Œufs au lard
Les œufs au lard, habituellement assimilés aux œufs au bacon sont des œufs entiers et servis avec ou sur du lard cuit.
Œufs au lard | |
Œufs à la pancetta | |
Lieu d’origine | Europe |
---|---|
Place dans le service | petit déjeuner, plat |
Température de service | bien chaud |
Ingrédients | Œufs, huile ou beurre, lard ou bacon, oignons en Espagne |
Accompagnement | avec toast frit ou tartine |
Ce ne sont pas des œufs au jambon, bien que cuits et servis de la même façon. Dans l'acception française ou américaine ce ne sont pas des œufs battus (omelette au lard ou œufs brouillés) ce qu'ils peuvent être en Espagne avec les huevos con tocino.
L'expression s'utilise presque uniquement avec œufs au pluriel[1].
Lard et bacon
Bacon, est un mot ancien, pour les uns gréco-romain, pour d'autre germanique[2]. Jean Espagnolle remonte à l'antiquité: «L'origine de bacon nous est indiquée par Athenée, [ ] il dit qu'on salait le thon dans des barils nommés 6ιξου; mais bicon s'écrivait aussi baxov et būxov; c'est donc le bacon, vaisseau où se faisaient autrefois les salaisons, qui a donné son nom au porc, au poisson salé, à toutes sortes de viandes conservées. Dans la Gascogne, on appelait le porc bacon, c'est-à-dire l'animal qu'on sale. Aujourd'hui encore, dans une foule de provinces, on nomme bacon le lard salé»[3]. Bonaventure de Roquefort le tire du latin: «chair de porc, viande séchée à la fumée; en bas latin baco, bacco, Provencal bacou»[4].
L'usage de bacon (pour porc gras) est attesté dans la langue française médiévale. Le repas baconique des chanoines[5], les wallonismes bacon de lard, ou bacon d'lard, baconner (diviser en tranches)[6], baconnier = charcuterie[7]. «Bacon est un vieux mot français, qui veut dire : chair de cochon salée. Il a passé dans la langue anglaise, où il signifie lard.»[8] selon Isidore Dory. Le Dictionnaire canadien Sylva Clapin (1894) donne pour bacon «prononcer baikenne, de l'anglais bacon, lard. Echine de porc, fumée et salée. Les Anglais ont dû autrefois emprunter bacon aux Normands, qui à leur tour le faisaient dériver de l'ancien allemand bacho, signifiant dos, échine»[9].
A. Bautte traduit œufs à la poêle au lard grillé ou frit par eggs and bacon (il classe le Royaume-Uni comme plus gros consommateur d'œufs au monde au moins 4 millions d'œufs par jour en 1906)[10].
Les lards et les bacons
Dans la cuisine anglaise l'usage est au bacon pas trop gras[11]. Larousse traduit l'anglais bacon par lard maigre[12]. Henriette Walter (2020) confirme: bacon français est du lard maigre, en anglais à streaky bacon (entrelardé), alors que bacon anglais est du lard gras[13], affirmations qui ne correspondent pas à l'iconographie: la grande majorité des photos d'œufs au lard sont au lard maigre ou entrelardé[14].
Le manuel du garçon boucher est plus précis: Les bacons anglais et danois sont une découpe du dos du porc, avec viande et gras, les bacons américains, canadiens et français utilisent le côté de la poitrine ou le bas de l'épaule (d'autres sources donne le bacon anglais issu de l'arrière ou du flanc de l'animal[15]). Suit une description des variétés: back bacon, middle, collar bacon, jowl, picnic or cottage bacon, steacky, gammon bacon. Ces bacons sont mi gras-mi maigre[16]. Il décrit ensuite les lards, majoritairement gras souvent zébrés de fines couches de chair: les lardo iberico bellota , la ventrèche ou panceta de cerdo ibérico, le guanciale romain lard demi gras de joue de porc, il lardo di Colonnata IGP toscan, Lard d'Arnad[17].
Les nuances sont vraisemblablement plus grandes Menage écrit «En Lorraine on appelle bacon le lard fumé»[18], mais beaucoup de lorrains préféraient le lard salé, d'où querelles et divisions[19]. Le lard sec du Valais IGP est un lard de poitrine demi-gras, semblable d'apparence avec un bacon sec[1].
Histoire
Les œufs au lard sont communs dès le XVIIe siècle sans qu'on puisse en démêler l'origine (comme celle des œufs au jambon). Les œufs au lard sur toast sont attestés de longue date en espagnol, Yelgo de Bazquez (1614) dans l'Art de servir les princes mentionne les huevos de tocino[20] (dix ans plus tôt Sancho explique à Don Quijote de la Mancha qu'on doit toujours avoir avec soi du lard et des œufs[21]), au XVIIIe siècle P-L Ginguené parle des «œufs au lard le samedi à la manière espagnole»[22]. En 1547, un certain Jacques Voirier est condamné pour avoir mangé sans autorisation des œufs au lard pendant le carême [23].
En 1755 Joseph Menon donne la première recette: «Coupez une demi-livre de petit lard bien entrelardé en petites tranches minces; mettez le suer dans une casserole, [ ] arrangez-le dans le fond du plat, cassez dessus des œufs comme au miroir, assaisonnez de gros poivre quelques cuillerées de coulis, faites cuire, passez la pelle rouge dessus ; en servant, pressez - y un jus de citron»[24] . Trois ans plus tard, François Marin les fait avec du lard en dés[25]. En langue anglaise, en 1647 le Netherduytch dictionarie mentionne le speck tas eye: pancake made with Eggs and Bacona [26]. Les œufs au bacon apparaissent beaucoup plus tard dans les textes français, en 1898, La Vie Parisienne parle des œufs avec «l'exquis ce lard anglais, quand il est bien saisi, croquant, crisp, comme ils disent»[27].
La préparation
Les œufs sont cuits au plat, frits, pochés, chemisés[28], le plus souvent séparément du lard qui est grillé, frit où doré à la poêle. Les œufs ne doivent pas être trop cuits pour rester tendres[10]. Les dresser sur une tartine de pain frit au beurre est recommandé même en temps de privation[29]. En fin de cuisson on peut couvrir la poêle ou passer les œufs au four pour donner du brillant[30].
Joseph Favre (1905) distingue les œufs au lard à l'anglaise le lard maigre est cuit dans une poêle, les œufs dans une autre (Favre écrit «Je n'ai jamais fait cuire les œufs dans la même poêle où j'avais fait frire le jambon (sic); parce que le sel, s'exsudant, fait invariablement attacher l'œuf et lorsqu'on veut le servir, on est forcé de casser les jaunes afin de pouvoir les glisser sur le lard) des œufs au lard sur le plat: faire griller le lard d'un côté seulement, on le tourne et on casse les œufs dessus; on les assaisonne de poivre seulement et on met le plat deux minutes dans un four chaud»[2].
A. Bautte utilise du lard fumé, mais admet qu'on peut le remplacer par du lard salé à point. Il écrit encore qu'il «est facultatif de ranger les tranches le lard au fond du plat et de glisser les œufs dessus, mais alors l'effet est moins beau»[10].
Les variantes
- L'omelette au lard est l'alternative la plus fréquente, les œufs battus sont versés sur le lard fondu coupé en dès ou en lardons[31]. Jules Gouffé en donne une version de grande cuisine: le lard est blanchi à l'eau bouillante, coupé en morceaux de 3 cm sur 1 et sauté au beurre, il est alors mélangé aux œufs battus et le tout est cuit en omelette[32].
- Œufs au lard à la Coigny, Alexandre Dumas (1873) Œufs pochés dans du saindoux ; petits croûtons, petit lard coupé en dés ; simplement arrosés d'un filet de vinaigre, et servis chauds[33].
- Le pâtes à la carbonara sont des spaghetti, de la pancetta ou du guanciale, des œufs et du pecorino romano[34].Œuf frit, pomme de terre, chorizo et lard grillé (Espagne)
- Le lait lardé est fait d'œufs et lard frits ensemble arrosés d’un peu de lait (M-L et M Debesse, La journée d’un boulanger au XIIIe siècle)[35].
- Œufs à la sultane: œufs au lard et au coulis, sauce à base de viande, sucrés, et décorés de pistaches[36].
- Variante ibérique fréquente: les œufs au chorizo, à l'Andalouse[37].
Que boire avec les œufs au lard ?
Lord Byron jeune dînait avec des œufs au lard et une bouteille de bière[38]. Le prince Alexis Soltykoff parcourant l'Andalousie avec du vin de Malaga[39]. Maigret les associe au café, et chez Stevenson le vieux marin balafré de l'auberge de l’Amiral Benbow: «Je suis un homme simple : du rhum et des œufs au lard, il ne m’en faut pas plus»[40].
Les amateurs préconisent des vins faciles une fraiche piquette, Alex Barker (202) donne un choix de vins faciles : Sans risque Bourgogne aligoté, Petit Chablis, plus aventureux Bourgogne Passe-tout-grain[41].
Littérature
L'association des œufs au lard et du café évoque le petit déjeuner. Les œufs au lard sont un plat familier de Maigret chez George Simenon, qui plusieurs fois évoque leur odeur : «odeur qui m'atteint dans ma mansarde [ ] du lard qui grésille et sur lequel, au moment où nous descendrons, Henriette cassera les œufs»[42], «Il mangea, d'abord, les œufs au lard et une des gaufres que Maria avait faites la veille et qui embaumaient toute la maison»[43], «Il lui sourit avec amertume et la suivit dans la salle à manger où Ferchaux venait de s'asseoir tandis que madame Snoek apportait des œufs au lard et du café»[44].
Frédéric Dard en fait largement usage, au petit déjeuner mais pas toujours avec du café : «D'un coup de baguette magique, ma fée Licie dispose devant moi un bol de café-crème fumant, une tartine au miel d'abeille surchoix et un tandem d'œufs au lard poivrés à souhait»[45] «Bérurier réclame son ptit-dej à savoir: une bouteille de vin du Cap avec des croissants, ainsi que des œufs au lard frit»[46].
Notes et références
- (en) « Google Books Ngram Viewer », sur books.google.com (consulté le )
- Chrestomathie du Moyen Âge ..., Garnier, (lire en ligne)
- Jean Espagnolle, La clef du vieux français, Truchy, (lire en ligne), p. 91
- Jean-Baptiste-Bonaventure de Roquefort, Glossaire de la langue romane ... contenant l'étymologie et la signification des mots usités dans les XI ... XVIe siècles, avec de nombreux exemples puisés les mêmes sources ..., B. Warée, (lire en ligne), p. 121
- André Castelot, L'histoire à table: Si la cuisine m'était contée..., (Perrin) réédition numérique FeniXX, (ISBN 978-2-262-08466-0, lire en ligne)
- Louis Remacle, Etymologie et phonétique wallonnes: questions diverses, Librairie Droz, (ISBN 978-2-87019-267-2, lire en ligne), p. 14
- Adolphe de Coston, Origine, étymologie et signification des noms propres et des armoiries, A. Aubry, (lire en ligne), p. 54
- Isidore Dory, Wallonismes, H. Vaillant-Carmanne, (lire en ligne), p. 43
- Sylva Clapin, Dictionnaire canadien-français: ou Lexique-glossaire des mots, expressions et locutions ne se trouvant pas dans les dictionnaires courants et dont l'usage appartient surtout aux Canadiens-Français avec de nombreuses citations ayant pour but d'établir les rapports existant avec le vieux français, l'ancien et le nouveau patois normand et saintongeais, l'anglais, et les dialects des premiers aborigènes, C. O. Beauchemin & fils, (lire en ligne), p. 32
- A. Bautte, Les oeufs, avec 1000 manières de les préparer & de les servir, Editorial MAXTOR, (ISBN 979-10-208-0024-4, lire en ligne), p. 159
- (en) François Tanty, La Cuisine Française: French Cooking for Every Home, Rand, McNally, (lire en ligne), p. 168
- Éditions Larousse, « Traduction : bacon - Dictionnaire anglais-français Larousse », sur www.larousse.fr (consulté le )
- Henriette Walter, Honni soit qui mal y pense: L'incroyable histoire d'amour entre le français et l'anglais, Groupe Robert Laffont, (ISBN 978-2-221-12412-3, lire en ligne)
- « "oeufs au lard" - Recherche Google », sur www.google.com (consulté le )
- Jean-Paul Kurtz, Dictionnaire Etymologique des Anglicismes et des Américanismes, Books on Demand, (ISBN 978-2-322-02717-0, lire en ligne), p. 72
- Arthur Le Caisne, Le manuel du garçon boucher: Savoir cuisiner la viande, Marabout, (ISBN 978-2-501-14628-9, lire en ligne), p. 58
- Arthur Le Caisne, Le manuel du garçon boucher: Savoir cuisiner la viande, Marabout, (ISBN 978-2-501-14628-9, lire en ligne), p. 60
- Gilles (1613-1692) Auteur du texte Ménage, Dictionnaire etymologique de la langue françoise ([Reprod.]) / par M. Ménage ; éd. par A. F. Jault,..., (lire en ligne), p. 128
- Ernest (1829-1894) Auteur du texte Auricoste de Lazarque, Cuisine messine / par E. Auricoste de Lazarque, (lire en ligne), p. 156
- (es) Miguel YELGO DE BAZQUEZ, Estilo de servir a principes, con exemplos morales para servir a Dios, Cosme Delgado, (lire en ligne), p. 149
- (es) Miguel de Cervantes Saavedra, El ingenioso hidalgo Don Quijote de la Mancha, Editorial "Saturnino Calleja" s.a., (lire en ligne), p. 874
- « La Décade philosophique, littéraire et politique / par une société de républicains p. 152 », sur Gallica, (consulté le )
- Guillaume Morin, Histoire generale des pays de Gastinois, Senonois & Hurepois: Contenant la description des antiquitez des villes, bourgs, chasteaux, abbayes, eglises & maisons nobles des dits pays, avec les genealogies des seigneurs & familles qui en despendent, Chez la vefue [sic] P. Chevalier, (lire en ligne), p. 643
- Joseph (1700?-1771) Auteur du texte Menon, Les soupers de la Cour, ou L'art de travailler toutes sortes d'alimens, pour servir les meilleures tables, suivant les quatre saisons. Tome 4, (lire en ligne), p. 81
- François (17-17 ; maître d'hôtel) Auteur du texte Marin, Les dons de Comus. T. 3 / , ou l'Art de la cuisine, réduit en pratique, nouvelle édition, revue, corrigée & augmentée par l'auteur. Tome premier [-troisieme], (lire en ligne), p. 248
- (en) Henry HEXHAM, A copious English and Netherduytch dictionarie ... With an appendix of the names of ... beasts, fowles, birds, fishes ... As also a compendious grammar for the instruction of the learner. Het groot Woorden-boeck, etc. (Het groot Woorden-boeck ... A large Netherdutch and English dictionarie ... With a compendious Netherdutch grammar, etc.)., gedruckt by Arnout Leers, (lire en ligne)
- « La Vie parisienne : moeurs élégantes, choses du jour, fantaisies, voyages, théâtres, musique, modes / par Marcellin p. 423 », sur Gallica, (consulté le )
- (it) terryskitchenitaly, « Crostino con uova in camicia e lardo di colonnata », sur Terry's Kitchen, (consulté le )
- La Liberté, (lire en ligne), p. 2
- (it) « Uovo con lardo di colonnata », sur RICETTE VINNA, (consulté le )
- Elisabeth Celnart, Manuel du charcutier, ou, L'art de préparer et de conserver les différentes parties du cochon, d'après les plus nouveaux procédés: précédé de l'art d'élever les porcs, de les engraisser et de les guérir, Roret, (lire en ligne), p. 215
- Jules Gouffé, Le livre de cuisine: comprenant la cuisine de ménage et la grande cuisine, Hachette, (lire en ligne), p. 275
- Alexandre (1802-1870) Auteur du texte Dumas et Denis-Joseph (1811?-18 ) Auteur du texte Vuillemot, Grand dictionnaire de cuisine / par Alexandre Dumas [et D.-J. Vuillemot], (lire en ligne), p. 750
- « La véritable recette des pâtes à la carbonara », sur MICHELIN Guide (consulté le )
- L'École et la vie, (lire en ligne), p. 13
- Dominique Carnoy-Torabi, « Saucisses à la persane et coings au kaïmak L’orient sur la nappe: 17e-19e siècle Ière partie », Revue Plume n°29, , p. 76 (lire en ligne [PDF])
- mamie caillou, « Oeufs à l'andalouse », sur LA CUISINE DE MAMIE CAILLOU (consulté le )
- George Gordon Byron Baron Byron, Oeuvres complètes de Lord Byron, Charpentier, (lire en ligne), p. 281
- Aleksej (1806-1859 ; prince) Auteur du texte Soltykov, Voyages dans l'Inde et en Perse / par le prince Alexis Soltykoff, (lire en ligne), p. 243
- « L'incipit », sur www.ralentirtravaux.com (consulté le )
- Fiona Internet Archive, Le vin, bien l'accorder : un guide complet pour marier au mieux vins et mets, Paris : Gründ, (ISBN 978-2-7000-6174-1, lire en ligne)
- (it) Pubblicato da Maurizio Testa, « SIMENON SIMENON. UNE ENFANCE RUE DE LA LOI » (consulté le )
- Georges Simenon, Les Romans durs, Tome 4, Place des éditeurs, (ISBN 978-2-258-19237-9, lire en ligne)
- Georges Simenon, L'aîné des Ferchaux: Romans durs, Place des éditeurs, (ISBN 978-2-258-09820-6, lire en ligne)
- Patrice Dard, Ze San-Antonio Code: roman poilant. Les nouvelles aventures de San Antonio, Fayard, (ISBN 978-2-213-67552-7, lire en ligne)
- San-Antonio, De l'antigel dans le calbute, Univers Poche, (ISBN 978-2-265-09247-1, lire en ligne)
Voir aussi
Articles connexes
Liens externes