Nano-argent
Le nano-argent est un nanomatériau à base d'atomes d'argent, produit sous forme de nanoparticules par des nanotechnologies. En solution, il porte le nom d'argent colloïdal.
En 2008, selon les producteurs, environ 500 t/an de nano-argent auraient déjà été produites dans le monde, sous forme d'ions argent, de particules d’argent protéinées (silver proteins) ou de colloïdes utilisés comme biocide[1]. Les nanoparticules les plus vendues et les plus diffusées dans l'environnement en 2004 étaient du nano-argent ou à base de nano-argent (56 % du total de la production), devant le carbone (17 %) et le zinc (7 %)[2].
En raison de son échelle nanométrique qui lui confère une énorme surface développée, pouvant s'associer à un grand nombre de ligands, il fait l'objet d'évaluations de son efficacité potentielle comme médicament, de sa toxicité et concernant ses coûts.
Le nano-argent a des propriétés très différentes de celles de l'argent massif. C'est un puissant biocide pour divers organismes et micro-organismes notamment, propriété que les secteurs de l'industrie pharmaceutique, des pesticides ou agroalimentaire cherchent à utiliser et à valoriser. Mais il pose aussi des problèmes de risques en santé-environnement (toxicologie, écotoxicologie)[3].
Vocabulaire et étiquetage
Le mot nano-argent décrit théoriquement le nanomatériau lui-même, constitué de différents agencements d'atomes d'argent, éventuellement combinés avec d'autres atomes (nanocomposite). Des discussions terminologiques existent, car si la production de nano-argent aurait été multipliée par 500 de 2000 à 2004 selon ses producteurs, certains produits (argent protéiné notamment) usurpent le nom de nano-argent, l'argent n'y étant présent qu'à des tailles microniques ou submillimétriques). L'étiquetage ne permet que très rarement de discerner l'efficacité (variable) de ces produits.
Usages
Ils sont déjà nombreux, alors que l'évaluation toxicologique et écotoxicologique n'a pas eu lieu[4] :
- bactéricide (1/5e de la production) ;
- additif pour le textile (exemple : chaussettes et vêtements bactéricides et anti-odeurs) ;
- cosmétiques, déodorant ;
- sprays[5] ;
- revêtements de matériaux métalliques (réservoirs métalliques d'aspirateurs sans sac) ;
- plastiques d'emballage alimentaire ou d'objets devant avoir des vertus biocides ;
- touches d'appareils mobiles ou d'ordinateurs (Samsung notamment) ;
- vernis ;
- peintures ;
- plans de travail, plans de découpe ;
- pansements ;
- parois de réfrigérateurs ;
- éléments de climatiseurs ;
- emballage pour contact alimentaire... ;
- matériel diffusant via un système électrolytique du nano-argent dans l'eau de la douche (en 2008, selon la publicité) ;
- machine à laver le linge diffusant du nano-argent (400 millions d'ions argent par cycle de lavage et rinçage selon la « publicité »(Archive.org • Wikiwix • Archive.is • Google • Que faire ?) (consulté le )) ;
- pulvérisation de nano-argent et nano-titane sur les parties souvent touchées par les mains dans les transports publics à Hong-Kong (MTR Corporation) ;
- produit désinfectant utilisés en spray[5], ou destiné à être apposé sur les préservatifs, contre les maladies sexuellement transmissibles.
Historique
Historiquement, l'argent colloïdal a été utilisé pour traiter diverses maladies de la fin du XIXe siècle jusque dans les années 1940, avec le développement d'antibiotiques modernes et d'inquiétudes concernant ses effets secondaires (principalement l'argyrisme)[6] - [7].
Depuis les années 1990, l'« argent colloïdal » (nano-argent en solution liquide) a été publicisé comme médicament alternatif, souvent présenté comme « guérissant-tout », ce qui n'a jamais été démontré scientifiquement.
L'argent colloïdal a cependant un effet anti-bactérien in vitro, dont sur les souches multi-résistantes de Staphylococcus aureus[8].
Dans les années 1970, le Dr Robert O. Becker à l'université de médecine de Syracuse puis à Washington décrit des résultats positifs dans le traitement d'infections « incurables » par l'argent colloïdal, Becker publia ses résultats dans des journaux scientifiques médicaux. Ses fonds de recherche furent coupés et il publia deux livres dans les années 1980 et au début des années 1990 : The Body Electric[9] et Cross Currents, sans reconnaissance des autorités médicales mais obtenant un succès commercial auprès du public faisant de ces livres des bestsellers. Il y décrit les succès du nano-argent contre des pathogènes multiples (cas d'ostéomyélite[10], régénération de tissus osseux et musculaires divers[9]). Ses recherches avancent que les nano-particules d'argent amènent une amélioration significative par rapport aux techniques utilisant des impulsions électriques dans le traitement des fractures et autres dégâts des tissus, notamment des tissus osseux. Les courants électriques utilisés sans association à l'argent, amènent la formation de radicaux libres qui irritent les cellules et provoquent ainsi une stimulation des cellules chargées de fabriquer les tissus. Par contre, les électrodes d'argent stimulent la formation de tissus par différenciation des cellules de la moelle et par stimulation des cellules périostéales[9]. Le Dr Larry C. Ford de l'École de médecine de l'UCLA a documenté dans les années 1980 plus de 650 pathogènes différents détruits par l'argent en quelques minutes in vitro. De nombreuses études lui ont depuis donné raison, et cette caractéristique fondamentale du nano-argent ne peut plus de nos jours être mise en doute sur des bases scientifiques saines .
Hors ces travaux, il n'y a pas de preuve que l'argent colloïdal traite ou prévienne aucune condition médicale alors qu'il peut causer des effets secondaires sérieux et potentiellement irréversibles comme l'argyrisme[11]. En conséquence, en la Food and Drug Administration (FDA) a interdit les mentions lui prêtant une quelconque propriété thérapeutique ou préventive[12], malgré l'interdiction de nombreux sites web continuent d'attribuer des propriétés antibiotiques ou un usage médical du colloïde d'argent, ce qui a amené la FDA a émettre des lettres d'avertissement[13] - [14] - [15]. Les autorités médicales déconseillent l'ingestion de préparations contenant de l'argent colloïdal à cause de leur manque d'effets bienfaisants prouvés et à cause du risque d'effets secondaires néfastes tels que l'argyrisme[16] - [6].
En 2002, l'autorité australienne Therapeutic Goods Administration (TGA) indique n'avoir trouvé aucun usage médical légitime de l'argent colloïdal, et aucun preuve de ce qu'avance le marketing de ce produit[17]. Le National Center for Complementary and Integrative Health (NCCIH) des U.S.A. alerte que les affirmations du marketing autour de l'argent colloïdal n'ont aucune base scientifique et que la concentration en argent des différents produits varie énormément, et qu'ils peuvent avoir des effets indésirables grave comme l'argyrisme. En 2009, l'USFDA publie un bulletin d'avertissement sur les effets indésirables potentiels de l'argent colloïdal[18].
Quackwatch annonce que les études ont montré que l'argent colloïdal n'est pas sans risque alors qu'il n'a aucune efficacité pour quelque traitement que ce soit[19]. Consumer Reports liste l'argent colloïdal comme « complément à éviter » en le décrivant comme « probablement à risque »[20]. Le Los Angeles Times publie que l'argent colloïdal comme « guérit-tout » est une « fraude avec longue histoire, avec des charlatans allant jusqu'à prétendre qu'il pourrait guérir le cancer, le SIDA, la tuberculose, le diabète et de nombreuses autres afflictions »[21]. Dans certaines juridictions comme en Suède l'argent colloïdal est tout simplement interdit à la vente pour la consommation[22].
Formes
Les nanoparticules d'argent peuvent constituer de 50 % à 80 % du poids de l'argent d'un colloïde, les 20 à 50 % restant étant des ions argent.
Différents types morphologiques peuvent être produits en contrôlant les phénomènes de précipitation et de cristallisation ; cubes, cubes creux, sphères, particules à facettes (dont « en diamants »), grains pyramidaux dont la réactivité et les propriétés (toxicité notamment) varient[23].
1 cm3 d'une concentration à 1 ppm de nanoparticules d'argent représente 25 000 milliards de ces particules[24].
Risques
Ils sont très mal évalués, mais fabricants ou revendeurs semblent les estimer peu nombreux et peu importants. Les souhaits des industriels d'utiliser plus de nano-argent (par exemple dans les emballages) ne pourrait selon eux conduire à des seuils jamais observés à ce jour dans la nature.
Les risques sont :
- toxicité pour l'homme (voir plus bas le paragraphe consacré à ce thème) ;
- écotoxicité : les microbes, mais aussi de nombreux organismes animaux et végétaux et donc les écosystèmes, peuvent être affectés par les formes ionique ou nanométrique de l'argent. La toxicité ionique a été clairement mise en évidence du fait des rejets dans l'eau d'effluents pollués par des sels d'argent en aval de l’industrie photographique dans les années 1980. Les toxicologues ont montré que sous forme ionique et solubilisée ce métal était très écotoxique, même à faible dose : ce serait le métal le plus toxique après le mercure (sous cette forme ionique) ; pour la faune et la flore aquatique, marine surtout.
L'argent a pour cette raison été classé en 1977 dans la liste des substances polluantes dont les rejets dans l’environnement doivent être prioritairement régulés.
L’argent est persistant (non biodégradable). Il est biocompatible et facilement bioaccumulé dans certaines conditions ou par certaines espèces, dont l'une a été utilisée en phytoremédiation (une fougère aquatique; Azolla filiculoides).
Les sels d'argent tuent à faible dose la plupart des bactéries, mais perturbent aussi le métabolisme et la santé reproductive d'organismes supérieurs à sang froid (poissons et crustacés notamment).
Les mammifères semblent moins sensibles aux faibles doses.
- L'argent attaque les nerfs (cutanés) et peut provoquer l’argyrisme, mais pas sous n'importe quelle forme. Les cas d'agyrisme sont toujours associés à des sels d'argent, qui sont une mixture d'argent et d'autres particules. Le registre fédéral des États-Unis a listé les produits « argentés » qui causent l'algyrisme comme « sels d'argent », et cite spécifiquement (et uniquement) les nitrate d'argent, arsphénamine d'argent, chlorure d'argent et (cité en « peut-être » dans leur liste) iodure d'argent. Ces sels, hormis qu'ils contiennent de l'argent dans des proportions diverses, sont donc très différents de l'argent pur proprement appelé nano-argent.
- Déstabilisation des communautés bactériennes dans l’environnement (hypothéquant le fonctionnement des stations d’épuration).
- Augmentation de l'antibiorésistance et du risque nosocomial…
Le nano-argent diffère des sels d'argent (dont le nitrate d'argent) qui sont prouvés toxiques. Certains bactériologistes comme J.B. Wright et al. considéraient en 1999 que le nano-argent est non-toxique pour l'homme tout en étant in vitro plus toxique que d'autres antibiotiques contre tous les pathogènes[25] - [26]. L'EPA (agence de protection de l'environnement américaine) amalgame malencontreusement le nano-argent et les « structures composites (contenant du) nano-argent »[27]. Il existe de multiples études qui mettent en avant l'innocuité de l'argent, que ce soit au niveau humain ou environnemental[28].
On manque de données sur le relargage et la cinétique environnementale du nano-argent (nanoparticules ou ions argent) dans l'environnement ou les organismes vivants. Il est cependant déjà clair que le nano-argent peut combattre des infections fongiques menaçant de faire disparaître des espèces entières chez les végétaux également ; le nano-argent détruit l'hyphe du champignon mais aussi ses conidies (système reproducteur)[29].
Synergies possibles
Des synergies sont possibles. Par exemple, combinées à du phosphate de calcium l'activité de particules d'argent de vingt à cinquante nanomètres peut être jusqu'à 1 000 fois supérieure, ce qui laisse présager des impacts environnementaux exacerbés.
Parmi 800 nano-produits répertoriés dans les années 2000 par le Woodrow Wilson Institute, 56 % étaient fabriqués à partir de nano-argent (le plus souvent à partir de nanoparticules d'argent).
Des évaluations estiment qu'en 2015, il pourrait en être produit 1 000 à 5 000 t/an, ce qui correspondrait à 1/3 de l'actuelle production mondiale d’argent[24].
Des rats exposés aux nanoparticules de 15 nanomètres inhalées présentent ensuite ces particules dans tout l’organisme (cerveau y compris), avec des effets qu’on ignore. Une étude récente (2021) a confirmé contre les bactéries Staphylococcus aureus (Gram-positives) et Escherichia coli l'efficacité bactéricide des nanopoudres de cuivre-argent (NP) (synthétisées en combinant sonoélectrodéposition pour le noyau interne et de réaction de remplacement galvanique pour l'enveloppe externe)[30], mais un article de a conclu que des nanoparticules d’argent testées en association avec du cuivre, (argent seul et argent colloïdal) pour différentes tailles de nanoparticules interféraient avec la duplication de l’ADN[24]. À forte dose, une argyria est possible[24].
Concernant la santé humaine
Des interrogations fortes existent, notamment sur la toxicité des faibles doses de nanoparticules argentiques, car leurs effets sont a priori très différents de ce qu'on connaît de l'argyrisme (maladie induite par l'absorption de fortes doses d'argent, qui se traduit notamment par la coloration de la peau qui devient bleue ou bleu-gris-noir).
De nombreux experts craignent aussi une apparition puis augmentation de résistances bactériennes au nano-argent, comme on le constate pour de nombreux antibiotiques majeurs (ex: bêta-lactamines qui représentent 50 % des prescriptions médicales[31]) et par suite une augmentation de certaines maladies nosocomiales.
Une étude (2008) portant sur la résistance bactérienne in vitro aux bandages à l'argent dans le traitement des ulcères du pied chez les diabétiques n'a pas mis en évidence de résistances bactériennes[32], toutefois une méta-analyse indique que les bandages contenant de l'argent n'ont aucune efficacité supplémentaire par rapport aux bandages usuels qui n'en contiennent pas[33] - [34].
Une étude préliminaire in vitro portant sur l'effet bactéricide du nano-argent sur les trois micro-organismes responsables de plus de la moitié des maladies nosocomiales en France Pseudomonas aeruginosa, Escherichia coli O157:H7 résistant à l'ampicilline, et Streptococcus pyogenes résistant à l'érythromycine[35] laisse penser qu'il pourrait être un candidat potentiel pour le développement de produits pharmaceutiques et d'appareils médicaux pour prévenir la transmission de pathogènes résistants dans les environnements cliniques[36].
L'argent colloïdal interagit avec certaines prescriptions médicamenteuses, réduisant l'absorption de certains antibiotiques et de la thyroxine parmi d'autres substances[37].
Des praticiens hospitaliers ont récemment (2010) proposé le concept de profil métallique, à ajouter au bilan de santé des individus[38].
Responsabilités juridiques, jurisprudence et évolutions du droit de l'environnement
Le droit des nanotechnologies est balbutiant et presque inexistant pour le domaine de la toxicité ou de l'écotoxicité des nanotechnologies ou des nanoproduits.
L'approche de précaution est généralement demandée ou évoquée. Par exemple la Royal Society et la Royal Academy of Engineering en Grande-Bretagne avaient, dès 2004, recommandé d’interdire les rejets intentionnels de nanomatériaux dans l’environnement.
Le droit européen et français estiment que le dernier propriétaire est responsable d'un déchet rejeté dans l'environnement, mais si celui-ci n'était pas informé ou susceptible de l'être des risques liés à son déchet, il peut se retourner contre le vendeur ou producteur.
La convention d'Aarhus demande en Europe que l'information sur les risques environnementaux soit accessible à tous.
Les états et fabricants n'ayant pas mis en place les dispositifs de vigilance sanitaire et écologique porteraient aussi leur part de responsabilité.
Plusieurs études ont depuis 2008 montré ou confirmé que le lavage des textiles contenant du nano-argent en libère des quantités substantielles dans l'eau de lavage, avec donc un risque de diffusion de nano-argent via les boues d'épuration et/ou les cours d'eau. Selon une autre étude le nano-argent peut causer des malformations et tuer les jeunes poissons à plusieurs stades de développement (le nano argent pénètre la membrane des œufs de poissons et se déplace à l'intérieur de l'embryon de poisson. Sur ces bases une plainte a été déposée par le NRDC (Natural Resources Defense Council) contre l'EPA qui a autorisé le nano-argent dans le textiles, sans preuves de son innocuité. En 2013, une cour de justice américaine[39] a estimé que l'EPA (Agence de protection de l'environnement des États-Unis) a failli à ses propres règles d'évaluation de la sécurité d'un produit mis sur le marché dans des textiles (dont vêtements, taies d'oreillers, couvertures...) en donnant une autorisation pour un pesticide au nano-argent (HeiQ AGS-20[40] - [41]) à un industriel tout en lui demandant de fournir dans les quatre ans à l'agence des données supplémentaires sur la toxicité des nano-argents pour l'Homme et pour les organismes aquatiques. L'EPA, selon la cour n'aurait pas dû autoriser l’usage des nanoparticules d’argent sans avoir de garanties sur son innocuité. La cour d'appel a annulé cette autorisation et demande à l'EPA de reprendre l'évaluation normalement[42].
Notes et références
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Voir aussi
Bibliographie
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