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Marie Darrieussecq

Marie Darrieussecq, née le à Bayonne, est une écrivaine française. Elle est aussi traductrice et a exercé la profession de psychanalyste.

Marie Darrieussecq
Marie Darrieussecq en 2011.
Biographie
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Son premier roman Truismes, publié alors qu'elle est âgée de vingt-sept ans et qui relate la métamorphose d'une femme en truie, rencontre un succès mondial. Vendu à plus d'un million d'exemplaires en France et à l'étranger, il est traduit dans une quarantaine de langues.

En 2013, Marie Darrieussecq reçoit le prix Médicis et le Prix des prix littéraires pour son roman Il faut beaucoup aimer les hommes. En 2019, elle devient titulaire de la chaire semestrielle d'écrivain en résidence de l'Institut d'études politiques de Paris.

Biographie

Formation

En 1986, elle obtient un baccalauréat littéraire à Bayonne. Elle étudie en hypokhâgne et khâgne au lycée Montaigne de Bordeaux puis au lycée Louis-Le-Grand, à Paris. Entre 1990 et 1994, elle est élève à l'École normale supérieure de la rue d'Ulm à Paris. Elle poursuit ses études de lettres à la Sorbonne-Nouvelle. En 1992, elle est reçue à l'agrégation de lettres modernes à la sixième place[1].

Sa thèse, soutenue en 1997 à l'université Paris VII sous la direction de Francis Marmande, s'intitule : « Moments critiques dans l'autobiographie contemporaine. Ironie tragique et autofiction chez Georges Perec, Michel Leiris, Serge Doubrovsky et Hervé Guibert ».

Œuvre littéraire

À propos de son roman Clèves, la journaliste Raphaëlle Leyris écrit : « Le sujet de Marie Darrieussecq depuis Truismes est toujours le même : il s'agit d'examiner ce que le langage dit de l'expérience, la manière dont les mots, et notamment les lieux communs, énoncent la réalité et, en retour, la façonnent[2]. » Le titre du roman Il faut beaucoup aimer les hommes est extrait d'une phrase de Marguerite Duras dans La Vie matérielle : « Il faut beaucoup aimer les hommes. Beaucoup, beaucoup. Beaucoup les aimer pour les aimer. Sans cela, ce n'est pas possible, on ne peut pas les supporter[3]. »

À propos de son roman Le Pays, Nathalie Crom écrit dans La Croix qu'elle soulève « la question de l'appartenance (à une langue, à une terre, à une nation), sans entretenir la moindre nostalgie pour la vision classique ou traditionnelle de l'enracinement[4]. »

Dans Clèves, elle décrit la transformation d'une adolescente avec l'arrivée des premières règles et la découverte de la sexualité. Virginie Despentes écrit dans Le Monde des Livres : « Clèves fonctionne comme un remonteur de moments, ni oubliés, ni occultés, mais jamais consultés, jamais célébrés »[5].

Style

Son style minimal, chargé d'anecdotes et de métaphores scientifiques ou géographiques, sert une « écriture physique »[6]. Chaque livre produit par Marie Darrieussecq entretient un style différent, supposant que « le changement stylistique serait donc le moteur de sa création »[7]. Cependant, ce sont les mêmes questionnements qui traversent les œuvres de l’auteure, alors que « Marie Darrieussecq adopte une posture auctoriale plurielle, qui multiplie les expériences littéraires et intersémiotiques, interroge dans la labilité de ses métamorphoses, de ses travestissements, la question de l’un et du multiple, de l’autre et du même »[8].

L'Ă©nonciation animale

Marie Darrieussecq fait souvent usage de la focalisation interne et du discours indirect libre pour s'immiscer dans l'esprit et le corps de ses personnages. L'auteure s'intéresse ainsi « aux états mentaux non linguistiques provoqués par des états de conscience limite ou des expériences mentales infra-verbales dominées par les émotions et les sensations »[9]. Ce n’est pas seulement la perception humaine que Marie Darrieussecq tente de déchiffrer par l’écriture, mais également la perception animale, qui est un type d’expérience non linguistique par définition : « S’imaginer dans la peau d’un animal ne se limite pas à la mise en récit de fantasmes de métamorphose comme Darrieussecq s’y était essayée dans Truismes, son premier roman. L’expérience relève plus généralement d’une sorte d’exercice mental »[9]. Cet « exercice mental » est perceptible dans le roman Le Pays, qui représente des tentatives de projection imaginaire dans une subjectivité animale<re name=milcent39/> :

« Le bernard-l’hermite hors de sa coquille cherchait tout nu un abri neuf. Le premier coquillage était si grand que ses pattes de derrière ne pouvaient pas s’y accrocher, et ses pattes de devant ne pouvaient pas le traîner. Le deuxième coquillage était si petit, qu’aucune de ses pattes, de derrière ou de devant, ne pouvait s’y caser. Le troisième coquillage était parfaitement à la taille pour les pattes de derrière et devant, et le bernard-l’hermite s’y glissa tout content [10] »

Effectuer ces incursions mentales dans des esprits et des corps non humains représente donc un paradoxe énonciatif, là où l’écriture permet de mettre en mots ce qui est de l’ordre de l’indicible. Le point de vue animal se manifeste en partie par le désir des personnages d’échapper à la vie humaine, ce qui donne lieu à « un questionnement et des hypothèses sur leur être-au-monde, imaginé avant tout comme une existence purement physiologique »[11]. Sophie Milcent-Lawson, dans « Énonciations animales dans l’œuvre de Marie Darrieussecq », repère plusieurs manifestations du devenir animal à travers l’énonciation linguistique. La première technique « consiste ainsi à donner à lire des pensées verbalisées tout en laissant entendre qu’il pourrait s’agir de celles de l’animal »[11]. Le roman Bref séjour chez les vivants exemplifie bien ce processus de la pensée verbalisée :

« Et le chat. Tous les matins se réveillant en se disant que ça lui dit quelque chose ; se rappelant vaguement cet endroit, cette famille et ces odeurs, impressions enfouies sous la glu des neurones, comme on se souvient, nous, d’un rêve par éclats, ou d’une vie antérieure. Peut-être le chat se dit, si le chat se dit quelque chose, avoir déjà été chat ici dans une de ses sept vies. S’éveillant chaque jour au rêve qu’il a quitté en se disant tiens donc. Puis oubliant. D’où l’expression blasée du chat, qui habite en permanence le monde du déjà-vu[12] »

Ainsi, il devient difficile pour le lectorat de clairement déterminer qui est l’énonciateur de cette pensée : le personnage qui rapporte la pensée verbalisée ou s’agit-il vraiment de la pensée de l’animal ? Ces remarques sur la verbalisation de la pensée animale supposent différents procédés linguistiques et discursifs de la pensée verbalisée partagée : « discours indirect libre, fusion transpécifique dans le vous empathique, énallage du pronom je, esquisse de discours rapporté formel mais dépourvu de contenu propositionnel. Ainsi, la verbalisation des pensées imaginées se trouve-t-elle prise en charge par un locuteur-relais humain »[13].

Un autre procédé de l'énonciation animale repéré par Sophie Milcent-Lawson est d'imaginer des pensées non verbales : « si la contrainte de la verbalisation apparaît incontournable dans cet art verbal qu'est la littérature, certaines techniques permettent de représenter des procès mentaux non linguistiques tels ceux qu'on attribue aux animaux »[13]. Lorsque le discours ne peut pas être rapporté à l’aide d’un « locuteur-relais humain », ce sera la syntaxe, la typographie et l'onomatopée qui permettront au lectorat de comprendre que l’énonciateur d’une pensée est un animal : « le chien renifle, zigzague, quatre pattes truffe au sol, odeur / pisser / ressac attention pattes / essorage clap clap clap oreilles / odeur où ça où ça / trace perdue / oubliée / maître : bâton, bâton lancé ! »[14]. Figurer une forme de conscience animale passe par la représentation du flux de conscience de l’animal : « le flux mental du chien s’énonce sous la forme de termes juxtaposés : infinitifs, substantifs sans actualisateur, onomatopées. […] L’artifice typographique des barres obliques matérialise une temporalité vécue comme successivité d’instants, sans dimension réflexive »[15]. La syntaxe s’oppose volontairement aux normes écrites pour marquer la différence de l’énonciateur. Il s’agit donc moins de relater l’expérience animale, mais plutôt de donner l’expérience à vivre au lectorat par la syntaxe et la typographie.

L'italique et la parenthèse

Marie Darrieussecq utilise amplement l'italique dans la majorité de ses romans. L'italique permet d'attirer l'attention du lectorat sur un mot, un syntagme ou une phrase en le signalant de manière matérielle. L'italique vient modifier le rapport entre le signe et son référent, représentant toujours un certain décalage vis-à-vis de la langue : « avec les italiques, le signe se désigne non plus ou non seulement comme représentation du monde, mais aussi comme monde en lui-même »[16]. Dans son texte « L'italique chez Marie Darrieussecq, signe de "l'entre-deux mondes" », Claire Stolz énumère les quatre principales modalités de l'italique : la non-coïncidence entre le mot et la chose, la non-coïncidence des mots à eux-mêmes, la non-coïncidence du discours à lui-même et la non-coïncidence entre les interlocuteurs[16]. Il y a donc des non-coïncidences explicites (par exemple lorsqu’un interlocuteur rapporte les paroles des autres) et implicites (par exemple des mots qui ne vont pas de soi)[16].

Toujours selon Claire Stolz, l’usage de l’italique s’apparente également à celui des guillemets, puisque ces deux marques typographiques peuvent signaler un discours rapporté. Cependant, « le signalement par les italiques de l’autonymie des citations s’accompagne d’une opacité des sources de ces citations. Les italiques disent l’hétérogénéité discursive mais ne donnent pas l’origine du discours ni le trajet de sa circulation, tandis que les guillemets sont réservés plutôt à des citations attribuées»[17]. Dans Notre vie dans les forêts, la narratrice déclare que « la société maternante que nous avons fuie avait parfois ses bons côtés, principe de précaution et chirurgie de pointe. Bref. Le boîtier est toujours dans ma tête. Robot comme les autres »[18]. Le mot « parfois » est souligné pour signifier qu’il ne doit pas être compris dans son sens premier : « les italiques peuvent aussi servir à signaler la non-coïncidence à lui-même d’un mot considéré comme banal »[19]. En soulignant ce mot, la narratrice exprime plutôt de l’ironie ou de l’ambivalence, puisque la « société maternante » qu’elle évoque est en fait une société totalitaire : elle remet ainsi en question les « bons côtés » de la société dystopique à laquelle elle vient tout juste d’échapper. L’expression « robot comme les autres », pour sa part, est dite par un autre personnage plus tôt dans le roman[20]. Il devient difficile de retracer la source de la citation lorsque les mots sont simplement soulignés par l’italique. De plus, lorsque la narratrice reprend cette expression, qui en est véritablement l'énonciateur ? Reprend-elle les mots d’un autre personnage, ou est-ce que celle-ci se les approprie ? Se place-t-elle en opposition avec cette expression, ou bien pense-t-elle ces mots ? L'italique brise le rythme de lecture, permettant au lectorat d'appréhender les différents sens associés à cette écriture de la marge, de s'interroger sur la non-coïncidence explicite du signe et de son référent : « Ces caractères destinés à attirer l’attention du lecteur sur un mot, une expression, une phrase, voire un énoncé ou un texte, signalent de façon matérielle, sémiotique, le signe verbal, et c’est pourquoi ils sont notoirement utilisés pour des emplois autonymiques dans lesquels, peu ou prou, le signe est à soi-même son propre référent »[21].

La parenthèse, de la même manière que l'italique, est présente dans presque tous les romans de Marie Darrieussecq. Cependant, l'œuvre dans laquelle l'utilisation de ce procédé graphique est la plus abondante est Naissance des fantômes, qui comporte 132 parenthèses au total[22]. Le roman est fondé sur le point de vue de la narratrice, dont le mari est disparu subitement et sans laisser de traces une journée comme toutes les autres.

Dans « Une ponctuation de l'entre-deux : la parenthèse », Karine Germoni et Cécile Narjoux affirment que :

« Les parenthèses, comme autant de chambres d'écho à la trame narrative, se multiplient et s'étendent à mesure que la narratrice perd pied avec la réalité tangible, mais elles rendent également compte de son exploration d'une temporalité autre, celle de l'attente, des souvenirs mais aussi de celle des possibles – et donc de la fiction –, et plus largement encore de sa négociation avec la représentation d'elle-même au contact des autres, du réel et de ses propres pensées. Lieu clos paradoxal qui ouvre sur un ailleurs au sein même de la phrase, lieu dédié à la réflexion et la réflexivité, la parenthèse, en tant que contenant et contenu, apparaît dans Naissance des fantômes comme l'instrument privilégié de l'exploration de ces zones limitrophes dont Marie Darrieussecq interroge la porosité. Mieux : elle se donne, dans le tissu textuel dont elle élargit les mailles, comme leur contrepartie métaphorique et linguistique[23] »

Karine Germoni et CĂ©cile Narjoux relèvent trois principales modalitĂ©s de la parenthèse chez Marie Darrieussecq, soit l'extraction d'Ă©lĂ©ments accessoires, les structures de couplage et l'insertion d'Ă©lĂ©ments syntaxiquement Ă©trangers. La première catĂ©gorie, l'extraction d'Ă©lĂ©ments accessoires, permet d'ajouter des Ă©lĂ©ments facultatifs Ă  la phrase : « Je me demandais, en tournant les pages oĂą s'encadraient des visages qu'il me semblait n'avoir jamais vus, oĂą ma silhouette, rarement aperçue, avait l'aspect cireux des mannequins et oĂą mon mari plongeait dans l'objectif un regard Ă©trangement direct, hypnotique et dĂ©calĂ© (comme si ce qu'il fixait Ă©tait toujours derrière moi le regardant), je me demandais Ă  quoi ressemblait aujourd'hui l'album de ma mère […] »[24].  Il s'agit d'Ă©lĂ©ments qui sont accessoires, et qui auraient pu se trouver entre deux virgules plutĂ´t qu'entre deux parenthèses : puisqu'il n'y a pas de rupture syntaxique marquĂ©e par l'Ă©lĂ©ment ajoutĂ©, alors les parenthèses ne seraient pas nĂ©cessaires. La parenthèse, chez Marie Darrieussecq, se rapporte donc Ă  un « espace-temps parenthĂ©tique » selon Karine Germoni et CĂ©cile Narjoux, alors que celle-ci « sert justement Ă  marquer un suspens tout en inscrivant un autre temps, un autre lieu dans l'espace parenthĂ©tique, le lieu de la fiction et des mondes possibles »[25].

Les structures de couplage, pour leur part, se déroulent sous le mode de l'énumération. Les mots, syntagmes et phrases balisées par les parenthèses sont plutôt de l'ordre de l'alternative : « Nous verrions les mêmes couleurs, les mêmes formes, et je cesserais de me demander si mon mari (si les chats, les oiseaux, les poissons et les mouches aux yeux à facettes) sentait et voyait tout de même ce que moi je sentais et voyais »[26]. Grâce à la parenthèse, Marie Darrieussecq verbalise un lieu où tous les possibles prennent place. Ces parenthèses sont facilement repérables puisqu'elles pourraient être paraphrasées « par des marqueurs de rectification tels que "ou aussi bien", "ou plutôt", "ou mieux encore" »[25]. Marie Darrieussecq, grâce à la parenthèse, laisse entrevoir un monde de possibles et de variantes dans la fiction.

Finalement, le dernier procédé intègre des éléments syntaxiquement étrangers à la phrase. Ces phrases rajoutées grâce au procédé typographique de la parenthèse sont syntaxiquement différentes de la phrase principale, contrairement aux deux autres procédés où le contenu des parenthèses se fondent dans la structure de la phrase principale : « Ma mère l'avait appelée (le réseau complice des femmes autour de moi commençait à tendre ses filets, à me retenir parmi elles, à m'épauler comme les baleines franches poussent de leur bosse-museau, pour les maintenir à flots, les baleines plus faibles qui se laisseraient glisser dans les spirales des profondeurs), ma mère l'avait appelée, inquiète, lui disant que quelque chose ne tournait pas rond, ma mère m'envoyait ma meilleure amie »[27]. Karine Germoni et Cécile Narjoux remarquent que ce type d'incise entre parenthèses relève souvent d'un commentaire de l'auteure ou d'un propos rapporté par la narratrice, alors que « ces incidentes se caractérisent par la rupture qu'elles instaurent dans les doutes, les réserves, les hypothèses de la narratrice, rupture plurielle dans l'ordre du linéaire, et sur le plan énonciatif : l'espace-temps parenthétique délimite une ère d'hétérogénéité et d'indépendance non seulement syntaxique et énonciative, où s'éprouve la subjectivité de la narratrice »[28]. La parenthèse, chez Marie Darrieussecq, donne à voir – ou plutôt donne à lire – la porosité entre la réalité et la fiction, entre les personnages et le monde qui les entoure, par l'exploration des possibles.

L'ironie

L'ironie contemporaine, selon Didier Alexandre et Pierre Schoentjes, découlerait d'une méfiance vis-à-vis du récit traditionnel, et se traduirait par une pratique du genre romanesque « à distance », par un jeu sur les codes et les normes traditionnelles du roman[29]. L'ironie est plurielle, des écritures très différentes peuvent être qualifiées d'ironiques. Dans leur ouvrage Ironie : formes et enjeux d'une écriture contemporaine, les deux auteurs relèvent quatre grandes catégories de l'ironie : le roman de l'ironie ludique, le roman ironique postmoderne à l'américaine, le roman de l'ironie philosophique et les fictions ironiques des univers noirs[30].

L'ironie mise en œuvre par Marie Darrieussecq dans ses romans se situe à l'intersection des quatre grandes catégories élaborées par Didier Alexandre et Pierre Schoentjes. Effectivement, selon Vicky Colin, l'ironie repose chez les narratrices imaginées par l'auteure, qui portent des ironies plurielles. Les héroïnes fictionnelles de Marie Darrieussecq sont des personnages psychologiques, qui sont confrontées à des évènements traumatiques, par exemple la métamorphose (la narratrice de Truismes se transforme peu à peu en truie), la perte d'un enfant (la narratrice de Tom est mort), ou la démultiplication de l'identité (la narratrice de Notre vie dans les forêts qui vit dans un monde dystopique et qui apprend qu'elle est en fait un clone). Ces femmes ébranlées par ces expériences particulières poussent le lectorat à l'introspection : « elles sont des hologrammes psychiques, qui opèrent depuis les réflexes inconscients mais souvent perceptibles au lecteur, installant une ironie particulièrement amère »[31].

Toujours selon Vicky Colin, l'ironie dans les romans de Marie Darrieussecq serait provoquée par l'isolement social vécu par les narratrices féminines, tel que dans le roman Truismes. La narratrice se métamorphose peu à peu en truie, s'éloignant par le même fait de la société qui n'accepte pas cette transformation anormale. Tout en écrivant son journal, elle se place peu à peu en périphérie de cette société, en dormant dans les parcs, puis dans les égouts, ou en se cachant chez un de ses amants par exemple. Elle finira par complètement accepter son animalité et à vivre en forêt avec un sanglier. C'est donc de cette exclusion sociale que l'ironie prend forme dans Truismes : « les femmes qui animent ces romans sont perdues, seules, et cherchent à comprendre les transformations et changements qu'elles doivent subir. Peu importe la cause immédiate de leur souffrance, leur inquiétude et leur angoisse sont universelles, et l'ironie vient relever des inquiétudes curieusement familières »[32]. Ceci est particulièrement vrai pour Truismes, puisque la narratrice tient un journal, comme c'est le cas d'autres romans de Marie Darrieussecq (Tom est mort et Notre vie dans les forêts en l'occurrence). La lente descente de la narratrice dans la folie est donc particulièrement détaillée grâce à cette méthode d'écriture du journal intime.

Selon Vicky Colin, l'ironie présente dans le roman Truismes se réfère à l'image de la femme qui est donnée dans la fiction. La transformation de la narratrice en truie serait une allégorie d'une adolescente dont le corps prépubère devient le corps d'une femme. Sa métamorphose en truie est symbolique, puisque cet animal représente dans l'imaginaire collectif la sexualité féminine et débridée : « la truie, appelant à la sensualité, répugne par son mode de vie et sa voracité. Un symbole particulièrement ironique de la femme moderne »[33]. La narratrice de Truismes est naïve, et elle éprouve de la difficulté à évoluer dans un monde qu’elle ne comprend pas elle-même et dont les autres l’excluent : « Ses réactions sont hors de toute proportion, mais dans un monde qu’elle ne comprend pas, elle est perdue et progressivement isolée. Cet isolement est abrutissant, et peut mener à la folie, exprimée par la transformation progressive en truie, et avec l’animalisation de son corps, ses pensées retournent également à un niveau plus simple, plus basique »[34]. L’ironie repose donc dans cette discordance entre la narratrice et les autres :

« Le monsieur a renvoyé la vendeuse, et il m’a fait monter avec lui dans un bureau où il y avait Monsieur Edgar et deux autres messieurs très bien plus deux ou trois filles. "J’ai trouvé la perle" a dit le monsieur d’un air triomphant. Alors Edgar et les deux messieurs m’ont regardée d’un air extasié. Ça m’a fait du bien au moral, je ne vous dis que ça. Ils m’ont pincée partout, ils m’ont regardé le blanc de l’œil et des dents, ils m’ont fait tourner sur moi-même, sourire, et ils ont renvoyé les autres filles. […] Ensuite les messieurs ne se sont plus du tout occupés de moi, ils étaient tous les trois penchés sur les photos. Moi je poireautais, je me demandais ce qu’ils pouvaient bien me trouver. "Pour un monde plus sain ! ", s’est mis à brailler un des messieurs, et ils se sont tous mis à rire très fort. J’ai cru qu’ils se moquaient de moi[35] »

La narratrice n’est pas la source de l’ironie dans le roman, sa candeur est plutôt l’élément qui déclenche l’ironie chez les autres : « Le décor masculin d’abus de pouvoir et de statut social fait ressortir la naïveté de la réaction incertaine et timide de notre [narratrice]. Elle est comme une étrangère dans un pays qu’elle ne comprend pas : ni les gestes, ni les paroles… Mais nous les comprenons. Nous, lecteurs, mesurons parfaitement ce que le comportement des politiciens a d’outrageant, nous comprenons que la jeune fille est inexorablement prise au piège, et qu’elle n’est pas choisie pour sa beauté, mais au contraire pour sa laideur désarmante. Pour nous, les réactions naïves et timides de la vendeuse deviennent ainsi ironiques »[33].

Polémiques et accueil critique

Polémiques

En 1998, l'écrivaine Marie NDiaye l'accuse d'avoir « singé »[36] certaines de ses œuvres pour écrire Naissance des fantômes.

En 2007, à l'occasion de la publication de Tom est mort, Camille Laurens, également publiée chez P.O.L, accuse Marie Darrieussecq de « plagiat psychique ». Leur éditeur commun Paul Otchakovsky-Laurens prend la défense de Marie Darrieussecq en répondant par une tribune publiée dans Le Monde et intitulée « Non, Marie Darrieussecq n'a pas piraté Camille Laurens »[37]. À la suite de ces accusations, Marie Darrieussecq publie en 2010 un essai, Rapport de police[38], sur la question du plagiat en littérature. Une page Wikipédia est consacrée à la polémique qui a suivi la publication de Tom est mort.

En 2020, le journal de confinement de Marie Darrieussecq, publié dans Le Point, entraîne, comme ceux d'autres personnalités, un déferlement de commentaires sarcastiques[39] - [40].

Accueil critique

En 1988, Marie Darrieussecq reçoit le prix du jeune écrivain de langue française pour sa nouvelle La Randonneuse[41].

La publication de Truismes en 1996 propulse Marie Darrieussecq, alors âgée de vingt-sept ans, sur la scène médiatique et déclenche une onde de choc. La même année, Jean-Luc Godard achète les droits du roman, qu'il renoncera finalement à adapter[42].

Dans Le Figaro, Éric Ollivier écrit à propos de Truismes dans un article intitulé « Un conte à vomir debout » : « On y sent une rage rentrée, un faux ton naïf et allègre pour dire, d'une manière primesautière, des énormités et inventer d'horribles horreurs. (…) le n'importe quoi l'emporte, jusqu'à l'épilogue. C'est infect, difficilement tolérable[43]. »

En 2003, J.M.G. Le Clézio écrit dans Le Point :

« L'œuvre de Marie Darrieussecq fait penser à Lautréamont : le rêve du pourceau, au chant IV, commençait par ces mots : "je rêvais que j'étais entré dans le corps d'un pourceau... quand je voulais tuer, je tuais. "Truismes" en découlait. Le passage de Falmer, ou le spectre de Maldoror voltigeant au-dessus du Panthéon, c'est "Naissance des fantômes". "White", c'est l'hymne à l'océan, l'homme amphibie, ou même la "fille de neige" qui fait une apparition au chant VI[44]. »

À l'occasion de la parution d'Être ici est une splendeur, Vie de Paula M. Becker, Étienne de Montety écrit dans Le Figaro littéraire en 2016 : « (…) rien de ce qui est féminin n'est étranger à Marie Darrieussecq. C'est même une marque de fabrique[45]. »

Engagement

Lors de la campagne de l'élection présidentielle française de 2007, Marie Darrieussecq apporte son soutien à Ségolène Royal[46].

En 2020, elle apporte son soutien à la campagne demandant le changement de nom du quartier de La Négresse à Biarritz[47]. Cela fait plusieurs années que Marie Darrieussecq réfléchit à cette question et, pour elle, « le mot négresse est une insulte atroce. C'est un mot qui a été utilisé et créé pour l'esclavage. Nous sommes en 2020 et il faut en finir ! »[48]

Ĺ’uvres

Romans et récits

Nouvelles

Essai

  • 2010 : Rapport de police. Accusations de plagiat et autres modes de surveillance de la fiction, P.O.L[54] (ISBN 9782846823319)

Biographie

Traductions

Théâtre

  • 2009 : Le MusĂ©e de la mer, P.O.L (ISBN 2846823308)

Littérature jeunesse

Livres d'art

Entretiens

Préfaces

Collectifs

Direction d'ouvrages

  • 2009 : Et maintenant un livre, Ă©ditions du Centre dramatique national d'OrlĂ©ans[57].
  • 2010 : Et encore un livre, Ă©ditions du Centre dramatique national d'OrlĂ©ans.
  • 2011 : Et toujours un livre, Ă©ditions du Centre dramatique national d'OrlĂ©ans.
  • 2012 : Ă€ nouveau un livre, Ă©ditions du Centre dramatique national d'OrlĂ©ans.

Audios

Adaptations théâtrales

Prix littéraires

Notes et références

  1. « Chroniques et anecdotes », Le Figaro (consulté le )
  2. Raphaëlle Leyris, « Une vraie jeune fille », Le Monde,‎ (lire en ligne)
  3. Fabienne Pascaud, « Il faut beaucoup aimer les hommes », Télérama,‎ (lire en ligne)
  4. Nathalie Crom, « Marie Darrieussecq, née quelque part », La Croix,‎ (lire en ligne).
  5. Virginie Despentes, « Nous avons été cette gamine », Le Monde des Livres,‎ (lire en ligne)
  6. Robert Solé, « L'écriture physique de Marie Darrieussecq », Le Monde,‎ (lire en ligne)
  7. Sandrine Vaudrey-Luigi, « De la prose dérobée de Naissance des fantômes à la prose "impeccable" du Mal de mer », dans Karine Germoni, Sophie Milcent-Lawson et Cécile Narjoux (dir.), L’écriture « entre deux monde » de Marie Darrieussecq, Éditions universitaires de Dijon, 2019, p. 19.
  8. Karine Germoni, Sophie Milcent-Lawson et Cécile Narjoux, « Introduction. Le style profond reste le même », dans Karine Germoni, Sophie Milcent-Lawson et Cécile Narjoux (dir.), L’écriture « entre deux monde » de Marie Darrieussecq, Éditions universitaires de Dijon, 2019, p. 7.
  9. Sophie Milcent-Lawson, « Énonciations animales dans l'œuvre de Marie Darrieussecq », dans Karine Germoni, Sophie Milcent-Lawson et Cécile Narjoux, L'écriture « entre deux monde » de Marie Darrieussecq, Éditions universitaires de Dijon, , p.39.
  10. Marie Darrieussecq, Le Pays, Paris, P.O.L, 2005, p. 218.
  11. Milcent-Lawson 2019, p. 43.
  12. Marie Darrieussecq, Bref séjour chez les vivants, Paris, P.O.L, 2001, p. 94.
  13. Milcent-Lawson 2019, p. 45.
  14. Marie Darrieussecq, Bref séjour chez les vivants, Paris, P.O.L, 2001, p. 70.
  15. Milcent-Lawson 2019, p. 46.
  16. Claire Stolz, « L'italique chez Marie Darrieussecq, signe de "l'entre-deux mondes », dans Karine Germoni, Sophie Milcent-Lawson et Cécile Narjoux, L'écriture « entre deux monde » de Marie Darrieussecq, Éditions universitaires de Dijon, , p.68.
  17. Stolz 2019, p. 72.
  18. Marie Darrieussecq, Notre vie dans les forĂŞts, Paris, P.O.L, p. 95.
  19. Stolz 2019, p. 74.
  20. Marie Darrieussecq, Notre vie dans les forĂŞts, Paris, P.O.L, p. 88.
  21. Stolz 2019, p. 67.
  22. Karine Germoni et Cécile Narjoux, « Une ponctuation de l'entre-deux : la parenthèse. Les parenthèses dans Naissance des fantômes », dans Karine Germoni, Sophie Milcent-Lawson et Cécile Narjoux, L'écriture « entre deux monde » de Marie Darrieussecq, Éditions universitaires de Dijon, , p.88.
  23. Germoni et Narjoux 2019, p. 88-89.
  24. Marie Darrieussecq, Naissance des fantĂ´mes, Paris, P.O.L, 1998, p. 113.
  25. Germoni et Narjoux 2019, p. 93.
  26. Marie Darrieussecq, Naissance des fantĂ´mes, Paris, P.O.L, 1998, p. 142.
  27. Marie Darrieussecq, Naissance des fantĂ´mes, Paris, P.O.L, 1998, p. 71.
  28. Germoni et Narjoux 2019, p. 95.
  29. Didier Alexandre et Pierre Schoentjes, « Le point sur l'ironie contemporaine (1980-2010) », dans Didier Alexandre et Pierre Schoentjes, L'ironie : formes et enjeux d'une écriture contemporaine, Paris, Classiques Garnier, , p.7.
  30. Alexandre et Schoentjes 2013.
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Voir aussi

Sur Marie Darrieussecq

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