Kopi luwak
Le kopi luwak est un café récolté dans les excréments d'une civette asiatique, le luwak (Paradoxurus hermaphroditus) de la famille des viverridés, du fait d'une digestion quasi absente.
La civette consomme en effet les cerises du cafĂ©ier, digĂ©rant leur pulpe mais pas leur noyau, qui se retrouve dans ses excrĂ©ments. Dans le tube digestif du luwak, les sucs gastriques â composĂ©s d'enzymes qui divisent les chaĂźnes de protĂ©ines en chaĂźnes plus petites ou en acides aminĂ©s individuels â font subir une transformation bĂ©nĂ©fique aux arĂŽmes des grains de cafĂ©.
Il est produit essentiellement dans l'archipel indonésien, à Sumatra, Java, Bali, Sulawesi, aux Philippines et dans le Timor oriental.
Il a valu en 1995 un prix Ig-Nobel Ă John Martinez, de J. Martinez & Co Ă Atlanta.
Histoire
L'origine du kopi luwak est Ă©troitement liĂ©e Ă celle de la production du cafĂ© en IndonĂ©sie. Au dĂ©but du XVIIIe siĂšcle, les NĂ©erlandais crĂ©Ăšrent dans leurs colonies des Indes orientales de Java et Sumatra des plantations de cafĂ©, notamment d'arabica du YĂ©men. Au moment du Cultuurstelsel (1830â1870), ils interdirent aux fermiers indigĂšnes et Ă leurs employĂ©s de cueillir le cafĂ© pour leur usage personnel. DĂ©sireux de goĂ»ter nĂ©anmoins le fameux breuvage, ceux-ci dĂ©couvrirent que certaines espĂšces de musang ou luwak (civette palmiste commune) consommaient les fruits des cafĂ©iers et rejetaient les graines dans leurs excrĂ©ments. Ils consommĂšrent celles-ci nettoyĂ©es, grillĂ©es et moulues[1]. La rĂ©putation de ce cafĂ© de civette atteignit bientĂŽt les propriĂ©taires des plantations, qui en firent leur favori. Il Ă©tait cher, mĂȘme Ă cette Ă©poque, du fait de sa raretĂ© et de son processus d'Ă©laboration.
Production
Kopi est le mot indonésien pour désigner le café. Luwak est un nom local de la civette palmiste commune à Sumatra et à Johor (Malaisie). Les civettes palmistes sont principalement frugivores : elles se nourrissent de baies et de fruits charnus comme ceux de certains Ficus et palmiers. Elles mangent aussi de petits vertébrés, des insectes, des fruits mûrs et des graines[2].
La production a commencĂ© en ramassant dans la nature les excrĂ©ments avec lesquels les civettes marquent les limites de leurs territoires. Aujourd'hui elle a lieu dans des fermes, oĂč les civettes sont soit en cage, soit dans des enclos[3].
Les civettes mangent les « cerises » de cafĂ© pour leur pulpe. AprĂšs environ un jour et demi dans leur tube digestif, les graines sont rejetĂ©es en grappes, encore dures et encore couvertes d'une partie des enveloppes intĂ©rieures du fruit. Elles sont rĂ©coltĂ©es, soigneusement lavĂ©es et sĂ©chĂ©es au soleil, avant d'ĂȘtre lĂ©gĂšrement torrĂ©fiĂ©es de maniĂšre Ă conserver leurs arĂŽmes complexes et l'absence d'amertume gagnĂ©s Ă l'intĂ©rieur de la civette.
Le café Misha, dont le processus de fabrication est similaire, est digéré par une variété de coati (Nasua nasua) au Pérou. D'autres cafés utilisant la digestion de certains animaux existent également, notamment le Black Ivory, café d'éléphant thaïlandais[4], et le Jacu Bird, impliquant une variété d'oiseaux au Brésil[5].
Cultivars, mélanges et goût
On trouve sous le nom de kopi luwak de nombreux cultivars et mĂ©langes d'arabica, de robusta, de liberica, d'excelsa ou autres consommĂ©s par les civettes, et leur goĂ»t est donc trĂšs variable. Cependant tous les kopi luwak ont un mĂȘme profil aromatique et une commune absence d'amertume.
Leur torréfaction est légÚre, avec une couleur variant de cinnamon à medium, avec trÚs peu ou pas du tout de caramélisation des sucres, contrairement aux graines fortement grillées. Les kopi luwak aux profils les plus doux sont en outre généralement moins torréfiés. Les mélanges de kopi luwak pour café glacé peuvent révéler des arÎmes absents des autres cafés.
Sumatra est le plus gros producteur de kopi luwak, principalement à partir d'une variété d'arabica cultivés dans l'archipel indonésien depuis le XVIIe siÚcle. Le « kape alamid » des Tagalog est produit par des civettes nourries d'un mélange de graines et vendu dans la province de Batangas et dans les boutiques de cadeaux des aéroports des Philippines.
Recherches
Rudy Montjury, de l'Université de Guelph, en Ontario, a montré que les sécrétions du tube digestif des civettes s'infiltrent dans les graines. Elles contiennent des enzymes protéolytiques qui brisent certaines protéines en peptides ou en acides aminés libres. Le parfum du café doit beaucoup à ses protéines, et on suppose donc que cette modification de leur type et de leur nombre dans les graines avalées par les civettes est à l'origine du parfum unique du kopi luwak. Les protéines sont aussi impliquées dans les réactions de Maillard qui se produisent au cours de la torréfaction. En outre, dans la civette, les graines commencent à germer : ce maltage diminue aussi leur amertume[6] - [7].
Au commencement de ses recherches, Marcone doutait de l'innocuité du kopi luwak. Il a cependant découvert qu'aprÚs un bon lavage, le taux d'organismes pathogÚnes est insignifiant. De plus, la torréfaction à haute température contribue probablement à rendre les graines plus sûres aprÚs lavage.
Prix
Le kopi luwak est le cafĂ© le plus cher du monde, vendu entre 100 et 600 dollars amĂ©ricains la livre[3]. Le cafĂ© de putois vietnamien (cĂ phĂȘ chá»n), fait Ă partir de graines rejetĂ©es par des civettes sauvages, est vendu 6 600 dollars le kilogramme[8]. Le kopi luwak est vendu principalement au Japon et aux Ătats-Unis et servi Ă la tasse dans les cafĂ©s d'Asie du Sud-Est. L'Ă©valuation de la production mondiale varie considĂ©rablement selon les sources[9].
En lâHerveys Range Heritage Tea Rooms, un petit cafĂ© dans les collines au-dessus de Townsville, dans le Queensland, a mis le kopi luwak Ă son menu Ă 50 dollars australiens la tasse, vendant en moyenne sept tasses par semaine, ce qui a attirĂ© l'attention de la presse australienne et internationale[10]. En , la brasserie du grand magasin Peter Jones de Sloane Square (Ă Londres) a commencĂ© Ă vendre un mĂ©lange de kopi luwak et de Jamaica Blue Mountain sous le nom de Caffe Raro pour 50 livres la tasse[11]. Dans le centre de Milan, Pecks vend un petit expresso pour 8 euros.
Imitations
Certains cafés essaient d'imiter le goût du kopi luwak, en partie à cause de la diminution des populations de civettes, qui sont aussi chassées pour leur viande[12]. La production de kopi luwak demande beaucoup de travail, qu'il soit sauvage ou d'élevage, ce qui contribue à son coût élevé[13] et pousse les recherches pour augmenter la productivité.
Une Ă©tude de l'UniversitĂ© de Guelph a Ă©tĂ© consacrĂ©e au processus par lequel les acides de l'estomac de la civette et ses enzymes digĂšrent l'enveloppe de la graine et attaquent la graine elle-mĂȘme[14]. L'universitĂ© de Floride a dĂ©veloppĂ© un moyen d'imiter la production naturelle de kopi luwak sans l'intervention d'aucun animal. Sa licence a Ă©tĂ© vendue Ă une entreprise de Gainesville, « Coffee Primero », qui produit et distribue cette imitation Ă un prix compĂ©titif avec les cafĂ©s de qualitĂ© ordinaire[15] - [16] - [17].
Culture populaire
- Le kopi luwak est le café adulé par Edward Cole, interprété par Jack Nicholson, dans le film Sans plus attendre (2007), avant que Carter Chambers, joué par Morgan Freeman, lui révÚle sa nature spécifique.
- Dans le premier Ă©pisode de la sĂ©rie quĂ©bĂ©coise Les Bobos, les personnages d'Ătienne et Sandrine Maxou demandent, dans un cafĂ© : « Avez-vous du Kopi Luwak, le cafĂ© le plus raffinĂ© du monde dont les grains sont chiĂ©s par une marmotte ? â C'est 600 dollars le kilo, mais ça vaut ça ! »
- Dans Judgement, jeu vidéo japonais, il est possible de boire un Kopi Luwak suite à l'accomplissement d'une mission secondaire dans un café.« Mais 10 000 yens la tasse ? Pas question d'en boire tous les jours. »
Notes et références
- (en) National Geographic Travellers Indonesia, , p. 44.
- (en) Ahmad Ismail, « Common palm civet » (version du 11 octobre 2010 sur Internet Archive).
- (en) Norimitsu Onishi, « From Dung to Coffee Brew With No Aftertaste », The New York Times, (consultĂ© le ) : « Costing hundreds of dollars a pound, these beans are found in the droppings of the civet, a nocturnal, furry, long-tailed catlike animal that prowls Southeast Asiaâs coffee-growing lands for the tastiest, ripest coffee cherries. The civet eventually excretes the hard, indigestible innards of the fruit â essentially, incipient coffee beans â though only after they have been fermented in the animalâs stomach acids and enzymes to produce a brew described as smooth, chocolaty and devoid of any bitter aftertaste. »
- « Du café excrété par des éléphants thaïlandais vendu 50$ US la tasse », sur http://www.lapresse.ca, (consulté le ).
- Luc Prouvost, « Café Jacu bird », sur www.mon-cafe.fr (consulté le ).
- (en) Massimo Marcone, In Bad Taste: The Adventures And Science Behind Food Delicacies, .
- (en) Massimo Marcone, Food Research International, vol. 37, , chap. 9, p. 901-912.
- (en) Worldâs priciest coffee gifted to Vietnamâs VIP guests.
- (en) Leonard Sweet, The Gospel According to Starbucks : Living With a Grande Passion, Colorado Springs, Waterbrook Press, , 1re Ă©d., 224 p. (ISBN 978-1-57856-649-5, OCLC 71809998, LCCN 2006031244), p. 23.
- (en) « Kopi Luwak », sur heritagetearooms.com.au, 5 septembre 2007 (consulté le ).
- (en) « The £50 espresso », sur guardian.co.uk, 11 avril 2008 (consulté le ).
- (en) « Vietnam species ârisk extinctionâ », sur BBC News, .
- Feature by WBAL Channel 11 television news team.
- (en) « Kopi luwak coffee safe, U of G study finds », (consulté le ).
- (en) « Quality Enhancement of Coffee Beans by Acid and Enzyme Treatment » (consulté le ).
- (en) « Quality Enhancement of Coffee Beans by Acid and Enzyme Treatment », sur PatentDoc (consulté le ).
- (en) « Reinventing the Most Expensive Coffee in the World »(Archive.org ⹠Wikiwix ⹠Archive.is ⹠Google ⹠Que faire ?) (consulté le ), p. 2 & 7.