Obstacle taxonomique
Lâ« obstacle taxonomique » dĂ©signe les lacunes constatĂ©es dans les connaissances taxonomiques et la pĂ©nurie croissante de taxonomistes et d'outils libres et ouverts, ainsi que de conservateurs dans ce domaine. Ce manque fait « obstacle » Ă la poursuite de l'inventaire du vivant, ainsi qu'aux mises Ă jour rapides de la classification (des espĂšces et autres taxons) et par suite Ă la protection de la biodiversitĂ©[1]. Cette expression est utilisĂ©e dans le monde des sciences et en particulier de la taxonomie et de la biodiversitĂ©, mais aussi par l'ONU. C'est la traduction de l'expression anglophone « taxonomic impediment ».
Pour pallier cette lacune, certains auteurs ont rĂ©cemment imaginĂ© combiner sur le Web et Ă partir de l'ADN[2] et de maniĂšre automatisĂ©e trois approches : 1°) une cyber-structure taxonomique unifiĂ©e[3], 2°) le barcoding molĂ©culaire automatisĂ© de l'ADN, et 3°) la phylogĂ©nie molĂ©culaire. Cet objectif est, selon de nombreux systĂ©maticiens, irrĂ©aliste, voire dangereux et trompeur (une « triple myopie » selon Carvalho et al.[4]). Une telle approche pourrait augmenter le nombre d'espĂšces dĂ©crites, mais avec des erreurs (car ne tenant pas compte du fait que des entitĂ©s biologiques peuvent ĂȘtre non-monophylĂ©tiques[5]). Certains taxonomistes estiment qu'une « taxonomie de l'ADN »[6] ne peut pas remplacer les classifications par la morphologie[7].
DĂ©finition internationale
Pour lâONU, cette expression dĂ©signe « les lacunes constatĂ©es dans les connaissances taxonomiques (notamment en matiĂšre de systĂšmes gĂ©nĂ©tiques), la pĂ©nurie de taxonomistes et de conservateurs compĂ©tents » mais aussi « l'impact de ces insuffisances sur notre capacitĂ© de gĂ©rer et dâutiliser la diversitĂ© biologique de notre environnement »[8].
Histoire du concept
Un manque futur (relativement aux besoins croissants) de gens formĂ©s Ă la taxonomie est annoncĂ© (sous dâautres noms) depuis plusieurs dĂ©cennies. Il l'a principalement Ă©tĂ© par des enseignants universitaires (botanistes et entomologistes, notamment) Ă la suite du non-renouvellement de postes et de la suppression progressive de budgets, de laboratoires et de chaires universitaires consacrĂ©s Ă ce domaine scientifique.
Les Nations unies ont officiellement reconnu le problĂšme de l'« obstacle taxonomique » lors de la 2nde rĂ©union de la ConfĂ©rence des Parties de la Convention sur la diversitĂ© biologique. Il a Ă©tĂ© prĂ©sentĂ© comme un frein Ă la mise en Ćuvre de la Convention, et traitĂ© dans un point de lâordre du jour intitulĂ© « Examen prĂ©liminaire des Ă©lĂ©ments constitutifs de la diversitĂ© biologique particuliĂšrement menacĂ©s et mesures quâil est possible de prendre dans le cadre de la Convention ». Cet ordre du jour faisait suite Ă une recommandation de l'organe scientifique de la convention qui soulignait[9] « la nĂ©cessitĂ© dâanalyser les mĂ©thodologies de recensement, de dĂ©termination des caractĂ©ristiques et de classification de la diversitĂ© biologique et de ses Ă©lĂ©ments constitutifs, afin dâidentifier les mĂ©thodes appropriĂ©es aux diffĂ©rentes conditions de disponibilitĂ© dâinformation et les moyens dâen renforcer lâefficacitĂ© ». La ConfĂ©rence des Parties a alors demandĂ©[10] Ă son organe scientifique dâĂ©valuer les besoins nationaux en matiĂšre de taxonomie, de proposer des mesures correctrices, sur la base des Ă©tudes disponibles et des initiatives en cours[10], avec consigne dâadopter « une interprĂ©tation plus pragmatique de la taxonomie en lâassociant Ă la prospection biologique et la recherche Ă©cologique sur la conservation et l'utilisation durable de la diversitĂ© biologique et de ses Ă©lĂ©ments constitutifs »[10].
En 2012, malgré l'implication des muséums et de quelques ONG et instances internationales (ex : Association of Systematics Collections, Systematics Agenda 2000, ETI), cet obstacle persiste. Il a été identifié à Nagoya comme l'une des causes de l'échec de l'objectif de 2010.
Contexte
Contexte de crise multiple
Alors que (et parce que) des pans entiers de la biodiversitĂ© semblent sâeffondrer, touchant maintenant aussi les espĂšces dites « banales » ou « ordinaires » et parce que les Ă©tudes dâimpacts sont devenues obligatoires pour les grands projets, la demande en information environnementale, taxonomique notamment augmente.
Dans les mĂȘmes temps, les prioritĂ©s budgĂ©taires et en termes de crĂ©ation de postes ont favorisĂ© d'autres domaines, plus rentables ou plus attrayants pour les grandes Ă©coles et universitĂ©s. La crise de 2008 semble avoir freinĂ© les engagements financiers annoncĂ©s lors des sommets successifs consacrĂ©s Ă la biodiversitĂ©.
Dans certains pays, l'accÚs aux milieux naturels et à certaines autorisations de travail in situ ou d'exportation de « matériel biologique » (spécimens, échantillons d'ADN) est rendu difficile par des conflits violents ou des tensions politiques, sociales, économiques, militaires...
Les difficultés d'enseignement et de formation
La taxonomie est une science complexe. Elle demande souvent un long apprentissage ; il faut 10 à 15 ans (voire beaucoup plus quand il s'agit de groupes taxonomiques difficiles ou nouveaux taxa) pour former un bon taxonomiste. Dans la plupart des domaines, les spécialistes sont rares et/ou ùgés.
Dans les dĂ©cennies 1980 et 1990, des espoirs et perspectives techniques encourageantes ont Ă©tĂ© ouverts par l'apparition de nouveaux outils (« Taxonomie de l'ADN »[11]bioinformatique, analyse gĂ©nomique, barcoding gĂ©nĂ©tique, clĂ©s informatiques de dĂ©termination, etc.). On a mĂȘme pu rĂȘver d'une possible Ă©volution vers une automatisation de l'identification et/ou de la classification automatique d'espĂšces[12].
Mais ces outils ne sont pas toujours accessibles. Certains semblent finalement, à ce jour, plus aptes à faciliter la découverte d'espÚces que leur classification précise[13], et ils présentent certaines limites[14] - [15] - [16] - [17].
Depuis son apparition, la biologie moléculaire a été fortement soutenue, au détriment de la biologie comparative et de la formation de systématiciens et de naturalistes experts[18].
De plus, une partie du travail des taxonomistes semble ĂȘtre rendue plus difficile par des changements globaux[19] rapides (Ex : dĂ©placement d'aires de rĂ©partition d'espĂšces, en mer par exemple ; dĂ©veloppement d'espĂšces invasives ou potentiellement invasives, de variants mutants de pathogĂšnes, de vĂ©gĂ©taux ou de microorganismes...).
La taxonomie évolue sans cesse, impliquant une mise à jour réguliÚre des savoirs et des bases de données.
Demandeurs et bénéficiaires
Ce sont notamment :
- des collectivités et la communauté internationale (dont les Nations unies, via ses conventions et actions concernant la biodiversité) ;
- des scientifiques (dont Ă©cologues mais pas seulement) ;
- des gestionnaires et conservateurs de milieux naturels ;
- des décideurs confrontés à des choix qui pourraient affecter la biodiversité ;
- des citoyens ;
- les législateurs ;
- des industriels souhaitant exploiter, voire breveter les ressources génétiques ;
- des médecins et épidémiologistes travaillant sur les maladies émergentes et les vecteurs biologiques de maladies (zoonoses notamment).
Recommandations scientifiques faites Ă lâONU
Ă la fin des annĂ©es 1990, une premiĂšre propositions internationale majeure a Ă©tĂ© lâInitiative taxonomique mondiale, assortie dâune demande explicite dâappui par le Fonds pour l'environnement mondial pour notamment renforcer les capacitĂ©s en taxonomie des pays en dĂ©veloppement ; pour la « mise en Ćuvre de lâarticle 7 de la Convention »[20].
La confĂ©rence des parties en a adoptĂ© le principe en (lors de sa 3e rĂ©union) et a demandĂ©[21] Ă son organe scientifique de la conseiller sur les mesures scientifiques et technologiques Ă prendre, et de faire de nouvelles propositions de produits finaux, dâoutils ou dâinstruments[21].
Les scientifiques mandatés par l'ONU ont recommandé une démarche cohérente et multi-échelle ;
- internationale (sous lâĂ©gide du secrĂ©tariat de la Convention, invitĂ© Ă coordonner le travail et Ă veiller Ă la compatibilitĂ©, lâharmonisation et lâexamen des mesures prises par les diffĂ©rentes Parties (Il existe notamment un besoin d'interopĂ©rabilitĂ© des bases de donnĂ©es) ;
- nationales (sous lâĂ©gide des Ătats-Parties)
- rĂ©gionales/sous-rĂ©gionales (sur la base de prioritĂ©s taxonomiques nationales, Ă Ă©tablir par les Ătats avec la communautĂ© scientifique) ;
Les institutions existantes de taxonomie, les donateurs, le PNUE, lâOCDE et le Fonds pour lâenvironnement Ă©taient invitĂ©s Ă apporter leurs compĂ©tences et des financements.
La confĂ©rence des parties a demandĂ© Ă son organe scientifique de prĂ©parer un « plan dâaction » et un calendrier ainsi que des moyens dâĂ©valuation, sâappuyant sur « des produits, outils ou instruments clĂ©s » tels que :
- « Administrateur de programme au sein du SecrĂ©tariat, chargĂ© de dĂ©velopper plus avant lâInitiative taxonomique mondiale » ;
- « Mise en place dâune infrastructure appropriĂ©e pour les collections biologiques nationales » ;
- « Partenariat entre les institutions des pays développés et des pays en développement afin de promouvoir la collaboration scientifique et la rationalisation des infrastructures, sous la forme notamment de programmes de formation » ;
- « Niveaux convenus à l'échelle internationale pour la conservation des collections » ;
- « Programmes de formation Ă diffĂ©rents niveaux dâenseignement et emploi continu pour les stagiaires » ;
- « Utilisation optimale des systĂšmes dâinformation dans les institutions taxonomiques » ;
- « Inclusion de mesures de développement des capacités taxonomiques dans les rapports nationaux » ;
- « Ătablissement et maintien de mĂ©canismes efficaces pour lâattribution dâappellations constantes des taxa biologiques » ;
- « Mise sur pied dâun Centre informatique mondial de la diversitĂ© biologique » ;
- « Ătablissement, de la Convention, de protocoles et de stratĂ©gies afin de coordonner lâaccĂšs aux informations taxonomiques contenues dans les collections et leur diffusion » ;
- « Ătablissement et mise Ă jour, par le mĂ©canisme du centre dâĂ©change, de rĂ©pertoires de taxonomistes et de leurs domaines dâexpertise en recherche et en identification » ;
- « Stabilité financiÚre et administrative des institutions responsables des inventaires de la diversité biologique et des activités taxonomiques » ;
- « Création de consortia pour diriger les projets régionaux » ;
- « Identification des centres de qualité, situés à différents emplacements géographiques, pouvant fournir des programmes de formation » ;
- « Appui au financement international de bourses dâĂ©tude pour la formation de spĂ©cialistes » ;
- « Programmes pour la formation de recyclage dâadministrateurs compĂ©tents dans les domaines de la taxonomie » ;
- « Méthodes de formation appropriées, répondant expressément aux besoins » ;
- « Renforcement des capacitĂ©s de gestion dâentreprise des administrateurs dâinstitutions sur la diversitĂ© biologique » ;
- « Ătablissement, mise Ă jour et accessibilitĂ© sur Internet des registres nationaux de taxonomistes actifs, de domaines dâexpertise et de descriptions de collections » ;
- « Ăvaluation des prioritĂ©s taxonomiques nationales et Ă©tablissement des prioritĂ©s taxonomiques rĂ©gionales ».
La conférence des parties a aussi proposé[20]
- de promouvoir la sensibilisation et de lâĂ©ducation de tous « afin dâassurer un niveau Ă©levĂ© dâacceptation par le public du rĂŽle et des avantages de la taxonomie dans les principaux Ă©lĂ©ments de la Convention » ;
- « lâintĂ©gration de systĂšmes taxonomiques autochtones et traditionnels dans la structure des connaissances taxonomiques) » ;
- de crĂ©er des outils de diffusion dâinformation taxonomique avec « le plus vaste rayonnement possible (ex: clĂ©s pour lâidentification des organismes; flores rĂ©gionales; bases de donnĂ©es) sous divers mĂ©dias, notamment la mise Ă la disposition des pays dâorigine des renseignements figurant dans les collections » ;
- dâappuyer la taxonomie dont dans les pays en dĂ©veloppement par la « crĂ©ation et/ou le renforcement dâinfrastructures appropriĂ©es (âŠ) des programmes de formation propres Ă faciliter la collaboration rĂ©gionale et Ă stimuler les partenariats entre les institutions des pays en dĂ©veloppement et celles des pays dĂ©veloppĂ©s »[20].
Durant cette mĂȘme pĂ©riode,
- - Un projet de « Centre mondial dâinformation sur la diversitĂ© biologique » Ă©tait proposĂ© par le Sous-groupe sur « lâinformatique de la biodiversitĂ© » du Forum MĂ©gascience de lâOCDE, mais non directement soutenu par lâONU qui semblait lui prĂ©fĂ©rer comme point de dĂ©part la « crĂ©ation dâun rĂ©pertoire des espĂšces du monde reposant sur des liaisons avec les bases de donnĂ©es taxonomiques mondiales faisant intervenir tous les organismes (ex: Species 2000 et autres) » [20];
- - des scientifiques publiaient la « DĂ©claration de Darwin » pour la « suppression de lâobstacle taxonomique »[22].
- - un groupe de travail de DIVERSITAS sur la recherche scientifique (pour appliquer les articles 7, 8, 9, 10 et 14 de la Convention sur la diversitĂ© biologique) soutenait la mĂȘme idĂ©e[23] ;
- - DIVERSITAS, soutenait peu aprĂšs le projet dâInitiative taxonomique mondiale : « âThe Global Taxonomic Initiative : shortening the distance between discovery and deliveryâ ; Raccourcir les distances entre la dĂ©couverte et lâexĂ©cution »[24].
Initiatives
En dĂ©pit du soutien moral et formel du secrĂ©tariat de la Convention sur la diversitĂ© biologique et du fait que les parties ont reconnu que les manques de moyens et dâexperts en taxonomie Ă©taient un rĂ©el frein Ă la connaissance et Ă la protection de la biodiversitĂ©[25], peu de progrĂšs concrets semblent avoir Ă©tĂ© faits, notamment en termes de financements.
Certaines initiatives ont Ă©tĂ© prises, souvent dans le cadre de la convention sur la biodiversitĂ© de lâONU [26], avec un programme de travail votĂ© en 2002[27], dont l'initiative dite « Global Taxonomic Initiative » (GTI). Le Sommet mondial de Johannesburg (2002) a rĂ©insistĂ© sur l'importance de la GTI si l'on voulait significativement rĂ©duire le taux de perte de biodiversitĂ© en 2010 (c'Ă©tait l'objectif international de l'ONU, qui a Ă©chouĂ©), mais les quelques efforts faits n'ont pas suffi Ă rĂ©pondre au problĂšme, ni Ă vraiment lancer l'initiative GTI[28].
Des initiatives gouvernementales ou nationales existent. Par exemple, le Web-portail du MusĂ©um d'histoire naturelle de Londres contient une introduction aux ressources taxonomiques Introduction aux ressources taxonomiques avec un index des noms de plantes supĂ©rieures [29], une base de donnĂ©es sur les fourmis base de donnĂ©es sur les fourmis et une base de donnĂ©es phylogĂ©niques (http://tolweb.org/tree). Les Ătats-Unis ont soutenu « Species 2000 »[30] et un SystĂšme d'information taxonomique intĂ©grĂ© dit "« Integrated Taxonomic Information System »" [31]. En France, un Inventaire national du patrimoine naturel (INPN) est mis en place sous lâĂ©gide du MusĂ©um national d'histoire naturelle. Des initiatives citoyennes et collaboratives comme Tela botanica dans les pays francophones ou Wikispecies dans le monde entier, sous lâĂ©gide de la fondation Wikimedia, sont d'autres exemples d'initiatives cherchant Ă aider les taxonomistes, en partie Ă leur initiative.
L'initiative taxonomique mondiale (ITM ou GTI)
Elle vise Ă construire un rĂ©seau international, sâappuyant sur des points focaux nationaux dans chacun des Ătats de la ConfĂ©rence des Parties. Bien quâen , la ConfĂ©rence des Parties ait Ă nouveau instamment priĂ© les Parties et les gouvernements de le faire, beaucoup de gouvernements (les 2/3 en 2012) nâont toujours pas crĂ©Ă© de point focal pour la GTI (par dĂ©faut le contact est alors le point focal national pour la Convention).
RĂŽles des Points focaux nationaux GTI :
- Ătablir des liens et faciliter l'Ă©change d'informations pour faire progresser la mise en Ćuvre de la GTI au niveau national;
- Répondre aux demandes d'entrées dans la GTI;
- Communiquer et collaborer avec d'autres points focaux nationaux pour faciliter la mise en Ćuvre de la GTI du niveau sous-rĂ©gional au niveau mondial, en passant par le niveau rĂ©gional;
- Collaborer avec d'autres au niveau national les points focaux de la Convention et des correspondants d'autres conventions liĂ©es Ă la biodiversitĂ© afin de faciliter la mise en Ćuvre et l'intĂ©gration de la GTI au niveau national.
Autres exemples
Le projet BioNET-INTERNATIONAL est mandaté pour mettre en place des mécanismes durables permettant aux pays en développement (qui sont pour certains, et de loin, les plus riches en biodiversité) à surmonter l'« obstacle taxonomique » en devenant « indépendant en taxonomie ».
Une liste dĂ©taillĂ©e des actions proposĂ©es par les centres nationaux de l'Initiative taxonomique mondiale focaux vers la mise en Ćuvre du programme de travail pour la GTI a Ă©tĂ© dĂ©veloppĂ©e par le mĂ©canisme de coordination de l'Initiative et transmis aux Parties en 2004 dans la notification 2004-073.
Enjeux
Dans un contexte d'effondrement de la biodiversitĂ©, la question se pose de savoir comment organiser et prĂ©senter les collections des musĂ©ums[32] et quelles espĂšces sauver en prioritĂ© quand toutes ne peuvent l'ĂȘtre. On demande alors Ă la systĂ©matique et Ă l'Ă©cologie de fournir des outils pour rĂ©pondre Ă cette question[33]. Les systĂ©maticiens sont appelĂ©s Ă identifier les zones critiques d'endĂ©misme et d'autres critĂšres de priorisation pour la protection et la gestion restauratoire d'habitats[34]. De plus, l'exploration taxonomique du Vivant nĂ©cessite des appellations uniformes et constantes (avec mise Ă jour « universelle ») des taxa biologiques dans le monde et donc des principes et critĂšres partagĂ©s pour lâĂ©tablissement dâune telle classification.
Paradoxalement, alors que cette demande technique, et de maniĂšre gĂ©nĂ©rale l'intĂ©rĂȘt du public et des Ă©lus pour la biodiversitĂ© semblent fortement augmenter, la science traditionnelle de la taxonomie continue Ă ĂȘtre de moins en moins enseignĂ©e dans les universitĂ©s.
à ce jour, les taxonomistes ont décrit plus de 1,8 million d'espÚces mais, en réalité, seule une faible part de la biodiversité a été inventoriée (il y aurait encore entre 30 et 100 millions d'espÚces à décrire). De plus, ce sont probablement les taxa les plus facilement accessible ou les plus facile à décrire qui ont été travaillés ; les plus grandes contributions à la science de la taxonomie seraient donc à venir. Enfin, « la plupart des taxonomistes travaillent dans les pays riches et industrialisés, qui ont généralement un biote moins diversifié que ceux des autres pays (tropicaux, et en développement) ».
Pour lâONU (et pour l'UICN qui se prĂ©sente comme un « important utilisateur final de la taxonomie », notamment pour la production des listes rouges d'espĂšces menacĂ©es), et pour de nombreux experts du domaine, il est nĂ©cessaire et urgent dâassocier synergiquement des outils, programmes et moyens de formation, un transfert de savoirs, de savoir-faire et de technologie (analyse gĂ©nomique notamment) vers les nouvelles gĂ©nĂ©rations et les pays Ă©conomiquement moins riches. Il faut aussi mutualiser lâinformation considĂ©rĂ©e comme « bien commun » dans une base de donnĂ©es internationale et multilingue, accessible en temps opportun[35].
AccĂšs aux nouveaux outils
Des outils nouveaux, issus de la gĂ©nomique et de la biologie molĂ©culaire, permettent maintenant d'identifier plus rapidement de nouveaux sous-groupes taxonomiques et de prĂ©ciser ou rĂ©viser la classification de certaines espĂšces. Ainsi, le barcoding gĂ©nĂ©tique est souvent prĂ©sentĂ© comme lâun des nouveaux outils prometteurs pour rĂ©soudre une partie de l'« obstacle taxonomique ». Mais l'accĂšs Ă ces outils est trĂšs inĂ©gal, les marqueurs disponibles ne concernant que certains groupes taxonomiques, et requiĂšrent des compĂ©tences scientifiques particuliĂšres (en gĂ©nĂ©tique et bioinformatique), qui diffĂšrent de celles qui Ă©taient traditionnellement enseignĂ©es aux taxonomistes.
Peu de taxonomistes des pays dits « en développement » ont accÚs à ces nouveaux outils (souvent réservés à des activités jugées plus lucratives ou rentables à court terme, alors que c'est justement souvent dans ces pays que sont les hot-spots de biodiversité et qu'elle régresse maintenant le plus rapidement).
Un accĂšs libre, Ă©gal et gratuit Ă cette information est donc souhaitĂ© par l'ONU et revendiquĂ© par de nombreux scientifiques, qui la considĂšrent comme un bien commun, nĂ©cessaire Ă la connaissance et Ă la protection des espĂšces et des ressources gĂ©nĂ©tiques. C'est aussi l'un des moyens de rĂ©duire l'obstacle taxonomique[20] et de favoriser une taxonomie plus collaborative. La gratuitĂ© est cependant discutĂ©e par certains pays. Ainsi, les dĂ©lĂ©guĂ©s de l'AlgĂ©rie, du Canada, et du BrĂ©sil en 2010 Ă Nagoya ont prĂ©fĂ©rĂ© parler de « partage de lâinformation » plutĂŽt que de « gratuitĂ© »[36]. Le dĂ©bat est complexe, car associant des arguments trĂšs diffĂ©rents, les uns craignant qu'offrir gratuitement (c'est-Ă -dire avec financement de la collectivitĂ© ou du mĂ©cĂ©nat) Ă tous cette information puisse aider des entreprises Ă s'approprier (dont par le brevetage) une partie du vivant sans en faire profiter les pays et communautĂ©s autochtones ayant jusqu'ici su protĂ©ger leur patrimoine, alors que d'autres semblent vouloir se rĂ©server la possibilitĂ© de revendre ou exploiter commercialement cette information. D'autres encore pourraient y voir un moyen de financer l'effort en taxonomie. Un risque est d'aggraver et pĂ©renniser une situation d'injustice et d'inĂ©galitĂ© Ă©cologique face aux ressources gĂ©nĂ©tiques, pour lesquelles l'ONU appelle Ă une gouvernance internationale, dans le cadre notamment de la Convention sur la diversitĂ© biologique et du Protocole de CarthagĂšne.
Besoins matériels et de formation
Depuis 1992, année du Sommet de la Terre de Rio de Janeiro, une attention croissante a été portée aux moyens de rendre le patrimoine d'informations taxonomiques plus accessible à tous, mais en oubliant que les taxonomistes ont également des besoins pour développer leur science et inventorier des milieux moins accessibles (jungles, déserts, fonds marins et masses d'eaux marines ; douces et saumùtres, canopées, sols et sous-sol de la planÚte, etc.).
Les musĂ©ums et quelques organismes internationaux ont fait des efforts pour vulgariser, partager et ouvrir leur information, leurs collections, mais les avantages associĂ©s Ă une plus grande facilitĂ© d'accĂšs (p. ex via le programme Global Biodiversity Information Facility (GBIF), Wikispecies ou lâEncyclopĂ©die de la vie) resteront sĂ©rieusement limitĂ©s tant que cette information ne pourra pas ĂȘtre rapidement et scientifiquement Ă©prouvĂ©e, ou tant que cette information restera inaccessible aux populations locales, comme câest le cas encore dans environ les trois quarts de la planĂšte.
Une partie de la bioprospection du patrimoine gĂ©nĂ©tique forestier (en forĂȘt tropicale notamment) a Ă©tĂ© faite ou cofinancĂ©e ou financĂ©e par des entreprises privĂ©es qui voudront sans doute conserver ces donnĂ©es pour les valoriser financiĂšrement. La longue durĂ©e des brevets peut les encourager Ă conserver pendant plusieurs dĂ©cennies ces informations pour elles seules.
De nombreux acteurs expriment une demande forte voire urgente pour une quantitĂ© et qualitĂ© croissante dâinformation taxonomique, notamment pour les espĂšces marines et tropicales, les espĂšces du sol, les espĂšces extrĂȘmophiles, les espĂšces dites « utiles » (auxiliaires de lâagriculture et de la sylviculture), les espĂšces susceptibles dâĂȘtre les plus vulnĂ©rables aux changements globaux, dont au dĂ©rĂšglement climatique, ou encore les microbes pathogĂšnes ou susceptibles de lâĂȘtre.
Ătre en mesure dâinventorier les taxons dĂ©jĂ dĂ©crits et les nouvelles espĂšces est une nĂ©cessitĂ© pour dresser lâinventaire du vivant, mais aussi pour restaurer, protĂ©ger et gĂ©rer les habitats naturels, les espĂšces menacĂ©es, et conserver et utiliser de maniĂšre soutenable une biodiversitĂ© de plus en plus considĂ©rĂ©e comme patrimoine mondial et bien commun.
Causes
Les causes de l'obstacle taxonomique sont souvent attribuées à :
- un recul des financements et soutiens aux formations universitaires portant sur la taxonomie (depuis le milieu du XXe siĂšcle) ;
- une perte de perspectives pour la biologie évolutionniste dans les années 1930 et 40 au profit des sciences de la génétique et de la biologie moléculaire ;
- un certain dénigrement de la taxonomie traditionnelle qui a renforcé son sous-financement.
On fait valoir que certaines initiatives visant Ă contourner le goulot d'Ă©tranglement du manque dâexperts en taxonomie continuent d'attirer des fonds, sans toutefois rĂ©soudre les causes du problĂšme[37]. Les sciences participatives peuvent modestement aider les taxonomistes, mais le travail des non-experts, mĂȘme Ă©clairĂ©s, est rapidement limitĂ© par la complexitĂ© du travail. En Allemagne, dans le cadre du RĂ©seau de recherche allemand sur la BiodiversitĂ© (Nefo[38]) et pour tenter de remĂ©dier au manque de formation et de perspectives de carriĂšre pour les jeunes taxonomistes, le MusĂ©e d'Histoire Naturelle de Berlin et l'UniversitĂ© de Potsdam ont conduit une Ă©tude financĂ©e par le MinistĂšre fĂ©dĂ©ral de l'enseignement et de la recherche (BMBF)[39]. Cette discipline manque de reconnaissance et devrait se mieux faire connaĂźtre, estime Christoph HĂ€user, copilote de lâĂ©tude et porte-parole allemand de la GTI. Cette Ă©tude propose notamment de plus systĂ©matiquement titulariser les jeunes professeurs dans cette discipline et dâouvrir des ateliers de dĂ©couverte pour les jeunes, dĂšs lâĂ©cole primaire[40].
Notes et références
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- Note du SecrĂ©taire exĂ©cutif de lâorgane subsidiaire chargĂ© de fournir des avis scientifiques, techniques et technologiques ; intitulĂ©e « Ătat dâavancement de lâinitiative taxonomique mondiale » Point 4.3 de lâordre du jour provisoire ; QuatriĂšme rĂ©union MontrĂ©al, Canada 21-25 juin 1999 ; Note ref UNEP/CBD/SBSTTA/4/6, janvier 1999
- dĂ©cision IV/1.D de la confĂ©rence des Parties ; Annexe / Propositions dĂ©taillĂ©es dâaction adressĂ©es Ă divers intervenants et Ă diffĂ©rents niveaux (SecrĂ©tariat de la Convention sur la diversitĂ© biologique, les Parties Ă la Convention, les autoritĂ©s responsables et les parties intĂ©ressĂ©es de la communautĂ© internationale)
- « DĂ©claration de Darwin » ; faite Ă lâoccation dâun Rapport dâun atelier tenu Ă Darwin, en Australie, 2-5 fĂ©vrier 1998
- DIVERSITAS, réunion tenue à Mexico, 25-28 mars 1998
- Rapport dâune rĂ©union convoquĂ©e par DIVERSITAS, Environment Australia et le Groupe consultatif scientifique et technique du Fonds pour lâenvironnement mondial, Ă la Linnean Society, Ă Londres, 10-11 septembre 1998, dont le compte rendu (Environment Australia/DIVERSITAS/STAP) a Ă©tĂ© prĂ©sentĂ© Ă la quatriĂšme rĂ©union de lâOrgane subsidiaire comme document dâinformation
- ONU/CBD, What is the Problem? The Taxonomic Impediment,
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- Work programme of the Global Taxonomy Initiative (GTI) ; Avril 2002 (CBD Decision VI/8);
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- de Carvalho, M.R.; Bockmann, F.A.; Amorim, D.S.; Brandao, C.R.F.; de Vivo, M.; de Figueiredo, J.L.; Britski, H.A.; de Pinna, M.C.C.; Menezes, N.A.; Marques, F.P.L.; Papavero, N.; Cancello, E.M.; Crisci, J.V.; McEachran, J.D.; Schelly, R.C.; Lundberg, J.G.; Gill, A.C.; Britz, R.; Wheeler, Q.D.; Stiassny, M.L.J.; Parenti, L.R.; Page, L.M.; Wheeler, W.C.; Faivovich, J.; Vari, R.P.; Grande, L.; Humphries, C.J.; DeSalle, R.; Ebach, M.C.; Nelson, G.J. (2007). "Taxonomic impediment or impediment to taxonomy? A commentary on systematics and the cybertaxonomic-automation paradigm" ; Evolutionary Biology 34 (3â4): 140â143.
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- http://www.biodiversity.de/index.php/en/about-us Présentation du « Réseau de recherche allemand sur la Biodiversité » (Nefo)] (en anglais)
- "Wer zĂ€hlt die Arten, nennt die Namen? - Neue Studie zur taxonomischen Forschung in Deutschland", dĂ©pĂȘche idw,[ - http://idw-online.de/pages/en/news478602 communiquĂ© de presse du MusĂ©e d'Histoire Naturelle de Berlin] - 21/05/2012
- Ambassade de France en Allemagne, Biologie ; Nouvelle étude sur la recherche taxonomique en Allemagne ; BE Allemagne numéro 572 (24/05/2012) - ADIT -
Voir aussi
Articles connexes
Liens externes
- (en) ONU, CBD, Ă propos de Initiative mondiale pour la taxonomie de lâONU
- (fr) ONU, Initiative mondiale pour la taxonomie ; Faire face à l'obstacle taxonomique dans la conservation de la diversité biologique
- (en) Tree of Life Web Project ; une classification visant à couvrir tout le vivant, aisée à parcourir mais pas toujours mise à jour !
- (en) TreeBASE Base de données de publications sur la phylogénétique, trÚs technique
- (fr) Tela botanica Code international de nomenclature botanique de Saint-Louis
- (en) Base de données de Taxinomie : The NCBI Entrez Taxonomy Homepage
Bibliographie
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- (en) Systematics Agenda 2000, 1994. Systematics Agenda 2000: Charting the Biosphere. Technical Report. NY, American Museum of Natural History. 34 pp.