Relations entre Ukrainiens, Polonais et Russes en Volhynie
La Volhynie est une région de l’Ukraine actuelle qui au cours de son histoire mouvementée a été sous domination polonaise, russe, autrichienne, allemande et ukrainienne. Ceci se reflète dans sa population et les rapports entre les différents groupes ethniques.
La République des Deux Nations
À la suite de l’Union de Lublin de 1569 les territoires de l’Ukraine actuelle furent incorporés à la Couronne de Pologne malgré les protestations des députés ruthènes du grand-duché de Lituanie (État jusque-là en union personnelle avec le Royaume de Pologne). La voïvodie de Volhynie (capitale Łuck) devint la propriété du roi. En 1596 les évêques ruthènes (ukrainiens) orthodoxes furent contraints par le roi de la nouvelle dynastie des Vasa, d’origine suédoise, Sigismond III, de signer une nouvelle fois l’Union lors du synode de Brest Litovsk (Brześć Litewski) et d’accepter l’autorité du pape. Cette réunion des évêques créait l’Église grecque-catholique ukrainienne (uniate) à l’image de celle déjà existante en Russie rouge qui appartenait à la Pologne depuis le XIVe siècle.
L'Ukraine fut le théâtre de nombreux soulèvements de Cosaques (p.ex. celui de Nalewajka, lis : Nalévaïka, en 1637-1638) écrasés par les Polonais. Ils exprimaient le plus souvent le mécontentement de nature sociale (cf. révolte sociale des « Haïdamaks ») comme l’assujettissement des paysans ukrainiens libres aux seigneurs polonais qui s’étaient taillé des grands domaines (latifundia) ou religieux, bien que la politique du gouvernement polonais à l’égard des orthodoxes fût relativement tolérante dans la première moitié du XVIIe siècle. Le plus important fut celui de Bohdan Khmelnytsky (considéré comme le premier chef de l'État ukrainien indépendant par les Ukrainiens eux-mêmes) qui, commandant en 1647 une « sotnia » cosaque, organisa un putsch militaire, une révolte locale dont le prétexte était le refus de la Diète d'augmenter le nombre de « Cosaques enregistrés (en) », promesse du roi Ladislas IV lors des préparatifs de guerre conte l'Empire ottoman, et qui se transforma en insurrection générale de toutes les terres ukrainiennes gagnant la bourgeoisie des villes et le bas clergé. La raison donnée était la défense de l'orthodoxie contre les « persécutions » des catholiques polonais mais en réalité il s'agissait, pour les Cosaques Zaporogues (transdniepriens), de la restauration de la « Liberté dorée » confisquées 10 ans plus tôt.
Khmielnitski se fit élire hetman, signa une alliance avec les Tatars de Crimée et attaqua la Volhynie et la Russie rouge avec des milliers de paysans ukrainiens révoltés contre les seigneurs polonais. La haine des Polonais et des Juifs fut à l'origine des pogroms perpétrés lors de traversées d'armées cosaques. Les échos de cette catastrophe atteignirent, par le biais de commerçants juifs, l'Europe occidentale et sont encore présents dans les chants hassidiques.
On connait l'histoire de la petite armée du grand seigneur polonais de Volhynie, « kniaz » (prince) Jeremi Wiśniowiecki qui, pénétrant par le nord, repoussa momentanément les armées de Khmielnitski et permit aux nombreux Juifs d'être sauvés. Le prince, piètre stratège, comme écrit Paweł Jasienica suivant l'opinion de ses contemporains, se fit connaître par sa cruauté à l'égard des paysans révoltés, faits prisonniers (décapitations, pendaisons et empalements sur les places de villes et bourgades) mais ce n'était que la réponse aux exactions commises sur les prisonniers nobles par le chef cosaque Maksym Krzywonos. Il faut rappeler que les Juifs installés dans ces territoires par le pouvoir polonais, servaient souvent d'intermédiaires entre les paysans asservis et les grands seigneurs, aubergistes à qui on avait octroyé le privilège de vente d'alcool, commerçants concurrents des chrétiens, artisans dans les villes et bourgades, ils étaient aussi des collecteurs d'impôts pour le compte des princes. Ainsi la fureur paysanne, soutenue par le clergé orthodoxe se dirigea contre ces « Judas déicides ». Leopol (Lwów-Lviv) fut assiégée et l'armée de Khmielnitski atteignit le Bug, frontière de la Petite-Pologne.
Les accords temporaires du traité de Zboriv signés en , après la défaite polonaise à Piławce, prévoyaient l'enregistrement de 40 000 Cosaques qui devaient résider dans les Oblast de Kiev, Braclav et Tchernihev, interdisaient le maintien des troupes de la Couronne dans ces territoires, abolissaient l'Union des Églises, expulsaient Juifs et Jésuites et donnaient l'administration de ces voïvodies aux nobles orthodoxes. C'était, certes, une victoire des Cosaques Zaporogues qui en fait aspiraient à l'assimilation à la noblesse polonaise mais pas celle des revendications paysannes, le régime social n'étant pas remis en question, ni celle des ambitions de l'hetman.
Pendant les guerres cosaques naquit l'idée de la fédération des Trois Nations (idée prônée par le voïvode de Kiev, Marian Kisiel et le nouveau roi, Jean Casimir Vasa), les Ukrainiens étant son troisième élément, mais la noblesse polonaise et lituanienne s'y opposa et à Péréïaslav, en 1654, les délégués du tsar et de l'hetman négocièrent le traité final qui fit basculer du côté russe toute l'Ukraine orientale (rive droite du Dniepr). La guerre russo-polonaise (1654-1667) provoqua la division des Cosaques et en 1658 une partie d'eux opta pour la fédération, la République des Trois Nations qui resta lettre morte. La trêve d'Androussovo (1667), qui mit un terme au conflit entre la Pologne et la Moscovie, consacra le fait, alors que le traité de Karłowiec-Karlowitz de 1699 qui fixait la frontière sur le Dniestr donnait une partie méridionale à l'Empire ottoman (Bucovine et Bessarabie). La frontière entre les trois États resta stable pendant un siècle.
L'assimilation de l'Ukraine orientale s'accéléra. Le métropolite orthodoxe de Kiev reconnut, après l'assentiment du patriarche de Constantinople, l'autorité du patriarche de Moscou en 1684. Durant la Grande guerre du Nord (1700-1709), opposant la Russie de Pierre le Grand à la Suède de Charles XII, apparut un chef cosaque ambitieux, Ivan Mazepa, qui lié d'abord à la Russie passa ensuite un accord avec la Pologne de Stanislas Leszczyński, soutenu par le roi de Suède, et avec Charles XII, lui-même, qui reconnut l'indépendance de l'Ukraine transdnieprienne contre l'appui des troupes cosaques zaporogues. Peu suivi par la population il fut frappé d'anathème par le clergé orthodoxe, soumis déjà à Moscou, et qui y voyait une alliance contre nature, vu la religion protestante du monarque suédois et le catholicisme de son protégé polonais. Le gouvernement russe ne considérait pas l'Ukraine autrement que comme une province russe, dans laquelle une armée cosaque, déjà mercenaire, gardait un statut d'autonomie. Il ne pouvait admettre la naissance d'un nouvel État indépendant.
Les plans de Mazepa s'effondrèrent à la bataille de Poltava (défaite suédoise, 1709) et son armée dut se réfugier chez le Turc. Les Russes en profitèrent pour accentuer la politique d'assimilation de l'Ukraine transdnieprienne. En 1720, un ukase interdit l'usage de la langue littéraire ukrainienne sauf, et avec réserves, pour les ouvrages religieux. Il s'agissait d'une langue qui comptait peu aux yeux des bureaucrates de l'entourage du tsar. Les parlers populaires n'étaient pas menacés puisqu'elles n'avaient guère d'expression écrite.
Le pays, dont la langue officielle était le russe, fut soumis à une politique centralisatrice et « uniformisatrice » qui s'appuyait sur les cadres nobiliaires. En 1764 le gouvernement supprima l'institution d'hetmanat et les régiments cosaques furent transformés en 10 régiments de carabiniers devant 6 ans de service. Les Cosaques du rang formèrent une catégorie de paysans libres alors que les paysans dépendant de la noblesse cosaque furent définitivement liés à la terre. Le servage s'étendit sur une bonne partie de l'Ukraine, comme c'était déjà le cas en Pologne, alors que l'Église ukrainienne, dont les biens furent sécularisés, suivait le sort de l'Église orthodoxe. Cependant l'Église de Kiev continua à jouer en Russie, au moins jusqu'à la fin du XVIIIe siècle, le rôle de la métropole intellectuelle des Slaves de l'Est en un temps où l'instruction était la chose de l'Église. Son Académie ecclésiastique, dont les cours étaient dispensés en latin, resta fort active et fournit à Moscou des prêtres instruits en y créant l'Académie slavo-gréco-latine en 1687 qui, il est vrai, devint bien vite un instrument de censure.
Partages de la Pologne
En 1772 la République des Deux Nations, dont le roi élu par la noblesse était Stanislas II de Pologne, amant et favori de Catherine II la Grande, subit le premier partage entre les trois puissances voisines, Russie, Prusse et Autriche. Cette dernière occupa la Petite-Pologne et la Russie rouge dont la capitale, Leopol, en lui donnant un nouveau nom de « Royaume de Galicie et de Lodomérie », à l'exception de Cracovie, restée polonaise, mais qui fut annexée plus tard, après l'insurrection de 1846. L'Ukraine, dont la Volhynie, resta polonaise, cependant en 1782 les Habsbourg lui arrachèrent illégalement une petite partie méridionale de cette dernière (district de Krzemieniec, lis-Kchémiéniets) en l'incorporant à la Galicie. Le 2e partage de 1793 fit entrer l'Ukraine dont la Volhynie, la Russie blanche, la Russie noire et la Polésie (territoires de la Biélorussie actuelle) dans le giron russe (cf. les cartes). Le 3e partage ne concerna pas les terres ruthènes mais les guerres napoléoniennes modifièrent les possessions russes qui avancèrent à l'Ouest (la partie méridionale de la Volhynie revenant à l'Empire moscovite). Les frontières dans ces régions restèrent stables ensuite (cf. la Sainte Alliance, née du Congrès de Vienne) jusqu'à la Première Guerre mondiale.
En 1769 éclata la guerre contre l'Empire ottoman et les Russes occupèrent la Bucovine, qu'ils évacuèrent après le Traité de Küçük Kaynarca (1774), mais les Autrichiens prirent leur place et se firent céder par la Porte (1775) cette province. L'Autriche donna officiellement au pays le nom de Bucovine (nom slave qui veut dire « pays des forêts de hêtres »). Elle dépouilla entièrement l'Église orthodoxe de ses biens immenses et s'appliqua à peupler sa nouvelle province en y faisant venir des colons de Saxe et de Wurtemberg. Jusqu'en 1786 l'administration fut purement militaire. En 1787, la Bucovine fut réunie à la Galicie.
Territoires annexés par la Russie
Les Russes créèrent 3 grandes provinces ukrainiennes dirigées par un gouverneur nommé par Saint-Pétersbourg, celles de Kiev, de Volhynie avec la capitale Jytomyr (Żytomierz) et de Podolie (Kamenets-Podolski). Au début il n'y eut pas de bouleversement social : Catherine II garantit aux nobles polonais leurs « droits » sur les paysans ukrainiens. Le nouveau pouvoir considérait les Ukrainiens comme une des branches du peuple russe (rossiïski, grand-russe et non ruski, ruthène) mais au début de l'occupation le pouvoir ne combattit pas avec acharnement le mouvement national ukrainien naissant. L'administration était à peine en formation et l'élément dominant à affaiblir était plutôt les propriétaires terriens polonais, surtout à partir de l'insurrection de 1830 (organisée par l'élément nobiliaire), qui éclata dans le royaume du Congrès et se propagea au-delà de sa frontière, dans les territoires lituaniens, biélorusses et ukrainiens.
C'est à l'extrême fin du XVIIIe siècle que l'on vit apparaître la langue littéraire ukrainienne par la publication de l'« Enéide travestie » d'Ivan Kotljarevskiï (1798) qui est considéré comme le véritable créateur de la langue ukrainienne moderne, dégagée d'un vocabulaire littéraire encombré de slavon et russe. Dans les milieux universitaires de Kharkov et Kiev et on s'intéressa à l'histoire et aux traditions populaires du pays. Certains s'engagèrent dans le mouvement décabriste, décapité en 1825, alors que d'autres étaient animés par un esprit panslave (cf. la confrérie de Cyrille et Méthode, société clandestine prônant le fédéralisme et l'égalité des peuples slaves, liquidée par le pouvoir en 1846) auquel on peut associer l'activité révolutionnaire et violemment anti-tsariste de Tarass Chevtchenko, poète romantique, condamné à 10 ans de déportation en Sibérie (cf. le film de 1951 du même titre de Savtchenko, terminé par son élève, Mikhaïl Paradjanov qui réalisa aussi Rhapsodie ukrainienne et surtout en 1965 Les Chevaux de feu, révélation et triomphe international ; source Larousse, Dictionnaire du cinéma, 1995). En parallèle se développèrent dans les années 1830-1850 les études historiques ayant pour but de connaître le passé de la l'Ukraine. La publication en 1846 d'un faux patriotique « La légende historique de l'Ukraine », œuvre extraordinaire, autant par ses falsifications que par l'exposé ordonné des faits indubitables, et qui retrace le passé du pays depuis le royaume de Kiev jusqu'à la cosaqueries au XVIIIe devint « un plaidoyer historique et politique en faveur d'une Ukraine autonome, seule héritière de la Russie pré mongole, opposée à la Pologne catholique et à la Moscovie tatare ». (cf. E.Borchtchak, La légende historique…).
Mais la première manifestation d'une conscience nationale ukrainienne est le Livre de la Genèse du peuple ukrainien de Kostomarov, écrit en ukrainien et traduit en russe pour marquer la différence les deux « nations ». Au milieu du siècle les travaux du comparatiste Franc Miklošič et du philologue Aleksandr Potebnia, fondateur de la langue scientifique, élevèrent définitivement l'ukrainien au statut de langue. L'insurrection de 1863 mit fin à cette relative tolérance, la question ukrainienne étant considérée par les insurgés comme polonaise. Le gouvernement russe affecta de croire à des menaces de séparatisme (qualifié de « mazepisme »).
Aussi l'année 1863 inaugura-t-elle une nouvelle politique de répression, appuyée par les milieux russes les plus nationalistes et définie par la circulaire de Valouïev de 1863. Les revues existantes furent supprimées, la censure sur la langue ukrainienne, renforcée (voici l'exemple du point de vue officiel : «… il n'y a jamais eu de langue petite-russe il n y en a pas et il ne peut pas y en avoir. La langue employée par le bas peuple n'est autre chose que du russe corrompu par l'influence polonaise «). Le nom d'Ukraine comme celui de Pologne disparurent pour être remplacés par « Région du Sud-Ouest » et « Pays de la Vistule ». L'oukase d'Ems de 1876 interdit toute publication en ukrainien.
L'industrialisation du pays fit grandir l'importance d'une bourgeoisie ukrainienne, attachée aux valeurs nationales, et grossir le nombre de patriotes actifs. En 1897 se tint un congrès illégal des « hromadas » (sociétés secrètes radicales à l'origine des nationalistes ukrainiens) d'où émergea une organisation générale qui se métamorphosa plus tard en Parti démocratique ukrainien (en 1904). L'année suivante à Poltava la célébration du centenaire de la publication de l'« Énéide » de Kotljarevski se transforma en manifestation politique lorsque, après l'intervention des délégués de Galicie et de Bucovine dont l'adresse en ukrainien souleva l'enthousiasme des auditeurs, le délégué russe voulut à son tour s'exprimer dans sa langue maternelle, il se vit l'interdire par le représentant du gouvernement. Tous les délégués déchirèrent leurs adresses mais le scandale n'entraîna pas de sanctions. L'interdiction de présenter des rapports en ukrainien au congrès de l'archéologie de Kiev en 1899 suscita une vague de protestations dans les grandes villes. Les municipalités et un certain nombre de « zemstvo » (représentations de nobles) réclamèrent au gouvernement l'introduction de l'enseignement en ukrainien dans les écoles élémentaires. La jeune génération, plus radicale, cherchait à se rapprocher des mouvements révolutionnaires ou lançait des revendications extrémistes comme celle de Mykola Mikhnovsky d'une Ukraine «…seule, indivisible, libre, indépendante, des Carpates au Caucase », devise désavouée par son propre Parti révolutionnaire ukrainien dont le programme n'allait pas jusqu'à une rupture complète avec l'Empire. Mikhnovski fonda par la suite un nouveau parti (Parti national ukrainien).
La diversité des positions et l'émiettement d'un mouvement qui restait celui de minorités cultivées et engageait peu les masses populaires, sont les caractéristiques de la situation politique de l'Ukraine vers 1900. Le sort des paysans, la condition ouvrière, les libertés fondamentales et la participation au pouvoir étaient les préoccupations plus importantes à l'échelle de l'Empire qui en plus commençait à réaliser les dangers apparus à l'échelle européenne et mondiale. La révolution de 1905 fit trembler le régime et obligea Nicolas II à des concessions. Les revues ukrainiennes se multiplièrent, la langue ukrainienne était enseignée à tous les niveaux, les œuvres de Chevtchenko et d'autres, publiées, et en 1907, l'Académie impériale reconnut que l'ukrainien n'était pas un simple dialecte du russe, mais une véritable langue. La première Douma, composée de 98 membres, comporta 40 députés ukrainiens, dans la deuxième ils étaient 47 mais dans la 3e, celle des « seigneurs », élue de façon moins démocratique, les Ukrainiens ne disposaient plus d'une tribune politique. La crainte de la guerre et le nationalisme grand-russien, poussa le gouvernement à rogner les libertés accordées. En 1910 ne paraissait qu'un seul quotidien en ukrainien, la « Rada » et la répression s’abattit sur le « séparatisme » ukrainien. Les hommes et les publications se réfugièrent de nouveau dans la clandestinité ou retrouvèrent le chemin de l'exil à l'étranger (Galicie ou Bucovine, Prague, Vienne ou Suisse). L'année 1914 à l'occasion du centenaire de la naissance de Chevtchenko fut le théâtre d'affrontements entre les nationalistes russes et ukrainiens. La presse gouvernementale, ultra nationaliste et cléricale déchaîna une campagne anti-ukrainienne, dans laquelle la Galicie orientale était perçue comme le « Piémont de l'Ukraine » : journaux restants interdits, écoles, bibliothèques, institutions scientifiques fermées. Un rapport au grand-duc Nicolas déclara : « l'ukrainisme n'est qu'une armée forgée par le gouvernement de Vienne ». La langue russe remplaça l'ukrainien et le clergé orthodoxe russe, venu de Kiev, exerça une forte pression sur le clergé uniate en vue de le rallier. Le métropolite E.V. Cheptytski, résidant à Leopol, fut puni pour sa résistance et déporté en Russie, à Souzdal, dans la prison réservée aux ecclésiastiques. Ces mesures provoquèrent des protestations à la Douma dont celles de Milioukov et plus tard de Kerenski. Les empires centraux en allaient faire un bon usage pendant la Grande Guerre en soutenant un Comité de libération de l'Ukraine, créé à l'étranger et publiant des cartes du pays à libérer couvrant 900 000 km2 et qui s'étendait jusqu'à la Caspienne.
Territoires annexés par l'Autriche
La situation des Ukrainiens se présentait tout autrement en Galicie autrichienne. Dans la première phase le processus de polonisation se poursuivit et le seul centre de développement du mouvement ukrainien était l'Église uniate, elle aussi, fortement polonisée. L'attitude des Polonais ressemblait à celle des Russes, c'est-à-dire, les Ukrainiens ne représentaient pas un cas particulier mais constituaient une branche ruthène du peuple polonais. C'est seulement lorsque les Ukrainiens apparurent comme une force politique puissante (après le Printemps des peuples et la création de la Hlovna Rada Ruska – Conseil principal ruthène) que Vienne décida de la politique de division et de détournement du sentiment national ukrainien contre les Polonais.
La Bucovine fut attachée en 1787 à la Galicie. La région, dont le fond était slave (Ruhènes des basses terres et les montagnards, appelés Houtsoules et apparentés aux Ruthènes ; cf. déjà cité ci-dessus le film de Paradjanov Chevaux de feu) et moldave, et qui s'était enrichie entre le XIVe et XVIIe siècle d'éléments divers : roumanophones, arméniens, hongrois, polonais et juifs, avait déjà donc un caractère multiethnique, lorsque l'Autriche s'en empara. Les colons allemands et polonais (des montagnards de Silésie autrichienne, venus au début du XIXe siècle. puis d'autres tant que le pays appartenait à la Galicie) ainsi que les juifs fuyant l'Ukraine russe renforcèrent encore le caractère particulier de cette contrée. L'empereur Joseph II, qui nommait toute l'administration locale et les dignitaires ecclésiastiques, permit un certain développement de l'instruction en plusieurs langues (ukrainienne, roumaine, allemande, polonaise, hongroise et juive). Depuis 1849, elle forma, sauf dans une courte période (1859-1861), une province particulière de l'Empire sous le nom de « duché de Bucovine », avec un parlement local (Landtag) à Czernowitz.
Sous François-Joseph Ier la vie culturelle de différentes communautés fut encouragée et sa capitale, Czernowitz en profita pour se moderniser (système de canalisation, électricité, pavement de rue et même tramway). Les ingénieurs polonais de Leopol passait par Suceava et Czernowitz et qui permettait la liaison mer Baltique-mer Noire. En 1875 on ouvrit dans la capitale du duché une université où se créèrent des organisations d'étudiants en fonction de leur appartenance ethnique dont « Soïouz » (Union) ukrainienne, « Allemania » et « Austria », « Ognisko » (Foyer) et « Lechia » polonaises ou encore « Karima » sioniste et « Zefira » et « Hebronia » juives.
Selon le recensement de 1857 la Bucovine comptait 4 558 000 habitants dont 44,6 % de Roumains, surtout au Sud, aux fortes différences sociales, 38,2 % de Ruthènes et Houtsoules, pauvres paysans et bergers sans tradition citadine, 6,4 % d’Allemands, employés, artisans qualifiés, ingénieurs de mine et de métallurgie, 6,5 % de Juifs, habitant villes et bourgades, commerçants et artisans, médecins, avocats et journalistes, 3 % de Polonais, citadins qui constituaient le 2e groupe ethnique dans la capitale après les Juifs, 1,6 % de Hongrois, 0,57 % de Russes vieux-croyants ayant fui les persécutions, 0,1 % d’Arméniens. Trois quarts de la population, en majorité analphabète, vivaient des activités agricoles et pastorales en 1880 et ce jusqu’à la fin du XIXe siècle. Comme la majorité (60 %) des paysans n'avait pas plus de 2 ha alors que 40 % des terres étaient détenues par les grands propriétaires il en résulta une forte émigration aux États-Unis et au Brésil (cf. « Bukovina Society of Americas » qui fonctionne encore aujourd’hui). Au début du XXe siècle la composition confessionnelle se présentait comme suit : orthodoxes (Roumains et Ukrainiens) – 68,44 %, israélites – 12,86 %, catholiques (Polonais, Hongrois et Allemands) - 12,23 %, calvinistes et luthériens (Allemands et Hongrois) – 2,56 %, sans compter les vieux-croyants russes, les Arméniens catholiques et de rite oriental et les Roms (0,7 % - 6000 ?). Un des représentants des Juifs de Bucovine est l’écrivain israélien Aharon Appelfeld dont de nombreux livres ont été publiés en France par exemple son autobiographie « Histoire d’une vie » qui évoque la patrie perdue (une excellente bibliographie existe, malheureusement pour les francophones, en polonais (cf. Bukowina de Wikipédia).
La Ruthénie transcarpatique, appelée aussi subcarpatique par les Roumains et les Hongrois, relevait de Budapest depuis le XIIIe siècle et englobait la haute vallée de Tisza. Selon le recensement de 1846 la population comptait 469 000 habitants comme suit : 235 000 Ruthènes, 120 000 Hongrois, 65 000 Juifs, 14 000 Slovaques, 10 000 Allemands. Les Autrichiens y créèrent un réseau d'écoles primaires avec deux langues : ruthène et slovaque. La région subit des destructions dues aux révoltes et l’insurrection hongroise de 1848 et fut transformée momentanément en district ruthène séparé de la monarchie hongroise (1849-1850). Extrêmement pauvre, elle devint dans la seconde moitié du XIXe siècle une terre d'émigration vers les États-Unis, l'Uruguay, l'Argentine et l'Australie (entre 200 000 et 400 000 personnes). Le recensement de 1880 donna 59,5 % de Ruthènes, 25,7 % de Hongrois, 7,8 % d'Allemands, 4,1 % de Roumains, 2,1 % de Slovaques et Tchèques, 0,5 % pour les autres.
Après avoir signé un compromis avec les Polonais en 1861 (l'autonomie de Galicie consistait en la création du parlement local, Landtag, à Leopol, la polonisation de l’administration et de l’instruction ainsi que de l'université et de la polytechnique de Leopol et enfin la nomination du gouverneur polonais) contre leur appui au parlement de Vienne, les Autrichiens considérèrent le problème ukrainien comme une affaire interne polonaise. Néanmoins les Ukrainiens vivant sous la domination polonaise disposaient de bien meilleures conditions de développement de leur culture nationale que leurs frères vivant sous le joug tsariste. Autre raison de ce développement était le niveau de vie supérieur et ainsi que plus grand taux d’urbanisation en Lodomérie-Galicie. Les Ukrainiens habitaient sa partie orientale (Galicie orientale ou Ruthénie) avec Leopol et Przemyśl, mais constituaient une minorité dans les villes dominées par les Juifs et les Polonais. Ils revendiquaient la division de la Galicie, où à l'Est ils auraient la majorité, et le suffrage démocratique. Jusqu'à la fin de l'Empire austro-hongrois la vie politique de la Galicie fut dominée par les conservateurs, partisans du compromis mais l’éclosion des mouvements nationalistes préparait un sombre avenir.
Un courant russophile très fort portait l'intelligentsia ukrainienne vers le grand voisin de l'Est. Le fait qu’elle fut en partie cléricale et composée de prêtres uniates, frères de l'Église orthodoxe, n’affaiblit pas ce courant, alors que leurs positions étaient plutôt de nature conservatrice, les régimes monarchiques étant perçus par eux comme protecteurs de la tradition. Un de leurs représentants (père Ivan Naumovitch) ne déclara-t-il pas : « Placés devant un choix, nous préférons nous noyer dans l'océan russe que dans le marais polonais » ? Malgré la loi d’autonomie (1861) et le régime constitutionnel dualiste (Ausgleich, 1867) les Ukrainiens conservèrent un certain nombre de libertés inconnues de l'autre côté de la frontière, en particulier l'emploi de la langue dans les écoles primaires et reçurent des droits théoriquement égaux à ceux des autres nationalités. La Galicie continua à être dominée par une riche aristocratie polonaise de grands propriétaires (1 500 familles possédaient 42 % du sol) ayant le monopole de la fabrication et de la vente de la vodka, et par une bourgeoisie urbaine polonaise et juive. Le système électoral des « curies », du Parlement de Vienne à la Diète de Galicie, défavorisait les Ukrainiens qui n'étaient représentés que dans les curies paysannes. En dépit de cette situation politique médiocre, qui recouvrait en plus une situation sociale misérable de la paysannerie analphabète en majorité, la Galicie autrichienne jouissait d'un régime relativement libéral qui permettait dans une grande mesure l'expression du nationalisme ukrainien.
Les dirigeants ukrainiens de Galicie se partageaient en deux tendances, toutes les deux hostiles au gouvernement de Vienne dont l’une était favorable à la Russie, autour du journal « Slovo » (Parole), l'autre – populiste – recherchant un accord avec les Polonais en vue d’un partage de la Galicie. L'échec de cette dernière amena ses dirigeants à se rapprocher de ceux de l’autre tendance. Le mouvement populiste s'appuyait sur des organisations (hromadas) secrètes (la première se forma à Leopol en 1863), mais le libéralisme du régime autorisa la création en 1868 de la société « Prosvita » (Lumières), puis de « Ridna chkola » (société de pédagogie), Association des Sciences « Chevtchenko », « Sokil » (faucon) et « Sitch » (associations d’éducation sportive et para-militaires et enfin « Luh » (association de gymnastique et de pompiers) dont le but était d‘élever le niveau intellectuel et d'éveiller la conscience nationale. Des intellectuels comme Ivan Franko (savant et poète), Mychajło Pawłyk (écrivain et homme politique), Mykhaïlo Hruchevski (historien), Kost Levytski (homme politique) et des artistes comme Solomiya Kruchelnytska y travaillaient sans entraves ni censure. L’université de Leopol possédait des chaires ukrainiennes. En 1890 Franko et Pawłyk fondèrent le Parti radical ukrainien qui répondait plus aux aspirations de nouvelles générations déçues du populisme. Les revues « Narod » (peuple, nation) et « Khliborod » (paysan) devaient devenir le nouvel instrument d'éducation de la masse paysanne et de propagande socialiste et nationale. Elles menaient une campagne d’opposition à la fois au gouvernement et à la tendance populiste. En 1895 le parti réclama l'indépendance du peuple ukrainien mais se scinda vers 1900 en trois tendances : radicale, national-démocrate et social-démocrate.
Il en était de même du côté polonais. Grâce au nouveau statut d'autonomie le gouvernement local, toujours dirigé par un Polonais, disposait de libertés dans les domaines de l'économie locale, transport et communication, instruction et santé et la Lodomérie-Galicie devint le principal centre politique du mouvement national (les territoires polonais aux mains des Prussiens et Russes ne disposaient pas de telles libertés et subissaient une politique de germanisation ou russification, la scolarité étant dans la langue de l'occupant). Les partis politiques ainsi que les associations de tout type fonctionnaient ici à l'instar de ceux des Ukrainiens : « Sokól » (qui veut dire faucon, organisation créée d’abord en Bohême par Miroslav Tyrs en 1862), « Strzelec » (tireur), « Drużyny Bartoszowe » (organisations para-militaires). Elles servirent à la formation des « Légions polonaises », dont le chef Józef Piłsudski les engagea comme détachements séparés dans l’armée autrichienne pendant la Première Guerre mondiale.
La Première Guerre mondiale et ses conséquences
Les Polonais et les Ukrainiens servirent durant la Première Guerre mondiale des deux côtés du front au nom du loyalisme monarchique, mobilisés comme tous les hommes valides par les Empires centraux et l'Empire russe. Les soldats polonais et ukrainiens restèrent fidèles en leur majorité aux gouvernements respectifs durant presque tout le conflit.
La région de Volhynie fut victime de grandes destructions durant la guerre, surtout au moment de l'offensive des armées des puissances centrales en août – . Les armées russes en retraite détruisirent villes et villages, manoirs et châteaux en déportant la population à l'Est (stratégie de la terre brûlée pratiquée lors de la campagne napoléonienne en Russie, répétée, plus tard, en été 1941 face à l'offensive nazie). Les deux contre-offensives russes firent reculer les Autrichiens et le front traversait la région du nord au sud. Le traité de Brest-Litovsk donna à l'État ukrainien, la Volhynie en même temps que la terre de Chełm et la Polésie. Il en résulta le retrait de l'armée autrichienne remplacée par l'armée allemande qui occupa la région ainsi que toute l'Ukraine jusqu'en décembre 1918 puis s'en emparèrent les partisans de Petlioura.
En 1918 la Pologne devint de nouveau indépendante mais ses frontières n'étaient pas fixées à l'Est. Les Alliés étaient favorables à une suggestion du secrétaire du Foreign Office, George Curzon, qui proposait de les limiter aux territoires purement polonais (ligne Curzon), chose irréalisable vu le caractère de mosaïque du peuplement de ces régions (Ukrainiens-orthodoxes des territoires russes, dits Ruthènes-uniates en Galicie autrichienne, Polonais catholiques et autres). Les Polonais, au nom de leurs « droits historiques », voulaient revenir aux frontières antérieures au premier partage de la Pologne en 1772 et annexer la partie occidentale de l'Ukraine (la Galicie orientale autrichienne et la Volhynie russe, occupées par les puissances centrales avant leur défaite en 1918).
L'État polonais, renaissant des trois parties distinctes n'ayant pas connu pendant plus d’un siècle la même expérience politique et économique des puissances occupantes (Autriche, Prusse et Russie), n’avait pas encore concrétisé en la forme de son régime politique. Son gouvernement à Varsovie, reconnu par les Alliés seulement en , a déclaré qu'en attendant l'élection d’une assemblée (Diète) constituante Józef Piłsudski était le chef de l'État aux larges pouvoirs législatifs et exécutifs et que cet État avait pour régime la république. Le manifeste du gouvernement () en faisait un régime à caractère populaire (décrets de la journée de 8 huit heures et assurance maladie pour les ouvriers) et annonçait « une réforme agraire radicale et les nationalisations des branches mûres à cet effet de l’industrie » dont les modalités seraient votées par l'assemblée constituante à venir. En même temps le gouvernement se détachait de l'idée de la révolution et proclamait la volonté de fonder un régime de démocratie parlementaire (l'ordonnance électorale garantissait le suffrage universel égal, secret et proportionnel à tous les habitants du pays de plus de 21 ans sans distinction de sexe). Les élections ont été convoquées pour le mais le gouvernement ne contrôlait, à ce moment-là, que la partie russe de la Pologne (ancien royaume du Congrès, créé en 1815).
Les derniers mois d'occupation autrichienne en Galicie virent s'opérer un changement de la politique à l'égard de la cause ukrainienne. Certains éléments considéraient que, si les Polonais aspiraient à l'indépendance (le les députés polonais de Galicie autrichienne avaient retiré leur allégeance à la couronne d'Autriche pour se joindre à la nouvelle Pologne), il devait être de même pour les Ukrainiens (qui par ailleurs pouvaient s'estimer brimés par le « double joug austro-polonais », surtout dans la partie orientale) qui, coincés entre la Russie bolchevique et la Pologne renaissante, allaient préférer se placer du côté autrichien. Ainsi les généraux autrichiens, sans consulter l'état-major, ont-ils concentré des détachements militaires où dominait l'élément ukrainien dans la partie orientale et surtout à Leopol), capitale de la Galicie, siège du parlement local. Dans la nuit du au , les Ukrainiens, dont les délégués de Galicie orientale mais aussi ceux de la Bucovine, de la Ruthénie transcarpatique, jadis administrées par Budapest, au nom de l'Ausgleich de 1867, s'y réunirent, s'en emparèrent et proclamèrent la République populaire d'Ukraine occidentale (RPUO). Certains quartiers de la ville, peuplée en majorité de Polonais (alors que les campagnes environnantes étaient habitées par les Ukrainiens), organisèrent la défense et des combats acharnés opposèrent les deux parties. Le secours polonais venu de l'Ouest (Przemyśl) permit la reprise totale de la ville () et de la ligne du chemin de fer la reliant à la Galicie occidentale, alors que la guerre polono-ukrainienne sévissait plus à l'Est. Dans la mémoire polonaise s'est gravé pour toujours le sacrifice des enfants de 13 à 17 ans ayant pris part aux combats (« Aiglons de Lwów » dont on a dressé le monument funéraire après la guerre et qui a été récemment restauré par les soins de la Pologne et des Polonais restés à Lviv après la Seconde Guerre mondiale en accord avec le gouvernement de l'Ukraine indépendante, mais dont la réalisation avait été bloquée longtemps par les autorités de la ville).
La RPUO entra en contact avec Kiev où Simon Petlioura s'établit au nom de la Rada, après l'effondrement du régime germanophile de l'hetman Pavlo Skoropadsky qui ne survécut pas à la défaite de ses protecteurs (les Allemands avaient créé après le traité de Brest-Litovsk un État ukrainien fantoche afin de pouvoir exploiter sans limites les richesses agricoles et minières du pays) et s’enfuit le . Le , la Rada de Kiev ratifia l'union des deux républiques ukrainiennes sous une forme fédérale. C'était un vœu pieux car, dès le , les éléments galiciens de la nouvelle Armée polonaise prirent toute la Galicie et Leopol tomba le 21. Peu après les bolcheviks déclenchèrent une offensive qui les ramena à Kiev le . La Rada s'enfuit à l'Ouest.
À la fin du mois de le gouvernement de Varsovie contrôlait la région de Leopol mais les frontières étaient loin d’être stabilisées et encore moins reconnues. Des masses de prisonniers de guerre la traversaient, Russes en direction de l’Est et Allemands en direction de l’Ouest, sans compter les Polonais et les Ukrainiens revenant de captivité en Allemagne ou de déportation en Russie. Le nouveau pouvoir de gauche était contesté par les nationalistes polonais (ND de Roman Dmowski) dont les critiques se dirigeaient plutôt contre le gouvernement que contre le chef de l'État, Piłsudski, qui, originaire de Lituanie, rêvait d'une fédération des États recouvrant les territoires d'avant les partages de la Pologne, idée, déjà caduque, vu les aspirations nationales des peuples qui les habitaient et avaient proclamé le désir d’une existence indépendante de la Pologne (grâce à la présence de l'armée allemande on proclama en , à Minsk, la République populaire biélorusse et en octobre, à Vilnius, la République de Lituanie, combattues toutes les deux par les bolcheviks afin de récupérer ces territoires de l'Empire russe et qui, après la victoire temporaire, instaurèrent la République socialiste soviétique lituano-biélorusse le en y commettant des exactions et en éliminant les éléments potentiellement contre-révolutionnaires). D'autre part les partis révolutionnaires polonais rejetaient aussi toute l'idée d’autonomie et d'autodétermination réclamant plus de pouvoir aux soviets, rejetant l'élection de l'assemblée constituante et prônant la dictature du prolétariat.
Sur le plan international (la conférence de Paris commença ses travaux de préparation des traités de paix en ) la France voulait jouer un rôle double de la protectrice de la Pologne mais aussi de l'Ukraine (grenier à blé) partant du postulat que les deux gouvernements étaient à la fois anti-allemands et anti-bolcheviques. Tandis que la Grande-Bretagne se méfiait de l'influence française dans cette région et du nationalisme polonais et, ignorant la réalité du terrain (Churchill à qui on présenta en 1919 une carte physique des confins biélorusses la prit pour une carte ethnique, difficile à réaliser par ailleurs à l'époque, et déclara que ce qui était vert foncé relevait des Biélorusses et le vert clair des Polonais), prônait les solutions de séparation ethnique (cf. ligne Curzon, ligne Foch et ligne Botha (pl)). Les Alliés tentèrent d'imposer un armistice entre Polonais et Ukrainiens (ligne Botha), mais la grande offensive polonaise au-delà du Dniepr fut lancée le avec le concours de l'armée de Józef Haller, transférée du front occidental et équipée par la France démobilisée, à qui on avait interdit toute implication dans ce conflit (le maréchal Foch en était responsable sur place). La situation se compliquait encore plus et les Alliés, voulant empêcher la jonction des forces bolcheviques aux troupes de la République des conseils de Hongrie en juin-juillet, autorisèrent la Pologne à occuper militairement toute la Galicie, sous réserve de régler le sort de sa partie orientale ultérieurement (on y allait recenser en 1921 : 3 132 000 Ruthènes ou Ukrainiens, 2 144 000 Polonais, y compris 659 000 Juifs).
Le le gouvernement de la RPU de Kiev opéra un rapprochement avec les Polonais afin de signer un accord d'action commune contre l'Armée rouge et de garder les arrières libres. Mais l'offensive des forces blanches d'Anton Dénikine soutenues par la France et la Grande-Bretagne (Kiev fut prise le et Orel atteinte le ) obligea l'hetman Petlioura en mauvais termes avec les Galiciens orientaux (RPUO) à franchir les lignes polonaises avec les débris de ses troupes. Il conclut avec Piłsudski un accord abandonnant à la Pologne la Galicie orientale et la Volhynie occidentale avec Równe et Krzemieniec moyennant l'aide polonaise pour la reprise de l'Ukraine orientale alors que les bolcheviks avaient repris Kiev le . Le traité de Varsovie signé le garantissait les mêmes droits aux Ukrainiens restés en Pologne et aux Polonais habitant l'Ukraine orientale. Mais le traité de Riga, qui marquait la fin de la Guerre soviéto-polonaise, en reconnaissant la RSFS de Russie et la RSS d'Ukraine annulait de fait les accords précédents signés avec la RPU. Pour les Ukrainiens c'était la trahison.
La IIe République de Pologne
La Diète constituante qui se réunit pour la première fois en , mais au complet seulement au milieu de l'année (394 députés dont 70 élus de Galicie occidentale et 28 anciens députés de Galicie orientale issus du parlement autrichien, étant donné les combats poursuivis dans cette zone contre l'armée de la RPUO et en Volhynie contre les forces de la République populaire ukrainienne de Kiev contre lesquelles les Bolcheviks avaient lancé une contre-offensive, est dominée par les nationalistes polonais (140 députés, 30,5 % des suffrages exprimés lors des élections). Dans cette assemblée sont absents les représentants de la minorité ukrainienne et biélorusse alors qu'il y a 11 députés juifs et 2 allemands.
Le traité de Versailles fut signé le par l'Allemagne mais aussi par la Pologne, la Tchécoslovaquie et la Yougoslavie qui devaient signer également un traité complémentaire (petit traité de Versailles) concernant le respect des minorités alors qu’une telle contrainte ne fut pas formulée à l'égard de la République de Weimar. Ainsi les minorités habitant ces États recevaient le droit d'adresser à la Société des Nations des plaintes contre leurs gouvernements. La cause polonaise redevint séduisante pour les Occidentaux, traditionnel ante murale ! Le Conseil Suprême des Alliés qui au départ comptaient sur la soumission des Ukrainiens au pouvoir des Armées blanches, vainqueurs des Bolcheviks, décida après les succès de ces derniers, de confier à la Pologne un mandat de 25 ans sur la Galicie orientale le ce que Varsovie refusa et la proposition fut retirée le 22 décembre. Les péripéties de la Guerre soviéto-polonaise firent passer l'affaire sur l'arrière-plan. Elle réapparut au sein de la Société des Nations en février et en septembre 1921 mais le traité soviéto-polonais de Rīga () reconnut à la Pologne toute la Galicie avec Leopol (Lviv). La conférence des ambassadeurs () en prit acte en demandant à Varsovie des mesures d'autonomie en faveur des Ruthènes-Ukrainiens.
Le la Pologne annexa la Galicie orientale ou l'ex-Ukraine occidentale. Ainsi la Volhynie comme la Galicie orientale furent incorporée à la Pologne qui au départ promit de respecter l'autonomie locale de ces territoires peuplés en majorité d'Ukrainiens.
La Diète constituante vota en un début de la réforme agraire sous l'influence des partis paysans et socialistes mais, si le maximum était de 60 à 180 ha selon la catégorie de la terre à l’Ouest du pays, il fut augmenté à 400 ha à l’Est (Kresy) voire à 700 ha, si les exploitations étaient industrialisées. Les bénéficiaires prioritaires étaient les soldats et invalides de guerre, et ensuite les ouvriers agricoles et petits paysans. Ainsi dès la fin de la Guerre soviéto-polonaise 10 000 soldats de l'Armée polonaise furent-ils installés dans les voïvodies orientales. Cette première colonisation militaire fut stoppée car s’y opposèrent aussi bien le parti national-démocrate qui défendait les intérêts des grands propriétaires terriens que le Parti paysan polonais, « PSL-Wyzwolenie » au nom de la protection des minorités puisque la colonisation changeait le rapport inter-ethnique au profit des Polonais.
Selon le recensement de 1921 les campagnes de Volhynie étaient habitées par la majorité de paysans ukrainiens orthodoxes souvent analphabètes, c'est-à-dire 74,6 %, alors que les catholiques, donc les Polonais (paysans, bourgeois, nobles, et colons récemment installés) ne représentaient que 11,5 %. Les Juifs constituaient 59 % des habitants de villes dans cette voïévodie où on trouvait des Tchèques (la plus forte minorité du pays et non, comme on aurait pu croire, dans la partie polonaise de la Silésie autrichienne de Teschen-Cieszyn) et des Allemands.
Les partis de gauche exigeaient l'égalité des droits pour les minorités et en 1922 la République de Pologne la promit ainsi que la création d'une université ukrainienne à Lviv, mais une fois la décision du Conseil des ambassadeurs reconnaissant sa frontière orientale prise, les promesses restèrent lettre morte, et ce malgré la Constitution (dont le modèle était le régime de la troisième République française) votée en qui la garantissait. Dès le mois d'avril le nouveau gouvernement limitait le développement de l'instruction en ukrainien et biélorusse, entravait les publications et soulignait les différences entre Ruthènes (uniates) et Ukrainiens (orthodoxes) dans les voïvodies orientales. Les conflits du passé entre les nationalités habitant ces régions se maintenaient et pesaient lourdement dans ce nouvel État en formation. La peur de mouvements centrifuges conduisait à la prise de décision rendant la situation de plus en plus aiguë.
Les élections, boycottés par une majorité des Ukrainiens de Galicie, à la suite de l'appel du gouvernement en exil d'Evhen Petruchévitch, au suffrage universel à la proportionnelle, à la Diète du , permirent l'arrivée des députés de minorités (18,7 % dont seulement 4,6 % d’Ukrainiens) alors qu'au Sénat, élu le , les minorités augmentèrent encore les effectifs, les portant à 24,3 %. L'élection du premier président de la République, Gabriel Narutowicz, grâce aux voix des minorités, exaspéra la droite nationaliste et poussa une semaine plus tard un déséquilibré, lié aux milieux extrémistes, à commettre un attentat meurtrier. Le gouvernement du centre-droit dut faire face à la crise économique (cf. la situation en Allemagne et les tensions entre les Alliés à ce sujet en 1923), à la contestation sociale et aux agitations des extrémistes de gauche (communistes) que de droite (mouvements fascisants) jusqu’à déclarer l’état d'exception.
L'influence de Józef Piłsudski diminuant tandis que celle des nationalistes de Roman Dmowski augmentant, le gouvernement opéra un changement de politique face aux minorités en supprimant certains de leurs droits par exemple celui de l'enseignement en langue maternelle. Les conflits et les tensions avec l'Église orthodoxe se multiplièrent également.
Une bonne partie des intellectuels ukrainiens engagés politiquement se lia alors avec l'activité du Parti communiste de l'Ukraine occidentale ou appuya le gouvernement en exil à Vienne. C'est à l'initiative de ce dernier que fut fondée en 1921 l'Organisation militaire ukrainienne (OMU) qui passa à l'action dès 1922 dans les régions du Sud-Est en commettant des actes terroristes. Le parlement et le gouvernement polonais entreprirent l'œuvre de centralisation et d'unification du pays et octroyèrent en même temps aux voïvodes et starostes (préfets et chefs du canton) des pouvoirs locaux élargis. En 1923 le parlement vota une loi d'autonomie locale sans pour autant permettre la création de régions autonomes avec un parlement local à l'image de la Haute-Silésie comme exigeait l'intelligentsia ukrainienne en rappelant les engagements pris par la Pologne lors de la signature du petit traité de Versailles.
La loi scolaire votée au même moment ne satisfaisant absolument pas les Ukrainiens car elle mettait l'accent sur l'héritage de la nation polonaise. Le point névralgique fut avant tout la colonisation des territoires orientaux qui devait renforcer l'élément polonais face aux minorités ethniques, majoritaires dans ces régions. Les décisions du gouvernement exaspérèrent les activistes de la OMU qui passèrent aux actions terroristes (attentat manqué contre le président de le République, Wojciechowski, attaque du bourg frontalier avec l'URSS avec l'appui des agents soviétiques, attaques contre les manoirs polonais et les trains de passagers). Le gouvernement riposta en créant le Corps de Défense des Frontières (KOP) et en arrêtant les dirigeants de l'OMU.
Ces actions ne réglaient pas les causes mais agissaient sur les conséquences du problème. Les tentatives d'apaisement du conflit polono-ukrainien entreprises par l'archevêque uniate Andrey Sheptytsky qui appuyait le programme d'autonomie territoriale dressèrent contre l'auteur les milieux nationalistes des deux camps.
Durant les années 1923-1926 le gouvernement polonais mena une politique assimilatrice à l'égard des minorités ethniques de l'Est de la République. Son refus d'ouvrir une université ukrainienne à Lviv comme il s'était engagé lors la signature du petit traité de Versailles fut suivi de l'initiative des milieux ukrainiens d'ouvrir 64 chaires de l'université clandestine qui était fréquentée par 1 500 étudiants et de l'école polytechnique supérieure et dont les élites tournaient les regards vers Kiev soviétique. Les deux institutions furent liquidées par la police. Après le coup d'État de Pilsudski de cette politique fut corrigée et on lança le programme d'assimilation étatique qui prévoyait l'accélération de la réforme agraire et la parcellisation des latifundia. En 1927 on élabora une tentative d'organisation de comités régionaux qui seraient composés de représentants des minorités et auxquels on octroierait le droit de faire des propositions. Le gouvernement nomma les nouveaux voïvodes à Lviv et à Łuck, Dunin et Jozefski, tous les deux connus pour leurs sympathies pro-ukrainiennes et créa à Varsovie l'Institut ukrainien des sciences dont le but était d'étudier l'histoire, la culture et la vie économique de la nation ukrainienne. Mais les intéressés rejetèrent ces initiatives prônant la lutte pour un État indépendant. Le gouvernement emprunta la voie de la répression vis-à-vis de toute institution ukrainienne soupçonnée de l'activité anti-étatique. En 1930 l'organisation de scoutisme « Plast » fut liquidé et le réseau des institutions ukrainiennes en Volhynie démantelé. Les OMU et OUN (organisation nationaliste ukrainienne) redoublèrent les actions terroristes et cette dernière entreprit même une collaboration avec les services secrets allemands alors que leurs membres furent entraînés dans l'école du NSDAP à Leipzig. Par ailleurs les milieux extrémistes torpillèrent toutes les tentatives de compromis des milieux modérés avec l'État polonais.
En 1938 les autorités, face au danger allemand à l'Ouest et au nom de la politique de sécurité et d'intégralité de l'État, contre-attaquèrent face à l'activisme ukrainien à l'Est. Afin d'affaiblir l'élément ukrainien l'action du gouvernement se concentra d'abord sur la recatholicisation et la repolonisation de la petite noblesse en donnant l'ordre de destruction des églises orthodoxes par l'armée (été 1938). Le projet de colonisation des confins orientaux fut réactualisé. Mais cette politique eut les effets contraires aux attendus : l'influence de l'OUN ne cessait d'augmenter auprès de la société, rurale en grande majorité.
Certains hommes politiques du camp au pouvoir depuis 1926 comme Leon Wasilewski et Mieczyslaw Niedzialkowski furent opposés aux chantres de la politique de l'assimilation forcée et prônaient au contraire une politique d'autonomie régionale dans l'intérêt de la République et le respect des minorités afin de les éloigner du pôle d'attraction que pouvait constituer l'Ukraine soviétique. Les Ukrainiens, selon eux, devaient retrouver le statut de gestionnaires de leur propres régions. Cela eût été la meilleure garantie de paix et d'un meilleur développement économique. Administrés ainsi, les territoires de l'Est pouvaient être une meilleure alternative. Mais la politique de l'entre-deux-guerres voulant incorporer par la force ces régions s'avéra en fatale pour l'État polonais dont une bonne partie de la population n'était pas intéressée par sa défense et l'atmosphère d'hostilité causa des milliers de victimes dans ces confins ethniques de l'Est de la Pologne.
En résumant les points d'accord entre les chercheurs polonais et ukrainiens, fruit de nombreux colloques et de leur publication on révèle rapidement les faits qui auraient été à l'origine d'une certaine animosité voire hostilité ou haine des Ukrainiens aux moments tragiques pendant la guerre et qui, travaillés par ces sentiments à l'égard de leurs voisins polonais ou poussés par les organisations et les hommes extrémistes, ont pu passer à la barbarie indescriptible :
- entre 1921 et 1939 200 000 colons polonais furent installés dans les campagnes ukrainiennes et 100 000 Polonais furent engagés dans ces régions comme fonctionnaire de l'État (police et employés de l'administration territoriale) ;
- en 1924 les écoles ukrainiennes furent transformées en écoles bilingues avec la prédominance du polonais ;
- les chaires ukrainiennes furent liquidées à l'université de Leopol ;
- en 1938 la répression et la terreur s'abattirent sur les Ukrainiens dans le cadre de la politique gouvernementale de pacification de la Galicie orientale : 190 églises orthodoxes furent détruites et 150 transformées de force en églises catholiques (même pas uniates), tandis que les bibliothèques et les salles de lecture ukrainiennes furent incendiées par les foules polonaises sans que la police polonaise n'intervînt. Les jeunes Polonais qui habitaient sur place s'organisèrent en strzelcy (francs tireurs) afin de terroriser la population ukrainienne sous prétexte de maintenir l'ordre. Les Polonais ne perpétrèrent pas de massacres de civils ukrainiens mais des activistes furent emprisonnés à prison de Bereza Kartuska ;
- 1939 : des dizaines d'activistes ukrainiens de l'OUN furent assassinés par l'armée polonaise en retraite vers la frontière roumaine ;
- 1941-1942 eurent lieu des massacres de plus de 2 000 villageois ukrainiens opérées par la résistance polonaise (AK) à la suite d'une provocation allemande dans la région de Lublin et Chełm.
En , en accord avec les clauses secrètes du pacte germano-soviétique, la Pologne est occupée à l'ouest par les Allemands et à l'est par les Soviétiques. La Volhynie se trouva dans la zone soviétique. Les Ukrainiens commencent à entreprendre des actions hostiles vis-à-vis des Polonais à l'instigation de la propagande soviétique, mais très vite c'est le NKVD qui fait la loi. La situation s'aggrave en 1941 après l'attaque de l'Union soviétique par les troupes allemandes (opération Barbarossa). Une partie de la communauté ukrainienne, en espérant la formation d'un pays indépendant, collabore avec les nazis (cf. participation dans la division SS Galizien) ou s'engage dans les actions hostiles aux autres groupes ethniques dans la région (Polonais, Juifs, Tchèques). Les Ukrainiens commencent à former des groupes de résistance qui deviennent une véritable armée de guérilla.
Lien interne
Cet article est tiré de Massacres des Polonais en Volhynie (voir la liste des auteurs).