AccueilđŸ‡«đŸ‡·Chercher

Rouleaux enluminés du journal intime de Murasaki Shikibu

Les Rouleaux enluminĂ©s du journal intime de Murasaki Shikibu (çŽ«ćŒéƒšæ—„èš˜ç””ć·», Murasaki Shikibu nikki emaki) forment un emaki japonais datant du XIIIe siĂšcle. Il s’inspire du journal de Murasaki Shikibu (« journal »: nikki ; Murasaki Shikibu nikki, le Journal de Murasaki Shikibu), dame de cour de l'impĂ©ratrice, Ă  la cour de Heian aux Xe et XIe siĂšcle, auteur du fameux roman du Dit du Genji. Cet emaki s’inscrit dans le style de peinture japonais yamato-e et renoue avec l’iconographie typique du siĂšcle prĂ©cĂ©dent, sous l’époque de Heian.

Rouleaux enluminés du journal intime de Murasaki Shikibu
L'impĂ©ratrice Shƍshi tenant son jeune enfant. En bas, Fujiwara no Michinaga offre selon le rituel des mochi au nourrisson ; la courtisane en bas Ă  droite pourrait ĂȘtre Murasaki Shikibu, auteur du journal intime du XIe siĂšcle Ă  l’origine des peintures.
Artiste
Inconnu
Date
XIIIe
Type
Technique
Peinture et encre sur rouleau de papier
Localisation
Tƍkyƍ, Osaka (Japon)

Les rouleaux ou fragments subsistant de l’emaki sont individuellement classĂ©s au patrimoine culturel du Japon, en tant que trĂ©sor national ou bien culturel important.

Description

Apparue au Japon depuis environ le VIe siĂšcle grĂące aux Ă©changes avec l’Empire chinois, la pratique de l’emaki se diffuse largement auprĂšs de l’aristocratie Ă  l’époque de Heian : il s’agit de longs rouleaux de papier narrant au lecteur une histoire au moyen de textes et de peintures. Plus tard, l’avĂšnement de l’époque de Kamakura est marquĂ© par les luttes intestines et les guerres civiles qui se rĂ©pandent et favorisent l’ascension de la classe des guerriers (les samouraĂŻs) ; ces derniers mettent Ă  l’honneur une culture aristocratique rĂ©aliste moins maniĂ©rĂ©e et Ă©sotĂ©rique (le zen apparaĂźt aussi en ces temps). Vers la fin du XIIIe siĂšcle, un regain d’intĂ©rĂȘt pour la culture raffinĂ©e de l’époque de Heian conduit les artistes Ă  revenir aux styles de peinture de la cour de l’empereur ; le Journal intime de Murasaki Shikibu s’inscrit dans ce contexte-lĂ , pendant l’ñge d’or de l’emaki (XIIe et XIIIe siĂšcles)[1] - [2].

L’impĂ©ratrice Shƍshi et son enfant, entourĂ©s des dames de compagnie au palais.

À l’époque de Kamakura, si les guerriers du bakufu prĂ©fĂšrent les rĂ©cits dynamiques, la production d’emaki Ă  la cour de Heian subsiste toujours. Ainsi, on retrouve trace du Journal intime de Murasaki Shikibu dans le journal de Fujiwara no Teika, poĂšte et lettrĂ© ; d’aprĂšs ce document, plusieurs aristocrates proches de l’ancien empereur Go-Horikawa projettent en 1233 de rĂ©aliser un nouvel emaki du Dit du Genji (aprĂšs celui du XIIe, le Genji monogatari emaki, Ɠuvre des plus connues), accompagnĂ© d’un autre du Journal intime. Il n’existe toutefois pas de preuve que les rouleaux actuels correspondent bien Ă  ceux mentionnĂ©s par Fujiwara no Teika, mais les dates de confection estimĂ©es semblent concorder[3]. Des thĂ©ories ont attribuĂ© l’Ɠuvre au peintre Fujiwara no Nobuzane, sans rĂ©elle preuve toutefois[4]. De nos jours, il subsiste de l’emaki quatre rouleaux de papier entreposĂ©s dans diffĂ©rentes collections, respectivement : collection Hachisuka, musĂ©e Gotoh et collection Hinohara (Tokyo), ainsi qu’un au musĂ©e d'art Fujita (Osaka)[5].

Riche calligraphie du Murasaki Shikibu nikki emaki.

Le premier rouleau relate les cĂ©lĂ©brations de la naissance du prince Atsunari en 1008, et le dernier celle de la naissance du prince Atsunaga en 1010. Cet Ă©cart dans le temps indique trĂšs probablement que l’emaki original devait compter plus de rouleaux qu’actuellement[5]. L’Ɠuvre s’inspire directement du Journal intime de Murasaki Shikibu, courtisane et dame de compagnie de l’impĂ©ratrice Shƍshi, dans lequel elle dĂ©crit trĂšs prĂ©cisĂ©ment les cĂ©rĂ©monies officielles et la vie recluse des dames de compagnie. Elle livre Ă©galement ses rĂ©flexions sur les relations humaines et le temps qui passe, et juge sĂ©vĂšrement ses contemporains, les hommes pour leurs maniĂšres discourtoises (dont Fujiwara no Michinaga, homme le plus influent de la cour) et les femmes pour leur inexpĂ©rience et leur manque d’éducation et de volontĂ©. Pour D. Keene, le journal donne l’image d’une femme solitaire et mise Ă  l’écart, peut-ĂȘtre en raison de ses analyses perspicaces sur la personnalitĂ© profonde des gens, qui s’accommodent guĂšre avec la vie intimiste du palais de Heian[6]. L’emaki retranscrit ainsi cette solitude et ces observations sur la vie au palais. Toutefois, s’y ajoute par rapport au texte une certaine nostalgie patente au XIIIe siĂšcle (Ă©poque de confection des rouleaux) pour le glorieux passĂ© de la cour de Heian, confĂ©rant Ă  l’ensemble un sentiment d’« Ăąge d’or perdu » selon P. Mason, mĂȘme lors des Ă©vĂ©nements heureux comme les fĂȘtes[3].

Style et composition

DĂ©tail du Murasaki Shikibu nikki emaki oĂč des nobles ivres importunent les dames, attitude fortement condamnĂ©e par Murasaki dans son journal. Les longues diagonales guidant le mouvement de l’Ɠil sont Ă©videntes ici.

L’emaki suit les principes du genre onna-e du yamato-e, et apparaĂźt proche des Rouleaux illustrĂ©s du Dit du Genji (env. 1120-1140)[7] tout en dĂ©notant une profonde Ă©volution de style[1]. En effet, les peintures dĂ©crivent la vie au palais dans un sentiment nostalgique, intemporel et trĂšs retenu typique du onna-e, mais divers Ă©lĂ©ments purement dĂ©coratifs (comme le traitement des paysages et les scĂšnes contemplatives) s’y ajoutent[8]. La technique picturale du tsukuri-e (lit. « peinture construite »), employĂ©e principalement dans les emaki de la cour au XIIe siĂšcle, est Ă©galement utilisĂ©e ici[5]. Elle s’effectue en trois temps : une premiĂšre esquisse de la scĂšne est rĂ©alisĂ©e Ă  l’encre de Chine (probablement par un maĂźtre de l’atelier), puis la couleur est apposĂ©e sue toute la surface du papier dans un ordre prĂ©cis, des vastes zones en fond jusqu’aux dĂ©tails finaux. Enfin, les contours sont ravivĂ©s ou rehaussĂ©s Ă  l’encre afin d’accentuer la profondeur[9]. Toutefois, une Ă©volution de style tangible peut de nouveau ĂȘtre notĂ©e, car les pigments sont ici moins opaques que d’accoutumĂ©, et les tons plus discrets soulignĂ©s par de fins contours Ă  l’encre ; de plus, l’aspect dĂ©coratif ressort fortement via l’utilisation intensive de poudre d’or et, parfois, d’argent[5]. Pour P. Mason, la technique semble moins soignĂ©e que par le passĂ©, par exemple pour les Ă©lĂ©ments architecturaux d’intĂ©rieur (portes coulissantes, paravents...) ou la poudre d’argent bien plus rare que l’or[3].

Les personnages sont esquissĂ©s suivant les tendances du portrait rĂ©aliste de l’époque de Kamakura, abandonnant le hikime kagibana (technique de reprĂ©sentation des visages avec quatre traits sur fond blanc, similaire Ă  des masques nĂŽ pour marquer l’effacement extrĂȘme des aristocrates)[8]. Plus gĂ©nĂ©ralement, M. Murase note que l’expression des sentiments change subtilement par rapport aux rouleaux du XIIe ; ici, le cloisonnement des espaces a moins cours et les nobles vont et viennent de façon naturelle et dĂ©cidĂ©e[1]. Les sentiments sont ainsi peints directement plutĂŽt que suggĂ©rĂ©s par le dĂ©cor, les postures ou les couleurs, Ă  la maniĂšre des Rouleaux illustrĂ©s du Dit du Genji[3]. Tout comme la plupart des emaki, la composition repose sur l’usage des diagonales pour marquer la profondeur et de la technique du fukinuki yatai (littĂ©ralement « toit enlevĂ© »), qui consiste en ne pas peindre les toits du palais pour reprĂ©senter directement l’intĂ©rieur, avec un point de vue gĂ©nĂ©ralement plongeant. Le rythme volontairement lent du tsukuri-e semble ici lĂ©gĂšrement accĂ©lĂ©rĂ©, bien que les peintures soient toujours sĂ©parĂ©es par des sections calligraphiĂ©es inspirĂ©es des textes du journal[10].

Cette nouvelle approche dĂ©corative des peintures de la cour (onna-e) inspirĂ©e des thĂšmes de la littĂ©rature se remarque dans plusieurs autres Ɠuvres Ă  l’époque de Kamakura, comme l’emaki des Contes d’Ise ou le Rouleau illustrĂ© du roman de Sumiyoshi (Sumiyoshi monogatari emaki)[11] - [8].

Historiographie

VĂ©randa du palais au bord du lac central, dĂ©tail d’architecture shinden.

Les peintures fournissent un aperçu complĂ©mentaire au rouleau sur la vie et les festivitĂ©s au palais, parfois fort simple comme les jeux sur le lac, bien que la sensibilitĂ© soit diffĂ©rente Ă  l’époque de leur confection. On y trouve notamment un exemple du style architectural shinden, marquĂ© par un mĂ©lange d’influence de la Chine des Tang et du Japon traditionnel[12].

Annexes

Articles connexes

Rouleaux enluminés

Autres articles connexes

Liens externes

Bibliographie

  • Elise Grilli (trad. Marcel Requien), Rouleaux peints japonais, Arthaud, , 56 p.
  • (en) Hideo Okudaira (trad. Elizabeth Ten Grotenhuis), Narrative picture scrolls, vol. 5, Weatherhill, coll. « Arts of Japan », , 151 p. (ISBN 978-0-8348-2710-3)
  • (ja) Ichimatsu Tanaka, Murasaki Shikibu nikki emaki, Makura no sƍshi emaki, vol. 12, Kadokawa Shoten, coll. « Nihon emakimono zenshĆ« »,
  • (ja) S. Kuboki, « A Speculation on the Original Appearance of the Murasaki Shikibu Nikki Ekotoba », Kokka (ćœ‹èŻ), no 1050,‎
  • Murasaki Shikibu (trad. RenĂ© Sieffert), Journal de Murasaki-Shikibu, Publications Orientalistes de France, , 87 p. (ISBN 978-2-7169-0107-9) (rĂ©Ă©ditĂ© en 2000)

Notes et références

  1. Miyeko Murase (trad. de l'anglais), L’art du Japon, Paris, Éditions LGF - Livre de Poche, coll. « La PochothĂšque », , 414 p. (ISBN 2-253-13054-0), p. 163-164
  2. Christine Shimizu, L’art japonais, Flammarion, coll. « Tout l’art », , 448 p. (ISBN 978-2-08-013701-2), p. 193
  3. (en) Penelope E. Mason et Donald Dinwiddie, History of Japanese art, Pearson Prentice Hall, (ISBN 978-0-13-117601-0), p. 183
  4. (en) Louis Frédéric, Japan encyclopedia, Harvard University Press, (ISBN 0-674-01753-6, lire en ligne), p. 207
  5. Okudaira 1973, p. 131
  6. (en) Donald Keene, Travelers of a Hundred Ages : The Japanese as revealed through 1000 years of diaries, Columbia University Press, , 468 p. (ISBN 978-0-231-11437-0), p. 42-46
  7. Okudaira 1973, p. 53
  8. Christine Shimizu, L’art japonais, Flammarion, coll. « Tout l’art », , 448 p. (ISBN 978-2-08-013701-2), p. 194
  9. (en) « Tsukuri-e », JAANUS (Japanese Architecture and Art Net Users System) (consulté le )
  10. Okudaira 1973, p. 64
  11. Okudaira 1973, p. 33
  12. Penelope E. Mason et Donald Dinwiddie, op. cit., Pearson Prentice Hall, 2005, p. 107-108
Cet article est issu de wikipedia. Text licence: CC BY-SA 4.0, Des conditions supplĂ©mentaires peuvent s’appliquer aux fichiers multimĂ©dias.