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Messe des pauvres

La Messe des pauvres est une Ĺ“uvre d'Erik Satie en sept pièces pour orgues, les deux premières avec chĹ“urs monodiques, composĂ©e en 1895. CaractĂ©ristique de la « première pĂ©riode Â» du compositeur, dont l'inspiration oscille entre Ă©lĂ©vation mystique et canulars du Chat noir, la partition est faite de brèves sections rĂ©pĂ©tĂ©es avec des accords dissonants non rĂ©solus, innovations qui ont Ă©tĂ© diversement apprĂ©ciĂ©es par les musiciens du XXe siècle — avec ironie, dans le cas d'un Boulez, ou avec admiration dans le cas d'un Varèse.

Messe des pauvres
couverture de la partition
Portrait anonyme[note 2] - [1] d'Erik Satie, Ă  l'Ă©poque
de la composition de la Messe des pauvres[2]

Genre Musique vocale religieuse
Nb. de mouvements 7
Musique Erik Satie
Texte Ordinaire de la messe (Kyrie)
Langue originale latin
Effectif Chœurs monodiques
et orgues
Durée approximative 15 minutes
Dates de composition 1893-1895
Création
Bruxelles Drapeau de la Belgique Belgique
(trois pièces)
Interprètes Paul de Maleingreau (orgues)
Versions successives

Composition

Erik Satie compose sa Messe des pauvres en 1895[3]. Habitué du cabaret du Chat noir, il amuse ses amis avec des œuvres aux titres étranges, comme les Gymnopédies[4], ou des canulars — comme le projet de ballet mystique intitulé Uspud[note 3] - [5], limité à une demi-douzaine de phrases musicales[6] mais présenté avec le plus grand sérieux au directeur de l'Opéra de Paris : intimidé par des lettres de menaces du compositeur[7], celui-ci reçoit Satie et son œuvre au Palais Garnier le [5] — « le tout, évidemment, est de s'entendre sur les mots », commente Anne Rey[8].

Natif d'Honfleur comme lui[9], et montrant le mĂŞme sens de l'humour[10], Alphonse Allais surnomme dĂ©jĂ  « Ă‰sotĂ©rik Satie[11] - [12] Â» son camarade montmartrois qui se brouille avec le Sâr Peladan[13] après avoir fait partie des Rose-Croix[14], tente de fonder sa propre « Ă‰glise mĂ©tropolitaine d'Art de JĂ©sus Conducteur Â» — dont il reste le seul et unique membre[15] - [16] — et collabore brièvement Ă  la revue d'Ă©sotĂ©risme, de littĂ©rature, de science et d'art de Jules Bois[3]. C'est dans cette revue, Le CĹ“ur, que paraĂ®t une partie de sa Messe des pauvres, « mais le succès tarde, le dĂ©couragement lui vient. En 1898, il change de vie, il dĂ©mĂ©nage. DĂ©jĂ , un an plus tĂ´t, il avait dĂ©cidĂ© de ne plus « Ă©crire Ă  genoux Â», de changer de style[3] ».

Ornella Volta et les biographes d'Erik Satie ne manquent pas de rappeler que le musicien est Ă©galement très marquĂ© par sa rupture toute rĂ©cente avec Suzanne Valadon[17] - [18] - [19]. Antoine GolĂ©a s'interroge sur ce « mystère dans sa vie, que personne n'a jamais pu percer[16] » : « Crise mystique ? Peut-ĂŞtre. Mais le fait serait-il prouvĂ© qu'il ne rĂ©soudrait pas le problème : celui d'une rĂ©gression volontaire Ă  un « degrĂ© zĂ©ro Â» de la musique[20] ».

Présentation

Mouvements

La Messe des pauvres est constituée de sept pièces, très brèves pour la plupart[21] :

  1. Kyrie eleison, pour chœurs et orgues,
  2. Dixit Domine, pour chœurs et orgues,
  3. Prière des orgues,
  4. Commune qui mundi nefas, pour orgues,
  5. Chant ecclésiastique, pour orgues,
  6. Prière pour les voyageurs et les marins en danger de mort, à la très bonne et très auguste Vierge Marie, Mère de Jésus, pour orgues,
  7. Prière pour le salut de mon âme, pour orgues

La dernière pièce, Prière pour le salut de mon âme, a Ă©tĂ© notĂ©e par Satie en 1893 : les Danses gothiques qu'il compose cette mĂŞme annĂ©e se prĂ©sentent comme une « neuvaine pour le plus grand calme et la forte tranquillitĂ© de mon âme[22] ». En 1895, la Messe des pauvres reprĂ©sente un projet plus ambitieux, probablement destinĂ© aux cĂ©rĂ©monies de son « Ă‰glise mĂ©tropolitaine d'Art[23] Â». La partition aurait compris un prĂ©lude (ou IntroĂŻt) et un Gloria qui sont considĂ©rĂ©s comme perdus, donnant l'impression d'une Missa brevis inachevĂ©e[24]. Le texte de la 3e pièce, très brève citation du Psaume 110, devrait ĂŞtre « Dixit Dominus Domino meo sede a dextris meis Â» : il s'agit d'une erreur dans l'Ă©dition originale[25].

L'œuvre est publiée aux Éditions Salabert.

Analyse

La ligne mĂ©lodique des chĹ“urs est dĂ©rivĂ©e de modes grecs[26]. L'Ă©criture en accords parallèles pour les orgues, soit parfaits soit dissonants (accords de septième et de neuvième majeures[27]) et l'absence de barre de mesure ou d'indications de mouvement confèrent Ă  la Messe des pauvres « une qualitĂ© de « temps suspendu Â» qui ne peut manquer de fasciner l'auditeur[28] ».

Sur ce point, le témoignage de son camarade Patrice Contamine de Latour[29] est éloquent : « [Satie] était dans la situation d'un homme qui ne connaîtrait que treize lettres de l'alphabet et déciderait de créer une littérature nouvelle avec ces seuls moyens, plutôt que d'avouer sa pauvreté. Comme audace, on n'avait pas encore trouvé mieux, mais il tenait à honneur de réussir avec ce système[30] » — d'où « l'impression », selon Anne Rey, « de constructions mosaïquées, dénuées de supports thématiques ou cadentiels et substituant au principe de développement ceux de la répétition et de la symétrie[29] ».

Le musicologue français François-René Tranchefort note pour sa part que, dans l’œuvre, « des réminiscences plus ou moins avouées de mélodies grégoriennes y contrarient — quant à l'expression — un système harmonique fondé sur les renversements de l'accord parfait et leurs altérations, ainsi que sur les enchaînements d'accords successifs[31] ». Et de souligner que l'emploi par le compositeur des modes grecs « n'est pas sans accentuer le hiératisme d'une écriture essentiellement verticale[32] ».

Postérité

Pour le critique musical Jean Roy, « Satie nous parle en confidence. Que nous dit-il ? Des choses simples. À savoir qu'il n'est pas besoin de beaucoup de notes pour créer du nouveau. Que la poésie des vieilles légendes, à condition d'avoir pour elles le regard naïf d'un enfant, est éternelle. Que les œuvres les plus brèves sont souvent les meilleures, que l'ennui est mortel et l'ostentation des virtuoses haïssable. Qu'une Messe doit être une humble prière[33] ».

Création

Après la mort d'Erik Satie, son ami et exécuteur testamentaire Darius Milhaud fait paraître le manuscrit de la Messe des pauvres. Trois pièces sont interprétées en public par l'organiste Paul de Maleingreau lors d'un concert Pro Arte à Bruxelles, le : Prière des orgues, Commune qui mundi nefas et Prière pour le salut de mon âme[34]. La première interprétation intégrale a lieu le à l'Église de la Sainte-Trinité de Paris, sous la direction d'Olivier Messiaen[35].

Critiques

L'attitude de Satie, « cette « originalitĂ© dĂ©plaisante Â» qui lui valut, de son vivant, avanies et sarcasmes, est aujourd'hui le plus sĂ»r garant de sa gloire posthume[33] ».

Au XXe siècle, Pierre Boulez ironise, « humoriste, mais toujours sans pitié[36] », sur les « inventions de Satie : les accords de neuvième à résolutions exceptionnelles, la suppression de la barre de mesure, la simplicité[36] ».

Plus sensible aux qualités expressives de la musique médiévale de l'École de Notre-Dame — de Léonin et Pérotin à Guillaume de Machaut[37] — Edgard Varèse ne cache pas son admiration pour la Messe des pauvres de Satie, en particulier le Kyrie : « une musique qui tourne sur elle-même comme une sculpture[38] ». À la fin de sa vie, travaillant à Nocturnal, il « songeait souvent à la musique d'Erik Satie[39] ». Ce dernier « n'aimait pas Varèse, qui avait été son condisciple à la Schola Cantorum. Mais il le connaissait suffisamment pour lui emprunter de l'argent. Et ils fréquentaient les mêmes cafés[40] ». Dans sa biographie de Varèse, Odile Vivier témoigne de son admiration pour le Kyrie de la Messe des pauvres comme pour la partition d'orchestre de Socrate[39].

Discographie

Bibliographie

Ouvrages généraux

  • Antoine GolĂ©a, La musique, de la nuit des temps aux aurores nouvelles, Paris, Alphonse Leduc et Cie, , 954 p. (ISBN 2-85689-001-6)
  • (en) Caroline Potter et Richard Langham Smith, French Music Since Berlioz, Londres, Ashgate Publishing, , 363 p. (ISBN 978-0-7546-0282-8, lire en ligne)
  • François-RenĂ© Tranchefort (dir.), Guide de la musique sacrĂ©e et chorale profane : De 1750 Ă  nos jours, Paris, Fayard, coll. « Les indispensables de la musique », , 1176 p. (ISBN 2-213-02254-2)

Monographies

  • (en) Peter Hill et Nigel Simeone, Messiaen, New York, Yale University Press, , 435 p. (ISBN 978-0-300-10907-8, lire en ligne)
  • (en) Robert Orledge, Satie the composer, New York, Cambridge University Press, coll. « Music in the 20th Century », , 394 p. (ISBN 978-0-521-35037-2, lire en ligne)
  • Anne Rey, Satie, Paris, Éditions du Seuil, coll. « Solfèges », 1974, rĂ©Ă©d. 1995, 192 p. (ISBN 978-2-02-023487-0 et 2-02-023487-4)
  • Odile Vivier, Varèse, Paris, Éditions du Seuil, coll. « Solfèges », , 192 p. (ISBN 2-02-000254-X).
  • Ornella Volta, L'Ymagier d'Erik Satie, Paris, Francis van de Velde, , 124 p. (ISBN 2-86299-007-8)

Articles

  • (en) Collectif et Caroline Potter (dir.), Erik Satie : Music, Art and Literature, Londres, Ashgate Publishing, , 347 p. (ISBN 978-1-4094-3421-4)
    Matthew Mendez, History, Homeopathy and the Spiritual Impulse in the Post-war Reception of Satie : Cage, Higgins, Beuys, p. 183-228
    Robert Orledge, Chronological Catalogue of Satie's Compositions and Research Guide to the Manuscripts, p. 243-324
  • Patrice Contamine de Latour, « Satie intime : Souvenirs de jeunesse (I Ă  III) », ComĹ“dia,‎ , p. 2 (lire en ligne)
  • Patrice Contamine de Latour, « Satie intime : Souvenirs de jeunesse (III [suite] Ă  IV) », ComĹ“dia,‎ , p. 3 (lire en ligne)
  • Patrice Contamine de Latour, « Satie intime : Souvenirs de jeunesse (IV [suite] Ă  VI) », ComĹ“dia,‎ , p. 2 (lire en ligne)

Notes discographiques

  • (nl + fr + de + en) Reinbert de Leeuw, « Erik Satie, les Ĺ“uvres de jeunesse pour piano » : « Monsieur le Pauvre Â», p. 4-5, Amsterdam, Philips 6570 622, 1977.
  • (fr + en + de) Jean Roy, « Les inspirations insolites d'Erik Satie », p. 2-7, Paris, EMI 62877, 1974 (rĂ©ed.1990).
  • (fr) Jean Roy, « Entretiens avec Edgard Varèse : Rencontre avec Edgard Varèse », p. 2-7, Paris, INA IMV075, coll. MĂ©moire Vive, 2007.

Notes et références

Notes

  1. Portrait ayant appartenu à Paul Éluard. Ornella Volta propose d'y voir une œuvre de Georges de Feure.
  2. Portrait ayant appartenu à Paul Éluard. Ornella Volta propose d'y voir une œuvre de Georges de Feure.
  3. Selon ses librettistes, Satie et Contamine de Latour, il s'agit d'un « ballet mystique mi-chrĂ©tien Â»â€¦

Références

Liens externes

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