Anomalie dilatométrique
Lâanomalie dilatomĂ©trique est une propriĂ©tĂ© singuliĂšre du comportement de certains corps dont la densitĂ©, au lieu d'augmenter continuellement (notamment au cours des changements d'Ă©tats) pendant leur refroidissement, diminue au contraire Ă partir d'une tempĂ©rature prĂ©cise, parfois seulement sur certains intervalles de tempĂ©rature : autrement dit, dans ces intervalles, le corps se dilate lorsque sa tempĂ©rature diminue. Lâeau prĂ©sente une anomalie dilatomĂ©trique.
Exemples
Plusieurs Ă©lĂ©ments chimiques prĂ©sentent une anomalie de densitĂ© : l'antimoine, le bismuth, le gallium, le germanium[1], le plutonium et le silicium ainsi que certains alliages comme le tungstate de zirconium α-ZrW2O8[2] et le cyanure de zinc. Claude Pouillet observait dĂ©jĂ en 1836 que « Dans une certaine Ă©tendue de l'Ă©chelle thermomĂ©trique l'acier trempĂ© se contracte au lieu de se dilater ; c'est une exception remarquable qui tient sans doute Ă l'Ă©tat oĂč se trouvent les molĂ©cules[3]. » Mais le corps chimique le plus important prĂ©sentant cette anomalie est encore l'eau[4].
Cas de l'eau
Données empiriques
Dans les conditions normales de pression, l'eau atteint sa masse volumique maximale d'environ 1 000 kg·m-3 à 3,98 °C. En-dessous de 3,98 °C, l'eau commence à se dilater lorsque la température s'abaisse (y compris au cours du gel). Selon les mesures les plus récentes, le maximum de masse volumique de l'eau serait de (999,974 950 ± 0,000 84 kg·m-3) à une température de 3,983 ± 0,000 67 °C : cet intervalle résulte de la moyenne des résultats obtenus en 2005 par différents instituts de physique allemands.
On peut exprimer la loi de variation de la masse volumique ÏLF de lâeau exempte dâoxygĂšne dissous en fonction de la tempĂ©rature T (exprimĂ©e ici en °C) grĂące Ă l'Ă©quation du viriel :
oĂč les coefficients ont pour valeur :
- a0 = 999,839 52 kg·m-3 ;
- a1 = 16,952 577 kg·m-3·°C-1 ;
- a2 = â7,990 512 7Ă10-3 kg·m-3·°C-2 ;
- a3 = â4,624 175 7Ă10-5 kg·m-3·°C-3 ;
- a4 = 1,058 460 1Ă10-7 kg·m-3·°C-4 ;
- a5 = â2,810 300 6Ă10-10 kg·m-3·°C-5 ;
- et b = 0,016 887 2 °C-1.
Quant à la masse volumique de l'eau saturée en air dissous, on peut corriger l'équation précédente de la façon suivante[5] :
- .
MĂ©canisme
Ă lâĂ©tat solide (dans le cas de l'eau on parle alors Ă©videmment de « glace »), la cristallisation aboutit Ă un empilement ordonnĂ© de molĂ©cules formant un vĂ©ritable rĂ©seau cristallin. Ă lâĂ©tat liquide, la mĂȘme quantitĂ© de molĂ©cules occupe en principe un volume plus grand du fait des vitesses Ă©levĂ©es des molĂ©cules et de lâexistence dâun libre parcours moyen. Et puisque le volume augmente, la densitĂ© doit diminuer (la masse Ă©tant constante). Le chaos devient extrĂȘme Ă lâĂ©tat gazeux : les molĂ©cules sâĂ©loignent en moyenne au maximum de maniĂšre Ă remplir le plus uniformĂ©ment possible le volume disponible.
Lâexplication de lâanomalie dilatomĂ©trique de lâeau rĂ©side dans la formation de chaĂźnes molĂ©culaires par liaison par pont hydrogĂšne. Du fait de la formation spĂ©cifique de ces chaĂźnes, lâĂ©difice cristallin solide prend plus de place que les molĂ©cules disjointes et mobiles de lâĂ©tat liquide. La solidification est un processus graduel, ce qui veut dire quâĂ lâĂ©tat liquide il existe dĂ©jĂ des agrĂ©gats de molĂ©cules d'eau liĂ©es. Ă 3,98 °C lâeau se trouve dans un Ă©tat oĂč ces agrĂ©gats occupent un volume minimum : sa masse volumique est alors maximale. Lorsque lâon continue dâabaisser la tempĂ©rature, lâĂ©volution continue de la structure cristalline exige de plus en plus de place ; lorsquâau contraire on Ă©lĂšve la tempĂ©rature, lâagitation molĂ©culaire donne naissance Ă un libre parcours moyen non nul, qui se traduit par une apparente dilatation.
Conséquence pour la limnologie
L'anomalie dilatomĂ©trique de l'eau joue un rĂŽle considĂ©rable pour la survie des espĂšces lacustres des zones glaciales. Ainsi en raison de cette anomalie dilatomĂ©trique, en-dessous d'une tempĂ©rature de 4 °C les eaux froides de surface ne convectent plus vers le bas, ce qui empĂȘche le refroidissement des eaux plus profondes. Il y a inversion de la stratification thermique entre l'Ă©tĂ© et l'hiver (voir illustration ci-contre), donnant, l'hiver, naissance Ă une couche d'inversion : les eaux profondes restent relativement isothermes, et animaux et plantes peuvent, jusqu'Ă un certain point, survivre sous la glace.
Notes et références
- Le germanate de cuivre et fer Cu2Fe2Ge4O13, monoclinique et constituĂ© de chaĂźnes d'octaĂšdres FeO6 en zigzag ; il prĂ©sente un coefficient de dilatation thermique unidirectionnel nĂ©gatif entre 40 K et 200 K ; cf. (en) G.J. Redhammer, M. Merz, G. Tippelt, K. Sparta, G. Roth, W. Treutmann, W. Lottermoser et G. Amthauer, « Temperature-dependent crystal structure refinement and 57Fe Mössbauer spectroscopy of Cu2Fe2Ge4O13 », Acta Cryst. B, vol. 63, no 1,â , p. 4-16 (DOI 10.1107/S0108768106051652).
- Cet alliage se contracte lorsque la tempĂ©rature augmente entre - 272,85 °C et 777 °C, tempĂ©rature Ă laquelle le matĂ©riau se dissocie. Ce phĂ©nomĂšne a aussi Ă©tĂ© observĂ© pour d'autres membres de la famille AM2O8 (A = Zr ou Hf et M = Mo ou W) ; cf. Ă ce sujet (en) L.D. Noailles, H.-h. Peng, J. Starkovich et B. Dunn, « Thermal Expansion and Phase Formation of ZrW2O8 Aerogels », Chem. Mater., vol. 16, no 7,â , p. 1252â1259 (DOI 10.1021/cm034791q).
- CitĂ© d'aprĂšs Claude Pouillet, ĂlĂ©mens de physique expĂ©rimentale et de mĂ©tĂ©orologie, Bruxelles, Louis Haumant et Co., , Livre II - De la chaleur, « V - De la dilatation des solides », p. 108. .
- La dilatation de l'eau entre 4 °C et 0 °C a été décrite par Hippolyte Fizeau en 1866 : voir la bibliographie ci-aprÚs.
- D'aprĂšs H. Bettin et F. Spieweck, « Die Dichte des Wassers als Funktion der Temperatur nach EinfĂŒhrung der Internationalen Temperaturskala von 1990 », PTB-Mitteilungen, 100e sĂ©rie, no 3,â , p. 195.
Voir aussi
Bibliographie
- Hippolyte Fizeau, « MĂ©moire sur la dilatation des corps solides par la chaleur », Comptes Rendus des SĂ©ances de l'AcadĂ©mie des Sciences, Paris, vol. 62,â , p. 1101-1106, 1133-1148.
- B. Dussart, Limnologie â L'Ă©tude des eaux continentales, Paris, Gauthier-Villars, (rĂ©impr. 1992, Ă©d. BoubĂ©e), 678 p..
- A. Hade, Nos lacs â les connaĂźtre pour mieux les protĂ©ger, Ăditions Fides, , 360 p..