Roue pĂŽle-homme
La roue pÎle-homme est un instrument « marinisé » au XVe siÚcle par les Portugais (roda do homen do polo)[1], qui fournit au marin un cadran des heures, un cadran aux étoiles, un cadran compas, un cadran solaire, un cadran lunaire et un cadran des marées, avec les rÚglements pour chaque cadran. Il présente une double fonction, en 24 secteurs et 32 aires.
Le Grant Routtier, que Pierre Garcie dit Ferrande[2], termine en 1483, est publiĂ© en 1502 et 1520 jusquâen 1662. Il donne Ă la communautĂ© maritime française le moyen de naviguer au large. Pierre Garcie rappelle lâimportance de cette avancĂ©e scientifique maritime : comment naviguer sans voir la terre et sans instrument de marine autre que la roue pĂŽle-homme.
« [Jâai] composĂ© et [tâai] envoyĂ© le prĂ©sent livret, qui tâapprendra Ă reconnaĂźtre et connaĂźtre les noms des vents et leurs rhumbs, en prĂ©supposant toutefois que tu saches, toi ou un autre, distinguer [le cycle de] la Lune [de celui] du Soleil. Le Soleil et la Lune sont les guides et gardiens de tous les braves compagnons qui voguent et naviguent Ă travers les ondes innombrables de la mer, pour ce qui a trait tant au transport de marchandises quâĂ la pĂȘche. Toutefois, bien que le Soleil et la Lune te permettent de reconnaĂźtre et connaĂźtre les heures - le Soleil, de jour et la Lune, de nuit - jâai voulu te donner Ă savoir et reconnaĂźtre sans voir ni Soleil ni Lune lâheure de minuit et lâaube du jour. Et tu pourras tout savoir par la figure suivante, sans avoir dâhorloge mesurant les heures ou les demies, ni compas, par nuit claire. Sâensuit la figure qui apprend Ă reconnaĂźtre et savoir les heures de nuit, câest-Ă -dire minuit et lâaube du jour, sans Soleil ni Lune ni compas, et sans horloge mesurant les heures ou les demies, avec les noms et les rhumbs des vents, ce qui est une chose trĂšs dĂ©licate et nĂ©cessaire pour lâhabile et ingĂ©nieux mĂ©tier de la mer. »
â Pierre Garcie dit Ferrande, Le Grant Routtier, f° 2r (p. 3)[2]
Introduction
Le XVe siĂšcle est une pĂ©riode charniĂšre pour la navigation cĂŽtiĂšre[3]. Celle-ci prend son essor vers le large grĂące Ă lâavancĂ©e scientifique.
Elle va bĂ©nĂ©ficier de deux apports, celui du monde arabe et celui du Portugal (dont Christophe Colomb, 1451 - 1506 est lâĂ©clatant tĂ©moignage). Les mĂ©thodes des navigations arabes et occidentales ne sont pas des copies identiques. Elles ont, cependant, le point commun dâĂȘtre le rĂ©sultat dâune collaboration entre des scientifiques et des marins. La transmission des savoirs scientifiques est affaire de savants, alors que la transmission des techniques est affaire de professionnels. Pierre Garcie dit Ferrande (1441-1502) est un marin français et un savant qui expĂ©rimente cette science. Il en fera un trĂ©sor avec le premier routier europĂ©en, Le Grant Routtier - 1483, 1502 et 1520, viatique indispensable pour tous les marins europĂ©ens jusquâau milieu du XVIIe siĂšcle.
Des instruments de navigation marinisés
Avant le XIVe siĂšcle, les instruments dâastronomie sont Ă©tablis pour un usage Ă terre. Les arabes, puis les portugais, cherchent Ă les mariniser. La vraie nouveautĂ© des marins portugais rĂ©side dans les instruments utilisĂ©s : lâastrolabe nautique, le quadrant de navigation, l'arbalestrille, la roue pĂŽle-homme (ancĂȘtre du nocturlabe)[4].
L'astrolabe, qui mesure la hauteur du Soleil, sera adaptĂ© en mer sous une forme trĂšs simplifiĂ©e, lâastrolabe nautique (en bois au dĂ©but). En raison du roulis et de la difficultĂ© dâobserver le Soleil directement, il sera utilisĂ© Ă terre, Ă lâescale. Le marin utilise aussi lâarbalestrille ou bĂąton de Jacob, sur le bateau, lorsque la mer est calme. La hauteur du Soleil nâest pas fixe dans la durĂ©e en raison de la variation journaliĂšre de sa dĂ©clinaison. Il faut donc impĂ©rativement passer par le dĂ©tour du calcul de la latitude pour pouvoir comparer des valeurs comparables et non plus se contenter du chemin Nord-Sud parcouru. Le calcul est dans les deux sens : si on connaĂźt lâheure, la latitude et la hauteur du Soleil, on a la dĂ©clinaison du Soleil ; mais aussi si on connaĂźt lâheure, la dĂ©clinaison et la hauteur du Soleil, on a la latitude.
Pour effectuer des mesures astronomiques Ă bord, il va falloir inventer un nouvel instrument spĂ©cifique : le quadrant de navigation. Câest un instrument dĂ©rivĂ© du quadrant astronomique, simplifiĂ©, qui ne sert quâĂ prendre la hauteur de lâastre. On se sert dâun quart de cercle graduĂ©. On vise directement lâĂ©toile selon un des cĂŽtĂ©s droits du quadrant, un fil Ă plomb est fixĂ© au centre du cercle et marque la verticale. On lit la hauteur de lâastre visĂ© Ă lâintersection du fil Ă plomb et de la graduation sur le secteur circulaire. En fait, on prend, non pas la hauteur, mais la distance zĂ©nithale, qui est le complĂ©ment de cette hauteur. La prĂ©cision de lâinstrument est mĂ©diocre et surtout variable selon les mouvements du navire qui influent sur les mouvements du fil Ă plomb et donc sur la prĂ©cision de lecture : par expĂ©rience de 0,5 Ă 3 degrĂ©s, selon que le temps est calme ou la mer agitĂ©e.
Roue pĂŽle-homme
Le quadrant est dĂ©rivĂ© d'un instrument ancien, utilisĂ© dans le cadre religieux pour dĂ©finir la latitude des lieux Saints et lâheure nocturne en vue de l'appel Ă la priĂšre dans les monastĂšres : la « roue des heures ». Les astronomes vont offrir aux navigateurs un instrument marinisĂ©, la roue pĂŽle-homme, avec une mĂ©thode pratique et largement utilisĂ©e pour repĂ©rer le passage de lâĂ©toile polaire au mĂ©ridien infĂ©rieur ou au mĂ©ridien supĂ©rieur, qui se remarque par le minimum ou le maximum de hauteur de lâastre durant son circuit dans le ciel.
Cet instrument dessinĂ© est une double roue de 24 et 32 secteurs. Sur la 2e couronne (en jaune), que lâon peut appeler un cadran-horloge, le marin lit les 24 secteurs pour 24 heures ou 24 quinzaines. Sur la 1re couronne (en bleu), avec les Ă©toiles (en rouge), la roue dĂ©finit les 32 aires de vent. Deux Ă©toiles sont sĂ©parĂ©es par 4 quarts de Ÿ d'heure chacun, soit la valeur dâun rhumb. Ces 32 aires de vent dĂ©limitent 4 points cardinaux, 8 rhumbs ou points inter-cardinaux. Cette premiĂšre couronne de la Roue, on peut lâappeler un cadran-compas. Les deux couronnes dĂ©finissent ainsi une Ă©quivalence : chaque rhumb vaut 3 heures (2e couronne) et 4 quarts de Ÿ dâheure chacun (1re couronne). Pierre Garcie insiste sur le fait que la rose des vents, Ă 24 divisions et 32 aires, est Ă la fois une boussole et une horloge. Quand Pierre Garcie dit que le Soleil est au NE, il ne sâagit pas dâune visĂ©e, mais quâil est 3 heures.
Historique de son développement
VIIe siĂšcle
Lâexistence et lâutilisation de la roue pĂŽle-homme sont lâaboutissement dâune recherche scientifique trĂšs ancienne, dont la premiĂšre trace Ă©crite est du VIIe siĂšcle, celle de SĂ©vĂšre Sabok (⊠ca 659), Ă©vĂȘque syriaque : lâastrolabe plan servait surtout Ă la dĂ©termination de lâheure diurne ou nocturne.
Lâallusion[1] la plus ancienne que nous connaissions Ă un instrument du type de la roue pĂŽle-homme est celle de lâhorologium nocturnum de Pacificus de VĂ©rone[5] (⊠ca 844). Ce que lâon sait de cet instrument provient du poĂšme de Pacificus, Spera coeli quater, illustrĂ© dâune figure. La plus ancienne reprĂ©sentation date du Xe siĂšcle et se trouve dans un manuscrit de la BibliothĂšque du Vatican[6]. Une reprĂ©sentation analogue, datant du XIIe siĂšcle ou XIIIe siĂšcle, apparaĂźt dans un manuscrit conservĂ© Ă la bibliothĂšque Marciana de Venise[7]. Ces dessins montrent un observateur visant une Ă©toile ou Polaris Ă travers un tube optique montĂ© sur un pied. LâextrĂ©mitĂ© du tube, autour de lâĂ©toile, est entourĂ©e dâun disque comprenant trois cercles concentriques, le cercle extĂ©rieur Ă©tant graduĂ© en 24 heures.
Le manuscrit 235[8] de la BibliothĂšque dâAvranches, issu du scriptorium de lâabbaye du Mont-Saint-Michel au XIIe siĂšcle, contient la reprĂ©sentation et la description sommaire dâune roue pĂŽle-homme semblable Ă lâhorologium nocturnum de Pacificus. Lâhorlogium nocturnum sera diffusĂ© dans tous les lieux monastiques pour poser le dĂ©but des priĂšres de Laudes Ă 3 h du matin.
XIe siĂšcle, en Catalogne
Par la suite[1], cette diffusion se fera par les transfuges mozarabes (chrĂ©tiens espagnols vivant en Al-Andalus selon lâancienne foi chrĂ©tienne de rite wisigothique). Ils ont Ă©tĂ© arabisĂ©s, Ă lâapogĂ©e de la dynastie Omeyyade de Cordoue. Ces mozarabes, tentĂ©s par la vie monastique, ne peuvent la rĂ©aliser en terre arabe et gagnent les monastĂšres dâOccident. Câest avec eux quâest transmise lâĂ©tude de la culture arabe par une coopĂ©ration intellectuelle entre moines occidentaux et moines mozarabes[9]. Câest dans ces monastĂšres catalans que Gerbert dâAurillac (945âŠ) entre en contact avec les mathĂ©matiques arabes. Cet intellectuel deviendra le pape Sylvestre II, mais auparavant, il est le grand responsable du renouveau du quadrivium, câest-Ă -dire de lâĂ©tude des sciences dans lâenseignement occidental. Il est Ă lâorigine de lâAbaque, la premiĂšre forme du calcul numĂ©rique en Occident et il y introduit les chiffres arabes, sauf le zĂ©ro. Ă la fin dâun manuscrit des Sententiae astrolabii, conservĂ© Ă Chartres, on trouve une image illustrant lâutilisation dâun instrument de calcul de hauteur de la Polaire. Les savants se succĂ©deront pour amĂ©liorer cet instrument :
- 1130-1141, Raymond de Marseille avec un TraitĂ© sur lâââastrolabe, un Liber cursuum planetarum, Ă partir des acquis de lâastronomie dâAl-ZarqĂąlluh ;
- 1142, AdĂ©lard de Bath traduit les Tables astronomiques (820) dâAl-Khawarizmi,âĂ©cole de Bagdad ;
- 1147, Robert de Chester traduit les Tables astronomiques (929) dâAl-Battani,âĂ©cole de Bagdad ;
- 1150, Moshe et Jacob Ibn Tibbon' Ă Marseille et Montpellier traduisent des TraitĂ©s sur lâarithmĂ©tique et lâastronomie arabes ;
- 1158-1161, Abraham ibn Ezra, écrit sur les usages des Tables astronomiques et sur un autre traité en hébreu.
- v. 1280, la Carte pisane, de GĂȘnes, est le plus ancien portulan dâorigine occidentale connu.
- 1276-1292, Robert AnglÚs compose le Traité du quadrant.
- 1299, le majorquin Raymond Lulle[10] dĂ©crit lâopĂ©ration dâune horloge nocturne ou Roue des heures par la Polaire, appelĂ© astrolabii nocturni (connu comme NoturlĂĄbio). Il Ă©crit dans son Arbor scientiae en 1295 Ă propos des marins « habent chartam, compassum, acum et stella maris. » Acus câest lâaiguille, (autrement dit la boussole) ; stella maris, l'Ătoile Polaire et son mouvement la Roue polaire.
- 1375, Jehuda Cresques (vers 1350-1427) rĂ©alise, avec son pĂšre, Abraham Cresques lâAtlas catalan, sur la commande du roi dâAragon. Vers 1420, Henri le navigateur accueille ce cartographe majorquin, qui devient maĂźtre Jaime Ribes « homme trĂšs versĂ© dans lâart de naviguer ».
XIIIe siĂšcle, en Occident
La diffusion arabe, espagnole et portugaise gagne les pays qui vont se lancer dans la course aux Grandes Découvertes océaniques[1].
- 1438, le portugais D. Duarte dĂ©crit une Roue polaire ou horloge nocturne dans Leal Conselheiro (pt) (1428-1438). Aucune copie de cet instrument nâest connue.
- 1457, l'espagnol Jehuda ibn Verga (en) Ă©crit Ă Lisbonne un TraitĂ© dâastronomie.
- 1472, Joannes de Sacrobosco Ă©crit un Tractatus de Sphaera.
- 1473, Abraham Zacuto, professeur dâastronomie Ă Salamanque (1474-1492, puis au Portugal dĂšs 1492) commence lâAlmanach perpetuum. Il est terminĂ© en 1478, imprimĂ© en 1496 Ă Leiria, Portugal. Il donne les Tables de dĂ©clinaison : la distance du Soleil Ă lâĂ©quateur, câest-Ă -dire sa dĂ©clinaison.
- 1473-1484, présence de Christophe Colomb au Portugal.
- 1475, Regiomontanus publie les ĂphĂ©mĂ©rides et les Tabula directionum.
Pierre Garcie dit Ferrande (1441-1502)
En France, Pierre Garcie dit Ferrande[2] est le premier français à diffuser son art de la navigation par l'astronomie. Sa publication sera diffusée jusqu'en 1662, tant elle devint indispensable aux marins qui partent en haute mer.
- 1483, Pierre Garcie dit Ferrande signe son manuscrit, Le Routier de la Mer. Il est imprimĂ© en 1502 et prendra pour nom Le Grant Routtier, en 1520. Il sera publiĂ© jusquâen 1662.
- 1484, Martin Behaim arrive à Lisbonne. Il prépare son Erdapfel, le plus vieux globe du monde encore existant, qu'il a conçu pour Nuremberg.
- Câest pour rĂ©soudre le problĂšme des Tables de dĂ©clinaison Ă lâusage des marins, que le roi Jean II rĂ©unit une commission, Junta dos matematicos do Rei. 1484 ?-1490 ? Elle aura pour mission dâextraire des traitĂ©s dâastronomie et dâastrologie des tables permettant de prĂ©voir les Ă©carts du Soleil par rapport Ă lâĂ©quateur.
XVe siÚcle, les voyages océaniques
La recherche scientifique fondamentale et pratique connaßtra un formidable bond avec les voyages océaniques. Peu à peu les instruments de marine, confrontés à leur utilisation sur un bateau vont se perfectionner.
- 1487-1488, Bartolomeu Dias part pour la découverte du cap de Bonne Espérance.
- 1492-1493, Christophe Colomb part pour son premier voyage vers le Nouveau Monde. « FormĂ© Ă la navigation au milieu du XVe siĂšcle, il a dĂ©jĂ abordĂ© la navigation astronomique. Il connaĂźt et pratique les hauteurs mĂ©ridiennes de la Polaire, mais sans trop semble-t-il maĂźtriser le calcul de la latitude. En revanche, il ignore tout des mĂ©ridiennes de Soleil. Elles ne seront mises au point quâun peu avant son premier voyage. Ă cette Ă©poque, Christophe Colomb ne rĂ©side plus au Portugal et nâa donc pas accĂšs Ă ces recherches. Il nâen reste pas moins que son journal est lâĆuvre dâun professionnel de la mer, un maĂźtre de lâestime. Câest la premiĂšre Ćuvre centrĂ©e sur la technique pratique de la navigation dont nous disposons en Occident. Cââest une source aussi essentielle que celle de son contemporain oriental, Ibn Majid (1430-1500)[3] ».
- 1496, Abraham Zacuto fait imprimer lâââAlmanach Perpetuum. Câest un ensemble de tables de dĂ©clinaison[11], reprises des ouvrages de cet âastrologue juif. RĂ©digĂ© dâabord en hĂ©breu, lâAlmanach Perpetuum fut traduit en latin par Joseph Vizinho, trĂšs probablement MaĂźtre Joseph, mĂ©decin royal, membre de la Commission installĂ©e par le roi, D. JoĂŁo II. Ces tables furent introduites sous les titres de Regimento del sol e del norte et Regimento do Astrolabio e do Quadrante[1]. (Regimento au sens de RĂšgle : RĂ©glement de la Polaire).
- 1503, la traduction du TraitĂ© de lâastrolabe de Masha'allah ibn AtharĂź (astronome musulman, 740-815) par Jean de SĂ©ville est imprimĂ©e.
- 1509, RĂšglement de lâastrolabe et TraitĂ© de la sphĂšre[12] (Munich)[13]. Câest le premier document connu qui traite de la mĂ©thode du calcul des latitudes, dâaprĂšs la hauteur du Soleil et de la Polaire. Ce RĂšglement dĂ©termine chaque jour la dĂ©clinaison, lâemplacement du Soleil et la position de lâĂ©toile polaire ; 1. calcul des latitudes dâaprĂšs la hauteur du Soleil ; 2. rĂšglement de lâĂ©toile polaire ; 3. liste des latitudes pour les cĂŽtes occidentales dâAfrique jusquâĂ lâĂquateur ; 4. rĂšglement pour Ă©valuer le chemin parcouru par le navire ; 5. calendrier sans indication dâannĂ©e donnant la position du Soleil dans les signes du zodiaque, sa dĂ©clinaison et tables nautiques pour une annĂ©e bissextile.
- 1514, le TraitĂ© de la boussole, par JoĂŁo de Lisboa Ă©tudie la dĂ©viation de lâaiguille et lâobserve Ă lâaide de lâastrolabe.
- 1516-1518, le RĂšglement dâĂvora[12] traite les mĂȘmes sujets que le RĂšglement de Munich, ajoutant : 6. le rĂšglement pour dĂ©terminer lâheure, la nuit, Ă lâaide de lâĂ©toile polaire ; 7. le rĂšglement pour dĂ©terminer lâheure de la marĂ©e haute. Le âinstruments utilisĂ©s sont lâastrolabe, le quadrant et la Roda do Homen do Polo ou roue pĂŽle-homme.
- 1518, Valentim Fernandes publie le RepertĂłrio dos Tempos. Il prĂ©sente la Roue polaire comme horloge nocturne et comme quadrant pour le calcul de la mĂ©ridienne Nord-Sud. Ă cette utilisation, Valentim Fernandes va apporter la correction de la dĂ©clinaison de la Polaire. Ă cette Ă©poque, lâĂ©toile polaire Ă©tait Ă©loignĂ©e de 3,5° du PĂŽle, suivant sa place dans le ciel.
- 1520, Fernand de Magellan dĂ©couvre le dĂ©troit de MagalhĂ nes. LâexpĂ©dition revient en Espagne avec la Victoria en 1522.
- 1520, le manuscrit de Pierre Garcie dit Ferrande (1441-1502) est imprimĂ© en 1520 sous le titre Le Grant Routtier : impression avec 200 pages imprimĂ©es, 59 dessins dâamer, la figure de la roue pĂŽle-homme et son utilisation. Ce marin français a reçu de son pĂšre espagnol, Jean Ferrande, la science de la navigation hauturiĂšre naissante que le RĂšglement dâĂvora a mis en forme pratique. Il est le premier en France Ă avoir rendu publique la mĂ©thode du calcul de lâheure nocturne et celle de la latitude dâun lieu. Dans son ouvrage de 1502, puis surtout de 1520, il propose : le rĂšglement de lâĂ©toile polaire ; la liste des latitudes (distances) des ports et havres ; le rĂšglement pour Ă©valuer le chemin parcouru par le navire ; le rĂšglement pour dĂ©terminer lâheure, la nuit, Ă lâaide de lâĂ©toile polaire ; le calendrier julien et calcul pour le Nombre dâor dâune annĂ©e et dâune annĂ©e bissextile ; le calcul de la Nouvelle Lune en dĂ©but dâannĂ©e () ; le calcul de lâĂąge de la Lune et des marĂ©es suivant lâĂ©tablissement du port.
- La recherche scientifique pratique se poursuivra avec Duarte Pacheco Pereira qui fait imprimer Esmeralda de situ Orbis, Ă©crit entre 1505/1508.
- 1523-1524, la premiĂšre expĂ©dition du florentin Giovanni da Verrazzano et du français Antoine de Conflans, en AmĂ©rique du Nord, commanditĂ©e par le roi de France, François Ier, est Ă lâorigine de la fondation de New York. Dans la liste des ouvrages nautiques dâAntoine de Conflans, il y a Le Grant Routtier de Pierre Garcie.
Les volvelles
La roue pÎle-homme devient un instrument de marine pratique à partir du milieu du XVIe siÚcle, par la création de plusieurs volvelles articulées (roues pivotantes les unes sur les autres).
- 1524, Petrus Apianus publie Cosmographicus Liber. Dans la seconde Ă©dition (1530) du De Principiis Astronomiae & Cosmographiae de Gemma Frisius est apparue une figure de Pierre Apian : la volvelle. Cette derniĂšre, associĂ©e Ă un cadran solaire, peut ĂȘtre utilisĂ©e comme horloge pour dĂ©terminer lâheure de la nuit. Le disque interne est configurĂ© pour afficher la phase actuelle de la Lune Ă travers la fenĂȘtre. AprĂšs avoir dĂ©terminĂ© lâangle horaire de la Lune (avec un cadran solaire utilisĂ© comme cadran lunaire et solaire) et ayant rĂ©glĂ© le cadran lunaire de la volvelle sur cet angle horaire, on peut trouver lâemplacement du Soleil et dĂ©terminer lâheure de la nuit.
- 1526, Pedro Nunes publie lâAstronomici epitome sphĆra, puis en 1527 le TraitĂ© de la sphĂšre et Ă©tudes nautiques. Il prĂ©sente la Roue polaire, quâil appelle « astrolabii Nocturni ». Cet instrument permet de calculer lâheure durant la nuit avec la Polaris, sa position, les marĂ©es et lâĂąge de la Lune.
- 1538 - 1541, les trois Roteiros de JoĂŁo de Castro, Roteiro de Lisboa a Goa - Roteiro de Goa a Dio - Roteiro de Goa a Soez, terminent les travaux portugais dans la premiĂšre moitiĂ© du XVIe siĂšcle. Ses trois Roteiros traitent toutes les questions nautiques dâimportance : les courants maritimes, la rĂ©gularitĂ© des vents, la cĂŽte, les ports, les marĂ©es, instruments nautiques, les horloges, les Ă©clipses et enfin la dĂ©viation de lâaiguille et le calcul des longitudes. Ils reprennent la logique Ă©ditoriale du Grant Routtier (1520) de Pierre Garcie dit Ferrande.
- 1545, Alphonse de Saintonge adapte lâĆuvre de MartĂn FernĂĄndez de Enciso (1519) : La Cosmographie avec lâespĂšre et rĂ©gime du Soleil du nord par Jean Fonteneau dit Alfonse de Saintonge, capitaine-pilote de François Ier. Il reproduit les tables du RĂšglement dâĂvora, calculĂ©es pour un cycle de 4 ans, et la dĂ©clinaison du PĂŽle.
- 1545, Pedro de Medina édite Arte de navegar en espagnol en 1545 puis en français en 1554.
- 1551, MartĂn CortĂ©s de Albacar, cosmographe du roi dâEspagne, publie des tables plus simples de la dĂ©clinaison du Soleil dans son manuel pour marins : Breve Compendio de la sphera y de la Arte de navegar con nuevos instrumentos y reglas, exempliïŹcado comn muy subtiles demonstraciones. Sevilha : casa de Anton Alvarez, 1551. Il est traduit en anglais en 1561 sous le titre de The arte of navigation.
- 1573, A Regiment of the Sea de William Bourne reprend les tables de Martin CortĂ©s (1551) quâil simplifie pour les mettre Ă la portĂ©e des navigateurs.
- 1670, Oronce Fine est un astronome français (1494-1555), ses travaux sont imprimĂ©s : Cosmographie avec la figure dâune roue pĂŽle-homme.
XVIIIe siĂšcle, le nocturlabe
Le nocturlabe sera la derniĂšre Ă©tape de cette science pratique de la roue pĂŽle-homme. Il sera remplacĂ© par le sextant, lorsque l'appareil pourra ĂȘtre utilisĂ© en regardant le soleil sans abĂźmer les yeux.
- 1745, la roue pĂŽle-homme devient un instrument de construction plus complexe, avec deux volvelles pivotantes et une alidade. Elle sera connue comme nocturlĂĄbio de ponteiro ou nocturlabe[14]. Celui-ci se compose de deux volvelles concentriques. La premiĂšre est un cadran des mois. La deuxiĂšme, mobile et munie dâun index, est un cadran des heures. La troisiĂšme partie est une alidade mobile. Cette alidade est dirigĂ©e sur lâĂ©toile Kochab. Sa position permet de lire lâheure sur la deuxiĂšme volvelle, Ă nâimporte quel moment de lâannĂ©e. Au dos de lâinstrument, on peut calculer lâĂ©tablissement du port, Ă partir dâun cadran des Ăąges de la Lune[15].
Utilisation
cadran des heures
La roue pĂŽle-homme est un cadran des heures qui est Ă©talonnĂ© en 24 heures par lâaiguille cĂ©leste : Ă©toile polaire > Gardes (Kochab et Perkhab).
Pierre Garcie annonce un instrument nautique, en lâabsence de sablier (horloge), quadrant et boussole (compas). Cette roue pĂŽle-homme prĂ©sente une roue de 24 secteurs, utilisĂ©e comme 24 quinzaines de jours pour la 1re couronne et 24 heures (2 fois 12 heures) pour la 2e couronne avec un corps humain au centre. Le sens est direct dâest en ouest (sens inverse des aiguilles dâune montre). En cas de destruction de cet appareil, le corps dââun marin peut servir de repĂšre mnĂ©motechnique.
En Atlantique, un marin qui veut calculer lâheure la nuit du met la Roue PĂŽle-Homme face Ă soi, contrairement Ă une utilisation normale dâune rose des vents qui est placĂ©e horizontalement pour les mesures dââangle. Du point de vue astronomique, et contrairement Ă une carte terrestre, on observe des objets situĂ©s au-dessus de vous et non en dessous : dâoĂč le fait que lâest et lâouest sont respectivement Ă gauche et Ă droite ; le haut est le sud et le bas est le nord.
Si on observe le ciel on constate que les Ă©toiles tournent autour du PĂŽle, de la droite vers la gauche, quand on les observe, face au nord sous nos latitudes. Le Soleil et la Lune tournent, quant Ă eux, de la gauche vers la droite toujours dans lâhĂ©misphĂšre nord mais on les observe face au sud. Pourtant le mouvement apparent des astres Ă©tant dĂ» Ă la rotation terrestre, les astres tournent dââun mĂȘme mouvement dans lâespace, câest la position de lâobservateur qui les fait paraĂźtre changer de sens. Il faudrait spĂ©cifier chaque fois la position de lâobservateur : face au sud ou face au nord ; les explications deviennent alors pĂ©nibles. Pour y remĂ©dier, on prend pour repĂšre cet homme de la roue pĂŽle-homme, Ă©pinglĂ© sur le PĂŽle Nord cĂ©leste et qui regarde donc toujours vers le sud et on parlera de la position dââun astre en disant quââil est dans le bras droit ou bien dans le bras gauche.
La Polaire Ă©tant au nombril du bonhomme, le mĂ©ridien coupe lâhorizon par les pieds au nord et dans le prolongement de la tĂȘte au sud. On sait dĂ©sormais de quoi on parle dâune façon simple. sâagit donc dââune simple convention de signe exactement comme on a inventĂ© tribord et bĂąbord qui sont des directions repĂ©rĂ©es par rapport Ă lâavant du navire, alors que les mots de droite et gauche sont un repĂ©rage par rapport Ă lâobservateur.
§ Exemple d'utilisation pour calculer lâheure nocturne du 15 fĂ©vrier 1520
- 1re couronne, [mi-janvier] orientée vers EST ;
- Ă©toile polaire au centre de la roue ;
- pointer Kochab sur le bord extérieur ;
- sur la 2e couronne, compter les heures entre la position/Kochab et la position/mi-janvier soit 4 heures ;
- sur la 1re couronne, positionner la date du et lire lâĂ©cart avec la position/mi-janvier, soit 2 heures ;
- faire la diffĂ©rence entre lââheure relevĂ©e de Kochab et lââheure de la date dââobservation, soit 4 - 2 = 2 heures ;
- Kochab est aprĂšs la date de lecture du -minuit, dâoĂč rajout Ă minuit ; il est 2 heures aprĂšs minuit, au moment de lââobservation.
cadran aux Ă©toiles
Pierre Garcie propose le calcul de la hauteur de lâĂ©toile polaire, Polaris, et de sa dĂ©clinaison au pĂŽle nord, avec la roue pĂŽle-homme utilisĂ©e comme quadrant. De lĂ , le marin peut dĂ©finir la latitude du lieu d'observation. La 3e couronne au centre de 360° reprĂ©sente 8 vents, Ă©talonnĂ©e par quart de 1 vent = 45° ; la 2e couronne de 24 quarts reprĂ©sente 360°, Ă©talonnĂ©e par quart de 15° ; la 1re couronne de 32 quarts (dessin Ă©toilĂ©), reprĂ©sente 360°, Ă©talonnĂ©e en quart de 11,25° (ou 11°15â).
§ Exemple pratique pour calculer la hauteur de la Polaire d'un lieu déterminé
- tenir la roue devant soi, lâaxe nord-sud dans lâaxe du corps TĂȘte/Pied ;
- orienter la roue de maniĂšre que la cardinale EST soit sur lââhorizontale ou ligne dââeau ;
- trouver lâazimut de Polaris (rĂ©fĂ©rence A) sur le bord extĂ©rieur de la 1re couronne, en tendant + ou - le bras qui tient la roue ;
- compter le nombre de quarts de lâest Ă Polaris, soit ici : 4 quarts (pour un cadran de 32 aires) ou 3 quarts (pour un cadran de 24 heures) ;
- chaque quart valant 11,25° (360°, par 32 quarts, 1re couronne) ; ou 15° (360°, par 24 heures, 2e couronne), lââexemple donne : 45° ;
- la mesure se fait Ă minuit et au moment du calcul de lââheure, il est possible de relever la dĂ©clinaison de Polaris par rapport au pĂŽle nord (+ ou - 3°), en positionnant cette Ă©toile sur le bord du nombril. Cette valeur sera utilisĂ©e pour corriger la hauteur de la Polaire. Cette forme de nombril se rapproche de la forme que propose Ibn Majid : la lettre (arabe) lam : Ù. Le marin applique la rectification en plaçant la Polaris sur le bord du nombril dĂ©formĂ© et mesurer l'Ă©cart avec le bord de la Polaris en rĂ©fĂ©rence A ;
- la déclinaison donne +1°30', la latitude serait ainsi : 45°+1°30' = 46°30', soit la latitude au niveau du port des Sables-d'Olonne.
cadran compas
Un marin considĂšre que le navire ne suit jamais la route quâil est supposĂ© suivre[3]. Les problĂšmes Ă rĂ©soudre au quotidien sont donc des problĂšmes de dĂ©rive. Pierre Garcie propose un RĂšglement des lieues et de la dĂ©rive Ă estimer. Lâestime est une mĂ©thode de navigation oĂč la position actuelle du navire est dĂ©duite en reportant la direction suivie et la distance parcourue Ă partir dâun point de dĂ©part parfaitement connu. Câest, Ă ce moment, une mĂ©thode graphique qui doit ĂȘtre reportĂ©e sur une carte marine ou portulan. La transcription graphique de la route est le cadre dans lequel sâinscrit le graphique de lâestime. Cela semble sĂ»r, on part sur une route oblique Nord-Sud jusquâĂ couper la parallĂšle du port dâarrivĂ©e et, de ce point, on continue sur une route Est-Ouest jusquâau port dââarrivĂ©e. Mais lâexpĂ©rience montre que le navire pourra rarement suivre cette route tout du long ; des sautes de vent vont engendrer des parcours parasites quâil faudra prendre en compte.
Il faut donc Ă la moindre altĂ©ration forcĂ©e de la route ĂȘtre capable de tracer sur la route initiale le point oĂč cet incident a lieu. Pour cela il suffit de connaĂźtre le nombre de milles parcourus depuis le dĂ©part et de les reporter sur la carte aprĂšs les avoir transformĂ©s en distance sur la carte par le truchement de lâĂ©chelle portĂ©e en marge.
Le pilote trace sa route en utilisant les lignes entrecroisĂ©es (marteloire) du portulan inscrites Ă partir de rose des vents sur une carte portulan. Il trace ainsi une route surface Ă partir de la vitesse estimĂ©e et du temps passĂ©, et en consĂ©quence, indique la distance parcourue. Puis il applique une premiĂšre correction qui concerne la dĂ©rive estimĂ©e due au courant et une deuxiĂšme correction qui concerne la dĂ©rive due au vent. On obtient alors le cap vrai, qui est lââangle avec le nord que lââon doit suivre au compas pour courir sur la route fond. En utilisant la mĂ©thode de calcul par la fin, le pilote estimait le point oĂč il Ă©tait.
Cette estimation Ă©tait source dâerreurs accumulĂ©es, Ă la suite de plusieurs jours de route. Un degrĂ© en erreur plus ou moins pouvait reprĂ©senter 20 lieues ou 110 km dââĂ©cart avec le point recherchĂ©.
§ Exemple pour calculer la dérive
Pierre Garcie dĂ©crit une roue pĂŽle-homme, utilisable comme compas, constituĂ© de 8 rumbs de vent ou 32 quarts de vent. La figure reprĂ©sente les huit directions premiĂšres [N - NO - O - SO - S - SE - E - NE] avec huit Ă©toiles intercalĂ©es pour les directions secondaires [NNO - ONO - OSO - SSO - SSE - ESE - ENE - NNE]. Le marin a ainsi un cadran compas de 16 directions reprĂ©sentĂ©es (chacune de 1/2 rumb ou 2 quarts) et 16 autres directions imaginaires. Ce compas permet dââexprimer le cap suivi par le navire avec 32 quarts de vent, et par Ă©quivalence avec deux fois 12 heures ou huit fois 45°.
Cet ensemble permet dââĂ©valuer succinctement la dĂ©rive dââun bateau en fonction de sa route, des courants et du vent. Voici un extrait du RĂšglement des Lieues : « (...) Exemple familier : si tu veux naviguer sur une route qui vise le nord et le sud comme [de La Rochelle Ă Santander] et que tu prennes un quart de nord-est ou de sud-ouest ou de nord-ouest ou de sud-est, ce quart de vent te dĂ©portera [de] 16 lieues en 80 lieues. Sache quââen 80 lieues, un demi-rhumb de vent qui fait 2 quarts de vent porte un navire 32 lieues au nord ou au sud. » Le Grant Routtier, f° 7r (p. 13)[2]
Cela signifie que si vous faites 80 lieues Ă un cap diffĂ©rent de 2 quarts de vent de votre route dĂ©sirĂ©e, vous serez Ă©cartĂ© de 32 lieues de votre point dĂ©sirĂ©. C'est le rĂ©sultat de la formule : Ăcart = Longueur parcourue x Sinus de 11°1/4. Cette question Ă©tait rĂ©solue graphiquement, sans calcul, par le marteloire.
cadran lunaire - cadran des marées
Pierre Garcie dĂ©crit dans Le Grant Routtier un mode opĂ©ratoire pour calculer lâĂąge de la Lune et celui des marĂ©es avec la roue pĂŽle-homme. Chaque cadran (celui des dates, celui de lâĂąge de la Lune, celui des rhumbs et celui des marĂ©es) sont sur la mĂȘme figure. Un marin qui veut calculer, en un lieu donnĂ©, lâĂąge de la Lune et le dĂ©roulement des marĂ©es, doit dââabord connaĂźtre le nombre dââor de lâannĂ©e dââobservation, puis lâĂ©pacte. Une fois dĂ©fini le Nombre dâor et lâĂ©pacte calculĂ©s, le marin Ă©tablit la Nouvelle Lune du dĂ©but de lââannĂ©e solaire en mars de lâannĂ©e considĂ©rĂ©e (annĂ©e mĂ©diĂ©vale). Il est alors possible dââutiliser la roue pĂŽle-homme pour calculer lâĂąge des marĂ©es, dĂ©finissant ainsi lâĂ©tablissement du port, ou le cycle des marĂ©es de ce port Ă un moment donnĂ©[16].
En astronome et marin pĂ©dagogue, Pierre Garcie dĂ©crit quatre Ă©tapes pour utiliser la roue pĂŽle-homme. Ătape 1 : calculer le Nombre dâor de lâannĂ©e en cours et dĂ©termination de lâĂ©pacte ; Ătape 2 : calculer la Nouvelle Lune (et Pleine Lune) en mars (dĂ©but de lâannĂ©e mĂ©diĂ©vale) [ou Ătape 1 et 2 : Pierre Garcie donne une autre possibilitĂ© par la liste des dates du jour de PĂąques, dimanche qui suit la Pleine Lune aprĂšs lâĂ©quinoxe de printemps, le 21 mars] ; Ătape 3 : lire lâĂ©tablissement du port, lieu oĂč le pilote veut arriver, dans le chapitre de la zone dĂ©crite par Le Grant Routtier[2]. Pointer sur la roue pĂŽle-homme cet azimut ou direction, soit A (figure 5) ; Ătape 4 : calculer lââĂ©cart entre le 15e jour de lunaison (cadran date), soit B (figure 5), et lâĂ©tablissement du port, soit A, ce qui donne un nombre de rhumb, soit C (figure 5) [ou Ătape 4 : Pierre Garcie donne deux possibilitĂ©s de calcul, soit par le cadran heure, soit par le cadran jour («âŻqui veut compter la Lune par les heures, puis par les jours »)]. La roue pĂŽle-homme est prĂȘte. Ătape 5 : pour calculer lâheure de la pleine mer un jour dĂ©fini de lâannĂ©e, il propose de pointer lâĂąge de la Lune sur la roue et dâajouter lâĂ©cart C dĂ©jĂ dĂ©fini prĂ©cĂ©demment.
§ Exemple de calcul de l'établissement du port
Pierre Garcie propose cinq Ă©tapes pour utiliser la roue pĂŽle-homme. Ci-aprĂšs, en exemple, le calcul de lââheure de la pleine mer du , aux Ăles Anglo-Normandes.
Ătape 1 : RĂšglement de la Lune, suivant Le Grant Routtier (1520) : calcul du Nombre dââor de lââannĂ©e 1520. Ce nombre et celui de lââĂpacte Ă©taient donnĂ©s le dimanche par le prĂȘtre lors de son prĂȘche. Pierre Garcie explique comment les calculer, lorsquââil est en mer : division de 1520 par 19 et ne retenir que le RESTE de la division. Cela sââĂ©crit [1520%19] ou [1520 modulo 19] donne un RESTE = 0. Ă ce rĂ©sultat, ajouter + 1. Nous sommes en calendrier julien.
Le Nombre dââor est 1, il correspond Ă la premiĂšre annĂ©e du cycle de 19 ans.
Ătape 2 : Calculer lâĂpacte pour connaĂźtre la Nouvelle Lune (et Pleine Lune) en mars (dĂ©but de lââannĂ©e mĂ©diĂ©vale) : lâĂ©pacte, ou concurrence, est le nombre de jours que lâannĂ©e civile du Soleil surpasse celle de la Lune ou bien câest lâĂąge quâavait la Lune le dernier jour de lâannĂ©e qui prĂ©cĂšde celle quâon demande. Chaque annĂ©e, la lune prend un retard sur le soleil de 11 jours. Ce nombre de lâĂ©pacte dĂ©pend du Nombre dâOr. Pierre Garcie propose ce calcul avec les doigts et mentalement. Son annĂ©e mĂ©diĂ©vale commence le , lendemain de lââĂ©quinoxe de printemps. Calcul : A â le Nombre dâOr est 1. B â compter ce nombre sur les trois doigts, soit 1 fois qui aboutit au premier doigt. Ce 1er doigt a un montant de 18. C â assembler le chiffre 1 (doigt) et 18, soit 1 + 18 = 19. D â Pierre Garcie poursuit en tout 3 fois ce calcul ; soit Nombre dâOr 1 sur le 2e doigt (montant 28) qui donne 29 ; enfin Nombre dââOr 1 sur le 3e doigt (montant 38) qui donne 39. E â assembler le rĂ©sultat : 19 + 29 + 39 = 87. F â ĂŽter 3 fois 30 (durĂ©e dâune lunaison) = 90 de 87 (en E). G â il reste - 3.
LâĂ©pacte est â 3. LâannĂ©e mĂ©diĂ©vale commence le . La Nouvelle Lune est 3 jours auparavant (19-20-21), soit le ; la pleine mer du est Ă 6 h solaire.
Ătape 3 : Ătablissement du port au mois de , avec Le Grant Routtier : pour connaĂźtre le mouvement de la marĂ©e au voisinage dâun port particulier, Pierre Garcie donne des tables qui indiquent lâheure de la pleine mer au mĂ©ridien du jour de la Nouvelle Lune dans un lieu donnĂ©. Nous trouvons ces tables dâĂ©tablissement du port pour la zone Manche nord et ouest France, Manche sud Angleterre et nord Espagne, dans Le Grant Routtier. La situation du port est lâheure de la haute mer du matin le jour de la nouvelle Lune (Ăąge = 0). «âŻĂ Chausey, Guernesey, Jersey, Sercq et Herm, la Lune [est] au sud basse mer, Ă terre,et Ă lâouest, [Ă ] plaine mer[2] ».
Cela signifie quâau premier jour de la lunaison, Ă la Nouvelle Lune du , aux Ăles Anglo-Normandes, la pleine mer est « ouest », ou 6 heures du matin. Comme câest le premier jour de la lunaison, par dĂ©finition le Soleil passe en mĂȘme temps que la Lune au mĂ©ridien, il est donc 6 heures du matin au Soleil. La pleine mer du soir sera donc 12 heures aprĂšs, Ă 18 heures ou 6 heures de lâaprĂšs-midi.
Ătape 4 : calculer lâĂąge de la lune et de la marĂ©e du aux Ăles Anglo-Normandes, avec la Roue PĂŽle-Homme : Pierre Garcie a besoin de : A â âun cadran de lunaison de 30 jours quâil rĂ©duit Ă une demi-lunaison de 15 jours (cercle bleu) sur 360°. B ââun cadran compas de 32 rumbs quâil rĂ©duit Ă 16 quarts ou rumbs (cercle blanc) sur 360°. C â un cadran de marĂ©es de 24 heures (cercle vert) sur 360°. D â un cadran annuel des marĂ©es, rĂ©duit Ă une demi-annĂ©e de 360 h (cadran bleu) sur 360°.
- cadran solaire annuel © dessin CRHIP
- cadran annuel des marées
- cadran lunaire annuel
- cadran journalier des marées
- méthode de calcul sur les doigts © dessin CRHIP
Ătape 5 : poursuite du calcul : E â rappel des donnĂ©es acquises pour 1520, le Nombre dâOr est 1 ; lâĂ©pacte est -3 ; la Nouvelle Lune de mars est le , soit un doigt en B sur la roue pĂŽle-homme. La pleine mer est Ă 6 h aux Ăles anglo-normandes. F â mĂ©thode utilisĂ©e, 3 [NO 1 + mars + 1er] + 4 (dâavril Ă juillet) + 1 (1er aoĂ»t) = 8. LâannĂ©e finissant le , au mois dâaoĂ»t, la date de dĂ©part est le . La Nouvelle Lune est 8 jours avant, soit le . La pleine mer est Ă midi ou minuit. G â la situation du port des Ăles Anglo-Normandes, le est 6 h : soit un doigt A posĂ© sur le cadran compas Ă 6 h ou ouest ou 4 quarts. H â Le , dont lââĂąge de la Lune est 7 jours [20-13 aoĂ»t], est Ă positionner par le cadran lunaison blanc : soit un doigt C posĂ© sur S1/4SO ou 174 h (7 jours x 24 h + 6 h) ou entre 7 et 8 quarts. I â Lire sur le cadran vert des marĂ©es, lâheure de pleine mer, soit +/- 11 h 30â.
Par un calcul moderne, elle est dĂ©finie le Ă 10 h 46â. La prĂ©cision relative est suffisante pour arriver en sĂ©curitĂ© une Ă deux heures avant et aprĂšs sur ce lieu.
Références
- BensaĂșde, Joaquim. Lâastronomie nautique au Portugal Ă lâââĂ©poque des grandes dĂ©couvertes, 1912.
- Bernard de Maisonneuve, Pierre Garcie dit Ferrande ; le routier de la mer, v-1490, 1502, 1520, CRHIP, 2015 (ISBN 978-2-7466-8417-1) Prix de l'Académie de marine, 2016
- ComââNouguĂ©, Michel. Les Nouvelles MĂ©thodes de Navigation durant le Moyen Ăge, Conservatoire national des arts et mĂ©tiers - CNAM, 2012.
- Amiral François Bellec, Histoire universelle de la navigation, Volume 1, Les découvreurs d'étoiles - J.P de Monza, 2016
- Dutarte, Philippe. Les instruments de lââââastronomie ancienne de lââââAntiquitĂ© Ă la Renaissance, Paris, Vuibert, 2006.
- Vaticanus lat. 644 fol. 76r
- bibliothĂšque Marciana de Venise (Ms lat. VIII.22 fol.1r)
- « BibliothÚque d'Avranches »
- Ăcole des interprĂštes de TolĂšde, sous la forme de binĂŽmes (moine chrĂ©tien-lettrĂ© arabe), unissant deux spĂ©cialistes dâune mĂȘme matiĂšre : un lettrĂ© arabisant traduit les textes de lâarabe vers le vernaculaire. Juan Vernet et Julio Samso, Les dĂ©veloppements de la science arabe en Andalousie in Roshdi Rashed (Ă©d.), Histoire des sciences arabes. T.1. Astronomie, thĂ©orique et appliquĂ©e. Paris, Seuil, 1997, p. 285 Ă 287.
- Guy Beaujouan et Emmanuel Poulle, Les origines de la navigation astronomique du XIVe au XVe siĂšcle in Le navire et lâĂ©conomie maritime du Moyen Ăge au XVIIIe siĂšcle principalement en MĂ©diterranĂ©e. SEVPEN, Paris, 1957.
- Deux siĂšcles avant le Christ, lâĂ©toile polaire se trouvait environ Ă 12° du PĂŽle. Cette Ă©toile se rapproche du PĂŽle de plus en plus jusquâĂ lâan 2095. Elle arrivera alors Ă 26ââdâĂ©cartement ; ensuite elle commencera Ă sâen Ă©loigner.
- « Navigation Portugaise »
- Regimento de Munique et Regimento de Evora (GuĂa NĂĄutico)
- « nocturlabe »
- Bernard et Mireille de Maisonneuve, Le Maidstone, miroir d'une mémoire, Arhims, 1992. (ISBN 978-2-9500688-2-8)
- ComâââNouguĂ©, Michel. Le calcul des marĂ©es au Moyen Ăge, Chronique dââââHistoire Maritime â SFHM, n°78, juin 2015.
Voir aussi
Bibliographie
- : document utilisé comme source pour la rédaction de cet article.
BensaĂșde Joaquim, ingĂ©nieur et historien portugais, a apportĂ© une contribution remarquable Ă lâhistoire des grandes dĂ©couvertes maritimes portugaises et en particulier sur le RĂšglement de lâastrolabe, appelĂ© aussi RĂšglement de Munich [1509] et RĂšglement dâĂvora [1516]. Dans cette synthĂšse est utilisĂ© son ouvrage : Lâastronomie nautique au Portugal Ă lâĂ©poque des grandes dĂ©couvertes. [1912]. - Beaujouan Guy, Poulle Emmanuel, Les origines de la navigation astronomique du xive au xve siĂšcle, in Le navire et lâĂ©conomie maritime du Moyen Ăge du XVe au XVIIIe principalement en MĂ©diterranĂ©e ; Travaux du 1er colloque international dâhistoire maritime, 1956 - Paris, SEVPEN. [1960].
- Amiral François Bellec, Histoire universelle de la navigation, Volume 1, Les découvreurs d'étoiles - J.P de Monza, 2016.
- ComâââNouguĂ© Michel, ingĂ©nieur et historien français, a contribuĂ© Ă lâapport de la science nautique arabe avant lâessor des Portugais. Doctorat CNAM : Les Nouvelles MĂ©thodes de Navigation durant le Moyen Ăge. [2012].
- ComâââNouguĂ©, Michel. Le calcul des marĂ©es au Moyen Ăge, Chronique dâHistoire Maritime â SFHM, no 78, .
- Dutarte, Philippe. Les instruments de lââââastronomie ancienne de lââââAntiquitĂ© Ă la Renaissance, Paris, Vuibert, 2006.
- Maisonneuve Bernard de, Pierre Garcie dit Ferrande - le routier de la mer, v.1490 - 1502 - 1520, CRHIP, 2015.
- Texeira da Mota Avelino, Lâart de naviguer en MĂ©diterranĂ©e du XIIIe au XVIIe siĂšcle et la crĂ©ation de la navigation astronomique, in Le navire et lââĂ©conomie maritime du Moyen Ăge au XVIIIe siĂšcle principalement en MĂ©diterranĂ©e ; Travaux du 2e colloque international dâhistoire maritime, 1957 - Paris, SEVPEN. [1958].