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LGBT au Cameroun

Les personnes lesbiennes, gays, bisexuelles et transgenres (LGBT) au Cameroun font face à des situations que ne connaissent pas les citoyens non-LGBT. Les relations entre personnes LGBT y sont notamment criminalisées.

Symbole LGBT au Cameroun.

Histoire

Précoloniale

Chez les Bafia, l'homosexualitĂ© Ă©tait considĂ©rĂ©e comme une « coutume nationale »[1] - [2] et elle Ă©tait vue comme la suite logique de l'amitiĂ© entre adultes[1]. Les Bafia appelaient l'acte de pĂ©nĂ©tration anale entre adolescents « ji’gele ketön »[3].

Présidence d'Ahmadou Ahidjo

À l'avĂšnement de la RĂ©publique unie du Cameroun en 1972, l'État d'Ahmadou Ahidjo a entamĂ© l’homogĂ©nĂ©isation de la sexualitĂ© du peuple camerounais tout en supprimant la diversitĂ© sexuelle de la pĂ©riode prĂ©-coloniale. Par consĂ©quent, les minoritĂ©s sexuelles, les hommes effĂ©minĂ©s et les femmes masculines ont Ă©tĂ© perçus par la classe politique et la fonction publique comme des menaces Ă  l'ordre sexuel[4], social et moral post-colonial et au mode de vie africain, qu'on compare au soi-disant mode de vie moderne, dĂ©cadent et perverti des Occidentaux[5].

Cette homogénéisation est caractérisée par quatre composantes. En premier lieu, la sublimation de la sexualité reproductive et procréative ainsi que la sacralisation et la fétichisation des relations hétérosexuelles afin d'intégrer la domination sexuelle des hommes dans la fondation du pouvoir politique post-colonial[5].

En second lieu, l'essentialisation et la racialisation de la sexualité indigÚne africaine, c'est-à-dire la formulation de la théorie d'une sexualité africaine originelle purement et naturellement hétérosexuelle. Cette théorie réécrit l'histoire indigÚne en n'incluant que le plaisir hétérosexuel et invente la figure du Muntu, un homme africain hétérosexuel et libidineux[5].

En troisiÚme lieu, la ségrégation et l'altérisation symbolique des individus homosexuels. Ainsi, l'homosexualité est dépeinte comme la conséquence d'une aliénation causée par le monde occidental. Elle est représentée comme un phénomÚne non africain, une maladie, un vestige du colonialisme européen, une forme de néocolonialisme et un mal que les Blancs auraient apporté en Afrique noire. Par voie de conséquence, les personnes homosexuelles, tels que les hommes gais et les femmes lesbiennes, sont vues comme que des agents impérialistes de l'Occident et comme des Africains déracinés et assimilés[5].

DerniĂšrement, la criminalisation et la diabolisation des pratiques homoĂ©rotiques et homosexuelles. En effet, au Cameroun, les individus attirĂ©s par des individus du mĂȘme genre sont traitĂ©s de dĂ©linquants sexuels, de sorciers et de sorciĂšres et sont amalgamĂ©s avec l'impuretĂ© morale[5].

Présidence de Paul Biya

Pour l'État de Paul Biya, les minoritĂ©s sexuelles servent de boucs Ă©missaires Ă  la crise sociale et Ă©conomique camerounaise[5], considĂ©rĂ©s comme des ennemis internes qui compromettent l'unitĂ© et la puretĂ© nationales et qu'il faut donc exterminer[6].

Dans les annĂ©es 2000, l'imaginaire collectif camerounais croit que l'Ă©lite du rĂ©gime de Paul Biya aurait acquis leur pouvoir politique et Ă©conomique en subjuguant les « derriĂšres » d'hommes moins puissants. Les opposants de la prĂ©sidence de Paul Biya qualifie celle-ci d'« anusocratie » et de « pouvoir sodomiseur ». Dans le but de faire face Ă  ce mĂ©contentement populaire et de faire taire les accusations de vouloir « homosexualiser la sociĂ©tĂ© », le gouvernement dĂ©marre une campagne homophobe en 2005[7] avec l'arrestation, le 22 mai 2005, de onze hommes entre l'Ăąge de 16 ans et de 32 ans accusĂ©s d'ĂȘtre homosexuels, au bar ÉlysĂ©e Ă  YaoundĂ©[6].

Les reprĂ©sentants de l'État ont donc initiĂ© une « croisade » contre toute personne perçue comme homosexuelle, peu importe sa sexualitĂ©, ainsi qu'une intensification de leur persĂ©cution judiciaire et administrative[6]. Cette rĂ©pression est liĂ©e Ă  la croyance d'un complot des homosexuels qui souhaitent transformer le Cameroun en Sodome et Gomorrhe. Pour la police et aux magistrats, l'homosexualitĂ© ne relĂšve plus simplement du crime mais de l'occultisme, de la magie noire et de la sorcellerie. Plusieurs hommes gays et de femmes lesbiennes sont ainsi accusĂ©s d'ĂȘtre motivĂ©s par l'argent et de pouvoir absorber l'Ă©nergie vitale de leurs victimes grĂące Ă  la sorcellerie. Par exemple, en 2008, trois femmes lesbiennes de NdikinimĂ©ki ont Ă©tĂ© inculpĂ©es d'homosexualitĂ© et de sorcellerie[8].

Affaire des homosexuels présumés

Début 2006, le journal camerounais La Météo a publié une liste d'homosexuels présumés parmi les personnalités politiques. D'autres journaux ont repris plus tard l'information et l'information a fait grand bruit au sein de la population camerounaise[9] - [10].

Le rĂ©dacteur en chef du journal L'Anecdote, François Bikoro Obah, qui a repris ces accusations a dĂ©clarĂ© avoir fait « Ɠuvre de salut public » en dĂ©nonçant ces personnes. La quasi-totalitĂ© des journaux du Cameroun ont soutenu ces journaux dans leur dĂ©marche[11]. Une poignĂ©e de mĂ©dias camerounais ont cependant dĂ©noncĂ© ces dĂ©lations. L'avocate Alice Nkom compte aussi parmi les rares personnalitĂ©s Ă  s'ĂȘtre investie pour dĂ©fendre les personnes accusĂ©es d'actes homosexuels[9].

Si le rĂ©gime n'a pas interdit ces journaux, le prĂ©sident Paul Biya a cependant appelĂ© au respect de la vie privĂ©e. Mais au mĂȘme moment, son gouvernement a commencĂ© Ă  mener des attaques ciblĂ©es contre les personnes homosexuelles, certainement pour ne pas ĂȘtre assimilĂ© Ă  ces suspicions. Les arrestations, souvent de jeunes hommes de milieux modestes, font suite Ă  des dĂ©nonciations de voisins et finissent en procĂšs ; l'Église catholique locale s'est mobilisĂ©e dans l'indignation populaire homophobe, comme le cardinal Tumi, qui organise en 2009 une marche contre l'homosexualitĂ© rassemblant 20 000 personnes[12]. À l'homophobie se mĂȘlent Ă©galement un antimaçonnisme et des accusations de sorcellerie[9].

Un Camerounais poursuivi par la justice pour homosexualité témoigne que depuis cette affaire, les homosexuels font l'objet d'une véritable « chasse aux sorciÚres »[13] - [9].

Un collectif d’avocats, composĂ© de Me Michel ToguĂ©, dĂ©fenseur des minoritĂ©s sexuelles au Cameroun, de Me Alice Nkom (fondatrice en 2003 de l'Adefho), renforcĂ© par Me Saskia Ditisheim, du barreau de GenĂšve (et prĂ©sidente d’ASF)[Note 1], a obtenu une premiĂšre victoire le 7 janvier 2013 en faisant relaxer par la cour d’appel de YaoundĂ© deux jeunes homosexuels, Jonas Singa Kumie et Franky Djome, respectivement ĂągĂ©s de 22 et 23 ans, prĂ©venus d’homosexualitĂ© et condamnĂ©s en premiĂšre instance Ă  la fin du mois de novembre 2011 par le tribunal d’Ekounou (quartier de YaoundĂ©) Ă  la peine maximale encourue, c’est-Ă -dire cinq ans d’emprisonnement ferme et 200 000 francs (CFA) d’amende (soit 304 euros). C’est cette mĂȘme juridiction qui, trois semaines auparavant, le 17 dĂ©cembre 2012, avait confirmĂ© la condamnation du jeune Roger MbĂ©dĂ© Ă  la peine de trois ans d’emprisonnement sans sursis, pour homosexualitĂ©.

L'affaire a également conduit, fin 2006, à la création de l'association Alternatives-Cameroun[10].

Affaire Djomo Pokam

Le 21 aoĂ»t 2006, Djomo Pokam, un jeune Ă©tudiant, a Ă©tĂ© retrouvĂ© mort dans l'HĂŽtel Hilton Ă  YaoundĂ©. Son corps aurait Ă©tĂ© jetĂ© du huitiĂšme Ă©tage et prĂ©sentait des lĂ©sions aux parties gĂ©nitales et des brĂ»lures de fer Ă  repasser. Un des suspects du meurtre Ă©tait le prĂ©sident de la Chambre de commerce, d’industrie, des mines et de l’artisanat qui figurait dans la liste des homosexuels prĂ©sumĂ©s[14].

Affaire Roger Mbédé

Roger Jean-Claude Mbede, nĂ© le 13 juin 1979 Ă  Ntouessong[15], condamnĂ© le 17 dĂ©cembre 2012 par la cour d'appel de YaoundĂ© (dĂ©cision confirmative) Ă  une peine de 3 ans d'emprisonnement ferme pour homosexualitĂ©[16], meurt le , aprĂšs avoir Ă©tĂ© dĂ©clarĂ© coupable d'avoir envoyĂ© par SMS « Je suis trĂšs amoureux de toi » Ă  Christophe FoĂ© Ndi, intendant principal de la prĂ©sidence de la RĂ©publique et homme Ă  la rĂ©putation sulfureuse[17] - [18]. Son affaire devient emblĂ©matique pour les dĂ©fenseurs des droits des homosexuels au Cameroun[19] - [20] - [21].

Depuis les dĂ©buts de l’affaire, son traitement judiciaire a dĂ©clenchĂ© de nombreuses rĂ©actions internationales, notamment de la part d'Human Rights Watch et Amnesty International[22], ainsi que la condamnation pour la façon dont il est traitĂ© par les autoritĂ©s Ă©tatiques. Le , Amnesty International dĂ©clare : « cet homme est un prisonnier d'opinion, dĂ©tenu uniquement Ă  cause de son orientation sexuelle »[23] - [24].

Il avait pour avocats Me Michel ToguĂ© et Me Alice Nkom et cette derniĂšre dĂ©clare Ă  la suite de son dĂ©cĂšs « Je suis trĂšs affectĂ©e. J’ai perdu un enfant, il a Ă©tĂ© mon client... mais il est avant tout mon enfant. Nous avions un lien trĂšs fort. C’était mon fils »[19].

Affaire Éric LembembĂ©

Le 15 juillet 2013, Éric Ohena LembembĂ©, militant de la cause homosexuelle et journaliste, a Ă©tĂ© retrouvĂ© mort Ă  son domicile du quartier Étoudi Ă  YaoundĂ©. Son corps prĂ©sentait d'Ă©vidents et trĂšs prĂ©somptifs signes de torture :

« on lui a tiré la langue avec une tenaille, crevé les yeux, brisé des membres, et son corps a été entiÚrement brûlé au fer à repasser, jusqu'à la plante des pieds. »

Proche collaborateur de Human Rights Watch, qui a annoncé son décÚs, il était reconnu au Cameroun pour son combat en faveur des minorités sexuelles et présidait la CAMFAIDS (Cameroonian Foundation for AIDS)[Note 2], organisation qui lutte contre le VIH et pour les droits LGBT.

Le 17 juillet 2013, le dĂ©partement d'État amĂ©ricain dĂ©nonçait cet « assassinat barbare » et encourageait « les autoritĂ©s camerounaises Ă  diligenter sans dĂ©lai une enquĂȘte approfondie ».

Un an plus tard, rien n'a bougĂ©. Jeune Afrique rapporte : « Pas de relevĂ© d’empreintes ni de photo du corps, un certificat de dĂ©cĂšs muet sur les causes de celui-ci et qui ne mentionne pas les sĂ©vices subis
 Comme quasiment partout en Afrique subsaharienne, la justice camerounaise semble peu encline Ă  protĂ©ger les droits des homosexuels. En revanche, elle fait preuve de zĂšle dans la rĂ©pression »[12].

Affaire Marc Lambert Lamba

Le 21 mai 2005, Lamba, militant LGBT, est arrĂȘtĂ© dans le cadre de l'affaire des « onze de YaoundĂ© Â». Il est incarcĂ©rĂ© et porte plainte contre le gouvernement camerounais, saisissant avec ses avocats le groupe de travail des Nations unies contre les dĂ©tentions arbitraires, lequel lui donne gain de cause en 2006 et demande au Cameroun de revoir sa lĂ©gislation sur les droits humains. L'État n'a rien changĂ© mais Marc Lambert a Ă©tĂ© acquittĂ© aprĂšs un an et douze jours de prison[25].

Affaire du Baileys

En 2014, un homme est condamnĂ© pour homosexualitĂ© aprĂšs avoir commandĂ© dans un bar un verre de Baileys, une liqueur Ă  base de whisky irlandais et de crĂšme. Le juge a estimĂ© que la boisson Ă©tait trop fĂ©minine pour ĂȘtre commandĂ©e par un homme, se fondant sur ce constat pour Ă©tablir l'homosexualitĂ© du prĂ©venu[26].

Identités locales

Depuis les années 1990 au sein des métropoles de Yaoundé et de Douala, les jeunes hommes qui ont des rapports sexuels avec d'autres hommes ont adopté l'identité Nkoandengué. Un nom composé de deux anthroponymes masculins ewondo (Nkoa et Ndengué) signifiant « ce que font deux hommes » et qui englobe l'acte sexuel entre deux hommes et ceux qui le pratiquent. Pour une partie de cette minorité invisible, le fait de s'identifier en tant que « gay » est vu comme un moyen de se donner de l'importance auprÚs des expatriés occidentaux[27] - [28].

À Douala, en 2007, dans le cadre d'une rĂ©ponse Ă  choix multiples, les hommes ayant des relations sexuelles avec d'autres hommes s'identifient comme suit[29] :

  • 49,1 % s'identifient comme bisexuels,
  • 40,7 % comme gais,
  • 30,5 % comme nkoandenguĂ©,
  • 25,1 % comme homosexuels,
  • 18,6 % comme branchĂ©s,
  • 16,2 % comme MSM,
  • 3 % se disent hĂ©tĂ©rosexuels,
  • 7,2 % ont refusĂ© de se dĂ©finir par rapport Ă  leur sexualitĂ©.

Contexte social

Perceptions des minorités sexuelles dans la société

Selon un sondage d'AfrobaromÚtre, seulement 11 % des Camerounais toléreraient vivre à cÎté d'un homosexuel en 2015[30]. En 2018, ce chiffre est tombé à 8 %[31].

Les femmes lesbiennes sont perçues comme des « femmes-hommes » qui ont perdu leur sensibilitĂ© fĂ©minine et les hommes gais sont vus comme des « hommes-femmes » qui ont Ă©tĂ© privĂ©s de leur pouvoir phallique d'autoritĂ©. Depuis 2005, les minoritĂ©s sexuelles sont vues comme des personnes « sans identitĂ© fixe », dont on peut leur nier leurs droits citoyens fondamentaux. Les minoritĂ©s sexuelles sont considĂ©rĂ©es comme des gens physiquement et spirituellement malades. À l'instar des thĂ©ories psychiatriques de l'Europe du XIXe siĂšcle, l'homosexualitĂ© est considĂ©rĂ©e comme une inversion sexuelle qui enfreint les « bonnes mƓurs » et la libido « naturelle » du citoyen africain modĂšle[32].

Selon Basile Ndjio, l'existence des personnes gaies et lesbiennes remet en question l’ordre dominant hĂ©tĂ©ronormĂ©e et dĂ©crĂ©dibilise l'idĂ©al masculin hĂ©tĂ©rosexuel du Muntu, c'est-Ă -dire l'homme africain, en tant que sujet refoulĂ©, dont la sexualitĂ© est dĂ©finie par une idĂ©ologie autoritaire hĂ©tĂ©rosexiste. Afin de gagner du respect et de l'autoritĂ©, il doit imposer sexuellement sa masculinitĂ© Ă  travers la violence sexuelle[33].

De plus, la spectre d'« une homosexualisation de l'Afrique » menace l’historiographie postcoloniale en dĂ©mystifiant une reprĂ©sentation essentialiste de la sexualitĂ© africaine qui la prĂ©sente comme intrinsĂšquement hĂ©tĂ©ronormĂ©e. Les minoritĂ©s sexuelles dĂ©fient le pouvoir postcolonial bourgeois en affirmant que la sexualitĂ© africaine est complexe, ambivalente et Ă©vasive, contrairement Ă  la vision exclusivement et essentiellement hĂ©tĂ©rosexuelle qu'il promeut. En effet, les « mademoiselles », hommes homosexuels qui prĂ©fĂšrent ĂȘtre passifs et renoncer Ă  leur droit « naturel » sur les femmes, rĂ©vĂšlent la masculinitĂ© africaine en tant que condition instable, maintenue prĂ©cairement et perpĂ©tuellement en cours d'essai. L'homme africain homosexuel est un sujet courageux qui s'est affranchi d'une Ă©conomie pĂ©nienne dominante en renversant l'Ă©conomie morale des Ă©changes sexuels organisĂ©s par le genre et en brisant le lien de soumission sexuelle des femmes par les hommes. L'homme gay africain perturbe et contre-carre le projet Ă©tatique d'unification et de totalisation des dĂ©sirs et plaisirs. Aussi, les lesbiennes viriles qui exhibent l'imagerie du pouvoir et de l'identitĂ© masculins, qui rejettent le rĂŽle de la femme africaine passive et dĂ©fendent leur droit Ă  la libertĂ© et au plaisir sexuel et celles qui revendiquent la position normative de l'homme dans leurs rapports sexuels mettent en pĂ©ril le patriarcat sexuel sur lequel se fonde le pouvoir postcolonial[34].

Dispositions légales internes

Le Cameroun est l'un des nombreux pays africains qui criminalisent l'homosexualité. L'homosexualité y est un crime depuis 1972[9].

En effet, aux termes de l'article 347-1[Note 3] du code pénal camerounais, promulgué par la loi no 2016/007 du 12 juillet 2016[35] :

« Est punie d’un emprisonnement de six (06) mois Ă  cinq (05) ans et d’une amende de vingt mille (20 000) Ă  deux cent mille (200 000) francs[Note 4], toute personne qui a des rapports sexuels avec une personne de son sexe. »

Hormis un simple toilettage typographique, ce texte est identique Ă  l'ancien article 347 bis[Note 5] qui, Ă  juste titre, de la part des juristes et des dĂ©fenseurs des minoritĂ©s sexuelles camerounaises (dont notamment Me Alice Nkom, prĂ©sidente de l'Adefho)[Note 6], faisait l'objet de vives critiques tant sur le plan de la lĂ©galitĂ© interne qu'au regard des instruments internationaux relatifs aux droits de l'homme. À l'exception de l'argument relatif aux conditions d'introduction de ce texte dans le code pĂ©nal camerounais, effectuĂ© par le prĂ©sident Ahidjo par ordonnance du 28 septembre 1972 (sans passer par le processus lĂ©gal d'Ă©laboration de la loi par le parlement), les autres critiques restent pertinentes. En effet, cette disposition rĂ©pressive contrevient Ă  la loi sur la vie privĂ©e et l'inviolabilitĂ© du domicile, l'inculpation pour homosexualitĂ© nĂ©cessitant un flagrant dĂ©lit, ainsi qu'aux traitĂ©s internationaux relatifs aux droits de l'homme, la Constitution dĂ©signant le prĂ©sident comme « garant du droit des personnes ».

Par ailleurs, aux termes de l'article 347, réprimant l'outrage à la pudeur sur une personne mineure de seize à vingt et un ans :

« (1) Au cas oĂč les infractions visĂ©es aux articles 295[Note 7], 296[Note 8] et 347-1 ont Ă©tĂ© commises sur la personne d'un mineur de seize (16) Ă  vingt et un (21) ans, les peines prĂ©vues auxdits articles sont doublĂ©es. »

« (2) La juridiction peut dans tous les cas, priver le condamné de l'autorité parentale, de toute tutelle ou curatelle pendant les délais prévus à l'article 31[Note 9] du présent Code. »

Application de la loi

Si la loi homophobe est en vigueur depuis 1972, elle est réellement appliquée depuis le milieu des années 2000, et avec encore plus de sévérité depuis le début des années 2010, suivant un parallÚle avec l'augmentation de la visibilité de la communauté LGBT sur Internet[12].

Me Nkom rappelle que les médecins sont incités à dénoncer les homosexuels venus se faire dépister contre le VIH et que le discours selon lequel l'homosexualité aurait été « importée par les Blancs » a du succÚs au Cameroun, véhiculé par des responsables politiques et religieux[25].

Des procÚs pour délit d'homosexualité ont réguliÚrement lieu au Cameroun.

Ainsi, en mai 2005, la gendarmerie a arrĂȘtĂ© pour ce dĂ©lit neuf personnes dans une discothĂšque de YaoundĂ© et 7 d'entre elles ont Ă©tĂ© condamnĂ©es Ă  une peine de 10 mois d'emprisonnement.

En fĂ©vrier 2006, deux Camerounais de 23 ans sont condamnĂ©s Ă  un an de prison pour dĂ©lit d’homosexualitĂ©. Un autre de 22 ans est dĂ©tenu depuis fin 2004 pour le mĂȘme motif mais est toujours en attente de jugement[36].

En 2021, deux jeunes LGBT de 24 et 27, dont une internaute transgenre, sont condamnĂ©s par le tribunal de Douala. L'une de leur avocate, Alice Nkom, fait appel. En 2020, on compte plus de 160 arrestations et 27 entre fĂ©vrier et avril 2021. France 24 note que la communautĂ© LGBT est de plus en plus traquĂ©e dans le pays. La plupart de ses membres doit vivre cachĂ©s. Alice Nkom indique qu'il suffit d'une simple dĂ©nonciation (jugeant la dĂ©marche, le ton de la voix, etc.) pour que le tribunal engage des poursuites. « Être homosexuel c'est vivre dans la terreur et la violence, la violence permanente »[37].

Selon Human Rights Watch, les forces de sécurité camerounaises ne protÚgent pas les personnes LGBTI contre les attaques violentes. Au Cameroun, la violence et les abus contre ces personnes ont augmenté en 2022[38].

Personnalités camerounaises liées aux minorités sexuelles

Associations défendant les droits des minorités sexuelles

  • Association de dĂ©fense des homosexuels du Cameroun (Adefho), fondĂ©e en 2003 par Alice Nkom[39].
  • Alternatives-Cameroun, fondĂ© en 2006, cette association offre de l'aide juridique aux personnes arrĂȘtĂ©es sur la base de l’article 347 bis des conseils mĂ©dicaux par rapport au VIH et des services de dĂ©pistage du VIH[40].

Notes et références

Notes

  1. Avocats Sans FrontiĂšres Suisse.
  2. Cette organisation activiste a Ă©tĂ© fondĂ©e en mai 2009 par Dominique Menoga Nanga (qui fut contraint de demander l’asile politique en France en 2012 aprĂšs avoir reçu des menaces de mort par des personnes qui s’opposaient Ă  son travail de promotion des droits des personnes LGBT au Cameroun) et Éric Ohena LembembĂ© qui fut retrouvĂ© assassinĂ© Ă  son domicile en juillet 2013. Cette organisation vise la promotion et la dĂ©fense des droits humains des personnes LGBT, lutte contre toutes formes de discrimination et stigmatisation Ă  l’endroit de ces personnes dans la sociĂ©tĂ© camerounaise, et dĂ©nonce toutes formes d’abus et d’injustices faites Ă  ces personnes.
  3. Nouvelle numérotation de l'ancien article 347 bis, repris intégralement par le nouveau code pénal.
  4. Il s'agit de francs CFA, soit une contrevaleur de l'amende de 30,40 € Ă  304,00 € (taux de conversion au 4 fĂ©vrier 2017).
  5. Introduit dans le code pĂ©nal camerounais par ordonnance no 72-16 du 28 septembre 1972, l'article 347 bis disposait : « Est punie d’un emprisonnement de six mois Ă  cinq ans et d’une amende de 20 000 Ă  200 000 francs, toute personne qui a des rapports sexuels avec une personne de son sexe. ».
  6. Association de défense des homosexuels du Cameroun.
  7. Réprimant l'« outrage privé à la pudeur ».
  8. RĂ©primant le viol. Le lĂ©gislateur de 2016 a abandonnĂ© la dĂ©finition restrictive du viol de l'ancien article 296, qui n'incriminait pas le viol homosexuel, et dĂ©finissait celui-ci comme les seules relations sexuelles avec une femme, mĂȘme pubĂšre, imposĂ©es Ă  l'aide de violences ou sous la contrainte morale.
  9. En l'espÚce, déchéance d'une durée maximale de 5 ans, sauf dispense partielle ou totale prononcée par la décision de condamnation.

Références

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  2. (en) Stephen O. Murray et Will Roscoe, Boy-Wives and Female-Husbands : Studies in African Homosexualities, Palgrave Macmillan, , 358 p. (ISBN 978-0-312-23829-2), p. 152
    « When the question is put to a Bafia as to whether he, too, engaged in homosexual relations, it is answered immediately in turn with the question: "Am I expected to give up my national custom?" »
  3. (en) Stephen O. Murray et Will Roscoe, Boy-Wives and Female-Husbands : Studies in African Homosexualities, Palgrave Macmillan, , 358 p. (ISBN 978-0-312-23829-2), p. 153.
  4. (en) Basile Ndjio, « Sexuality and nationalist ideologies in post-colonial Cameroon », dans Saskia Wieringa & Horacio Sívori, The Sexual History of the Global South : Sexual Politics in Africa, Asia and Latin America, Londres, ZED Books, (lire en ligne), p. 120.
  5. Ndjio 2013, p. 121
  6. Ndjio 2013, p. 122
  7. Ndjio 2013, p. 124
  8. Ndjio 2013, p. 123
  9. Patrick Awondo, Peter Geschiere, Graeme Reid, Alexandre Jaunait, AmĂ©lie Le Renard et Élisabeth Marteu, « Une Afrique homophobe ? », Raisons politiques, 2013/1, no 49, p. 95-118.
  10. Christophe Broqua, « L'émergence des minorités sexuelles dans l'espace public en Afrique », Politique africaine, 2012/2, no 126, p. 5-23.
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Annexes

Bibliographie

  • Patrick Awondo, HomosexualitĂ©, sida et constructions politiques : ethnographie des trajectoires entre le Cameroun et la France, École des hautes Ă©tudes en sciences sociales, Paris, 2012, 466 p. (thĂšse)
  • Marthe Djilo Kamga, (et al.), Quand les femmes aiment d'autres femmes. Regard sur les homosexualitĂ©s fĂ©minines au Cameroun, UniversitĂ© des Femmes, Bruxelles, 2009, 148 p. (ISBN 2-87288-025-9)
  • Charles Gueboguo, La question homosexuelle en Afrique. Le cas du Cameroun, L'Harmattan, Paris, 2006, 187 p. (ISBN 2-296-01563-8).
  • Charles Gueboguo, Sida et homosexualitĂ© en Afrique. Analyse des communications de prĂ©vention, l'Harmattan, Paris, 2009, 257 p. (ISBN 978-2-296-10179-1).
  • (en) Basile Ndjio, « Sexuality and nationalist ideologies in post-colonial Cameroon », dans Saskia Wieringa & Horacio SĂ­vori, The Sexual History of the Global South : Sexual Politics in Africa, Asia and Latin America, Londres, ZED Books, .

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