Renaissance macédonienne
Lâexpression « Renaissance macĂ©donienne » se rĂ©fĂšre historiquement Ă une pĂ©riode de lâhistoire byzantine des IXe siĂšcle et Xe siĂšcle au cours de laquelle, aprĂšs une longue pĂ©riode de dĂ©clin, la vie culturelle et artistique prit un nouvel essor. Bien quâelle se manifesta surtout sous la dynastie macĂ©donienne (dĂ©but du rĂšgne de Basile Ier 867; fin du rĂšgne de Constantin IX Monomaque 1055), on peut en trouver les signes avant-coureur sous les empereurs ThĂ©ophile (r. 829-842) et Michel III (r. 842-867) de la dynastie amorienne.
Survenant aprĂšs une pĂ©riode troublĂ©e tant sur le plan intĂ©rieur (pĂ©riode iconoclaste de l'Empire byzantin, dĂ©clin de lâĂ©conomie, dĂ©population des villes) quâextĂ©rieur (progression arabe en CrĂšte, en Sicile et dans le sud de lâItalie), cette « renaissance » consistera non pas en un « aggiornamento », une adaptation, pour reprendre une expression contemporaine, mais plutĂŽt en un « retour aux sources ». On sâingĂ©nia donc Ă recopier les modĂšles datant des pĂ©riodes fastes de lâempire avec des moyens que la situation Ă©conomique rendait, du moins Ă ses dĂ©buts, plus modestes[1]. Cette recherche des sources, ce gout de la compilation, se transformera progressivement en une passion pour les « manuels » ou « encyclopĂ©dies » en tous genres dont lâaboutissement le plus complet sera la « Souda » Ă la fin du IXe siĂšcle.
Au cours de cette pĂ©riode se dĂ©tachent des personnages exceptionnels, pour la plupart polymathes, comme LĂ©on le Philosophe, le patriarche Photios Ier, Jean Mavropous, Jean Xiphilin, Michel Psellos, encouragĂ©s par des empereurs qui seront eux-mĂȘmes sinon des intellectuels de haut rang tel Constantin VII PorphyrogĂ©nĂšte, du moins, comme Michel III ou Constantin IX Monomaque, des souverains sachant reconnaitre les personnages brillants dans leur entourage et leur permettre de dĂ©ployer leurs talents.
Une véritable « renaissance » ?
Lâexpression « Renaissance » fait invariablement penser Ă la grande Renaissance qui, partie dâItalie au XIIIe siĂšcle sâĂ©panouira dans plusieurs pays dâEurope au cours des siĂšcles suivants. Rompant avec la scholastique du Moyen Ăge, cette renaissance se traduit par une nouvelle forme dâhumanisme basĂ© sur lâindividu et la raison. Loin dâĂȘtre une rĂ©volution similaire, la « renaissance macĂ©donienne » est plutĂŽt un « retour aux sources », alors quâaprĂšs une pĂ©riode de net dĂ©clin politique, Ă©conomique et social, sâamorce une pĂ©riode de redressement; on cherche dâabord Ă rassembler les fragments Ă©pars de la culture grecque classique pour recopier les documents Ă©crits, les organiser et en faire des « manuels » dans tous les domaines du savoir. Lâemphase est mise non pas sur lâoriginalitĂ©, un des traits de la Renaissance italienne, mais sur la recherche de textes anciens, leur organisation et leur diffusion. Aussi, Paul Lemerle a-t-il suggĂ©rĂ© de remplacer lâexpression « Renaissance macĂ©donienne » par « EncyclopĂ©disme » [2], alors que Mango, parlant de lâart religieux, emploie plutĂŽt le terme « rĂ©novation » [1] et Cheynet parlant de lâenseignement, celui de « renouveau »[3].
Contexte historique
La mort de Justinien en 565 avait Ă©tĂ© le point de dĂ©part dâune pĂ©riode difficile sur le plan politique. Avars et Slaves sâĂ©taient installĂ©s dans les provinces centrales du pays, les Perses Ă©taient au cĆur de lâAsie mineure et bientĂŽt les Arabes sâempareront des provinces dâAsie mineure[4]. La perte dâune grande partie de son territoire et de sa population devait avoir des consĂ©quences Ă©conomiques considĂ©rables sur la vie Ă©conomique de lâempire. Les guerres constantes demandent un effort financier qui laisse peu de place Ă la culture; les citĂ©s dĂ©clinent Ă partir du VIe siĂšcle et avec elles la classe sociale liĂ©e Ă lâinstruction traditionnelle (paideia)[5], ce qui se traduit par une rarĂ©faction des textes classiques [6].
Le rĂšgne dâHĂ©raclius (r. 610-641) avait constituĂ© un sursaut dans une Ă©poque de dĂ©clin oĂč sâĂ©tait toutefois opĂ©rĂ©e une profonde transformation culturelle. Le latin, toujours langue officielle de lâarmĂ©e et de lâadministration, Ă©tait abandonnĂ© au profit du grec. HĂ©raclius lui-mĂȘme dĂ©laissa la titulature impĂ©riale dâimperator, cesar, augustus, pour adopter la dĂ©nomination grecque populaire de basileus (ÎČαÏÎčλΔÏÏ) [7]. Par ailleurs, la reconquĂȘte provisoire des provinces orientales par HĂ©raclius avait fait ressurgir les dissensions religieuses issues du monophysisme. Le monothĂ©lisme, solution de compromis prĂŽnĂ©e par lâempereur pour rĂ©unifier chrĂ©tiens dâOrient et chrĂ©tiens dâOccident conduira Ă un nouveau conflit entre Rome et Constantinople (638-655) et lâagitation religieuse dans les provinces orientales facilitera les attaques sporadiques des Arabes sur tout le pourtour mĂ©diterranĂ©en, dĂ©sorganisant les communications et le commerce[8].
Les dissensions religieuses ne feront que sâexacerber tout au long de la crise iconoclaste (726-843), alors quâaux invasions arabes sâajouteront celles des Bulgares et des Rusâ[9] et que plusieurs empereurs se succĂ©deront sur le trĂŽne (douze en un peu plus dâun siĂšcle[N 1].
La « renaissance »
La dĂ©faite du mouvement iconoclaste, surtout populaire dans la partie asiatique de lâempire, devait permettre lâaffirmation de lâoriginalitĂ© religieuse et culturelle grecque de sa partie europĂ©enne et marquer le dĂ©but dâun essor culturel qui dĂ©buta non pas avec lâarrivĂ©e au pouvoir de la dynastie macĂ©donienne, mais plutĂŽt sous le rĂšgne de ThĂ©ophile (r. 829 â 842) et sâaffirmera sous celui de Michel III (r. 842 â 867). Bien quâinepte Ă gouverner, celui-ci laissera les rĂȘnes du pouvoir Ă son oncle Bardas (cĂ©sar 858 -866) lequel sâentoura dâhommes qui seront Ă lâorigine de cette Ăšre intellectuelle nouvelle : le patriarche Photios (patriarche 858-867; 877-886) et LĂ©on dit « le Philosophe » ou « le MathĂ©maticien » (vers 790 â aprĂšs 869). Lâassassinat de Bardas par Basile Ier en 867, qui marqua lâarrivĂ©e au pouvoir de la dynastie macĂ©donienne (867 â 1057), ne fera quâaccĂ©lĂ©rer un mouvement dĂ©jĂ bien engagĂ© et qui atteindra son apogĂ©e sous deux autres empereurs, Basile Ier (r. 867 â 886) pour lâart et Constantin VII PorphyrogĂ©nĂšte (r. 913-959) pour la culture Ă©crite[10]. Les empereurs « militaires » qui leur succĂ©deront, Ă la fin du Xe siĂšcle et au dĂ©but du XIe siĂšcle, NicĂ©phore Phokas (r. 963 - 969), Jean TzimiscĂšs (r. 969 â 976), Basile II (r. 976 â 1025) ne sâĂ©tant guĂšre intĂ©ressĂ©s Ă la culture en gĂ©nĂ©ral[11].
Signes précurseurs
Si, en dĂ©pit des crises du VIIe siĂšcle et VIIIe siĂšcle, lâadministration impĂ©riale ainsi que les Ă©coles et livres nĂ©cessaires Ă la formation des fonctionnaires avaient survĂ©cu, la qualitĂ© de lâĂ©ducation Ă©tait en net dĂ©clin comme en tĂ©moignent la mauvaise tenue des registres de taxes et le peu dâintĂ©rĂȘt pour lâhistoire qui risquait dâen compromettre la transmission; comme lâĂ©crira le professeur Treadgold « Depuis Justinien Ier, tant lâĂglise que lâĂtat en Ă©taient venus Ă considĂ©rer lâĂ©ducation, au mieux comme un luxe, au pire comme quelque chose dâimpie ou de paĂŻen »[12] - [13].
Lâiconoclasme, en dĂ©pit de la destruction des images saintes, eut le mĂ©rite de faire changer cette attitude. Les empereurs iconoclastes au premier chef, mais aussi les dĂ©fenseurs des images, voulurent prouver que leur croyance Ă©tait compatible avec la tradition orthodoxe et les recherches se multipliĂšrent de part et dâautre pour trouver dans les PĂšres de lâĂglise la justification de leurs thĂšses, recherches longues et ardues puisque ces PĂšres nâavaient que peu parlĂ© des images. De telle sorte que lorsque le DeuxiĂšme concile de NicĂ©e rĂ©tablit le culte des images en 787, lâattitude Ă lâendroit de lâĂ©ducation sâĂ©tait favorablement modifiĂ©e[12].
Dans les annĂ©es qui suivirent nombre de membres de familles distinguĂ©es entrĂšrent dans des monastĂšres comme celui oĂč enseignait ThĂ©odore le Studite. Leur formation requerrait des livres, donc des copies plus nombreuses dâoriginaux. Deux innovations allaient faciliter la chose.
Dâune part le papier commença Ă remplacer le parchemin, lequel sera dorĂ©navant rĂ©servĂ© Ă la copie de livres de grand luxe; dâautre part, lâĂ©criture onciale[N 2] fera place Ă la minuscule, sâĂ©crivant plus vite et grĂące Ă la sĂ©paration des mots, plus facile Ă lire, rendant la copie des livres plus Ă©conomique puisquâelle permettait dâĂ©crire plus de mots sur la mĂȘme surface et ce, plus rapidement[12] - [14]. Le monastĂšre du Stoudion deviendra bientĂŽt un centre important de copie. La translittĂ©ration, câest-Ă -dire la transposition des textes antiques de lâonciale Ă la minuscule permit aux IXe siĂšcle et Xe siĂšcle de sauvegarder nombre de textes qui, sinon, auraient Ă©tĂ© perdus[15]. La copie de manuscrits permit Ă son tour la constitution de bibliothĂšques comme celles de LĂ©on le Philosophe et Photios Ier qui seront source de diffusion des connaissances[16].
La culture Ă©crite
Cette nouvelle source de savoir se traduisit non pas par une nouvelle créativité, mais plutÎt par une recherche des textes anciens, leur copie et leur regroupement[2]. Ceci conduisit à une multiplication des « manuels » dans divers domaines.
- La hiĂ©rarchie bureaucratique avec la production de « taktika » (ÏαÎșÏÎčÎșÎŹ), liste officielle de titres et de fonctions, qui, sauf pour la Notitia Dignitatum du XIVe siĂšcle, datent des IXe siĂšcle et Xe siĂšcle comme le Taktikon Uspensky (842/843), le Kletorologion de PhilothĂ©e (899) ou le Taktikon de BeneĆĄeviÄ (934-944). Traitant du cĂ©rĂ©monial de cour et des prĂ©sĂ©ances, ils devaient aider le maitre de cĂ©rĂ©monie Ă assigner les places lors des banquets impĂ©riaux[17].
- La levĂ©e des impĂŽts. Le premier manuel du genre (MS, Venise, Marc. gr. 173, fols 276v â 281) datant de 912-970 (Ostrogorsky) ou 913 â 1139 (Dölger), contient des informations sur la structure des villages, les diffĂ©rentes taxes et leurs exemptions et sur les activitĂ©s des percepteurs (epoptĂšs, dioiketĂšs)[18].
- La stratĂ©gie et les tactiques militaires ou « stratÄgika » (ÏÏÏαÏηγÎčÎșÎŹ). DĂ©jĂ au VIe siĂšcle on avait copiĂ© des auteurs rĂ©putĂ©s sur le sujet (Aelien le tacticien, Sextus Julius Africanus,âŠ). Un renouveau dâintĂ©rĂȘt sâobserve au Xe siĂšcle, comme en tĂ©moigne le Taktika de LĂ©on VI (vers 905), le Sylloge tacticorum et le Naumachika, tous deux des annĂ©es 950, le Taktika de NicĂ©phore Ouranos (vers 1000) ou les manuels des « empereurs militaires » comme NicĂ©phore II Phokas et Basile II[19].
- Lâagriculture (ΠΔÏÎč γΔÏÏÎłÎŻÎ±Ï ÎÎșλογαί), une collection de textes probablement compilĂ©e pour Constantin VII vers 944-959. Les textes portent sur la culture des cĂ©rĂ©ales, lâhorticulture, lâapiculture et, surtout, la viniculture. Si certains historiens (LipĆĄiÄ) y ont vu des Ă©lĂ©ments originaux, dâautres comme Lemerle considĂšrent que seule la prĂ©face est originale, le reste Ă©tant une compilation de Kassianos Bassos[20].
- Le droit (Ïα ÎαÏÎčλÎčÎșÎŹ = les lois impĂ©riales). Cette compilation de lois divisĂ©es en soixante volumes fut entreprise sous le rĂšgne de Basile Ier et complĂ©tĂ©e sous celui de LĂ©on VI. Elle se voulait une refonte et une traduction en grec du Corpus Juris Civilis de Justinien Ier.
- Le Livre de lâĂ©parque (ÎÏαÏÏÎčÎșÏÎœ ÎÎčÎČÎ»ÎŻÎżÎœ) constitue une synthĂšse des rĂšglements administratifs concernant les guildes de Constantinople Ă lâintention du PrĂ©fet de la Ville. ComplĂ©tĂ© sous LĂ©on VI ou NicĂ©phore II, il contient vingt-deux chapitres consacrĂ©s chacun Ă une corporation : notaires, changeurs de monnaie, fabricants de chandelles, vendeurs de viande, de pain, de poisson, etc.[21] - [22].
Lâempereur Constantin VII PorphyrogĂ©nĂšte devait contribuer Ă ce genre avec ses trois traitĂ©s : le De administrando imperio, concernant les peuples Ă©trangers et leurs relations avec lâempire; le De thematibus, une compilation Ă©rudite sur les provinces de lâempire et le Livre des cĂ©rĂ©monies sur les rituels entourant lâempereur [23].
Le mĂȘme empereur commanditera plusieurs autres compilations comme les « Excerpta » ou « Extraits historiques » vaste encyclopĂ©die comprenant cinquante-trois anthologies classĂ©es non suivant lâordre chronologique, mais selon des sujets thĂ©matiques « permettant de regrouper tous les grands Ă©vĂšnements de lâhistoire », comme « Les ambassades des Romains chez les peuples Ă©trangers »[24].
Lâart
Dans le domaine des arts, on peut parler avec Cyril Mango dâun « rajeunissement »[25] plutĂŽt que de renaissance.
Architecture
Le dĂ©clin Ă©conomique de lâempire avait entrainĂ© dĂšs la deuxiĂšme moitiĂ© du VIIIe siĂšcle lâabandon dâĂ©glises et dâĂ©difices publics de grandes dimensions. Avec lâun des derniers essais du genre construit au VIIIe siĂšcle, lâĂ©glise Sainte-Sophie de Thessalonique au style lourd et sans grĂące, on est bien loin de son homonyme de Constantinople [26]. Le seul souverain bĂątisseur sera Basile Ier, lequel se voulant le rĂ©novateur de lâempire romain, fait construire la Nea Ekklesia entre 876 et 880, premiĂšre Ă©glise dâune telle dimension dans la capitale de l'Empire byzantin depuis la basilique Sainte-Sophie au VIe siĂšcle siĂšcle [27].
Autre rĂ©sultat de la dĂ©population des villes, les grandes cathĂ©drales des Ă©poques prĂ©cĂ©dentes cĂšdent le pas Ă de petites Ă©glises privĂ©es pour riches personnes et monastĂšres ou se retrouvent dans les campagnes. Les Ă©difices Ă dĂŽme datant de Justinien demeurent la norme, mais sont plus petites, conduisant au dĂ©veloppement du plan en croix grecque inscrite dans un carrĂ© oĂč le dĂŽme sâappuie sur quatre colonnes ou piliers. Dans les cas exceptionnels, comme la Nea Ekklesia, on y ajoute quatre dĂŽmes plus petits aux quatre coins [25].
Lorsque reprend la vie Ă©conomique, lâaccent est davantage mis sur la reconstruction des structures existantes, en particulier des fortifications des villes et les termes « nouveaux » qui apparaissent souvent dans les textes de lâĂ©poque (neos, kainos, kainourgos) doivent sâentendre non comme « diffĂ©rents », mais comme « rĂ©novation », « rĂ©paration » et « consolidation ». Il est Ă noter par exemple que si Basile « renouvela » trente-et-une Ă©glises Ă Constantinople et ses environs, il nâen construisit que huit nouvelles et toutes (y compris la Nea Ekklesia) Ă lâintĂ©rieur du Palais impĂ©rial[27].
La dĂ©coration intĂ©rieure des Ă©glises demeure la mĂȘme que celle de la pĂ©riode prĂ©-iconoclaste : revĂȘtement des murs intĂ©rieurs jusquâau niveau des arches avec des plaques de marbre (souvent des remplois dâĂ©glises prĂ©existantes), mosaĂŻques ou fresques au-dessus. Seuls les planchers en mosaĂŻques (dĂ©jĂ tombĂ©s en dĂ©suĂ©tude aux VIe siĂšcle et VIIe siĂšcle) disparaissent complĂštement[25].
Il faudra attendre le XIe siĂšcle pour voir un renouvellement de lâarchitecture religieuse. Si la structure fondamentale demeure la croix grecque, les plans se diversifient. On voit rĂ©apparaitre des Ă©glises tĂ©traconques oĂč tous les bras de la croix se terminent par une abside; on voit aussi lâapparition dâĂ©glises Ă trompe dâangle dans lesquelles les pendentifs utilisĂ©s jusque-lĂ pour passer du carrĂ© formĂ© par les piliers au cercle de la coupole sont remplacĂ©s par des trompes dâangle et lâutilisation de piliers au lieu de colonnes pour supporter le dĂŽme[28].
Peinture
La peinture, essentiellement les fresques des Ă©glises, doit sâadapter aux plus petites dimensions de celles-ci. AprĂšs lâiconoclasme, les nouvelles images nâapparaissent que progressivement dans les Ă©glises[29]. Les sujets se limitent aux tableaux les mieux connus du Nouveau Testament, aux grandes fĂȘtes liturgiques et Ă la reprĂ©sentation de saints en ordre hiĂ©rarchique. Mais encore ici, lâaccent est mis non sur lâinnovation, mais sur lâimitation, la contraction et la standardisation[11].
Lâinnovation, sâil en est une, consiste en une maniĂšre diffĂ©rente de considĂ©rer le Christ, vu non plus essentiellement comme le triomphateur (suggĂ©rant un parallĂšle avec lâempereur) que comme lâhomme des douleurs, mettant lâaccent sur son humanitĂ©[30]. On retrouvera cette conception lorsque, au XIe siĂšcle, se mettra en place le dĂ©cor byzantin classique qui sert en quelque sorte de complĂ©ment Ă la liturgie. Lâexpression de la douleur, des sentiments, se dĂ©veloppe comme on le voit dans la douleur de la Vierge se penchant sur le corps inanimĂ© du Christ ou lâapparition du « Christ de PitiĂ© » [31].
Un art de cour
Lâiconoclasme sâĂ©tait attaquĂ© aux images reproduisant des figures humaines mais nâavait pas fait disparaitre lâensemble de la production artistique. Ainsi, grĂące Ă une situation politique favorable et une Ă©conomie prospĂšre, le rĂšgne de lâempereur ThĂ©ophile (r. 829-842) avait permis une reprise progressive de l'activitĂ© culturelle et artistique. PassionnĂ© par l'art et l'architecture, lâempereur avait fait restaurer et agrandir le Palais impĂ©rial, amĂ©nager le quartier des Blachernes situĂ© au-delĂ des murailles et avait patronnĂ© un certain nombre de monastĂšres[32]. Il sâĂ©tait attachĂ© les services de LĂ©on le Philosophe que le calife de Bagdad aurait voulu attirer Ă sa cour, permettant ainsi la crĂ©ation de la future « universitĂ© » de Constantinople[33] - [34].
Portant un grand intĂ©rĂȘt Ă la civilisation arabo-musulmane, il voulut donner luxe et sophistication Ă la cour impĂ©riale, dĂ©corant d'or la salle de la Magnaure oĂč se trouvait le trĂŽne impĂ©rial et y installant des lions dont la gueule sâouvrait Ă©mettant des rugissements grĂące Ă dâingĂ©nieux mĂ©canismes ainsi que des oiseaux animĂ©s chantant sur un arbre dorĂ©.
Avant mĂȘme lâarrivĂ©e de la dynastie macĂ©donienne, la production artistique de cette pĂ©riode se caractĂ©rise par la prĂ©Ă©minence des objets de luxe : manuscrits, ivoires, Ă©maux. Leur conception rĂ©vĂšle une volontĂ© de la part des gens fortunĂ©s qui participent Ă la reprise Ă©conomique de se rattacher Ă la tradition du passĂ© de lâempire et leur luxe tĂ©moigne dâune volontĂ© dâostentation de la richesse[35]. Les objets les plus luxueux sont la possession de lâempereur ou lui sont destinĂ©s. Ils aident Ă lui confĂ©rer un Ă©clat qui, par son caractĂšre mystĂ©rieux, le rattache au sacrĂ© [36].
On en retrouve des exemples dans les soies luxueuses qui faisaient partie de la diplomatie byzantine et dont certaines sont parvenues jusquâĂ nous, comme le Suaire de Saint-Germain, datant probablement du IXe siĂšcle, tissu Ă fond de pourpre violette sur lequel se dĂ©tachent de grands aigles destinĂ© Ă Charles le Chauve, lequel lâaurait offert pour envelopper le corps de saint Germain lors de la translation des restes en 841, ainsi que la grande soie enveloppant Ă©galement le corps de lâĂ©vĂȘque Gunther de Bamberg mort en 1065 alors quâil revenait de Terre Sainte et de Constantinople[37].
Les riches enluminures et les miniatures de livres manuscrits sont Ă©galement tĂ©moins dâune volontĂ© de retour aux temps ayant fait la grandeur de lâempire, câest-Ă -dire ceux de lâAntiquitĂ© tardive plutĂŽt que ceux de lâAntiquitĂ© classique. Ici Ă©galement, tout se rattache Ă lâempereur : le recueil dâhomĂ©lies de GrĂ©goire de Naziance, sans doute un cadeau du patriarche Photios Ă lâempereur Basile Ier, le psautier de Paris datant du Xe siĂšcle que lâon croit avoir Ă©tĂ© commandĂ© par Constantin VII pour son fils, le futur Romain II ainsi que, vers la fin de la pĂ©riode, la Chronique de SkylitzĂšs de Madrid, dĂ©corĂ© de 577 miniatures et datant vraisemblablement du XIIe siĂšcle[36].
Gravitant autour de lâempereur, les hauts fonctionnaires de la cour se feront fort dâimiter les commandes impĂ©riales soit pour eux-mĂȘmes, soit comme dons qui les mettent en valeur. Ainsi le parakoimomĂšne Basile nous est connu pour avoir commanditĂ© une sĂ©rie dâobjets de luxe dont la staurothĂšque[N 3] de Limbourg lâun des plus prĂ©cieux reliquaires de la Vraie Croix parvenu jusquâĂ nous. Nombre dâobjets liturgiques donnĂ©s Ă des Ă©glises ou monastĂšres (Croix de procession, icĂŽnes, mosaĂŻques) visent autant Ă exalter Dieu quâĂ souligner la gĂ©nĂ©rositĂ© et la piĂ©tĂ© de leur donateur [36].
Hommes et Ćuvres du renouveau
Les grands noms de cette pĂ©riode sont gĂ©nĂ©ralement des « polymathes », câest-Ă -dire des personnes curieuses de tout, ayant des connaissances approfondies dans des domaines qui nâont pas de liens apparents, ce qui favorisera sans doute la tendance Ă lâencyclopĂ©disme, un des traits caractĂ©ristiques de lâĂ©poque.
Si Michel III sâavĂ©ra un souverain plus prĂ©occupĂ© de dĂ©fendre lâempire que de le gouverner [38], il nâen eut pas moins le mĂ©rite dâen laisser le gouvernement Ă deux hommes qui devaient ĂȘtre au cĆur de cette « renaissance macĂ©donienne » : son oncle, le cĂ©sar Bardas pour les affaires temporelles, le patriarche Photios pour les affaires spirituelles, les unes et les autres Ă©tant Ă©troitement liĂ©es.
Bardas
FrĂšre ainĂ© de lâimpĂ©ratrice ThĂ©odora, Ă©pouse de lâempereur ThĂ©ophile, il accĂšde au rang de patrice en 837 et fait partie du conseil de rĂ©gence dirigĂ©e par Theodora (vers 815 â 867) Ă la mort de lâempereur, le jeune Michel III nâayant que deux ans. Bardas prend part Ă l'enquĂȘte qui conduit Ă la dĂ©position du patriarche iconoclaste Jean le Grammairien (patriarche 837 â 843), Ă©vĂȘque dâun grand savoir mais dont aucune Ćuvre nâest parvenue jusquâĂ nous. Mais il tombe rapidement en disgrĂące. Il effectue son retour lorsque Michel III dĂ©clare la rĂ©gence terminĂ©e et monte rapidement en grade, devenant « cĂ©sar » en 862[39].
Excellent administrateur, Bardas devait donner une nouvelle impulsion Ă lâessor intellectuel amorcĂ© plus tĂŽt : il recrĂ©e lâ « universitĂ© » de la Magnaure, disparue Ă la fin du rĂšgne de Basile II, avec des chaires de philosophie, de grammaire, d'astronomie et de mathĂ©matiques; il soutient des Ă©rudits comme LĂ©on le Philosophe et les activitĂ©s missionnaires de Cyrille et MĂ©thode qui entreprennent de traduire la liturgie en langue slave et crĂ©ent un alphabet Ă cette fin.
Cette nouvelle orientation devait se traduire non seulement dans lâadministration de lâĂtat, mais aussi dans celui de lâĂglise. Le patriarche Ignace, ancien moine rigoriste, et proche de ThĂ©odora, entra vite en conflit avec Bardas Ă qui il reprochait son inconduite; celui-ci le remplaça par un haut fonctionnaire lettrĂ©, plus en accord avec les temps nouveaux, Photios Ier [40] - [41].
LĂ©on le Philosophe
LĂ©on le Philosophe, aussi appelĂ© LĂ©on le MathĂ©maticien en raison de son amour pour les mathĂ©matiques et lâastronomie qui leur Ă©tait reliĂ©e, fut lâun des meilleurs tĂ©moins de son Ă©poque. Il fit ses premiĂšres Ă©tudes (trivium) Ă Constantinople, mais ne put trouver dans la capitale une Ă©cole Ă mĂȘme de satisfaire sa soif de connaissances. Il se serait alors rendu sur l'Ăźle d'Andros oĂč il Ă©tudia la rhĂ©torique, la philosophie et l'arithmĂ©tique. Toujours insatisfait, il alla de monastĂšre en monastĂšre pour y consulter les livres conservĂ©s dans les bibliothĂšques. Il acquit une connaissance de toutes les sciences Î”áŒ°Ï áŒÎșÏÎżÎœ,: « la philosophie et ses sĆurs, Ă savoir l'arithmĂ©tique, la gĂ©omĂ©trie et l'astronomie, et mĂȘme la musique » (c'est-Ă -dire les disciplines du quadrivium) [42]. Revenu Ă Constantinople, il aurait ouvert sa propre Ă©cole oĂč il enseignait les matiĂšres ainsi apprises. Sa renommĂ©e fut telle quâelle parvint aux oreilles du calife de Bagdad qui lâaurait invitĂ© Ă sa cour. Pour le garder Ă Constantinople lâempereur ThĂ©ophile lui aurait alors confiĂ© une chaire dâenseignement Ă lâĂ©glise des Quarante-Martyrs. Si plusieurs difficultĂ©s chronologiques permettent de mettre en doute ce rĂ©cit, il nâen tĂ©moigne pas moins de la rĂ©putation dâintellectuel dont jouissait LĂ©on. En 840, son parent, le patriarche iconoclaste Jean le Grammairien (patriarche 837 â 843), lui-mĂȘme grand intellectuel appartenant Ă lâĂ©poque prĂ©cĂ©dente, le nomme mĂ©tropolite de Thessalonique, la deuxiĂšme ville en importance de lâempire. DĂ©posĂ© comme iconoclaste lors du retour des images, câest Ă lui que sâadressera le cĂ©sar Bardas pour prendre la direction de lâĂ©cole de la Magnaure quâil vient de fonder. Sa bibliothĂšque est un tĂ©moignage de son esprit universel : Platon pour la philosophie, le traitĂ© de mĂ©canique de Kyrinos et Markellos pour les mathĂ©matiques, ThĂ©on Paul dâAlexandrie et PtolĂ©mĂ©e pour lâastronomie. Comme le note le byzantiniste Jean-Claude Cheynet, « Avec LĂ©on nous voyons pour la premiĂšre fois avec prĂ©cision, au milieu du IXe siĂšcle la figure dâun savant byzantin plus soucieux de philosophie et de science que de belles lettres[43] » [44] - [45].
Photios Ier
Mais lâincarnation de lâesprit de renouveau intellectuel sera vĂ©ritablement Photios Ier, Ă deux reprises patriarche de Constantinople : 858 â 867 et 878 â 886. Appartenant Ă la plus haute aristocratie constantinopolitaine, la mĂšre de Photios est la sĆur du patriarche iconoclaste Jean VII le Grammairien. Il entreprend une brillante carriĂšre dans la haute administration qui le conduira au poste de prĆtasĂškrĂštis ou chef de la chancellerie impĂ©riale. Sans ĂȘtre officiellement professeur, il accueille nombre dâĂ©tudiants chez lui aprĂšs son travail parmi lesquels Constantin (le futur Cyrille des frĂšres Cyrille et MĂ©thode), le mĂ©tropolite Amphiloque de Cyzique et le protospathaire Thomas[46] - [47] - [48].
Auteur polyvalent, sa pensĂ©e se dĂ©veloppe dans trois Ćuvres principales : le Lexicon, Ćuvre de jeunesse dans laquelle il explique le sens de mots que lâon retrouve chez les orateurs et auteurs de prose de lâAntiquitĂ© ainsi que le vocabulaire dâauteurs chrĂ©tiens qui exige une explication[49] - [50]; la Bibliotheca ou Myriobiblos, Ćuvre Ă©norme comportant 280 chapitres correspondant Ă 1600 pages dans lâĂ©dition moderne, Ă©crite Ă lâintention de son frĂšre Tarasios et rĂ©sumant la littĂ©rature grecque ancienne quâil avait lue en lâabsence de celui-ci envoyĂ© en ambassade[51] - [52]; les lettres dont certaines seront reprises dans le Amphilochia, adressĂ©es Ă Amphilohios, mĂ©tropolitain de Kyzikos, traitant de diverses questions thĂ©ologiques et laĂŻques : outre des commentaires sur les CatĂ©gories dâAristote, on y retrouve des discussions sur lâadmiration profĂ©rĂ©e par lâempereur Julien Ă lâendroit de Platon[53]. Mentionnons Ă©galement que câest probablement lui qui rĂ©digea la prĂ©face de lâEisagĆgĂš, recueil de lois quâon date du rĂšgne de Basile Ier[54] - [55].
Un des disciples de Photios, fut lâarchevĂȘque de CĂ©sarĂ©e, ArĂ©thas (vers 850-932/944) considĂ©rĂ© comme l'un des plus grands philologues et humanistes byzantins. Maillon important de la transmission des textes antiques, il rassembla et fit recopier de nombreux manuscrits d'Ćuvres provenant aussi bien de l'AntiquitĂ© classique que des auteurs chrĂ©tiens de l'Ă©poque patristique. ProfondĂ©ment impliquĂ© dans la politique impĂ©riale, il fut lâun des acteurs principaux de la querelle qui sâĂ©leva lorsque lâempereur LĂ©on VI dĂ©cida de se marier une quatriĂšme fois, chose strictement interdite par lâĂglise orthodoxe [56] - [57] - [58].
Basile Ier
Sans ĂȘtre lui-mĂȘme un intellectuel, Basile Ier marqua la pĂ©riode de renouveau dans deux domaines, ceux du droit et de lâarchitecture.
DĂšs le dĂ©but de son rĂšgne, Basile Ier s'attaqua Ă une rĂ©forme du droit qui lui vaudra le surnom de « second Justinien ». AprĂšs un manuel pratique Ă lâintention des juges datant de 870-879 et destinĂ© Ă remplacer lâĂclogue de LĂ©on III, le Procheiron, fut publiĂ© lâĂpanagogĂš, introduction au grand projet dont le rĂ©sultat devait sâappeler « Purification des anciennes lois ». Deux de ses sections traitant de la position et du pouvoir de l'empereur byzantin et du patriarche, ainsi que la prĂ©face du livre furent Ă©crits par le patriarche Photios Ier[59]. Ă la mort de Basile Ier, une bonne partie du nouveau code Ă©tait prĂȘte avec 40 livres, mais la version dĂ©finitive, intitulĂ©e « Basilika », ne sera complĂ©tĂ©e que sous le rĂšgne de LĂ©on VI le Sage. Ce nouveau code demeurera le fondement du droit byzantin jusquâĂ la conquĂȘte par les Ottomans.
AidĂ© par ses succĂšs en politique Ă©trangĂšre contre les Arabes et les Bulgares, jouissant dâune situation intĂ©rieure paisible aprĂšs la fin de lâiconoclasme, Basile se lança dans la reconstruction de sa capitale qui avait grandement souffert au cours des derniĂšres dĂ©cennies. La liste des constructions qui lui sont dues comprend la rĂ©novation de vingt-cinq Ă©glises Ă Constantinople, de six dans les quartiers avoisinants et de huit nouvelles Ă©glises. Parmi les Ă©glises rĂ©novĂ©es se trouvaient des Ă©glises ayant marquĂ© lâhistoire de la citĂ©, comme celle des Saints-ApĂŽtres, de Saint-Jean-le-PrĂ©curseur ou de Saint-Luc. Parmi les nouvelles, la plus importante devait ĂȘtre la Nea Ekklesia mentionnĂ©e plus haut. Comme les autres nouvelles Ă©glises, celle-ci Ă©tait destinĂ©e Ă renforcer lâimage de piĂ©tĂ© que voulait se donner lâempereur et son attachement aux valeurs traditionnelles qui avaient fait la grandeur de lâempire[60].
Constantin VII
Fils de LĂ©on VI le Sage dont le quatriĂšme mariage avait fait scandale et de ZoĂ© Carbonopsina, Constantin VII devint empereur en 913, mais fut Ă©vincĂ© du pouvoir par son beau-pĂšre, Romain Ier LĂ©capĂšne (r. 920 â 944) qui sâest lui-mĂȘme proclamĂ© basileus en 920. Il ne sortira de lâombre quâen 944, ayant consacrĂ© ses annĂ©es de solitude Ă lâĂ©tude, sâattachant en particulier Ă lâhistoire de lâempire [61]. Il en rĂ©sultera trois ouvrages traitant sous diffĂ©rents aspects du gouvernement de l'Empire : le De Ceremoniis aulĂŠ byzantinĂŠ (Le Livre des cĂ©rĂ©monies de la cour byzantine), vaste compilation de textes sur la vie et les rituels de la cour impĂ©riale, comprenant aussi des informations sur l'armĂ©e et les campagnes militaires, et sur l'administration des finances ; le De administrando Imperio (Livre de l'administration de l'Empire), qu'il destine Ă l'Ă©ducation de son fils Romain (le futur Romain II), et qui est notamment consacrĂ© aux relations avec les peuples Ă©trangers, sur lesquels sont donnĂ©es diverses informations ; enfin le De Thematibus, qui dĂ©crit la situation des « thĂšmes », c'est-Ă -dire des circonscriptions administratives et militaires de l'empire.
Peu aprĂšs ĂȘtre devenu seul empereur, il fera compiler les « Excerpta » ou « Extraits historiques » vaste encyclopĂ©die comprenant cinquante-trois anthologies classĂ©es non suivant lâordre chronologique, mais selon des sujets thĂ©matiques « permettant de regrouper tous les grands Ă©vĂšnements de lâhistoire »[62]. Pour complĂ©ter la pĂ©riode de 813 Ă 886, il commanda la rĂ©daction de « La Vie de Basile Ier (867 â 882) », puis deux ouvrages diffĂ©rents devant couvrir la pĂ©riode 813 - 867. Le premier dont le titre Ă©tait "Sur les rĂšgnes impĂ©riaux" fut rĂ©digĂ© par un auteur anonyme Ă qui on donne le nom de Genesios, mais ne fut guĂšre apprĂ©ciĂ© de Constantin VII qui commanda une deuxiĂšme version que l'on doit plus que probablement Ă ThĂ©odore Daphnopates; ce sont ces quatre livres qui constitueront le « ThĂ©ophane continuĂ© » [63].
Bien quâessentiellement littĂ©raire, le rĂŽle jouĂ© par lâempereur dans le renouveau culturel sâest Ă©galement exercĂ© dans le domaine religieux, faisant rĂ©diger par le diacre Ăvariste le Synaxaire de Constantinople, rĂ©unissant dans lâordre du calendrier liturgique des rĂ©sumĂ©s de vies des saints fĂȘtĂ©s. Dans le domaine des sciences, on note plusieurs compilations comme les GĂ©oponiques, sur lâagriculture ou les Ćuvres mĂ©dicales de ThĂ©ophane Nonnos et une collection des traitĂ©s dâhippiatrie, montrant ainsi non seulement lâimportance quâa prise au Xe siĂšcle le patronage impĂ©rial, mais Ă©galement la volontĂ© de rĂ©unir dans des ouvrages faciles Ă consulter la somme des connaissances du passĂ© [64].
La Souda et le Ménologue métaphrastique
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Au Xe siĂšcle, deux ouvrages devaient parfaitement illustrer la tendance Ă lâencyclopĂ©disme Ă laquelle on Ă©tait parvenu : la Souda et le MĂ©nologue mĂ©taphrastique.
La Souda (en grec ancien : ΣοῊΎα), mot dont lâorigine est inconnu mais qui fut confondu au XIIe siĂšcle pour un nom de personne, est une encyclopĂ©die datant du milieu du IXe siĂšcle ou plus probablement des environs de lâan mil, dont les 31 342 entrĂ©es en ordre alphabĂ©tique expliquent des formes grammaticales complexes, des mots rares, des proverbes, des personnes, des institutions ou mĂȘme des concepts comme ceux de « cosmos » et « physis ». Compilation de compilations, elle utilise des biographies, bibliographies et autres sources bibliques ou antiques, bien que les rĂ©fĂ©rences Ă des personnages ou Ă©vĂšnements du Moyen Ăge, comme Basile II ou Constantin VIII pouvant ĂȘtre des ajouts ultĂ©rieurs [65].
Le MĂ©nologue (en grec ancien : ÎŒÎ·ÎœÎżÎ»ÏÎłÎčÎżÎœ, de ÎŒÎźÎœ, « mois » et λÏγοÏ, « discours » ou « tableau ») mĂ©taphrastique fait rĂ©fĂ©rence au premier mĂ©nologue rĂ©digĂ© par SymĂ©on MĂ©taphraste. Un « mĂ©nologue » dans les Ăglises dâOrient est un ouvrage contenant la liste mensuelle des fĂȘtes Ă cĂ©lĂ©brer. Ă la demande de lâempereur Basile II, SymĂ©on rassembla des vies de saints et biographies Ă©parses pour les rĂ©Ă©crire (les « mĂ©taphraser » = « paraphraser », d'oĂč son surnom) leur donnant une forme standardisĂ©e et en adaptant la langue au gout du temps. Son MĂ©nologue est rĂ©parti en Ă©ditions comprenant dix volumes chacune et fut utilisĂ©e dans presque tous les monastĂšres dĂšs le XIe siĂšcle. Contrairement au « martyrion » qui dĂ©crivait la mort hĂ©roĂŻque de saints, le « mĂ©nologue » met lâaccent sur la saintetĂ© de la vie du personnage dont les miracles et les visions sont la preuve [66] - [67].
Le "gouvernement des philosophes"
Ă la mort de Basile II (r. 976-1025) et de Constantin VIII (r. 1025-1028), la dynastie macĂ©donienne n'est plus reprĂ©sentĂ©e que par les deux filles de ce dernier : ZoĂ© PorphyrogĂ©nĂšte, l'aĂźnĂ©e et ThĂ©odora PorphyrogĂ©nĂšte. AprĂšs avoir Ă©pousĂ© Romain Argyre en 1028, ZoĂ© Ă©pousera le jour du dĂ©cĂšs suspect de ce dernier son amant de lâĂ©poque, couronnĂ© le lendemain du mariage sous le nom de Michel IV (r. 1034-1041). Ăpileptique et de santĂ© fragile, ce dernier mourut en laissant le trĂŽne Ă son neveu, Michel V (r. 1041-1042), lequel sera chassĂ© du trĂŽne par la vindicte populaire aprĂšs une annĂ©e de pouvoir. ZoĂ© et ThĂ©odora se retrouveront ainsi briĂšvement co-impĂ©ratrices jusquâĂ ce que ZoĂ© Ă©pouse un ancien amant, le sĂ©nateur Constantin qui prit le nom de Constantin IX (r. 1042-1055). Son rĂšgne intervient Ă la fin de cette Ăšre d'expansion gĂ©ographique et de renaissance Ă©conomique et culturelle, alors que lâempire se trouve confrontĂ©, aussi bien Ă lâintĂ©rieur quâĂ lâextĂ©rieur Ă des dĂ©fis dâenvergure.
On doit l'expression "gouvernement des philosophes" Ă Paul Lemerle [68]; sans doute quelque peu exagĂ©rĂ©e, l'expression "gouvernement des intellectuels" conviendrait peut-ĂȘtre mieux; elle n'en dĂ©crit pas moins l'atmosphĂšre rĂ©gnant alors Ă la cour.
Sans ĂȘtre lui-mĂȘme un grand intellectuel Ă lâinstar de Constantin VII, Constantin IX porte un intĂ©rĂȘt marquĂ© Ă la culture. En ce milieu du XIe siĂšcle il attirera dâabord Ă sa cour Constantin LeichoudĂšs dont il fera son mesazon, sorte de chef de cabinet. Ce dernier, qui deviendra plus tard patriarche de Constantinople, y fera venir Ă son tour un certain nombre dâanciens camarades, intellectuels comme lui, qui formeront une nouvelle gĂ©nĂ©ration dâhommes de culture : NicĂ©tas le Grammairien, Jean Xiphillin et Michel Psellos[69].
Une des grandes initiatives de Constantin IX sera la crĂ©ation dâune Ă©cole publique de Droit, discipline enseignĂ©e jusque-lĂ dans des institutions privĂ©es. Par une Novelle de 1047, il en confie la direction Ă Jean Xiphilin qui devient « le gardien et lâenseignant des lois » (nomophylax didaskalos). Le gouvernement impĂ©rial prend ainsi charge de lâorientation et la standardisation de cet enseignement dont lâĂ©cole est installĂ©e dans le monastĂšre de Saint-Georges-des-Manganes, extension du dĂ©jĂ trĂšs vaste Palais impĂ©rial, et ses professeurs deviennent fonctionnaires, titulaires dâune fonction officielle donnant droit Ă un salaire fixe (roga)[70].
Deux autres personnes devront leur avancement Ă Constantin LeichoudĂšs : Michel Psellos (secrĂ©taire impĂ©rial ĂągĂ© de vingt-cinq ans en 1043) et Jean Mavropous (gĂ©nĂ©ration prĂ©cĂ©dent celle de Psellos Ă qui il a enseignĂ©). Avant de monter dans la hiĂ©rarchie, tous deux produisirent des discours et poĂšmes Ă la gloire du rĂ©gime auquel ils confĂ©reront une aura de science et de culture, devenant ce que lâon appellerait aujourdâhui ses propagandistes officiels. Câest ainsi quâils firent revivre les panĂ©gyriques et discours oratoires trĂšs populaires dans la Rome impĂ©riale, mais abandonnĂ©s entre le VIIe siĂšcle et le XIe siĂšcle et qui devaient prendre de lâimportance sous les ComnĂšnes[71]. Lâimportance de ces deux domaines, philosophie et rhĂ©torique, feront en sorte que Constantin IX crĂ©era deux titres officiels, celui de « Consul des Philosophes » qui sera dĂ©cernĂ© Ă Michel Psellos et celui de « Maitre des rhĂ©teurs » attestĂ© pour la premiĂšre fois dans les annĂ©es 1050 dont le titulaire aura la charge de prononcer chaque annĂ©e lâĂ©loge de lâempereur et celle du patriarche [72].
Lâhistoire, passablement nĂ©gligĂ©e depuis le VIe siĂšcle, reprend sa place comme composante essentielle de la littĂ©rature avec Michel[N 4] Psellos, lequel avec Anne ComnĂšne (1083 â vers 1153) et NicĂ©tas ChoniatĂšs (vers 1155 â 1217) sous la dynastie suivante, seront les trois grands historiens du Moyen Ăge byzantin[73]. Sa culture englobe tous les domaines du savoir : philosophie, rhĂ©torique, gĂ©omĂ©trie, thĂ©ologie, mĂ©decine, histoire. De mĂȘme, il Ă©crit sur tout : Ă©tymologie, mĂ©decine, dĂ©monologie, tactique, droit⊠sans compter une volumineuse correspondance dont cinq cents lettres ont survĂ©cu, des oraisons funĂšbres, etc. Son intĂ©rĂȘt pour lâAntiquitĂ© le conduira Ă Ă©pouser certaines thĂšses nĂ©oplatoniciennes, essayant de les rĂ©concilier avec les concepts chrĂ©tiens, notamment en faisant revivre certaines idĂ©es anciennes tentant de donner une explication scientifique du monde qui lui vaudront lâhostilitĂ© de certains cercles religieux, Ă la suite de quoi il dut, en 1054, faire une profession de foi publique [74].
La fin de la « Renaissance macédonienne »
La pĂ©riode appelĂ©e « Renaissance macĂ©donienne » en est ainsi une de redĂ©couverte de la culture grecque ancienne. Câest Ă cette Ă©poque que nous devons la quasi-totalitĂ© de lâĆuvre crĂ©Ă©e par lâAntiquitĂ© grecque et transmise par les Byzantins[75]. En mĂȘme temps, enthousiasmĂ©s par ce quâils redĂ©couvraient, les Byzantins se complurent dans cet hĂ©ritage ne cherchant guĂšre Ă lâĂ©tendre, Ă lâapprofondir ou Ă le modifier. Les points culminants de cette pĂ©riode « encyclopĂ©dique » amorcĂ©e sous le rĂšgne de Basile Ier, continuĂ©e pendant celui de Constantin VII qui se charge lui-mĂȘme de la partie politique, atteignent leur sommet sous celui de Constantin IX alors que la fondation des Ă©coles publiques de droit et de philosophie donnera un lustre nouveau Ă lâĂ©ducation supĂ©rieure, les professeurs de lâĂ©poque, comme Xiphillin et Psellos, Ă©tant moins connus pour leur enseignement que pour les hautes fonctions quâils dĂ©tenaient dans la fonction publique ou lâĂglise. Avec le mesazon Constantin LichoudĂšs, ils formaient une coterie dâintellectuels attirant de nouveaux jeunes talents[76]. La floraison intellectuelle de lâĂ©poque est en harmonie avec lâessor Ă©conomique et les transformations sociales que connait alors lâempire[77].
Toutefois, dĂ©jĂ sous-jacente au rĂšgne de Constantin IX apparait avec la fin de la dynastie macĂ©donienne une pĂ©riode de nouveaux dangers tant sur le plan interne alors que sĂ©vit une crise monĂ©taire et que hauts fonctionnaires, militaires, patriarche et population de Constantinople lutteront pour le pouvoir, que sur le plan extĂ©rieur alors que la dĂ©faite de Manzikert marquera le dĂ©clin de lâEmpire byzantin en Asie, que les PetchenĂšgues menaceront la frontiĂšre danubienne et que les Normands achĂšveront la conquĂȘte de lâItalie mĂ©ridionale avant de menacer la portion occidentale de lâempire[78] - [79]. Il faudra attendre lâarrivĂ©e au pouvoir dâAlexis Ier ComnĂšne pour que sâinstaure une nouvelle pĂ©riode de stabilitĂ© qui sâachĂšvera elle-mĂȘme par la chute de Constantinople aux mains des croisĂ©s en 1204[80]. Mais, dĂ©jĂ prĂ©sente dans lâEmpire de NicĂ©e, une nouvelle « renaissance » au sens oĂč nous lâentendons aujourdâhui, se prĂ©pare, elle aussi basĂ©e sur lâhĂ©ritage de la GrĂšce antique, mais porteuse dâun humanisme nouveau, celle des PalĂ©ologues[77] - [N 5].
Notes et références
Notes
- LĂ©on III, Constantin V durant la premiĂšre pĂ©riode (723-775), LĂ©on IV, Constantin VI, IrĂšne, NicĂ©phore Ier, Staurakios et Michel Ier RhangabĂ© durant le retour des icĂŽnes (775-813) et LĂ©on V lâArmĂ©nien, Michel II, ThĂ©ophile, ThĂ©odora et Michel III durant la seconde pĂ©riode (813-843) (Voir Ostrogorsky, (1983) chap. III, « LâĂąge de la crise iconoclaste » pp. 180-239
- Ăcriture oĂč chaque lettre est tracĂ©e sĂ©parĂ©ment avec des pleins et dĂ©liĂ©s faits avec soin, utilisĂ©e du IVe siĂšcle au VIIIe siĂšcle pour Ă©crire le latin, le grec et le gothique.
- Coffre reliquaire passant pour contenir un morceau de la Vraie Croix sur laquelle a été crucifié Jésus de Nazareth lors de l'épisode de la Passion.
- Le prĂ©nom qui lui fut donnĂ© Ă la naissance Ă©tait Constantin; Michel est celui quâil adoptera en devenant moine pendant la brĂšve Ă©clipse de 1054 Ă 1057.
- Voir à ce sujet, article « Dynastie des Paléologues, Renaissance intellectuelle».
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- Sur cette période de sa vie, voir Ostrogorsky (1983) pp. 296-309
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Voir aussi
Articles connexes
Liens externes
- (en) Eclairient. âThe Macedonian Renaissance: A Brief Perspectiveâ. You Tube. [en ligne] https://www.youtube.com/watch?v=7hWMD-F9rtw.
- (en) Quidam Graecus. « Byzantine Macedonian Renaissance art 9th - 11th centâ. You Tube. [en ligne] https://www.youtube.com/watch?v=QchlJve3hbI.