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Rouleaux illustrés du Dit du Genji

Les Rouleaux illustrĂ©s du Dit du Genji (æșæ°ç‰©èȘžç””ć·», Genji monogatari emaki)[note 1] forment un emaki (ou emakimono) japonais datant approximativement de la fin de l’époque de Heian (XIIe siĂšcle). Ils illustrent le Dit du Genji, classique de la littĂ©rature japonaise Ă©crit par Murasaki Shikibu au dĂ©but du XIe siĂšcle. Cet emaki est aujourd’hui considĂ©rĂ© comme un exemple typique du style yamato-e Ă  la cour de Heian, et est d’ailleurs protĂ©gĂ© en tant que trĂ©sor national du Japon.

Rouleaux illustrés du Dit du Genji
ScĂšne du chapitre Yadorigi (« Sarments de vigne vierge ») oĂč le prince Genji joue de la musique pour une dame sous une vĂ©randa.
Artiste
anonyme
Date
XIIe siĂšcle
Type
Technique
Peinture et encre sur rouleau de papier
Hauteur
22 cm
Localisation
MusĂ©e d’arts Tokugawa / musĂ©e Gotƍ, Nagoya / Tƍkyƍ (Japon)
Protection

Contexte et présentation

ScĂšne du chapitre Kashiwagi (« Le chĂȘne »).

Apparue au Japon depuis environ le VIe siĂšcle grĂące aux Ă©changes avec l'empire chinois, la pratique de l’emaki se diffuse largement aux Ă©poques de Heian et de Kamakura. Les aristocrates les prisaient au dĂ©but pour l’illustration de romans et de la vie raffinĂ©e Ă  la cour de l’empereur, et pratiquaient cet art assidument, de mĂȘme que la calligraphie. Plus tard Ă  la fin de l’époque de Heian, les luttes intestines et les guerres se rĂ©pandent et favorisent l’ascension de la classe des guerriers (les samouraĂŻs) ; cette pĂ©riode (XII-XIIIe siĂšcle) marque Ă©galement le dĂ©but d’un vĂ©ritable « Ăąge d’or » pour l’emaki qui se tourne principalement vers les thĂšmes de l’homme et de la vie quotidienne du peuple. Toutefois, plusieurs rouleaux arborent toujours le style et l’atmosphĂšre particuliĂšre des Ɠuvres de la cour du Heian primitif, dont notamment les Rouleaux du Dit du Genji, conçus durant cette pĂ©riode[1]. L’histoire, tirĂ©e du roman du Dit du Genji, raconte la vie d’un prince Ă  la cour, ses amours, ses ambitions, ses Ă©tats d’ñme ; elle transcrit Ă©galement l’aspect raffinĂ©, intemporel et reclus de la vie des nobles.

ScĂšne aux tons dorĂ©s du chapitre Yomogiu (« L’impĂ©nĂ©trable armoise »).

Les Rouleaux illustrĂ©s du Dit du Genji sont le fruit de plusieurs artistes – maĂźtres et assistants – non identifiĂ©s[2] - [note 2]. Si les auteurs restent anonymes, il demeure tout aussi ardu de connaĂźtre la date ou le commanditaire de l’Ɠuvre. Les estimations les plus prĂ©cises, basĂ©es sur des Ă©tudes comparatives, suggĂšrent un intervalle allant des annĂ©es 1120 aux annĂ©es 1140[3].

Chacun des cinquante-quatre chapitres est compilĂ© et illustrĂ© dans plusieurs rouleaux, dont le nombre alterne selon les spĂ©cialistes entre une dizaine et une vingtaine[4] - [5] ; aujourd’hui toutefois, il ne reste que des fragments de quatre de ces rouleaux, exposĂ©s au musĂ©e d'art Tokugawa (Nagoya) et au musĂ©e Gotƍ (Tƍkyƍ)[5]. Leur hauteur est d’environ vingt-deux centimĂštres, et chaque peinture mesure de trente-six Ă  quarante-huit centimĂštres de long en gĂ©nĂ©ral[6].

Description

Style et composition

ScĂšne du chapitre Takekawa (« La riviĂšre aux bambous ») montrant la vie aristocratique ; Ă  gauche, deux sƓurs jouent une partie de go dont l’enjeu est le cerisier en fleur au centre de la composition.

Les rouleaux s’inscrivent comme la majoritĂ© des emaki d’alors dans le style yamato-e, mouvement artistique axĂ© sur les sentiments proprement humains et la vie quotidienne, en opposition aux styles chinois plus philosophiques (nommĂ©s au Japon kara-e). Plus prĂ©cisĂ©ment, les rouleaux suivent les conventions d’un genre particulier du yamato-e nommĂ© onna-e (onna signifiant « femme »), qui se caractĂ©rise par son point de vue interne Ă  la cour (en opposition Ă  l’extĂ©rieur, au peuple) et son atmosphĂšre intemporelle et nostalgique (mono no aware ou « nostalgie nĂ©e de l’impermanence des choses »)[7] - [8]. Ce style Ă©tait volontiers employĂ© pour illustrer romans (monogatari) et journaux intimes (nikki). La composition des Rouleaux du Dit du Genji en est Ă©galement typique, avec l’alternance entre texte et image : chaque peinture doit transcrire une idĂ©e ou un sentiment fort du texte qui prĂ©cĂšde.

L’emaki est construit selon la mĂ©thode de la peinture construite ou tsukuri-e. Une premiĂšre esquisse de la scĂšne est rĂ©alisĂ©e Ă  l’encre de Chine (probablement par un maĂźtre de l’atelier nommĂ© sumigaki[9]), puis la couleur est apposĂ©e dans un ordre prĂ©cis, des vastes zones en fond jusqu’aux dĂ©tails finaux, suivant les directives du maĂźtre parfois annotĂ©es directement sur le papier[2]. Le yamato-e se caractĂ©rise d’ailleurs souvent par ses couleurs vives et des pigments riches, comme ici. Une fine couche d’or ou d’argent a en sus Ă©tĂ© apposĂ©e pour renforcer certains dĂ©tails importants[10]. Finalement, les contours sont de nouveau dessinĂ©s ou rehaussĂ©s Ă  l’encre afin d’accentuer la profondeur[4]. Des Ă©tudes aux rayons X ont toutefois montrĂ© que la premiĂšre esquisse avait Ă©tĂ© modifiĂ©e par endroits lors des Ă©tapes ultĂ©rieures[9].

ScĂšne du chapitre Kagerou (« L’éphĂ©mĂšre ») racontant la mort de dame Murasaki, oĂč la composition repose principalement sur les diagonales.

Le format en longueur des rouleaux et le thĂšme (toutes les scĂšnes se passent en intĂ©rieur au palais) a obligĂ© les artistes Ă  employer diffĂ©rentes astuces dans la composition. Les principales consistent en ĂŽter les toits des bĂątiments afin de pouvoir en reprĂ©senter l’intĂ©rieur (technique dite du fukinuki yatai) avec un point de vue « en plongĂ©e », ou en accentuer la profondeur par l’usage de longues lignes diagonales dans le dĂ©cor, du haut Ă  droite vers le bas Ă  gauche (la perspective occidentale Ă©tait alors inconnue au Japon)[11]. P. E. Mason souligne l’utilisation des diagonales Ă  travers la scĂšne de la mort de l’amour du prince Genji : dame Murasaki. Lors du dĂ©roulement du rouleau, elle disparaĂźt en haut Ă  droite tandis que Genji est reprĂ©sentĂ© au bout de la diagonale, comme Ă©crasĂ© par son chagrin ; finalement, ce dernier disparaĂźt aussi et cĂšde la place au spectacle de leur jardin dĂ©vastĂ© par le temps[2].

Ce qui marque principalement les spĂ©cialistes reste l’expression indirecte et Ă©thĂ©rĂ©e des sentiments dans l’Ɠuvre. En effet, la composition respecte la notion du hikime kagibana, c’est-Ă -dire que les visages sont reprĂ©sentĂ©s de façons abstraites, avec trois traits (pour les yeux et le nez) sur fond blanc[12]. Ces « masques » renforcent un peu la retenue sous leur aspect simplifiĂ© selon E. Grilli[13], et prĂ©servent la part d’imagination du lecteur. T. LĂ©soualc’h note quant Ă  lui que c’est dans la reprĂ©sentation « trĂšs composĂ©e » des plis et replis des vĂȘtements que les passions des personnages se dĂ©voilent, en harmonie avec l’humeur du moment[8]. Selon la mĂȘme idĂ©e, d’autres cachent pudiquement une partie de leur visage. Enfin, l’occupation de l’espace autour des personnages, libre ou fermĂ©, renseigne aussi sur leur Ă©tat d’esprit, avec le concours de lignes verticales et horizontales (comme des piliers ou des poutres) en renfort des diagonales habituelles[14].

Textes et calligraphie

Extrait de calligraphie sur papier décoré.

La calligraphie demeure Ă  l’époque de la confection des rouleaux un art majeur au Japon ; toute personne cultivĂ©e est censĂ©e l’étudier dĂšs le plus jeune Ăąge[15]. Dans les Rouleaux du Genji, quatre ou cinq styles de calligraphie kana se cĂŽtoient, mais l’ensemble est malgrĂ© tout admirĂ© des critiques et des contemporains tant pour le trait que le papier dĂ©corĂ© de poudre d’or et d’argent[5] ; de plus, une mĂ©trique particuliĂšrement libre se retrouve dans le dĂ©coupage des mots et des colonnes[16]. Les textes sont composĂ©s de quelques extraits de chaque chapitre du roman, bien que leur choix par les artistes fasse l’objet d’hypothĂšses, principalement sur l’aspect descriptif et figuratif des passages[17] : les scĂšnes permettraient ainsi de reflĂ©ter les rĂ©actions et les sentiments du lecteur au fil du rĂ©cit[6].

Postérité

ScĂšne du chapitre Azumaya (« Le pavillon »), oĂč peuvent ĂȘtre notĂ©s l’architecture et les dĂ©cors sur les portes coulissantes.

Le roman du Dit du Genji a inspirĂ© nombre d’Ɠuvres artistiques, comme Tawaraya Sƍtatsu, Kanƍ Sanraku ou l’école Tosa, que l’on regroupe gĂ©nĂ©ralement sous le terme de Genji-e (« images du Genji »)[18] ; en particulier, un autre emaki de la pĂ©riode de Kamakura (environ 1230) sur le sujet est commandĂ© par l’empereur Go-Hirokawa[19].

La reprĂ©sentation minutieuse de la cour de Heian dans les Rouleaux du Genji possĂšde aussi une valeur historiographique. Ils offrent un aperçu sur la civilisation d’alors, notamment sur les dĂ©tails architecturaux (comme l’agencement des portes coulissantes, des vĂ©randas et des jardins)[9], le mobilier[20] ou des extraits de vie quotidienne[21].

Trésor national

Le , le parlement national japonais adopte la loi de Conservation des trĂ©sors nationaux[22]. Dans le cadre de cette loi, les Rouleaux illustrĂ©s du Dit du Genji, dĂ©tenues par le baron Masuda Takashi, un industriel japonais, sont classĂ©s « trĂ©sor national par le ministĂšre de l'Éducation[23].

Annexes

Notes

  1. Les traductions françaises peuvent alterner suivant les auteurs, comme Rouleaux enluminés du Dit du Genji, Rouleaux peints du Dit du Genji ou Rouleaux du Conte du Genji.
  2. Une ancienne thĂ©orie, aujourd’hui jugĂ©e improbable par les spĂ©cialistes comme H. Okudaira ou H. Shirane, aurait attribuĂ© les peintures Ă  l’artiste Fujiwara Takayoshi.

Bibliographie

  • Elise Grilli (trad. Marcel Requien), Rouleaux peints japonais, Arthaud, , 56 p..
  • (en) Hideo Okudaira (trad. Elizabeth Ten Grotenhuis), Narrative picture scrolls, vol. 5, Weatherhill, coll. « Arts of Japan », , 151 p. (ISBN 978-0-8348-2710-3).
  • (en) Geoffrey R. Scott, « The cultural property laws of Japan : social, political, and legal influences » [« Les lois du Japon sur la prĂ©servation des biens culturels : leurs influences sociales, politiques et juridiques »], Pacific Rim law & policy journal, Seattle, FacultĂ© de droit de l'universitĂ© de Washington, vol. 12, no 2,‎ , p. 88 (ISSN 1066-8632, OCLC 25734715, lire en ligne [PDF], consultĂ© le ).
  • (en) Murasaki Shikibu (trad. Ivan Morris), The Tale of Genji scroll, Kƍdansha International, , 154 p. (ISBN 978-0-87011-131-0).
  • (en) Haruo Shirane, Envisioning the Tale of Genji : media, gender, and cultural production, Columbia University Press, , 400 p. (ISBN 978-0-231-14237-3, lire en ligne).
  • (en) Alexander C. Soper, « The Illustrative Method of the Tokugawa "Genji" Pictures », The Art Bulletin, vol. 37, no 1,‎ , p. 1-16 (rĂ©sumĂ©).
  • Akiyama Terukazu, « Expression et technique dans le rouleau enluminĂ© de l’Histoire de Gengi », Comptes-rendus des sĂ©ances de l’AcadĂ©mie des Inscriptions et Belles-Lettres, no 4,‎ , p. 565-571 (lire en ligne).
  • (en) Masako Watanabe, « Narrative Framing in the "Tale of Genji Scroll": Interior Space in the Compartmentalized Emaki », Artibus Asiae, vol. 58, nos 1/2,‎ , p. 115-145 (rĂ©sumĂ©).

Sources et références

  1. Okudaira 1973, p. 28-29
  2. (en) Penelope E. Mason et Donald Dinwiddie, History of Japanese art, Pearson Prentice Hall, (ISBN 978-0-13-117601-0), p. 116-118
  3. Shirane 2008, p. 50
  4. Grilli 1962, p. 13
  5. Okudaira 1973, p. 109
  6. Akiyama Terukazu, « Expression et technique dans le rouleau enluminĂ© de l’Histoire de Gengi », Comptes-rendus des sĂ©ances de l’AcadĂ©mie des Inscriptions et Belles-Lettres, no 4,‎ , p. 565-571 (lire en ligne)
  7. Okudaira 1973, p. 49-53
  8. ThĂ©o LĂ©soualc’h, La Peinture japonaise, vol. 25, Lausanne, Éditions Rencontre, coll. « Histoire gĂ©nĂ©rale de la peinture », , p. 41-42
  9. Shirane 2008, p. 66-68
  10. Shirane 2008, p. 61
  11. Okudaira 1973, p. 60-61
  12. Okudaira 1973, p. 70-71
  13. Grilli 1962, p. 11
  14. (en) Masako Watanabe, « Narrative Framing in the "Tale of Genji Scroll": Interior Space in the Compartmentalized Emaki », Artibus Asiae, vol. 58, nos 1/2,‎ , p. 115-145 (rĂ©sumĂ©)
  15. Grilli 1962, p. 9
  16. Shirane 2008, p. 56-58
  17. Shirane 2008, p. 53-56
  18. (en) « Genji-e », JAANUS (consulté le )
  19. Mason 2005, p. 182-183
  20. Charlotte von Verschuer, « Histoire et philosophie du Japon ancien et mĂ©diĂ©val », Annuaire de l’École pratique des hautes Ă©tudes, EPHE, SHP,‎ , p. 346 (lire en ligne)
  21. Okudaira 1973, p. 81, 93-94
  22. Japan_Center_for_Asian_Historical_Records">(ja) Japan Center for Asian Historical Records, « National Treasure Preservation Law » [« Loi de Conservation des trésors nationaux »] [PDF] (consulté le ).
  23. Scott 2003, p. 348, note 148.

Articles connexes

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Liens externes

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