Accueil🇫🇷Chercher

Nuit des paras

La « Nuit des Paras », aussi appelée « ratonnade de Metz », est un événement s'étant déroulé dans la nuit du au à Montigny-lès-Metz puis à Metz. Durant cette nuit, des centaines de militaires, favorables à l'Algérie française — voire ayant participé au putsch des généraux —, se livrent à une ratonnade visant spécifiquement la communauté nord-africaine de la capitale lorraine. Le bilan officiel fait état de quatre morts et plusieurs dizaines de blessés.

La caserne Serret, ici vers 1910, où était stationné le 1er RCP dont une partie des éléments a perpétré les violences.

Contexte

Le 1er rĂ©giment de chasseurs parachutistes (1er RCP) est envoyĂ© en AlgĂ©rie Ă  partir de l'automne 1954, au moment oĂą la guerre d'AlgĂ©rie dĂ©bute, après la Toussaint rouge. ComposĂ© d'environ 1 300 hommes, il se distingue durant la bataille d'Alger de Ă  . En 1961, le rĂ©giment est stationnĂ© Ă  Philippeville, sous le commandement du lieutenant-colonel Plassard. Le , il participe au putsch des gĂ©nĂ©raux ; le , le putsch Ă©choue. Plassard est Ă©cartĂ© du commandement et envoyĂ© devant le tribunal militaire ; le rĂ©giment, lui, est rapatriĂ© en France le , et s'installe le en Lorraine, Ă  la caserne Serret, situĂ©e Ă  Châtel-Saint-Germain, en limite de Moulins-lès-Metz. Lors de leur transfert depuis la gare, dans la nuit du au , les Messins sont rĂ©veillĂ©s par les cris de « AlgĂ©rie française ! », et peuvent voir dès le lendemain les parachutistes Ă©voluer en tenue de camouflage dans la ville, notant leur agressivitĂ© envers la communautĂ© nord-africaine. Le prĂ©fet de la Moselle envoie une note au ministre de l'IntĂ©rieur alertant sur l'attitude des officiers du 1er RCP, hostiles au gouvernement et toujours favorables aux putschistes, alors prisonniers ou en fuite[1].

En , la ville de Metz, siège de la rĂ©gion militaire du Nord-Est et ville militaire depuis plusieurs siècles, abrite Ă©galement une forte population de travailleurs algĂ©riens (30 000 dans toute la Lorraine, environ 2 000 dans le quartier de Pontiffroy oĂą l'Ă©vĂ©nement a lieu). ArrivĂ©s après la Seconde Guerre mondiale pour servir comme manĹ“uvre dans les usines de la rĂ©gion, les travailleurs algĂ©riens, sous-payĂ©s, sont logĂ©s dans de petites chambres au confort spartiate. Cette communautĂ© a dĂ©jĂ  connu les tensions de la guerre d'AlgĂ©rie, via la lutte entre les deux mouvements indĂ©pendantistes, le Mouvement national algĂ©rien (MNA) et le Front de libĂ©ration nationale (FLN) : leur rivalitĂ© pour le contrĂ´le de la communautĂ© donne lieu Ă  des dizaines d'assassinats, et d'attentats visant les cafĂ©s frĂ©quentĂ©s par les nord-africains. En , le FLN contrĂ´le la collecte de fonds et gère la lutte sur le territoire lorrain[1].

Des heurts sont réguliers entre les Algériens et les militaires, notamment les nouveaux venus du 1er RCP et du 1er GLA (groupe de livraison par air). Le soir du , notamment, une rixe entre une quinzaine d'Algériens et des hommes du GLA a eu lieu au dancing Le Trianon de Montigny-lès-Metz ; un soldat est blessé à la main. Un rapport établi par la 16e brigade de police judiciaire relate la bagarre ; le lendemain soir, un groupe encore plus important de militaires, et notamment de parachutistes, se rend au Trianon avec, selon le rapport, l'intention d'« identifier, voire corriger les Nord-Africains responsables de l'incident de la veille »[1].

Nuit du au

DĂ©roulement

Les militaires sont nombreux au dancing, ouvert aux clients ce dimanche . Le militaire blessĂ© la veille croit reconnaĂ®tre l'un de ses agresseurs[2] ; les premiers coups partent et les AlgĂ©riens, peu nombreux, fuient l'Ă©tablissement, les militaires Ă  leurs trousses. RattrapĂ©s, deux AlgĂ©riens ouvrent le feu : un appelĂ© du contingent du GLA, Henri Bernaz, meurt sur le coup. Se retrouvant Ă  nouveau face Ă  un groupe de paras, les AlgĂ©riens tirent Ă  nouveau, blessant un appelĂ© du contingent du RCP, Francis Soro (21 ans), qui dĂ©cède de ses blessures Ă  l'hĂ´pital Bon-Secours. Au milieu de la fusillade, le barman du Trianon, Jean-Marie Defrannoux (33 ans), est Ă©galement tuĂ©[1].

Pour venger la mort de leur collègue, la soixantaine de parachutistes présents dans la boîte de nuit vont chercher des renforts dans les casernes Serret et Raffenel. Plus tard, trois cents « bérets rouges » déferlent sur la ville, par camions militaires ou en taxi, puis quadrillent le centre-ville et le quartier de Pontiffroy par groupe de quinze, armés de bouteilles, de bâtons, de couteaux et de quelques armes à feu. Tout homme suspecté d'être d'origine maghrébine est violemment frappé. Des hommes sont ainsi agressés au jardin botanique, dans un café marocain de la rue Pasteur, au buffet de la gare de Metz (où une centaine de militaires saccage le mobilier et agressent les consommateurs à la peau foncée), dans la rue des Jardins, au Pontiffroy. Un Italien est molesté et finit à l'hôpital. Un Algérien, Embarek Aougeh, marchand ambulant, est abattu par balles rue Gambetta (à plusieurs kilomètres du Trianon), près du kiosque à journaux[1].

La ratonnade dure plusieurs heures. Selon les autoritĂ©s civiles et militaires, elle se termine Ă  3 heures du matin, les militaires Ă©tant alors tous rentrĂ©s dans leurs casernes respectives. Le bilan officiel est de quatre morts (trois au Trianon, un Ă  Metz), et 28 blessĂ©s enregistrĂ©s dans les hĂ´pitaux. Il faut sans doute ajouter plusieurs dizaines d'autres blessĂ©s, qui ne se sont pas rendus dans un Ă©tablissement public pour ĂŞtre soignĂ© par crainte des autoritĂ©s. Des tĂ©moignages Ă  chaud (recueillis par les journalistes parisiens de LibĂ©ration, L'HumanitĂ©, L'Express) relatent Ă©galement des scènes de lynchage, des hommes poussĂ©s dans la Moselle depuis les ponts du Pontiffroy ; d'autres suspectent l'existence de cadavres que les militaires auraient fait disparaĂ®tre. Certains tĂ©moignages font enfin Ă©tat de violences encore en cours envers des Nord-Africains dans la matinĂ©e du [1].

Suites et conséquences

Le mardi , Le RĂ©publicain lorrain titrera en une : « La nuit sanglante de Metz ». Le , la Ligue des droits de l'homme Ă©met « sa plus ferme protestation, non seulement contre les sanglantes reprĂ©sailles d'un groupe important de parachutistes contre des travailleurs algĂ©riens, mais aussi contre leur inspiration raciste », tandis que l'Ă©ditorial de L'Est rĂ©publicain dĂ©nonce « la loi du talion [qui] est une loi barbare ». Le RĂ©publicain lorrain parle d'un « raid de tueurs nord-africains » ayant provoquĂ©, en reprĂ©sailles, « une expĂ©dition punitive de 300 paras armĂ©s de bouteilles dans les bas quartiers de Metz »[1].

La population maghrébine est retenue par les autorités civiles dans des zones de la ville interdites aux militaires. Une note, classée « secret confidentiel », est rédigée le par le lieutenant-colonel Gauroy, commandant le groupement de gendarmerie de la Moselle, et transmis à sa hiérarchie, décrivant les événements de la nuit. Le préfet de la Moselle écrit au ministre de l'Intérieur, Roger Frey, pour lui indiquer que, même si l'incident du Trianon est à mettre sur le compte d'une provocation du FLN, de nombreux incidents ont opposé les parachutistes et la « forte colonie musulmane messine », citant les nombreuses agressions sporadiques dont font état ses services durant le mois. Le , c'est le directeur de cabinet du préfet qui écrit que les autorités militaires cherchent à « justifier à la fois la présence et le comportement des parachutistes par un danger FLN certain sur Metz », tentant de justifier ainsi « des actes inconsidérés (véritables provocations) contre des Algériens souvent inoffensifs, actes qui semblent entrer dans le cadre raciste de ce que l'on appelle “la chasse au faciès” »[1].

Deux enquĂŞtes judiciaires sont dĂ©cidĂ©es : une sur les trois morts du Trianon, une sur ce qui s'est passĂ© dans la ville ensuite - y compris le meurtre d'Embarek Aougeh. Concernant la première enquĂŞte, moins de trois semaines après les faits, trois AlgĂ©riens membres du FLN sont arrĂŞtĂ©s et admettent leur culpabilitĂ©, ajoutant que le , ils avaient rencontrĂ© un responsable du FLN qui leur avait remis Ă  chacun un pistolet pour donner une leçon aux paras, responsables de plusieurs agressions contre leur communautĂ©. Si la première enquĂŞte est donc couronnĂ©e de succès, la seconde n'en obtient aucun : malgrĂ© un rapport de 300 pages remis en Ă  un juge d'instruction du tribunal de Metz, aucune poursuite contre un militaire n'est engagĂ©e. La seule sanction Ă  laquelle est soumise le rĂ©giment est une consignation de quarante-huit heures dans ses quartiers, et une assignation de son commandant durant deux semaines[1].

Francis Soro, l'un des deux militaires tués, est déclaré mort pour la France[3] - [4] - [5] - [6] et reçoit la médaille militaire à titre posthume[5] - [7].

Un travail de mémoire

Les événements de la nuit du au à Metz ont peu retenu l'attention des historiens jusqu'à la thèse de doctorat de l'historien franco-allemand Lucas Hardt soutenue en 2016[8]. Jusqu'alors, seuls des journalistes, et notamment ceux du Républicain Lorrain, se sont penchés sur cette nuit messine de 1961. Pour l'opinion publique, l'explication de la rixe tient à une rivalité galante liée à une jeune femme, hypothèse non démontrée et que Lucas Hardt met à mal en citant le rapport sur la rixe du .

En 2011, le journaliste Jean-Baptiste Allemand, alors étudiant en licence de webjournalisme à l'université Paul-Verlaine de Metz, publie un reportage vidéo sur le sujet[9]. Il est conseillé pour ce travail par l'historienne Laura Tared, qui a rédigé une thèse de doctorat d'histoire en 1987 intitulée Interprétations et répercussions de la guerre d'Algérie en Lorraine sans pour autant aborder la nuit du . Jean-Baptiste Allemand écrit en 2016 une maitrise d'histoire à ce sujet, interviewant les protagonistes et les témoins de l'époque.

Ă€ l'occasion du 55e anniversaire de l'Ă©vĂ©nement, un collectif () est crĂ©Ă© en pour assurer le travail de mĂ©moire et tenter de faire la lumière sur cette nuit. Son prĂ©sident, Yvon Schleret, qui avait 15 ans en 1961, explique qu'« il s'agit pour nous de rendre hommage aux victimes, mais aussi et surtout d'un acte de rĂ©conciliation »[1].

En 2020, Pierre Hanot a publié le roman Aux vagabonds l'immensité[10] inspiré de l'événement[11].

En 2021, une classe de terminale au lycée Jeanne-d'Arc à Nancy effectue un travail de recherche afin de produire des notices sur la période, et notamment sur cet événement[12].

En , le maire de Metz, François Grosdidier, refuse la pose d'une plaque commémorative[13].

Références

  1. Bordenave 2021.
  2. Hardt 2017, p. 7.
  3. Sihem Souid, « Brice Hortefeux : "Les militaires victimes de Merah sont morts pour la France" », Le Point, .
  4. « Francis SORO », Base des Morts pour la France de la Guerre d'Algérie, des combats du Maroc et de la Tunisie, sur Mémoire des hommes, SGA, ministère des Armées.
  5. « SORO Francis », sur MémorialGenWeb.
  6. « Décision no 677 MA/DPC/7 du » [lire en ligne].
  7. « Décret du portant concession de la médaille militaire », Journal officiel de la République française, no 54,‎ , p. 2261 (lire en ligne).
  8. Lucas Hardt (directeurs de thèse : Raphaëlle Branche et Raphael Lutz), Entre fronts et espaces : Des migrants algériens en zone frontalière lorraine (1945-1962), Universités de Paris-I et de Trèves (présentation en ligne).
  9. Collectif , « La nuit des paras - Metz - », sur YouTube, (consulté le ).
  10. Pierre Hanot, Aux vagabonds l'immensité, Paris, La Manufacture de livres, coll. « Littérature », , 224 p. (ISBN 978-2-35887-618-6).
  11. Lucas Valdenaire, « "Ne jamais fermer les yeux" : Un roman et un collectif pour ne pas oublier la Nuit des Paras en 1961 à Metz », France Bleu Lorraine Nord, .
  12. « Metz et la « Nuit des paras », », sur Nancy Colonies, .
  13. Gaël Calvez, « « Ratonnade de Metz » : Oui au débat, non à la stèle », Le Républicain lorrain, .

Voir aussi

Bibliographie

Article connexe

Liens externes

Cet article est issu de wikipedia. Text licence: CC BY-SA 4.0, Des conditions supplémentaires peuvent s’appliquer aux fichiers multimédias.