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Polémique sur le nom du quartier La Négresse

Le nom du quartier La Négresse, situé à Biarritz, dans les Pyrénées-Atlantiques, suscite une polémique depuis plusieurs années. Certains élus et associations demandent notamment que le quartier retrouve son nom basque d'origine : Harausta.

Enseigne stéréotypée d'une boutique de tissu du quartier de La Négresse.

Origine et évolution du nom du quartier

Quartier Harausta

À l'origine, ce quartier excentré de Biarritz s'appelait le « quartier Harausta », mot basque signifiant « endroit poussiéreux »[1]. Ce nom, relevé dès le XVIIe siècle, lui venait de l'auberge Harausta qui s'y trouvait. Il est encore utilisé par les bascophones âgés[1], et une rue du quartier porte encore ce nom.

Une femme noire originaire des colonies d'Amérique

Au début du XIXe siècle, l'auberge est tenue par une femme noire, à qui les soldats de Napoléon Ier, de passage lors des combats de 1813, donnèrent le sobriquet de « La Négresse »[2].

Des recherches historiques ont montré récemment que cette femme a vécu dans le quartier entre 1810 et 1814, et qu'elle a été amenée dans l’hexagone par un colon d'Amérique[3]. D'autres documents officiels font état d'une auberge du quartier appelé « La Négresse » dans les années 1850, et dont le propriétaire était issu d'une famille impliquée dans le trafic négrier[3].

Attribution officielle du nom au quartier

La ville de Biarritz a ensuite, par délibération municipale du , donné le nom de « La Négresse » au quartier[4].

Plus d'un siècle plus tard, le , c'est par un vote du conseil municipal que la nouvelle voie desservant la zone artisanale est dénommée « rue de La Négresse ».

Premiers changements de noms dans le quartier

La gare de Biarritz (anciennement gare de Biarritz-La Négresse), a depuis retiré le mot « Négresse » de sa dénomination publique[5]. De même, sur le boulevard Marcel Dassault, l’arrêt de bus Biarritz - La Négresse est devenu en 2018 l’arrêt Viaduc - Gare de Biarritz.

En août 2021, ce sont les nouveaux propriétaires de la pharmacie, anciennement "de la Négresse", qui retirent de leur devanture le mot de Négresse[6].

L'hypothèse réfutée de la déformation d'une expression gasconne

L’Académie gasconne Bayonne-Adour, association de promotion du gascon, avait émis l'hypothèse que le nom du quartier soit une déformation du toponyme « Lana Gresa » (lande d'argile) en gascon[7], bien qu'aucun document ne puisse l'attester[8]. Cette hypothèse a depuis été réfutée[3].

Localisation

Le quartier de La Négresse se situe au sud de la ville de Biarritz. De nombreux lieux et enseignes arborent le nom de « La Négresse » dans le quartier (garage de la Négresse, rue de la Négresse…), de même qu'une rue porte encore le nom d'« Harausta ».

Débats et campagnes autour du changement du nom

Une première interrogation sur une occultation temporaire pendant un sommet franco-africain

Lorsque Biarritz accueille en 1994 le Sommet franco-africain, un grand panneau indique alors Les docks de la Négresse en bout de piste de l’aéroport. Le maire de l'époque, Didier Borotra (UDF), propose au ministère des Affaires étrangères, dirigé par Alain Juppé, de le retirer. Ce dernier refuse catégoriquement[5]. Les plaques ayant trait au quartier sont toutefois voilées temporairement[9].

Premières demandes officielles de changement de nom

En , considérant que ce nom rappelle l'époque de l'esclavage, l’élu socialiste de Biarritz, Galéry Gourret, demande au conseil municipal de Didier Borotra (MoDem) que le quartier soit rebaptisé[10]. Après consultation des conseils de quartier, majoritairement favorables au statu quo, le conseil municipal rejette la demande[11].

En 2015, à la suite d'une banderole annonçant les « fêtes de la Négresse », et arborant le dessin stéréotypé d'une femme noire, le débat sur la connotation du nom prend une dimension nationale[12]. Alain Jakubowicz, président de la Licra, demande alors que le quartier soit renommé. La requête, jugée « ridicule » par le maire Michel Veunac (MoDem), est à nouveau rejetée[13]. Un sondage libre est organisé sur le site internet du journal Sud-Ouest, avec 94.3% des 6181 participants en faveur du maintien du nom[11].

Manifestation en gare de Biarritz et interpellation de Karfa Diallo

Le , profitant de la tenue du G7 à Biarritz, l'écrivain et militant Karfa Diallo, accompagné de Galéry Gourret-Houssein et de quelques membres de l'association Mémoires et Partages, organise un happening devant la gare de la ville pour interpeller les habitants sur la dénomination du quartier[14]. Selon eux le sobriquet de « négresse » comporte une connotation raciste et péjorative, et constitue une offense et une humiliation envers les personnes noires. Cette dénomination s'accompagne de représentations caricaturales dans l'espace public (fresques commerciales, logo des fêtes de La Négresse). Pour Karfa Diallo, cela « légitime une stigmatisation de la femme noire sous une forme d’hypersexualisation avec des fresques que l’on retrouve dans le quartier avec tous les stéréotypes racistes : lèvres pulpeuses, postérieur ample... Cette hypersexualisation de la femme noire ne fait que valider des clichés racistes et misogynes dans l’espace public »[15].

Karfa Diallo fait également part de son incompréhension : « nous savons que la ville de Biarritz et ses habitants ne sont pas racistes, alors pourquoi laisser ce nom ? »[16]. Il réclame donc, soit que le quartier reprenne son nom basque initial d'Harausta, soit que la mairie installe des plaques explicatives pour plus de pédagogie, « à l'instar des institutions qui partout dans le monde s'engagent à déconstruire les dominations héritées des crimes du passé, la ville de Biarritz s'honorerait à rentrer dans cette œuvre de mémoire et de justice »[13].

La manifestation en gare de Biarritz est interrompue par l'interpellation et le placement en garde à vue pendant 24 heures de Karfa Diallo. Poursuivi pour rébellion[17], il est finalement relaxé par le tribunal correctionnel de Bayonne le [18].

Nouvelle demande après changement d'équipe municipale

Le , profitant du changement de direction à la mairie, à la suite des dernières élections municipales, l'association revient à Biarritz pour présenter à nouveau sa demande de rétablissement du nom basque d'origine au quartier. Ils sont reçus par Thomas Habas, attaché de cabinet de la nouvelle maire Maider Arosteguy (LR)[19]. Parallèlement à cette rencontre, Karfa Diallo donne une conférence intitulée « Pourquoi le quartier de la Négresse doit retrouver son nom basque ? » au café Le Polo à Biarritz et lance une visite guidée « Sur les traces de la Négresse de Biarritz »[20].

Le , la maire Maider Arosteguy fait connaître sa réponse. Pour elle, la demande de changement de nom n'émane que de touristes ou d'associations étrangères à la ville. Elle ne voit donc aucune raison de redonner le nom d'Harausta au quartier, et considère au contraire que celui de « la Négresse » est même un hommage rendu à la personnalité dont le sobriquet a été donné comme nom au quartier : « C’était une femme chef d’entreprise, en fait, et je trouve très bien qu’un tel symbole perdure jusqu’à nous grâce au nom du quartier »[5]. Cependant, si la maire refuse de revenir à l'ancien nom, elle reconnaît toutefois que « garder le nom tel quel, sans explication, pose bien évidemment problème ». Aussi elle semble ouverte à la solution consistant à retrouver le vrai nom, ou prénom, de la femme noire surnommée « la Négresse »[13].

Certains élus biarrots affichent clairement leur soutien à la demande de changement de nom, à l'image de la conseillère municipale d’opposition Lysiann Brao (EELV). Pour cette dernière la définition du mot négresse est claire et renvoie à l'esclavage. Aussi elle milite soit pour que le nom du quartier retrouve son nom basque, soit pour que des recherches historiques récupèrent le vrai nom de la femme noire qui a tenu l'auberge : « si on veut vraiment lui rendre hommage, il faut que le quartier porte son nom, pas seulement son surnom ». De même l'écrivaine bayonnaise Marie Darrieussecq soutient le changement de nom et considère que le mot négresse, utilisé et créé pour l'esclavage, représente une « insulte atroce »[5].

L'historien Jean-Yves Mollier comprend la démarche et pense aussi qu'il est temps de rebaptiser le quartier avec un accompagnement pédagogique. Tout comme la sociologue Marie-France Malonga qui interroge : « imaginez si on appelait un lieu le "quartier du Youpin", le "quartier du Bougnoule", du "Chinetoque" »[5].

Action en justice au tribunal administratif de Pau

Afin d'accentuer la pression sur la mairie de Biarritz au sujet de la dénomination de « La Négresse », Karfa Diallo et son avocat William Bourdon, tentent une approche parallèle par la voie judiciaire. Ainsi, le , l’association Mémoires et Partages a saisi le tribunal administratif de Pau pour qu’il contraigne la municipalité à revenir sur les délibérations « illégales » ayant octroyé le nom « la Négresse » à un quartier et une rue de la commune[13].

Une lettre formelle a d'abord été adressée à la maire de Biarritz en octobre, laissant à celle-ci un délai de deux mois pour agir avant le lancement de l'action en justice. Dans ce courrier, Me Bourdon affirme que « cette demande s’inscrit dans un mouvement de prise de conscience – tant à l’échelle nationale qu’internationale – de la nécessité de s’interroger sur la subsistance dans nos sociétés de traces d’événements aujourd’hui justement qualifiés de crimes contre l’humanité »[13]. A titre d'exemple, il cite notamment le cas de la Commission de la toponymie du Québec qui, en 2015, a annoncé le changement de nom de onze lieux contenant le mot « nègre », en français ou en anglais, estimant qu’ils étaient susceptibles de « porter atteinte à la dignité des membres de la communauté noire »[21].

En , devant le refus de la mairie de mettre la problématique du nom de quartier à l'agenda du conseil municipal, l'association Mémoires et Partages a engagé la procédure auprès du tribunal administratif[22].

Démarches de l'association féministe Les Bask'Elles

Les Bask'Elles, association féministe locale, prépare une exposition itinérante intitulée Chemin pour l'égalité : les femmes de l'ombre à la lumière. Refusant de participer à la polémique, elles ont entrepris des recherches historiques et espèrent retrouver le vrai nom de la femme noire dont le quartier de la Négresse a gardé le souvenir[3].

Patrick Serres, président de l'association anti-raciste Mémoires & Partages, regrette de son côté que « cette association Bask’Elles qui veut faire sortir les femmes de l’ombre, se refuse à dénoncer l’appellation raciste du quartier tout en se servant de cette actualité pour faire connaitre leur cause »[23].

Péage autoroutier et fêtes de la Négresse

En 2022, l'association Mémoires et Partages, dirigée par Karfa Diallo, relance la société d'autoroute Vinci pour qu'elle renomme sa sortie et son péage[24]. De même, en réaction au visuel stéréotypé choisi par le Comité des fêtes de la Négresse, l'association obtient que les organisateurs de ces fêtes l'abandonne dans un souci d'apaisement[25].

Notes et références

  1. Hector Iglesias, « À propos de quelques noms de lieux d'Anglet et de Biarritz », Revue d'études basques, no 2, , p. 1–21 (ISSN 1273-3830, DOI 10.4000/lapurdum.1770, lire en ligne, consulté le )
  2. Dr Joseph Laborde, Le Vieux Biarritz, Biarritz-Bayonne, imprimerie Lamaignère, , p. 4
  3. Céline Arnal, « Biarritz : le mystère du nom du quartier de la Négresse en partie résolu », sur France Bleu, (consulté le )
  4. Guy Manaranché, « Une question vraiment d'actualité », sur Côte basque express, (consulté le )
  5. Véronique Fourcade, « Un nom qui fait des histoires - Intriguée mais pas choquée - « Imaginez un quartier du Youpin » », sur SudOuest.fr (consulté le ).
  6. Pierre Penin et Raphaëlle Gourin, « Biarritz : la pharmacie du quartier La Négresse retire le nom controversé », sur SudOuest.fr, (consulté le )
  7. https://opinion.jornalet.com/miqueu-baris/blog/3336/a-perpaus-deu-nom-la-negresse-a-biarritz
  8. Concession de Guy Mondorge partisan de l'hypothèse dans un article de Sud-Ouest Pays basque du 10/12/2020 p.18
  9. Alexandre de La Cerda, « Biarritz : il y a 25 ans, les « Rois Mages » précédaient au Casino les actuels dirigeants du G7 », sur BasKulture, (consulté le )
  10. « Le G7 à Biarritz avec son quartier La Négresse », sur SudOuest.fr (consulté le )
  11. « Biarritz : faut-il débaptiser le quartier de la Négresse ? », sur SudOuest.fr, (consulté le )
  12. Thomas Villepreux et Muriel Bonneville, « La Négresse à Biarritz, un nom de quartier qui fâche », SudOuest.fr, (ISSN 1760-6454, lire en ligne, consulté le )
  13. Camille Polloni, « A Biarritz, le quartier de «La Négresse» est à nouveau contesté », sur Mediapart, (consulté le )
  14. « "La France a débaptisé des noms de collabos, pourquoi pas celles qui portent des noms de négriers ?" », sur franceinter.fr, (consulté le )
  15. « En France, à Biarritz, une association souhaite renommer le quartier de "La Négresse" », sur information.tv5monde.com, (consulté le )
  16. « Faut-il rebaptiser le quartier de la Négresse à Biarritz ? Le militant Karfa Diallo convoqué au tribunal ce jeudi », sur France 3 Nouvelle-Aquitaine (consulté le )
  17. Maite Ubiria, « Poursuivi pour avoir dénoncé le nom du quartier « La Négresse » », sur www.mediabask.eus, (consulté le )
  18. « Biarritz : Karfa Diallo relaxé par la justice des faits de rébellion », sur SudOuest.fr (consulté le )
  19. « Biarritz : ils veulent changer le nom du quartier de la Négresse », sur SudOuest.fr (consulté le )
  20. « Biarritz. Toujours en lutte pour changer le nom du quartier de la Négresse », sur SudOuest.fr (consulté le )
  21. « Les mots « nègre » et « nigger » bannis de la toponymie québécoise », sur Radio-Canada.ca, (consulté le )
  22. « Quartier "La Négresse" à Biarritz : l'association antiraciste "Mémoires et Partages" attaque la mairie », sur France Bleu, (consulté le )
  23. Patrick Carl, « Retour sur le recours administratif contre l’appellation « la négresse » de Biarritz », sur Mémoires et Partages, (consulté le )
  24. Raphaëlle Gourin, « Biarritz : une pétition pour que Vinci débaptise le péage de « La Négresse » », SudOuest.fr, (ISSN 1760-6454, lire en ligne, consulté le )
  25. Véronique Fourcade, « Biarritz : le comité des fêtes de La Négresse renonce à son logo dans un souci d’apaisement », SudOuest.fr, (ISSN 1760-6454, lire en ligne, consulté le )
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