Hydrogène natif
Hydrogène naturel, hydrogène blanc
L'hydrogène natif, également appelé hydrogène naturel ou hydrogène blanc, est le dihydrogène présent dans la nature, par opposition au dihydrogène produit au laboratoire ou dans l'industrie. La dénomination hydrogène blanc le distingue de l'hydrogène vert, qui exploite des énergies renouvelables ou autres procédés décarbonés, et de l'hydrogène gris/brun/noir, que l'on obtient à partir des sources fossiles. L'hydrogène natif est peu polluant et permet une exploitation à moindre coût, comparé à l'hydrogène industriel.
L'hydrogène natif a été identifié dans de nombreuses roches mères dans des zones situées au-delà des bassins sédimentaires où opèrent généralement les compagnies pétrolières.
Origine de l'hydrogène natif
Il existe plusieurs sources d'hydrogène natif[1] :
- dégazage de l'hydrogène profond venant de la croûte et du manteau de la Terre ;
- réaction de l'eau avec les roches ultrabasiques (serpentinisation) ;
- contact de l'eau avec des agents réducteurs dans le manteau terrestre ;
- interaction de l'eau avec les surfaces rocheuses fraîchement exposées ;
- décomposition des hydroxyles dans la structure des minéraux ;
- radiolyse naturelle de l'eau ;
- décomposition de la matière organique ;
- activité biologique.
Localisation et extraction
L'hydrogène natif est extrait de puits, mélangé avec d'autres gaz comme l'azote, le méthane ou l'hélium[2].
L'hydrogène natif a été identifié dans de nombreuses roches mères dans des zones situées au-delà des bassins sédimentaires où opèrent généralement les compagnies pétrolières[3].
Les géologues Alain Prinzhofer et Eric Derville ont prouvé l'existence d'importants réservoirs dans une dizaine de pays dont le Mali et les États-Unis[4]. Leur potentiel reste cependant difficile à évaluer[5].
Des accumulations d'hydrogène ont été détectées dans la croûte terrestre. L'une d'elles, au Mali, est quasiment pure (à 96 %) et est utilisée pour produire de l'électricité[6].
En avril 2023, un deuxième forage d'hydrogène natif, après celui du Mali, est en cours dans le Nebraska[7].
De nombreuses émanations au fond des océans ont été identifiées mais sont difficilement exploitables. La découverte d'une émanation significative en Russie en 2008 suggère la possibilité d'extraire de l'hydrogène natif en milieu sous-marin.
En France
Plusieurs sources ont été identifiées en France. En particulier, les Alpes et les Pyrénées sont propices à une exploration[8] - [9]. La Nouvelle-Calédonie dispose de sources hyperalcalines témoins d'émission de dihydrogène. Après quatre années de recherches lancées en 2019 dans le cadre du projet Regalor (Ressources gazières de Lorraine), un gisement potentiel de 46 millions de tonnes est découvert en Moselle[10] - [11].
En avril 2020, une start-up française annonce avoir réuni 20 millions d’euros pour développer l’extraction d’hydrogène natif en France. Elle prévoit un pilote d'extraction d'hélium dans la Nièvre début 2024[12].
En juin 2023, l'exploitant gazier Française de l'énergie (FDE) annonce la découverte fortuite d'un gisement d'hydrogène natif dans l'ancien bassin houiller lorrain, à Folschviller (Moselle), par des chercheurs de GéoRessource, laboratoire de l'université de Lorraine rattaché au CNRS. La teneur atteint 1 % à 600 mètres de profondeur et 17 % à 1 100 mètres. Cette découverte pourrait s'expliquer par la présence de sidérite, une espèce minérale qui, réagissant avec l'eau des galeries, engendrerait du dihydrogène[13].
À mi-2023, quatre demandes de permis d'exploration pour de l'hydrogène natif sont en cours d'instruction en France : celle de la société « 45-8 Energy » dans les Pyrénées-Atlantiques, déposée conjointement avec Storengy ; celle de la société « TBH2 Aquitaine », dans le même département ; celles de la société Sudmine en Auvergne-Rhône-Alpes, dans l'Ain et le Puy-de-Dôme. Ce développement a été rendu possible par l'inclusion de l'hydrogène natif dans le code minier au printemps 2022[14].
GĂ©ologie
L'hydrogène natif est généré continuellement selon différentes sources naturelles.
Il y a de nombreuses émanations d'hydrogène connues sur les dorsales médio-océaniques[15].
Une autre des réactions connues, la serpentinisation, se produit sous les fonds marins (dans la croûte océanique).
L'hydrogène est également produit dans la croûte terrestre par diagenèse (oxydation du fer) dans les bassins sédimentaires des cratons, notamment en Russie ainsi que par radiolyse (électrolyse naturelle) ou par l'activité bactérienne. Il peut enfin être primordial, c'est-à -dire présent depuis la formation de la Terre. Ces sources n'ont pas encore été explorées[16].
Caractéristiques
Le dihydrogène est très soluble dans l'eau douce, plus particulièrement en profondeur (la solubilité augmente avec la pression).
Qualité
L’hydrogène natif ne cause aucune émission de CO2. L’exploitation est compétitive par rapport au vaporeformage, notamment en covalorisation[17].
L'hydrogène natif est peu polluant et permet une exploitation à moindre coût, comparé à l'hydrogène industriel[18].
Coût
Selon Nicolas Pelissier, président de 45-8 Energy, start-up française créée en 2017 et spécialisée dans l'exploration et la production de gaz industriels, « le coût de production de la phase pilote est de 3 à 4 euros par kilo sans subvention, et sur la phase industrielle, on s'attend à tomber en dessous de l'euro voir du demi-euro par kilo. À titre de comparaison, en France en 2023, il faut compter environ 10 euros le kilo, subventions incluses, pour l'hydrogène vert avec électrolyse »[14].
RĂ´le dans la transition Ă©cologique
L'hydrogène naturel joue un rôle dans la géopolitique de l'énergie[5]. Il dispense en effet de l'étape énergivore qu'est la synthèse du dihydrogène[19].
Les chercheurs Geoffrey Ellis et Sarah Gelman, de l'Institut d'études géologiques des États-Unis (USGS), ont utilisé un modèle de l'industrie pétrolière pour estimer les réserves récupérables d'hydrogène natif : ils obtiennent un ordre de grandeur de mille milliards de tonnes, suffisant pour satisfaire la demande mondiale pendant des millénaires[20].
LĂ©gislation
Le cadre juridique actuel inclut l'hydrogène natif parmi les gaz naturels, pour lesquels une législation est déjà en place, appliquée notamment par les États-Unis pour leur premier puits d'hydrogène.
En France, l'hydrogène natif a été inclus dans le code minier au printemps 2022[14].
Classification
Quand l'hydrogène natif est produit par une interaction eau-roche, comme par les fluides chauds de la géothermie, l'Académie des technologies propose de le classifier en hydrogène vert.
Coût d'exploitation
Une production locale de l'hydrogène natif permet de supprimer les coûts de transport à longue distance.
La technique du vaporeformage est actuellement la moins chère. L'extraction d'hydrogène natif pourrait s'avérer plus économique. En effet, outre le forage commun aux deux techniques, le vaporeformage requiert l'exploitation et le transport du méthane, sa transformation en dihydrogène, et devra intégrer la capture et le stockage du CO2 en résultant[21].
Dans la culture populaire
Sur le mont Chimère (aujourd'hui Yanartaş, en Turquie), un gaz composé essentiellement de méthane (87 %) et de dihydrogène (7,5 à 11 %) s'échappe et brûle en continu depuis plus de 2 500 ans. Ces feux seraient selon la légende la source de la première flamme olympique[22].
Notes et références
- V. Zgonnik et P. Malbrunot, L’hydrogène naturel, Association française pour l'hydrogène et les piles à combustible (AFHYPAC), , 8 p., p. 5.
- « Début de l’exploration-production d’hydrogène naturel : une nouvelle ère pour l’hydrogène ? », sur connaissancedesenergies.org, (consulté le ).
- (en) Eric C. Gaucher, « New Perspectives in the Industrial Exploration for Native Hydrogen », Elements, vol. 16, no 1,‎ , p. 8–9 (ISSN 1811-5209, DOI 10.2138/gselements.16.1.8).
- La rédaction, « Hydrogène naturel : de la nécessité de reconnaître cette ressource en France », sur Consommation & Société, (consulté le ).
- « Et si l'hydrogène naturel était le "game changer" de la transition énergétique ? », sur La Tribune (consulté le ).
- Alain Prinzhofer, Cheick Sidy Tahara Cissé et Aliou Boubacar Diallo, « Discovery of a large accumulation of natural hydrogen in Bourakebougou (Mali) », International Journal of Hydrogen Energy, vol. 43, no 42,‎ , p. 19315–19326 (ISSN 0360-3199, DOI 10.1016/j.ijhydene.2018.08.193).
- « Hydrogène blanc : l'énergie que personne n'attendait » , sur France Info, (consulté le ).
- « De l'hydrogène naturel en quantité dans les Pyrénées », sur rtflash.fr (consulté le ).
- Recherche d’hydrogène natif, CNRS, septembre 2021.
- « Qu'est-ce que l'hydrogène blanc, dont un gisement colossal vient d'être découvert en Moselle? », sur BFM BUSINESS (consulté le ).
- « De l’hydrogène blanc dans le bassin houiller lorrain », L'Usine nouvelle,‎ (lire en ligne, consulté le ).
- « La start-up 45-8 Energy lève 20 millions d’euros pour créer le premier puits d’hélium français d'ici 2024 », L'Usine nouvelle,‎ (présentation en ligne).
- Des indices d'hydrogène blanc découverts dans le sous-sol lorrain, Les Échos, 22 juin 2023.
- Ruée mondiale sur l'hydrogène « blanc », Les Échos, 3 juillet 2023.
- Rôle de l’hydrogène dans une économie décarbonée Rapport de l’académie des technologies, Académie de Technologie, (lire en ligne [PDF]).
- « L’hydrogène naturel : curiosité géologique ou source d’énergie majeure dans le futur? », sur connaissancedesenergies.org, .
- « La France a une carte à jouer dans l'hydrogène naturel », sur h2-mobile.fr (consulté le ).
- « Hydrogène naturel : une source potentielle d’énergie renouvelable », sur La Revue des transitions, (consulté le ).
- Dr Isabelle Moretti, L'hydrogène natif (support de présentation), CNRS, (lire en ligne [PDF]).
- (en) Hidden hydrogen - Does Earth hold vast stores of a renewable, carbon-free fuel?, Science, 16 février 2023.
- Eric C. Gaucher, « Une découverte d'hydrogène naturel dans les Pyrénées-Atlantiques, première étape vers une exploration industrielle », Géologues, no 213,‎ , p. 92-95 (lire en ligne ).
- (en) H. Hosgormez, G. Etiope et M. N. Yalçin, « New evidence for a mixed inorganic and organic origin of the Olympic Chimaera fire (Turkey): a large onshore seepage of abiogenic gas », Geofluids, vol. 8, no 4,‎ , p. 263–273 (DOI 10.1111/j.1468-8123.2008.00226.x).
Voir aussi
Bibliographie
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- A. Prinzhofer, C. S. Tahara Cissé, A. B. Diallo, Discovery of a large accumulation of natural hydrogen in Bourakebougou (Mali). International Journal for Hydrogen Energy, 2018, 43, 19315–19326, https://doi.org/10.1016/j.ijhydene.2018.08.193
- Zgonnik, The Occurrence and Geoscience of Natural Hydrogen: A Comprehensive Review. Earth-Science Reviews, 2020, 203, art. 103140, https://doi.org/10.1016/j.earscirev.2020.103140
- « Hydrogène naturel, la prochaine révolution énergétique ? » par Alain Prinzhofer et Eric Deville. Edition Belin, Paris, 2015.
- Synthèse scientifique récente par Viacheslav Zgonnik « The Occurrence and Geoscience of Natural Hydrogen: A Comprehensive Review » Earth-Science Reviews, 2020, 203, 103140 https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S0012825219304787
- « L’hydrogène naturel : curiosité géologique ou source d’énergie majeure dans le futur ? » par Isabelle Moretti dans Connaissance des Énergies. Mai 2020. https://www.connaissancedesenergies.org/tribune-actualite-energies/lhydrogene-naturel- curiosite-geologique-ou-source-denergie-majeure-dans-le-futur
- L’Edito par René Trégouët «L'hydrogène naturel pourrait devenir une véritable source d'énergie propre et inépuisable...». Juillet 2020. https://www.rtflash.fr/l-hydrogene-naturel- pourrait-devenir-veritable-source-d-energie-propre-et-inepuisable/article
- (en) Christophe Rigollet et Alain Prinzhofer, « Natural Hydrogen: A New Source of Carbon-Free and Renewable Energy That Can Compete With Hydrocarbons », First Break, vol. 40, no 10,‎ , p. 78–84 (ISSN 0263-5046 et 1365-2397, DOI 10.3997/1365-2397.fb2022087, lire en ligne, consulté le ).