, assassinĂ©s en 1956 au village Ait Ouabane (At WaÉban), dans l'actuelle commune de Akbil en haute-Kabylie, oĂč ils sont enterrĂ©s dans deux sĂ©pultures, l'une Ă la sortie Est du village, l'autre Ă la sortie Ouest[3].
Hocine Benhamza, docteur en sciences Ă©conomiques de lâuniversitĂ© de Paris, militant au sein du PPA, ancien dĂ©tenu politique pendant la guerre dâAlgĂ©rie, dit Ă ce propos : « Ă la fĂ©dĂ©ration de France du MTLD, il y avait 32 membres dont 28 Ă lâinitiative de Rachid Ali Yahia, Ă©tudiant, et sous lâimpulsion de militants kabyles notamment BenaĂŻ Ouali, Ferah Ali, Said Oubouzar et dâautres, disaient « Nous nous battons pour la dĂ©mocratie, la laĂŻcitĂ©, lâindĂ©pendance et pour une AlgĂ©rie algĂ©rienne ».
La position du PPA-MTLD
Messali et ses partisans, y compris ceux du comitĂ© central, disaient « L'AlgĂ©rie est un pays arabe. Elle doit se tourner vers les pays du Proche-Orient, devenir une composante de la nation arabe. LâAlgĂ©rie est un pays musulman, il faut promouvoir la religion musulmane ». Certains responsables kabyles, y compris ceux faisant partie de lâOS, dĂ©claraient : « Oui aux revendications berbĂšres, mais pas de façon prĂ©maturĂ©e. Il faut dâabord obtenir lâindĂ©pendance avant de poser le problĂšme berbĂšre ». Ă la suite de toutes ces divergences, le mouvement berbĂšre initial fut mis de cĂŽtĂ©. »[4] Mais la majoritĂ© des responsables kabyles du PPA-MTLD, y compris ceux de l'OS, se sont dressĂ©s contre ce travail de sape qui frappait le parti.
La culture et la langue berbĂšres Ă©taient admises dans le Parti. Dans lâENA, le PPA ou le MTLD en 1946, le kabyle Ă©tait utilisĂ© aussi bien dans les discours par nombre dâorateurs qui avaient le don de le maĂźtriser avec Ă©loquence que dans les chants et hymnes qui mettaient de lâambiance dans les rĂ©unions de militants, les fĂȘtes familiales ou les rassemblements populaires. Mais la culture et la langue berbĂšres Ă©taient acceptĂ©es dans la mesure oĂč le principe arabo-islamique, fondement idĂ©ologique du Parti, nâĂ©tait pas remis en cause. Lâhymne du PPA -fidaâoĂ» el djazaĂŻr- chantĂ© par tous les militants, a Ă©tĂ© Ă©crit par un AlgĂ©rien mozabite, Moufdi Zakaria. Cela nâempĂȘche pas quâil affirme comme une des finalitĂ©s du combat national la renaissance de la langue arabe dans lâAlgĂ©rie libĂ©rĂ©e.
Il y Ă©tait plutĂŽt question dâun certain « parti populaire kabyle » (PPK) qui serait en train de se structurer Ă lâintĂ©rieur mĂȘme du PPA-MTLD[5]. LâenquĂȘte rĂ©vĂ©la les noms des initiateurs de ce travail de division : Ouali Bennai, Omar Oussedik, Amar Ould Hammouda, Sadek HadjerĂšs. Ils furent sanctionnĂ©s, non pour leurs idĂ©es, qui Ă©taient plus ou moins tolĂ©rĂ©es, mais pour leurs activitĂ©s de sape et leurs menĂ©es fractionnelles. La plupart des exclus rejoindront le Parti communiste algĂ©rien, dont Sadek HadjerĂšs deviendra lâun des chefs, ou activeront dans son sillage. AprĂšs lâindĂ©pendance HadjerĂšs sera le secrĂ©taire gĂ©nĂ©ral du PAGS (Parti dâavant-garde socialiste) nouvelle dĂ©nomination du PCA.
Lâaction des berbĂ©ristes nâa pas obtenu lâassentiment de la population. En Kabylie, sur douze kasmas, une seule, celle de Ain El Hammam (ex-Michelet), fief dâOuld Hammouda, passa sous leur contrĂŽle, et elle le demeura pendant un an environ
La position de Abane Ramdane et le FLN
Une lettre adressée par les congressistes de la Soummam condamnait le « travail de sape » au sein de la communauté algérienne en France des éléments « berbéristes ». La lettre fut signée par les dirigeants du FLN à savoir Zighout Youcef, Abane Ramdane, Larbi Ben M'hidi, Krim Belkacem, Lakhdar Bentobal, Ouamrane, Si Cherif[6] - [7].
Des années 1980 à nos jours
En 1980 éclatent les manifestations du Printemps berbÚre, au cours desquelles les berbérophones de Kabylie réclament l'officialisation de leur langue. En 1988, l'ouverture démocratique donne une forte impulsion à la revendication berbériste avec la création du « Mouvement culturel berbÚre »[8].
Au cours de la « grĂšve du cartable » des annĂ©es 1994 et 1995, des Ă©lĂšves kabyles boycottent les Ă©coles pour contester le monolithisme linguistique et culturel de l'arabe. En 1998, de trĂšs violentes Ă©meutes suivent lâassassinat du chanteur LounĂšs Matoub. Ă partir de lĂ , le climat devient prĂ©-insurrectionnel. En 2000, la chaĂźne BerbĂšre TĂ©lĂ©vision commence Ă Ă©mettre sur les ondes de Paris.
Lors du Printemps noir (), de violentes Ă©meutes Ă©clatent en Kabylie Ă la suite de la mort de Massinissa Guermah, jeune lycĂ©en abattu par la gendarmerie Ă BĂ©ni-Douala. Le , les Kabyles, rĂ©clamant notamment l'officialisation de la langue berbĂšre, marchent sur Alger avant dâĂȘtre rĂ©primĂ©s par la police[8].
Le , le roi Mohammed VI du Maroc crée un Institut royal de la culture amazighe (IRCAM) pour promouvoir la culture berbÚre.
En 2002, une révision de la Constitution algérienne de 1996 fait de l'amazighité l'une des composantes fondamentales de l'identité nationale algérienne, aux cÎtés de l'islam et de l'arabité. ParallÚlement, les autorités fondent un Haut commissariat à l'amazighité. DÚs lors, les revendications berbéristes diminuent[8].
Le , Mohammed VI propose une nouvelle constitution pour le Royaume du Maroc avec notamment l'élévation du berbÚre au rang de deuxiÚme langue officielle du pays.
Lors des manifestations de 2019 en AlgĂ©rie, le gĂ©nĂ©ral Ahmed GaĂŻd Salah prĂ©vient que seules les couleurs nationales sont dĂ©sormais autorisĂ©es dans les cortĂšges. En aoĂ»t 2019, un tribunal algĂ©rien requiert 10 ans de prison ferme contre un manifestant ayant brandi un drapeau berbĂšre lors dâun rassemblement contre le rĂ©gime. Selon le journal Ouest France, prĂšs de 60 personnes ont Ă©tĂ© arrĂȘtĂ©es et placĂ©es en dĂ©tention prĂ©ventive en attendant leurs procĂšs dans plusieurs villes dâAlgĂ©rie pour des motifs similaires. Se rapportant Ă la presse algĂ©rienne, le quotidien prĂ©cise que deux personnes ont Ă©tĂ© jugĂ©es et condamnĂ©es Ă deux mois de prison avec sursis[9].
En 2023, une nouvelle loi stipule que l'une des conditions à l'obtention de la nationalité marocaine est de maitriser la langue arabe ou la langue amazighe[10].
Références
- (en) Izemrasen N.M, « Amazigh North Africa, The West, And The Arab-Islamic Tyranny », KabylHeritage,â (lire en ligne)
- Guy PervillĂ©, Du berbĂ©risme colonial au berbĂ©risme anti-colonial : la transmission du thĂšme de lâidentitĂ© berbĂšre des auteurs coloniaux français aux intellectuels nationalistes algĂ©riens (2004), Cahiers dâhistoire immĂ©diate, n° 34, automne 2008, pp.285-304
- Said Sadi, Amirouche : une vie, deux morts, un testament, Tizi Ouzou Imprimerie les oliviers 2010, page 100
- Nacer Boudjou, « Crise dite ââBerbĂ©risteââ de 1949 : ââLa thĂšse de lâAlgĂ©rie algĂ©rienne face lâArabo-islamismeââ », ADN,â (Crise dite ââBerbĂ©risteââ de 1949)
- Les Origines du Premier Novembre, Benyoucef Benkhedda
- Anne Marie Louanchi et Salah Louanchi, Parcours dâun militant algĂ©rien, Ăditions Dahleb, , p. 193, annexe 5
- Oui, l'islam a joué un rÎle dans la guerre d'Algérie
- Bernard Lugan, Histoire des BerbÚres, des origines à nos jours. Un combat identitaire pluri-millénaire., Afrique Réelle, , 204 p..
- Algérie. 10 ans de prison requis contre un manifestant qui a brandi le drapeau berbÚre, ouest-france.fr, 5 août 2019
- Le Matin MA, « Nationalité marocaine : Le demandeur doit désormais parler arabe ou amazigh », (consulté le )
Bibliographie
- Bernard Lugan, Histoire des BerbÚres, des origines à nos jours. Un combat identitaire pluri-millénaire, Afrique Réelle, 2012
Annexes
Articles connexes
Liens externes
- Les Etats du Maghreb face aux revendications berbĂšres, par Maxime Ait Kaki.
- Petite histoire de la question berbÚre en Algérie, par Yassin Temlali.
- Les bases sociales du berbĂ©risme : critique dâun mythe, par Salim Chaker.
- Chronologie du mouvement berbĂšre, un combat et des hommes, par Ali Guenoun paru aux Ă©ditions Casbah Alger, 1999.
- LaĂŻcitĂ© et athĂ©isme en Kabylie: mythes et ambigĂŒitĂ©s, par Yidir Plantade.
- La Crise berbériste 1949, Benyoucef Benkhedda