Maurice Blanchard
Maurice Blanchard, né à Montdidier le et mort dans la même ville le , était un ingénieur aéronautique et poète lié au surréalisme.
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Biographie
Enfance et adolescence
Enfant unique, il vit avec sa mère abandonnée par son père dès sa naissance. De cette période, il dira ne se souvenir d’aucune marque de tendresse et en gardera une profonde blessure qui le marquera toute sa vie. Excellent élève à l'école, c'est à cause de son existence misérable que sa mère, contre l’avis de son instituteur, l’engage à douze ans comme apprenti serrurier. De seize à dix-huit ans, il travaille à Paris dans ce qu’il appellera « le bagne industriel ».
La soif d'apprendre
La lecture d'une pensée de Nietzsche donne un sens à sa vie : « C’est seulement si le savoir n’est pas une occupation, mais la révélation de l’être à la volonté première de savoir, qu’il vaut la peine d’avoir du courage ». En 1907, il fuit cette vie « d’esclave » en partant à pied pour Toulon (Var) afin de s’engager pour cinq ans dans la Marine nationale. Ce voyage est une rupture avec tout ce que représente son enfance. Durant la période de son engagement, jusqu'en 1917, il ne pense qu’à s’instruire et donner libre cours à sa curiosité dévorante, à sa soif d’apprendre. « De dix-neuf à vingt-deux ans, crise indescriptible, boulimie de toutes les connaissances, digéré des cailloux, rattrapé la file des garçons instruits. Dans les doubles fonds, à la lumière des quinquets »[1].
Pilote d'avion et ingénieur
Durant la Première Guerre mondiale, il est pilote de l’escadrille de Dunkerque dont il sera l'un des rares rescapés. Grâce à un travail d'autodidacte acharné, il accède aux mathématiques et à la physique de très haut niveau. Il se prend de passion pour la philosophie (lecture des philosophes anciens et modernes et des textes religieux fondamentaux), allant jusqu'à apprendre le grec ancien et le latin. Il apprend également l’anglais pour lire Shakespeare, dont il traduira plusieurs sonnets, et l’italien pour lire Dante. En 1917, il est reçu premier à l’École des ingénieurs mécaniciens de la Marine. Il remporte également un appel d’offres lancé par les forces alliées pour la construction d’un hydravion de haute mer. Avec l'ingénieur Maurice Jules-Marie Le Pen, ancien du motoriste Gnome, il participe à la conception de l'hydravion Lévy-Le Pen HB2 pour le constructeur Georges Lévy[2].
En 1919, après sa démobilisation, il est engagé comme ingénieur aéronautique dans une filiale du constructeur Farman. Il se marie avec Isabelle Rappaz. Ils auront deux fils : Maurice, né en 1920, et Jean, né en 1921.
Il exerce son métier d’ingénieur jusqu’en 1955 dans différentes entreprises de construction aéronautique. De 1922 à 1930, il travaille avec Louis Blériot.
La RĂ©sistance
Durant la Seconde Guerre mondiale, il fait partie du réseau de résistance Brutus. Pour ce réseau, il est en mission de 1942 à 1944 en tant que chef des calculs dans les bureaux parisiens de la firme allemande Junkers (période au cours de laquelle il rédigea son journal). Le il reçoit à ce titre la Croix de guerre.
Il prend sa retraite d’ingénieur en 1955.
Son Ĺ“uvre
En 1927, la lecture d’une page de Paul Éluard à la devanture de la librairie José Corti[3] lui révèle la poésie surréaliste. Tout change avec cette découverte : « À partir de trente-sept ans, écrit des poèmes pour guérir. L’ont sauvé. Instinct des bêtes sauvages, choisissant l’herbe qu’il faut. A publié sept ans plus tard. Touché par la grande libération du surréalisme. Tout est permis. Toutes les graines ont leur chance, et un jour la graine de l’arbre chanteur germera. Tout est possible, condition du progrès. Mort à l’État. »[4]
Il est reconnu comme un pair par Paul Éluard[5], Joë Bousquet et René Char qui lui dédie un poème du recueil Le Marteau sans maître : « les Observateurs et les rêveurs », et devient un ami proche.
Durant l'occupation, il apporte son concours aux publications clandestines de « La Main à plume » que dirigent Noël Arnaud et Jean-François Chabrun et qui poursuivent l’aventure du surréalisme.
Dans ses écrits, Maurice Blanchard tente de cicatriser sinon refermer les blessures de son enfance : « Ce fut un enfant abandonné sur un fagot d’épines. Ce fut un adolescent sans espoir et sans lumière. Ce fut une taupe dans un royaume souterrain et la terre lui fut un refuge contre la bassesse du ciel. »[6] Poésie d'un homme seul et désespéré : « le monde hostile de mon enfance devint ma nourriture coutumière. »[7]
La révolte également est au cœur des engagements : « De dures, de très silencieuses années ont fait mûrir les poisons de mon cerveau [...] Pour insulter les puissants, il construisit un silence noir et givrant qui lui ouvrit les portes de l’enfer [...] Vivre, c’est la guerre avec les trolls sous la voûte du cœur et du cerveau, la naissance, c’est la guillotine. » La sensibilité affleure constamment : « J’ai tant aimé l’avenir, j’ai tant souffert [..] la vengeance en lame de sabre ».
Il affiche sa liberté intraitable, hautaine, combattante et qui ne plie jamais : « Qu'un pouvoir hostile se lève, fût-ce à l’extrême lisière de mon domaine, je fonce pour le terrasser avant qu’il n’ait fini de bâiller. La peur vous gèle ? La peur m’embrase. Mes escarboucles s’enflamment à l’oxygène de la lutte ; au moment où je frapperai, à la suprême jouissance de la haine, elles cracheront leur rouge encens. Et il vous faudra vos mains d’esclaves pour traîner de la pitié à pleines brouettées ! »
Selon sa formule, « la poésie est une propriété de la matière », si bien que la poésie et la vie sont intimement nouées, et pour le poète il s'agit de voir que le réel recèle en lui-même sa part d'étrangeté et d'inconnu. C'est ainsi que Blanchard considérait ses inventions d’ingénieur de machines aéronautiques, pour aller plus vite, plus loin, comme la même « activité poétique » que la création d’un poème, véritable opération magique ouvrant tous les possibles : « Pour écrire un poème, il faut recommencer sa vie, toutes les vies. »[8] Ainsi, tout est permis dans ces chemins que trace « la ligne droite » de la poésie, sous le signe de l'infini, celle d'un « homme en marche », transfiguré par la parole, car selon lui, « le poète n'est rien, c'est ce qu'il cherche qui est tout. »[9]
Ses lecteurs seront surtout des poètes, comme René Char qui écrit de lui : « Blanchard, le véloce, le discret, le noueux, le bleuté, le déchirant Blanchard[10] » ; ou encore Noël Arnaud, qui note en 1945 dans son introduction à « L'Avenir du Surréalisme » : « Aujourd’hui, le soleil s’est levé sur le jour de Maurice Blanchard. Aujourd’hui encore, vous auriez pu rencontrer le plus pur des poètes de ce temps. Il est à ce temps ce que l’heure qui vient est à l’heure qu’il est. » Il reste toujours assez méconnu, et en 1953 André Pieyre de Mandiargues s’offusquait déjà de la méconnaissance de son œuvre : « L’intelligence de la poésie est répandue chez les Français autant, ou quasiment, que l’instinct maternel chez les poissons... Ils ont manqué Corbière, ils ont ri, longtemps, de Mallarmé. Juré, plus tard, qu’on ne les y reprendrait pas. Mais à peine ont-ils entrevu Péret, Arp, et Blanchard n’a pas vingt lecteurs dans son pays »[11].
En 1988, Pierre Peuchmaurd, qui lui consacre un opuscule dans la collection « Poètes d'aujourd'hui » chez Seghers, fait le même constat, mais sans déploration : « Moins de cent personnes ont entendu ce qu'il disait. Poète maudit, alors ? Je ne sais pas. Pourquoi un poète devrait avoir plus de cent lecteurs ? À plus forte raison si ceux-ci ont pour noms André Breton, Benjamin Péret, René Char ou Paul Éluard [...], Joë Bousquet, Gaston Bachelard, Julien Gracq (qui assura, après avoir lu L'Homme et ses miroirs, que c'était bien la première fois qu'il ne s'ennuyait pas en lisant de la poésie), André Pieyre de Mandiargues [...], Noël Arnaud, Jean Follain ou Marcel Béalu[12]. »
Ĺ’uvres
Publications de son vivant
- 1929 : Les Lys qui pourrissent, à compte d’auteur sous le pseudonyme d’Erskine Ghost.
- 1934 : Malebolge, Paris, Éditions René Debresse.
- 1935 : Solidité de la chair, Paris, Éditions René Debresse.
- 1936 : Sartrouville, Paris, Éditions René Debresse.
- 1937 : Les Barricades mystérieuses, Paris, Éditions GLM.
- 1937 : Les Périls de la route, Paris, Éditions GLM.
- 1939 : C’est la fête et vous n’en savez rien, Paris, Éditions GLM.
- 1943 : Les Pelouses fendues d’Aphrodite, Paris, la Main à Plume.
- 1947 : La Hauteur des murs, Paris, Éditions GLM.
- 1947 : William Shakespeare : douze sonnets, traduits de l’anglais et présentés par Maurice Blanchard, Paris, Éditions GLM.
- 1949 : L’Homme et ses miroirs, avec quatre gravures originales au burin de René Mels, Bruxelles, Éditions Le Cormier.
- 1951 : Le Monde qui nous entoure, Le Caire, Éditions La Part du Sable.
- 1955 : Le Pain, la Lumière, Paris, Éditions GLM.
Publications posthumes
- 1977-1982 : Réédition des œuvres complètes aux éditions Plasma.
- 1977 : Débuter après la mort[13], textes réunis et présentés par Jean-Hugues Malineau, préfaces de Jean-Michel Goutier[14] et Fernand Verhesen, lettre de Gaston Bachelard[15], Paris, Éditions Plasma.
- 1988 : Publication de Maurice Blanchard par Pierre Peuchmaurd, Paris, éditions Seghers, coll. « Poètes d'aujourd'hui » ; rééd. Nérac, Pierre Mainard, 2019.
- 1994 : Les Barricades mystérieuses, préface de Jean-Hugues Malineau, Paris, Gallimard, coll. « Poésie ».
- 1994: Danser sur la corde, journal 1942-1946 , présentation et notes de Pierre Peuchmaurd, Toulouse, L’Éther Vague, Patrice Thierry éditeur.
- 2003 : l'université Picardie- Jules Verne d'Amiens organise une exposition et publie un catalogue de documents inédits sous la direction de Vincent Guillier.
- 2006 : La Hauteurs des murs, Paris, éditions Le Dilettante, préface et notes de Vincent Guillier.
- 2009 : Solidité de la chair, Paris/Bruxelles, éditions de L'Arbre.
- 2010 : Le Pain La Lumière, Paris/Bruxelles, éditions de l'Arbre.
Pour approfondir
Bibliographie
- Noël Arnaud, La Rencontre avec Maurice Blanchard, suivi de Nos respects à Maurice Blanchard et autres textes, et de la Correspondance croisée Noël Arnaud-Maurice Blanchard ; édition établie et annotée par Patrick Fréchet, Paris, Patrick Fréchet éditeur et Les Autodidactes, 2005.
- René Char, « Hommage à Maurice Blanchard », in Recherche de la base et du sommet, Paris, Gallimard, 1965.
- Paul Éluard, « Maurice Blanchard », in Le Poète et son ombre, Paris, Éditions Seghers, 1963 et 2008.
- Vincent Guillier, Maurice Blanchard : L'homme et ses miroirs, préface de Jean-Hugues Malineau, prélude par Jean-Marie Lapouge, Montdidier, SERHAM (Société d’études et de recherches historiques et archéologiques de Montdidier et sa région), 2001.
- Vincent Guillier, Maurice Blanchard. L'Avant-Garde solitaire, préface de Jean-Hugues Malineau, Paris, éditions de l'Harmattan, 2007.
- Pierre Peuchmaurd, Maurice Blanchard, Paris, Éditions Seghers, coll. « Poètes d'aujourd'hui », 1988 ; réédition sous-titrée Vie supposée & choix de textes, Nérac, Pierre Mainard, 2019.
- André Pieyre de Mandiargues, « Maurice Blanchard », in Le Cadran lunaire, Paris, Robert Laffont, 1958.
- André Pieyre de Mandiargues, « Pour saluer Blanchard », in Deuxième Belvédère, Paris, Grasset, 1962.
- « Hommage à Maurice Blanchard », textes de Marcel Béalu, René Char, Jean Follain, in Réalités secrètes, n° VIII-IX, .
Liens externes
- Notice dans un dictionnaire ou une encyclopédie généraliste :
- « Maurice Blanchard, La Violente espérance de la poésie » par Gil Pressnitzer sur Esprits nomades
- Ressources culturelles de Picardie (sur les traces de Maurice Blanchard)
- Fiche Maurice Blanchard sur l'encyclopédie Picardia
- Textes de et sur Maurice Blanchard sur le site Tiens, etc
Notes et références
- Cité par Jean-Hugues Malineau, préface à Maurice Blanchard, Les Barricades mystérieuses, Gallimard, coll. « Poésie », 1994, p. 9.
- Levy-Besson 200 ch
- Éditeur spécialisé dans les œuvres surréalistes depuis 1925.
- Postface des « Pelouses fendues d’Aphrodite », Les Pages libres de la Main à la Plume, 1943.
- Paul Éluard, qui cite également Blanchard dans son anthologie Poésie volontaire et poésie intentionnelle (1942), écrit à son sujet : « La force de Maurice Blanchard est sortie de la brutalité des gens heureux. La force de sa révolte est née au ciel stérile de la misère. Les gens heureux ont bien essayé de la tuer, mais le feu n’était pas assez mûr, le temps manquait, la rose du crime ne s’ouvrit pas. Depuis, nul ne peut nier Maurice Blanchard qui, lui, sait nier, par d’exclusives affirmations, à la manière du sang qui sort d’une blessure ou qui revient au cœur – le tout au présent. Maurice Blanchard affirme le désert, pour le peupler. Toute la vie jetée aux mots enragés, aux mots à face humaine. », texte reproduit par Pierre Peuchmaurd sur le rabat de la première de couverture de Maurice Blanchard, Seghers, 1988 ; rééd. Pierre Mainard, 2019.
- « La poussière, les années » (Le Monde qui nous entoure), dans Les Barricades mystérieuses, p. 105.
- « L'eau est une oreille » (La ligne droite), Les Barricades mystérieuses, p. 80.
- « Île » (L'Homme et ses miroirs), Les Barricades mystérieuses, p. 65.
- « Et tout cela n'est encore qu'un prélude ! » (Vivre c'est inventer), Les Barricades mystérieuses, p. 167.
- René Char, « Hommage à Maurice Blanchard » (1960), in Recherche de la base et du sommet, Gallimard, 1965 ; rééd. Gallimard, coll. « Poésie »,1986, p. 93.
- Cité par Jean-Hugues Malineau, préface à Les Barricades mystérieuses, p. 19-20.
- Pierre Peuchmaurd, Maurice Blanchard, Seghers, coll. « Poètes d'aujourd'hui », 1988 ; rééd. Pierre Mainard, 2019, p. 11.
- Anthologie de plusieurs recueils, dont le titre provient d'une lettre de Maurice Blanchard à Fernand Verhesen en 1950 : « ... Débuter après la mort c’est bien, il ne reste que le diamant... », cité par Jean-Hugues Malineau dans la préface, p. 7. En fait, ce volume rassemble la totalité des œuvres de Blanchard publiées de son vivant, à l'exception de celles publiées par Guy Lévis Mano.
- Selon Jean-Michel Goutier, la poésie de Blanchard « exprime la révolte pure qui est la source de toute poésie authentique », p. 12.
- Dans cette lettre datée du 25 mai 1951, Gaston Bachelard écrit : « ces poèmes m'apportent ce riche monde de l'image vraie, de l'image cosmique où je vis exactement », p. 19.