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Seconde bataille de Swat

Le nom de seconde bataille de Swat désigne au sens large les opérations militaires qui se sont déroulées du au dans cinq districts de la province pakistanaise de Khyber Pakhtunkhwa, essentiellement dans le district ou vallée de Swat. Elles opposaient l'armée pakistanaise à des mouvements islamistes armés, dont le plus important était le Tehrik-e-Nifaz-e-Shariat-e-Mohammadi (TNSM), qui avait progressivement repris le contrôle du district de Swat depuis environ deux ans, et qui avait étendu son contrôle à d'autres régions environnantes. La zone de conflit correspondait à la division de Malakand, ancienne subdivision administrative qui englobait tous les districts dans lesquels les combats se sont déroulés.

Seconde bataille de Swat
Opération Rah-e-Rast
Opération Black Thunderstorm
Description de cette image, également commentée ci-après
Localisation du district de Swat (en jaune) dans la province de Khyber Pakhtunkhwa (en vert) au sein du Pakistan.
Informations générales
Date 26 avril -
(2 mois et 19 jours)
Lieu Division de Malakand :
District de Swat
District de Shangla
District du Bas-Dir
District de Buner
District de Malakand
Issue Victoire gouvernementale
décisive
Commandants
Ashfaq Kayani
Rao Suleman
Masood Aslam
Maulana Fazlullah
Soofi Mohammed
Forces en présence
30 000 hommes5 000 hommes
Pertes
168 morts
454 blessés
(source officielle)
1 635 morts
254 prisonniers
(source officielle)

Insurrection islamiste au Pakistan

Batailles

Bataille de Wana (2004) • Assaut de la Mosquée rouge (2007) • Première bataille de Swat (2007) • Bataille de Bajaur (2008) • Seconde bataille de Swat (2009) • Opération Rah-e-Nijat (2009) • Offensive d'Orakzai et de Kurram (2010 - 2011) • Opération Brekhna (2011) • Opération Zarb-e-Azb (2014)

L'offensive se dĂ©roula en deux Ă©tapes : l’opĂ©ration Black Thunderstorm, lancĂ©e Ă  partir du dans plusieurs districts pĂ©riphĂ©riques du district de Swat, d'abord dans le district du Bas-Dir et le district Buner puis dans ceux de Shangla et de Malakand. Ensuite, la sous-opĂ©ration Rah-e-Rast se concentra dans le district de Swat, principal fief des insurgĂ©s. Les opĂ©rations auraient mobilisĂ© 30 000 soldats dont la moitiĂ© dans la vallĂ©e de Swat, dans une rĂ©gion peuplĂ©e de plus de cinq millions d'habitants et auraient causĂ© près de 2 000 morts et plus de trois millions de dĂ©placĂ©s.

L'opération est considérée comme un tournant de l'insurrection islamiste au Pakistan, marquant un retournement de la stratégie d'Islamabad qui avait conclu à peine quelques mois auparavant un accord de paix avec le TNSM et qui établissait officiellement la charia dans la région. Face aux exactions commises par les islamistes et à la dégradation de la sécurité dans tout le pays, l'armée lança l'une des plus importantes batailles de ce conflit et remporta une victoire décisive.

Contexte

Extension de l’insurrection islamiste

Le conflit qui oppose l'armée pakistanaise à des mouvements islamistes armés, débute par la bataille de Wana le . Au cours des années suivantes, une série d'accords de paix sont signés avec plusieurs mouvements, malgré des résultats très mitigés puisque des combats réguliers se poursuivent et que les militants islamistes étendent leur influence. Les autorités entendent alors éviter une rébellion des tribus pachtounes de la région, traditionnellement hostiles au pouvoir fédéral[1]. Les islamistes en profitent pour étendre progressivement leur influence, surtout dans les régions tribales frontalières avec l'Afghanistan, la proche province de Khyber Pakhtunkhwa et même jusque dans la capitale fédérale. Ainsi, l'assaut de la Mosquée rouge d'Islamabad occupée par des militants talibans armés, le , relance brutalement le conflit pakistanais[2].

L'armée semble alors brutalement changer de stratégie face aux mouvements islamistes qui avaient fait partie de leurs alliés avant 2001, provoquant leur radicalisation. Le numéro 2 d'al-Qaïda, Ayman Al-Zaouahiri, appelle notamment les musulmans pakistanais à la vengeance et à la guerre sainte[3]. En , une quarantaine de mouvements armés s’agrègent au sein du nouveau Tehrik-e-Taliban Pakistan (TTP), qui devient le principal groupe opposé aux autorités pakistanaises[4].

Opérations militaires de 2007-2008

Saidu Sharif, capitale administrative du district de Swat.

À la suite de l'assaut de la Mosquée rouge de , les combats et les attentats-suicides se multiplient dans tout le pays, et pour la première fois l'armée et les services secrets sont directement visés par ceux qu'ils ont financés, armés et formés dans le cadre de la guerre civile afghane, avant les attentats du 11 septembre 2001 aux États-Unis. Une partie de la mouvance talibane s’unit alors dans le but affiché de renverser le gouvernement pakistanais, désormais considéré comme hérétique et allié des États-Unis[2]. Ainsi, des attentats spectaculaires frappent, le , des usines de production militaire à Wah faisant 70 morts et, le , l’hôtel Marriott d'Islamabad est visé par une bombe qui tue 54 personnes[5].

En rĂ©action, l'armĂ©e pakistanaise lance le une première opĂ©ration militaire (baptisĂ©e Rah-e-Haq) dans le district de Swat pour le reprendre aux divers groupes qui l'occupent, dont le plus important est le Tehrik-e-Nifaz-e-Shariat-e-Mohammadi (TNSM) alliĂ© au TTP. Les 3 000 soldats mobilisĂ©s parviennent Ă  reprendre les principales villes et les routes stratĂ©giques en deux mois. Alors que l'armĂ©e peine Ă  stabiliser la rĂ©gion, un accord de cessez-le-feu est conclu avec le TNSM en par le nouveau gouvernement issu des Ă©lections lĂ©gislatives de fĂ©vrier 2008[6]. Toutefois, en et , l'armĂ©e est contrainte de renouveler deux opĂ©rations militaires d'envergure afin de maintenir ses acquis et de sĂ©curiser la rĂ©gion alors que les forces aĂ©riennes commencent Ă  intervenir de façon plus intensive. Dans le mĂŞme temps, l'armĂ©e lance l'opĂ©ration Sherdil dans l'agence de Bajaur le , une subdivision des rĂ©gions tribales frontalière avec l'Afghanistan[7], une rĂ©gion importante pour le mouvement TNSM[a 1].

Accords de paix contre-productifs

Slogan du TNSM en 2007 dans le district de Swat, près de Matta, fief du TNSM. Il est écrit « le Coran et la Sunna sont notre loi ».

Malgré les opérations militaires, le pouvoir politique semble hésiter sur la stratégie à adopter alors que les moyens militaires déployés sont incapables de rétablir la sécurité et de reprendre le contrôle total de la région (trois quarts de la zone seraient sous contrôle islamiste fin 2008). Les militants islamistes, selon leur interprétation de la charia, imposent la barbe pour les hommes, la prohibition de la musique et des films ainsi que l'interdiction pour les femmes et filles de sortir du domicile familial sans être accompagnées par un homme de leur famille. Des opposants à certaines règles sont notamment décapités, et à Mingora, les corps reposent sur la place principale afin d'être visibles de tous[8]. Les écoles pour filles sont interdites et les fonctionnaires du gouvernement pourchassés ou tués, principalement des policiers, des enseignants et des médecins, ainsi que des journalistes[a 2]. C'est dans ce contexte que Haji Adeel, vice-président du Parti national Awami au Sénat, élu de la région et partenaire de coalition du gouvernement, déclare que « Swat est une partie du Pakistan mais aucun gouverneur, ministre ou premier ministre ne peut s'y aventurer »[9].

À partir de 2008, des négociations débutent et le fondateur du TNSM, Soofi Mohammed, est libéré le 21 avril après environ six années passées en prison. Cependant, c'est Maulana Fazlullah, son beau-frère, qui contrôle alors le mouvement. Un premier cessez-le-feu est conclu en avec ce dernier, mais les combats reprennent dès le mois de juillet[10]. En février et , le gouvernement négocie puis conclut un accord appelé « Nizam-e-Adl » avec le TNSM qui échange d'un côté un cessez-le-feu et la réouverture des écoles pour filles contre l'établissement officiel de la charia dans la « division de Malakand » qui comprend le district de Swat ainsi que l'établissement de tribunaux pour son application[a 3].

Hôtel de la station de ski Malam Jabba (en) détruit par les insurgés.

Rapidement, les deux parties s'accusent de ne pas appliquer les dispositions de leur accord. Soofi Mohammed le dĂ©nonce le , critiquant une mauvaise application de la mise en place des juridictions islamiques. Le mouvement reprend la lutte et Ă©tend son influence dans la rĂ©gion. Il dĂ©clare aussi la Constitution et la dĂ©mocratie incompatibles avec l'islam[11]. Après avoir pris le contrĂ´le des grandes villes, dont Mingora, la plus peuplĂ©e de la rĂ©gion, il s'empare des districts Shangla et Bas-Dir[a 3]. Le , les combats atteignant le district de Buner, il se rapproche jusqu'Ă  moins de 100 kilomètres de la capitale fĂ©dĂ©rale Islamabad[12]. Cet Ă©vènement est perçu comme un choc au Pakistan ainsi qu'au niveau international. Les autoritĂ©s poursuivent pourtant leurs nĂ©gociations et un porte-parole du TNSM annonce peu après que les combattants se retirent de Buner[13]. Le , les autoritĂ©s annoncent que les insurgĂ©s se sont complètement retirĂ©s alors que seulement 300 soldats sont prĂ©sents dans le district de Buner[14]. Le 27 avril, les autoritĂ©s accusent les insurgĂ©s de poursuivre leur implantation dans la rĂ©gion et rĂ©agissent les jours suivants en annonçant une vaste contre-offensive inĂ©dite par son ampleur depuis le dĂ©but du conflit en 2004.

Déroulement des opérations

Opération Black Thunderstorm : reprise de la périphérie

Parachutistes militaires de l’Académie de Kakul en entrainement près d'Abbottabad.

L'armĂ©e engage quelque 30 000 soldats dans les opĂ©rations, dont la moitiĂ© pour le seul district de Swat. Ils combattent des insurgĂ©s islamistes estimĂ©s Ă  environ 5 000 hommes[15]. La stratĂ©gie consiste Ă  d'abord reprendre les rĂ©gions pĂ©riphĂ©riques Ă  la vallĂ©e de Swat avant d'encercler progressivement les insurgĂ©s dans leurs principaux fiefs, dans le but d'Ă©viter toute fuite en coupant les routes[16].

L'armĂ©e s'engage d'abord contre les insurgĂ©s islamistes dans les rĂ©gions qu'ils ont prises quelques jours auparavant et dans lesquelles ils ont coupĂ© l'accès des autoritĂ©s aux routes. Elle commence Ă  mener une offensive terrestre appuyĂ©e par des hĂ©licoptères d'attaque le 26 avril dans le district du Bas-Dir, faisant plus de 50 morts et 55 000 dĂ©placĂ©s en deux jours[17] - [18].

À partir du 29 avril, l'armée commence à frapper les positions des talibans dans le district de Buner, arrivés dans cette zone quelques jours auparavant. Leurs forces sont alors estimées à 500 hommes[19]. Le lendemain, les forces spéciales de l'armée (le Special Service Group), appuyées d'hélicoptères, reprennent la capitale du district, Daggar, après que des parachutistes de la 50e division aéroportée ont sauté sur la ville vers une heure du matin depuis les C-130 de la force aérienne pakistanaise[20]. Du au , l'armée revendique avoir tué près de 100 combattants et libéré 18 policiers captifs. Elle met plusieurs semaines à parfaire son contrôle dans ce district bien que les insurgés auraient fui la zone depuis le [21].

Le , l'armée s'engage contre les islamistes dans le district de Shangla, petit district à l'est du district de Swat. Le , elle annonce que le district du Bas-Dir est « nettoyé » des talibans, puis que le district de Buner l'est aussi le [22].

Début des opérations

Un soldat sur le point culminant de la vallée (Baine Baba Ziarat), repris le 12 mai 2009.

« Le gouvernement a décidé d'agir afin de restaurer l'honneur et la dignité de notre pays. Pour protéger notre peuple, nous avons demandé aux forces armées d'éliminer les militants terroristes. (...) Le gouvernement a décidé qu'il ne pliera pas devant les extrémistes et les terroristes mais qu'il les forcera à déposer les armes. »

— Le Premier ministre Youssouf Raza Gilani, dans un discours à la nation, le 6 mai 2009[23].

Ă€ partir du , l'armĂ©e Ă©tend ses opĂ©rations au district de Swat oĂą les insurgĂ©s sont bien implantĂ©s[a 4]. Cette vaste « sous-opĂ©ration » est appelĂ©e « opĂ©ration Rah-e-Rast ». Tandis que l'armĂ©e continue les combats dans le district de Buner, elle avance lentement vers Mingora, plus importante ville de la vallĂ©e de Swat, peuplĂ©e de 300 000 habitants[24]. Le 10 mai, des combats Ă©clairs sont menĂ©s avec des hĂ©licoptères de combat et des troupes au sol parachutĂ©es dans le district de Shangla contre des camps d’entrainement : 150 insurgĂ©s sont tuĂ©s contre seulement deux soldats, selon l'armĂ©e[25]. Le 12 mai, des hĂ©licoptères de l'armĂ©e commencent Ă  bombarder le nord du district de Swat. Dans le mĂŞme temps, les troupes de l'armĂ©e pakistanaise remontent le district de Swat du sud vers le nord, et de nombreux talibans se rĂ©fugient dans la ville de Mingora, situĂ©e dans le sud. L'armĂ©e commence alors Ă  encercler la ville pendant que les talibans se prĂ©parent Ă  de violents combats urbains : des tranchĂ©es et des mines auraient notamment Ă©tĂ© mises en place[15].

Le 17 mai, les troupes aĂ©roportĂ©es se dĂ©ploient autour de Peochar (Ă  65 kilomètres au nord-ouest de Mingora) et dĂ©couvrent de vastes caches d'armes et de munitions ainsi que des ateliers de production de bombes et des centres d'entrainement. L'armĂ©e encercle alors les insurgĂ©s de Swat grâce Ă  quatre fronts diffĂ©rents dans le but de prĂ©venir toute fuite, puis se rapproche de Matta et de Mingora dans le centre du district de Swat, l'un des principaux fiefs des islamistes[a 5]. Puis, elle engage les insurgĂ©s dans les villes de Kanju et Matta, Ă  quelques kilomètres de Mingora. Le 23 mai, elle annonce avoir sĂ©curisĂ© ces deux villes et repris le contrĂ´le d'un pont stratĂ©gique dans la rĂ©gion[26].

Bataille pour Mingora

Déplacés faisant la queue pour chercher des aides alimentaires à Swabi.

Le 23 mai, l'armĂ©e engage les militants islamistes Ă  Mingora, qui est aux mains des talibans depuis mars 2009. La bataille se transforme alors en violents combats de rue, les insurgĂ©s Ă©tant solidement retranchĂ©s dans la ville et surtout dans les bâtiments publics, au centre-ville. Les militaires avancent alors très lentement dans la ville, en grande partie dĂ©sertĂ©e de sa population civile (plus de 90 % de la population a fui). Dès le premier jour des combats, les islamistes se concentrent dans le centre de la ville, ce qui donne lieu Ă  des combats au corps Ă  corps. L'armĂ©e reprend le contrĂ´le des bâtiments et dĂ©cide d'agir avec prĂ©caution, craignant des victimes collatĂ©rales alors que 10 000 Ă  20 000 civils sont toujours prĂ©sents dans la ville[27]. Selon les militaires, ils auraient Ă©tĂ© forcĂ©s Ă  rester dans le but de servir de « boucliers humains »[28].

Le , après quatre jours de combats, l'armée déclare avoir repris 70 % de la ville, dont l'aéroport[29]. Le , elle renforce ses positions dans le nord du district, prenant le contrôle de deux villes stratégiques[a 5].

Le , l'armée pakistanaise affirme avoir repris le contrôle de Mingora après sept jours d'intenses combats[30]. La population civile a en grande partie quitté la ville, comme une majeure partie de la vallée. 286 insurgés sont tués dans la prise de la ville selon l'armée[31], cette dernière présente alors cette victoire comme « décisive dans l'offensive contre les talibans ». Toutefois, de nombreux militants ont fui ou se sont fondus dans la population civile[a 6]. Dès le 1er juin, la situation est calme dans la ville[32].

Poursuites des combats

Un Mil Mi-8 atterrit près de Baine Baba Ziaratle, le point culminant de la vallée.

Bien que l'armĂ©e ait repris une grande partie du district de Swat et du district de Shangla, les combats continuent durant le mois de juin. Soofi Mohammed, fondateur du TNSM, aurait Ă©tĂ© arrĂŞtĂ© le 4 juin, mais sa capture n'est officiellement annoncĂ©e que le . Le 5 juin, un attentat dans une mosquĂ©e tue 38 civils dans le district du Haut-Dir, et plusieurs tribus dĂ©cident la formation d'une milice anti-talibane. FormĂ©e d'environ 1 000 hommes, cette dernière lance une contre-offensive contre les talibans, en tuant plusieurs et dĂ©truisant les maisons suspectĂ©es leur appartenir[33].

En , le gouvernement annonce que le complexe du militant islamiste Maulana Fazlullah et quartier-général du TNSM a été bombardé et entièrement détruit. Construit en 2004, celui-ci a contenu des logements, une mosquée, un tribunal, une prison et a servi de centre de commandes aux insurgés[34]. Les derniers combats les plus importants ont lieu le : la capture de la ville de Chuprial fait 50 morts, 40 insurgés et 10 soldats. L'offensive prend officiellement fin le 14 juin, l'armée annonçant désormais contrôler les quatre districts de Swat, Buner, Shangla et Bas-Dir[35]. Des poches de résistance subsistent, surtout dans le district de Swat et les combats continuent durant environ un mois. Les 22 et , l'armée prend le contrôle de deux poches de résistance dans le nord du district[a 7].

Malgré la victoire de l'armée, les lourdes pertes infligées aux insurgés et la capture de nombreux commandants, Maulana Fazlullah reste introuvable, principal échec de l'offensive[36].

Soutiens et réticences

Cette opération militaire représente un tournant important de l'insurrection islamiste au Pakistan : depuis l'assaut de la Mosquée rouge de 2007, l'armée semble disposée à mener des opérations militaires d'envergure, mais celles-ci ont cependant engagé des moyens limités et échoué à reprendre durablement les régions occupées par les islamistes. De plus, le gouvernement civil tente à plusieurs reprises des négociations de paix et des concessions. Cette contre-offensive du printemps 2009 semble être issue d'une entente entre le pouvoir civil et le pouvoir militaire pour une solution militaire[2].

Les principaux partis politiques et les membres de la coalition gouvernementale soutiennent cette position, dont le Parti national Awami, qui est arrivé en tête dans les régions concernées par l'offensive lors des élections législatives de février 2008 et le principal parti d'opposition, la Ligue musulmane du Pakistan (N)[a 8]. En revanche, plusieurs partis politiques expriment leur réticence face à la solution armée : il s'agit des partis islamistes Jamaat-e-Islami et Jamiat Ulema-e-Islam et du parti nationaliste Mouvement du Pakistan pour la justice qui ne s'opposent pas directement à ces opérations[a 9]. Le gouvernement recherche un consensus parmi la classe politique, d'une part par la conférence des partis (All Partis Conference, représentant 43 partis politiques et religieux), puis par la commission de défense de l'Assemblée nationale, composée d'autant de membres de la majorité que de membres de l'opposition, qui approuvent unanimement l'offensive[a 10].

Bilan

Bilan humain et crise des réfugiés

Un camp de réfugiés dans le district de Swabi.

Ces opĂ©rations militaires auraient tuĂ© 1 635 insurgĂ©s contre 168 soldats de l'armĂ©e tuĂ©s et 454 blessĂ©s au [37]. On compte aussi 254 insurgĂ©s capturĂ©s, dont plusieurs commandants[a 11] - [a 12]. Près de 95 soldats ont aussi Ă©tĂ© capturĂ©s, dont 18 libĂ©rĂ©s plus tard. Ces chiffres sont ceux communiquĂ©s par l'armĂ©e pakistanaise, qui n'a par ailleurs pas dĂ©terminĂ© le nombre de civils morts. Aucune source indĂ©pendante n'a donc pu Ă©tablir d'autres bilans. De plus, le nombre de victimes civiles n'a pas Ă©tĂ© dĂ©terminĂ©, mais il est largement Ă©tabli que ceux-ci ont beaucoup souffert des combats. Beaucoup d'entre eux, gravement blessĂ©s ou mutilĂ©s, ont Ă©tĂ© traitĂ©s dans des hĂ´pitaux avoisinants, notamment Ă  Peshawar. Selon l'armĂ©e, les talibans se sont servis des civils comme « boucliers humains » ce qui expliquerait que certains ait Ă©tĂ© tuĂ©s dans les bombardements[38].

L'offensive a déplacé près de 3,4 millions de personnes, dont 2,8 dans la « division de Malakand »[39] et dont 2,2 dans le seul district de Swat. Les ONG internationales et les organisations caritatives islamiques ont mis en place des camps de réfugiés dans les régions alentour et ont pris en charge l'alimentation et des soins. Parmi les plus actifs, on trouve notamment le parti politique Jamaat-e-Islami. Toutefois, la grande majorité des déplacés ont trouvé refuge dans leur famille, chez des amis ou ont été accueillis par des inconnus grâce à l'hospitalité qui imprègne la culture pachtoune. Les réfugiés commencent à rentrer à partir de mi-juillet, et le , 1,6 des 2,2 millions auraient regagné leur domicile, selon les estimations de l'ONU[40]. Un an après le début des opérations, en , de 93 à 96 % des réfugiés sont retournés chez eux[41].

Bilan matériel

Une classe pour garçons dans une école primaire en ruine, à Mingora.

La rĂ©gion a subi de lourds dĂ©gâts dus Ă  l'occupation talibane et aux combats qui se sont ensuivis. Les insurgĂ©s ayant poursuivi un programme visant Ă  supprimer l'Ă©ducation, plus particulièrement pour les filles, il n'est pas Ă©tonnant que 400 Ă©coles aient Ă©tĂ© dĂ©truites ou endommagĂ©es. Environ un quart des Ă©coles de la rĂ©gion ont ainsi Ă©tĂ© dĂ©truites, 70 % Ă©tant rĂ©servĂ©es aux filles[42]. Les postes de police et bâtiments de l'administration ont aussi Ă©tĂ© pris pour cible[41]. Quelque 8 500 maisons, magasins ou hĂ´tels ont Ă©galement Ă©tĂ© dĂ©truits ou endommagĂ©s, notamment lors des bombardements de l'armĂ©e. Elle a pris part Ă  la reconstruction, mais celle-ci est très ralentie par manque de fonds. Les besoins de financement s'Ă©lèveraient Ă  près de 17,5 millions d'euros[41].

Le gouvernement a mis en place un programme d’indemnisation des habitants qui ont tout perdu dans les combats, dont notamment les paysans. Toutefois, un an plus tard, les sommes effectivement versées seraient très faibles[41].

Conséquences

RĂ©percussion sur le conflit

Cette opération est considérée comme un succès, contrairement à celles menées auparavant[a 13]. La forte présence militaire et le retour rapide des déplacés ont conduit à une meilleure confiance de la population envers les autorités, et surtout envers l'armée. L'opération a également marqué une radicalisation des autorités, qui ont officiellement procédé à l'expulsion de familles des talibans[41]. En , ces derniers continueraient de se cacher dans le district et beaucoup d'entre eux ont fui dans tout le pays, et notamment dans des grandes villes. Le , l'armée annonce avoir capturé cinq importants membres du TNSM[43]. Le , Hayatullah, un chef commandant taliban du Tehrik-e-Taliban Pakistan (TTP) anciennement basé dans le Swat, est arrêté à Karachi[44].

Cette opĂ©ration est aussi la première d'une sĂ©rie : en , l'armĂ©e lance une vaste offensive dans le Waziristan du Sud contre le TTP, le principal mouvement taliban opposĂ© aux autoritĂ©s. Ces deux opĂ©rations sont les plus importantes de l'insurrection islamiste au Pakistan, chacune ayant mobilisĂ© quelque 30 000 soldats[45].

Sécurité

Des soldats pakistanais déchargent de l'aide humanitaire d'un hélicoptère de l'armée américaine lors des inondations de 2010 dans la vallée.

Ă€ la fin de 2010, plus d'un an après le dĂ©but de l'offensive, quelque 50 000 soldats sont dĂ©ployĂ©s dans le district[46], soit les 19e et 37e divisions d'infanterie de l'armĂ©e. L'opĂ©ration est en partie un succès en ce qu'elle a mis fin au rĂ©gime imposĂ© par les militants islamistes[46]. Toutefois, l'insĂ©curitĂ© demeure dans certaines zones rurales, et il y a quelques combats sporadiques[41]. La population craint toujours le retour des talibans si l'armĂ©e quittait de nouveau la rĂ©gion, comme ce fut le cas en 2007-2008. En effet, les militaires ne pourront pas maintenir leur forte prĂ©sence indĂ©finiment. En 2010, près de 7 000 policiers sont employĂ©s dans le district, et les autoritĂ©s ont annoncĂ© dĂ©but 2010 l'embauche de mille policiers supplĂ©mentaires dans la division de Malakand, qui comprend le district de Swat[41]. En effet, le dĂ©veloppement des forces de sĂ©curitĂ© civiles est un enjeu majeur pour le retour Ă  la sĂ©curitĂ©, ces dernières ayant Ă©tĂ© incapables de protĂ©ger la population depuis 2007[a 14].

Fin , l'armée annonce le retrait progressif de la 37e division, ce qui impliquerait le départ de la moitié des soldats déployés dans le district[47]. Cependant, selon des rapports des services secrets, les insurgés du district de Swat se seraient regroupés dans l'agence de Mohmand dans le but de lancer une nouvelle offensive dans la vallée au printemps 2011[48]. L'armée procèderait alors au redéploiement d'unités de combat dans le nord du district[49]. Des incidents ont pourtant régulièrement lieu dans la vallée et les élèves sont particulièrement menacés : trois écoles ont notamment été détruites entre fin 2009 et fin 2010[50], et c'est aussi dans la vallée que la militante adolescente Malala Yousafzai a été gravement blessée le à la sortie de son école[51].

MalgrĂ© l'amĂ©lioration de la sĂ©curitĂ©, un attentat-suicide tue onze soldats Ă  Kabal en , alors que 6 000 militaires sont toujours dĂ©ployĂ©s dans le district, et un journaliste est assassinĂ© Ă  Matta en [52] - [53].

Reconstruction

École pour filles en construction, en 2014.

En revanche, le processus de reconstruction reste lent et a en plus Ă©tĂ© mis Ă  mal par les inondations de juillet et aoĂ»t 2010 qui ont très durement touchĂ© la vallĂ©e. En , la reconstruction d'au moins la moitiĂ© des 400 Ă©coles dĂ©truites pendant l'occupation talibane n'a pas encore commencĂ©, de mĂŞme qu'un certain nombre d'autres bâtiments publics, comme des postes de police[41]. Face Ă  la carence des autoritĂ©s et aux manques de fonds, des ONG ont pris en charge certaines rĂ©parations et ont mis en place des Ă©coles en prĂ©fabriquĂ©s[54]. En 2017, dix-huit Ă©coles n'ont toujours pas Ă©tĂ© reconstruites, dont quinze Ă©coles pour filles[55].

En , le premier ministre Youssouf Raza Gilani se rend dans la vallĂ©e et y annonce notamment la crĂ©ation de l'universitĂ© de Swat Ă  Saidu Sharif, qui commence Ă  fonctionner Ă  la rentrĂ©e suivante, et compte 4 000 Ă©tudiants en 2017[56] - [57].

En 2010, des touristes nationaux recommencent à fréquenter la vallée, montrant ainsi un certain retour à la sécurité alors que le tourisme a été autrefois une importante source de revenus pour les habitants. En , des compétitions de ski sont organisées pour la première fois depuis que les insurgés ont pris le contrôle des stations en 2006. Toutefois, les remontées mécaniques ne seront reconstruites qu'en 2016 et l'hôtel en 2020[58] - [59] - [60].

Références

  • (en) Dr Noor-Ul-Haq, Dr Ahmad Rashid Malik et Margis Zahra, The Operation Rah-e-Rast, Islamabad Policy Research Institute, , 165 p., Pdf (lire en ligne)
  1. p. 89
  2. p. 7
  3. p. 6
  4. p. 68
  5. p. 160
  6. p. 90
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  8. p. 37
  9. p. 38
  10. p. 99
  11. p. 163
  12. p. 165
  13. p. 87
  14. p. 128
Autres références
  1. Jean-Luc Racine, « Le paradigme pakistanais », Hérodote,‎ 4e trimestre 2010, p. 34
  2. Jean-Luc Racine, « Le paradigme pakistanais », Hérodote,‎ 4e trimestre 2010, p. 35
  3. « Le numéro 2 d'Al-Qaida appelle à venger l'assaut de la mosquée Rouge », Le Monde, (consulté le )
  4. (en)« A Who’s Who of the Insurgency in Pakistan’s North-West Frontier Province: Part One – North and South Waziristan » [archive du ], sur The Jamestown Foundation, (consulté le )
  5. (en) (en) Stephen Graham, « Suicide attacks kill 1,188 in Pakistan since '07 », The Washington Post,‎ (ISSN 0190-8286, lire en ligne)
  6. (en) Amir Mir, « Now Islamabad strikes back », Asia Times Online, (consulté le )
  7. (en) Bill Roggio, « Pakistani forces clash with Taliban in Bajaur », The Long War Journal, (consulté le )
  8. « Pakistan. Le gouvernement doit protéger les habitants du district de Swat contre les violences », Amnesty International, (consulté le )
  9. (en)Kamran Rehmat, « Swat: Pakistan's lost paradise », Al Jazeera, (consulté le )
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Voir aussi

Articles connexes

Liens externes

Biographie

  • « GĂ©opolitique du Pakistan », HĂ©rodote, no 139,‎ 4e trimestre 2010
  • (en) Dr Noor-Ul-Haq, Dr Ahmad Rashid Malik et Margis Zahra, The Operation Rah-e-Rast, Islamabad Policy Research Institute, , 165 p., Pdf (lire en ligne)
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