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Morille à moitié libre

Morchella semilibera, Mitrophora semilibera Morillon

La Morille à moitié libre (Morchella semilibera, syn. Mitrophora semilibera), communément appelée morillon, est une espèce de champignons ascomycètes de la famille des Morchellaceae.

Elle se distingue des autres morilles par son chapeau conique dont la marge n'est pas directement connectée au pied qui s'y enfonce jusqu'à mi-hauteur. C'est un champignon printanier assez commun qui pousse dans les endroits humides. Il est considéré comme comestible, mais nécessite d'être bien cuit car il est toxique cru, et il présente moins d'intérêt gastronomique que d'autres morilles plus charnues.

Les analyses de phylogénétique moléculaire confirment que cette morille s'enracine dans le clade des morilles Elata et donc dans le genre Morchella[1] - [2] - [3].

Dénominations

Du fait de son histoire nomenclaturale compliquée, la « Morille à moitié libre » porte plusieurs noms en français. Elle est communément appelé « morillon[4] » en France mais ce nom s'applique aussi, au Québec, à la Gyromitre (Gyromitra esculenta)[5]. De plus, le « morillon » canadien est différent de l'espèce européenne, et a été renommé depuis 2012 Morchella punctipes, la « Morille à pied ponctué »[6]. On rencontre aussi les termes de « Mitrophore à moitié libre[5] » et de « Mitrophore hybride[4] ».

Taxinomie

Illustration de 1729 par Micheli. D'après Batsch :
1 - Phallus gigas ;
2 - Phallus undosus ;
3 - Phallus rete.

L'une des premières descriptions scientifiques remonte à la première moitié du XVIIIe siècle, avant la généralisation de la nomenclature binominale en botanique. Dans son ouvrage publié en 1729 Nova plantarum genera, Pier Antonio Micheli décrit trois formes dont il fournit une illustration détaillée[7]. Il les attribue au genre Phallo-boletus, qu'il caractérise par le fait que la marge de l'apothécie est libre du stipe, contrairement au genre Boletus où cette même marge est directement connectée. Il est communément admis aujourd'hui qu'il s'agissait en réalité de trois variations phénotypiques d'un même taxon. En 1783, le botaniste allemand August Batsch donne un nom binominal à chaque figure de Micheli : Phallus gigas (fig. 1), Phallus undosus (fig. 2) et Phallus rete (fig. 3)[8].

Indépendamment de ces premières descriptions, au moins trois autres noms apparaissent dans les années suivantes : Phallus crassipes, par Étienne Pierre Ventenat (1799), Helvella hybrida, par James Sowerby (1799), et enfin Morchella semilibera par Augustin Pyrame de Candolle (1805). Sous la dénomination française de « Morille à moitié libre », ce dernier en donne la description suivante :

« Cette espèce ressemble à la morille comestible, mais son pédicule est plus alongé et creusé d'un manière plus décidée ; son chapeau est conique, aminci à l'extrémité, creusé de sillons alongés et adhérens au pédicule par sa moitié supérieure seulement : elle a été trouvée dans les bois des environs de Paris[9]. »

Dans le deuxième volume (1822) de son ouvrage Systema Mycologicum, considéré comme le point de départ de la nomenclature mycologique, Elias Magnus Fries établit les premières synonymies entre ces noms précoces. Il valide ainsi Morchella crassipes (d'après Ventenat), Morchella semilibera (d'après de Candolle, et synonyme de Phallus rete et Helvella hybrida), Morchella gigas et Morchella undosa (d'après les deux autres figures de Micheli et les noms de Batsch)[10].

Helvella hybrida dans la description originale de Sowerby en 1799.

En 1846, le mycologue français Joseph-Henri Léveillé propose de transférer la Morille à moitié libre dans son propre genre, Mitrophora, mais la nouvelle combinaison Mitrophora semilibera reste peu utilisée. En revanche, l'épithète spécifique hybrida (d'après Sowerby) continue d'apparaître en vertu du principe d'antériorité, avant d'être finalement abandonnée à la fin du XXe siècle au motif que les noms sanctionnés par Fries ont la priorité. Si les noms Morchella gigas et Morchella undosa tombent en désuétude, celui de Morchella crassipes est réinterprété en 1834 par Julius Vincenz von Krombholz comme une grosse morille charnue, dont la marge est connectée au stipe. Cette interprétation a été suivie par la plupart des chercheurs depuis[8].

À partir de 1993, Morchella gigas est ravivé, car considéré à la fois comme antérieur à Morchella semilibera et sanctionné par Fries[11]. Une révision globale du genre Morchella de 2012 l'utilise comme incluant M. semilibera, M. crassipes, M. undosa et leurs synonymes respectifs[12]. En réponse à cette fusion, une proposition est faite en 2014 pour la conservation de l'épithète semilibera en se basant sur l'article 14.2. du Code international de nomenclature visant « à conserver les noms qui servent le mieux la stabilité de la nomenclature ». L'argumentaire souligne ainsi l'importance économique du champignon et note que l'épithète gigas (qui signifie « géante », en rapport à la figure n°1 de Micheli) s'applique difficilement à la plus petite et la plus fragile des morilles européennes. Comme aucun matériel connu n'est associé à la description initiale de De Candolle, un néotype pour Morchella semilibera est associé à la proposition. Il a été collecté sous Frêne élevé (Fraxinus excelsior) en 2011 à Saint-Maximin (Oise) et correspond ainsi à la description « dans les bois des environs de Paris »[8].

Les études phylogénétiques du XXIe siècle ont par ailleurs permis de préciser l'histoire évolutive du genre Morchella, dont on distingue trois clades. le premier, basal, aurait divergé au Jurassique supérieur. Les deux autres se seraient séparés au début du Crétacé, il y a environ 125 ma, et sont nommés Esculenta (les « morilles jaunes », dont l'espèce type Morchella esculenta) et Elata (les « morilles noires »)[2]. L'appartenance de Morchella semilibera à ce dernier rend caduque la séparation dans un autre genre, mais le nom Mitrophora semilibera reste valide pour certaines bases de données[13].

Synonymes

D'après Richard et al. (2015), le nom valide de l'espèce est Morchella semilibera DC. Elle compte comme principaux synonymes[2] :

  • Mitrophora semilibera (DC. : Fr.) Lév., 1846 ;
  • Morchella gigas (Batsch : Fr.) Pers., 1801 ;
  • Morchella undosa (Batsch : Fr.) Pers., 1801 ;
  • Morchella crassipes (Vent. : Fr.) Pers., 1801 ;
  • Morchella hybrida (Sowerby) Pers., 1801.

Description

Le chapeau alvéolé et « à moitié libre » du morillon.

Le chapeau, qui mesure de 3 à 4 cm de haut, est de forme conique irrégulière ou en pyramide aux angles émoussés. Il n'est que partiellement attaché au pied, laissant les bords nettement libres[14]. Il porte des côtes longitudinales, entre lesquelles de petits plis transverses forment un réseau d'alvéoles assez régulières. Sa couleur varie du bistre à l'ochracé en passant par l'olivâtre[15]. Le stipe, long de 10 à 15 cm, est creux et un peu granuleux en surface, et s'insére à mi-hauteur à l'intérieur du chapeau[14]. Il est d'abord blanchâtre, puis jaunit avec l'âge et devient bosselé et ridé longitudinalement[15]. La chair est mince, blanche, puis jaunissante et fragile à maturité[4]. Son odeur est nulle à très faiblement fongique à l'état juvénile, et devient plutôt désagréable et même nauséabonde en vieillissant.

Espèces proches

Le Morillon peut être confondu avec les autres morilles, comme la Morille commune (Morchella esculenta) ou la Morille conique (Morchella conica), ainsi qu'avec la Verpe de Bohême (Ptychoverpa bohemica) ou la Gyromitre (Gyromitra esculenta). Le principal caractère distinctif est le niveau d'insertion du pied : il est relié au chapeau par sa base chez les morilles et les gyromitres, alors qu'il s'enfonce jusqu'à mi-hauteur chez le morillon et jusqu'au sommet chez les verpes. De plus, la surface fertile externe est alvéolée chez les morilles (et le morillon) et côtelée chez les verpes et les gyromitres[4].

Écologie et distribution

Le morillon pousse dans les endroits aérés, herbeux et humides, comme les lisières, les taillis et les bords de cours d'eau[15]. Il apparaît souvent sous les peupliers, mais aussi les aulnes et les ormes[14], ou parfois les conifères[16]. Il est assez commun et fructifie d'avril à mai[15].

Les analyses phylogénétiques ont montré un strict endémisme des morilles nord-américaines. Le nom Morchella semilibera doit ainsi s'appliquer exclusivement à l'espèce européenne, puisqu'elle a été initialement décrite sur ce continent. Les morilles « à moitié libre » qu'on lui assimilait en Amérique du Nord ont été renommées Morchella punctipes (à l'est) et Morchella populiphila (à l'ouest)[17].

Comestibilité

Le morillon est un champignon comestible, bien que d'intérêt moindre car peu charnu[4]. Comme toutes les morilles, il ne doit en aucun cas être consommé cru ou insuffisamment cuit. Il contient en effet une toxine entraînant un syndrome hémolytique et urémique (destruction de globules rouges). Une consommation répétée de champignons frais peut aussi provoquer quelques troubles gastriques. En cas de récolte abondante, il est préférable de faire sécher une partie de cette récolte, d'autant que la dessiccation élimine la toxine contenue dans les champignons frais[18].

Références

  1. O'Donnell et al., Phylogeny and historical biogeography of true morels (Morchella) reveals an early Cretaceous origin and high continental endemism and provincialism in the Holoartic, 2011. (fig. 1)
  2. (en) Franck Richard, Jean-Michel Bellanger, Philippe Clowez, Karen Hansen, Kerry O’Donnell, Alexander Urban, Mathieu Sauve, Régis Courtecuisse et Pierre-Arthur Moreau, « True morels (Morchella, Pezizales) of Europe and North America: evolutionary relationships inferred from multilocus data and a unified taxonomy », Mycologia, vol. 107, no 2, , p. 359–382 (ISSN 0027-5514 et 1557-2536, DOI 10.3852/14-166, lire en ligne, consulté le ).
  3. Irena Petrželová, Michal Sochor, How useful is the current species recognition concept for the determination of true morels? Insights from the Czech Republic
  4. Jean-Louis Lamaison et Jean-Marie Polèse, Encyclopédie visuelle des champignons, Artémis, , 383 p. (ISBN 2-84416-399-8 et 978-2-84416-399-8, OCLC 420280993, lire en ligne), p. 342.
  5. « morillon », sur TERMIUM Plus, La banque de données terminologiques et linguistiques du gouvernement du Canada., 2014 & 2016 (consulté le ).
  6. Roland Labbé, « Morchella punctipes / Morille à pied ponctué », sur Mycoquébec.org, (consulté le ).
  7. (la) Pier Antonio Micheli, Nova plantarum genera, Florence, Typis Bernardi Paperinii, , 234 p. (lire en ligne), p. 202-203 & tab. 84.
  8. (en) Pierre-Arthur Moreau, Jean-Michel Bellanger, Philippe Clowez, Régis Courtecuisse, Karen Hansen, Henning Knudsen, Kerry O’Donnell et Franck Richard, « (2289) Proposal to conserve the name Morchella semilibera against Phallus crassipes, P. gigas and P. undosus (Ascomycota) », Taxon, vol. 63, no 3, , p. 677–678 (DOI 10.12705/633.20, lire en ligne, consulté le ).
  9. Jean-Baptiste de Lamarck et Augustin-Pyramus de Candolle, Flore Française : Ou Descriptions succinctes de toutes les plantes qui croissent naturellement en France, disposées selon une nouvelle méthode d'analyse, et précédées par un Exposé des Principes élémentaires de la Botanique, vol. 2, , 600 p., p. 212-213.
  10. (la) Elias Magnus Fries, Systema Mycologicum, vol. 1, Lund, et , 520 et 620 p. (DOI 10.5962/BHL.TITLE.5378), p. 9-12.
  11. (en) Harald Kellner, Carsten Renker et François Buscot, « Species diversity within the group (Ascomycota: Morchellaceae) in Germany and France », Organisms Diversity & Evolution, vol. 5, no 2, , p. 101–107 (DOI 10.1016/j.ode.2004.07.001, lire en ligne, consulté le ).
  12. Philippe Clowez, « Les morilles. Une nouvelle approche mondiale du genre Morchella », Bulletin de la Société mycologique de France, no 126, , p. 199–376 (lire en ligne).
  13. V. Robert, G. Stegehuis and J. Stalpers. 2005. The MycoBank engine and related databases. https://www.mycobank.org/, consulté le 13 avril 2020
  14. Christian Deconchat et Jean-Marie Polèse, Champignons : l'encyclopédie, Artémis Éditions, , 607 p. (ISBN 2-84416-145-6 et 978-2-84416-145-1, OCLC 424011070, lire en ligne), p. 85.
  15. Hervé Chaumeton, Mini-guide encyclopédique des champignons, Artémis éd, , 319 p. (ISBN 978-2-84416-759-0 et 2-84416-759-4, OCLC 471025867, lire en ligne), p. 295.
  16. (en) David Pilz, Rebecca McLain, Susan Alexander, Luis Villarreal-Ruiz et al., Ecology and management of morels harvested from the forests of western North America., U.S. Department of Agriculture, Forest Service, Pacific Northwest Research Station, , 161 p. (DOI 10.2737/pnw-gtr-710, lire en ligne), p. 26-28.
  17. (en) Michael Kuo, Damon R. Dewsbury, Kerry O'Donnell, M. Carol Carter et John David Moore, « Taxonomic revision of true morels (Morchella) in Canada and the United States », Mycologia, vol. 104, no 5, , p. 1159–1177 (ISSN 0027-5514 et 1557-2536, DOI 10.3852/11-375, lire en ligne, consulté le )
  18. Philippe Saviuc, chap. 4 « Intoxications par les champignons supérieurs », dans Christian Ripert, Mycologie médicale, Paris, Lavoisier, , 750 p. (ISBN 978-2-7430-6488-4, OCLC 948185240, lire en ligne), p. 152-153.

Références taxinomiques

Mitrophora semilibera

Morchella semilibera

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