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Horloge circadienne

En biologie, une horloge circadienne est un mécanisme de régulation de processus quotidiens, les rythmes circadiens, présents chez de nombreux organismes vivants dont les cyanobactéries, les plantes, les champignons et les animaux. Elle définit un temps subjectif.

Les rythmes circadiens — « de pĂ©riode proche d’un jour Â», du latin circa, environ, et diem, jour — sont dĂ©crits pour la première fois en 1729 par le mathĂ©maticien et astronome français Jean-Jacques Dortous de Mairan. Celui qui marque le plus les vies quotidiennes des ĂŞtres humains est le rythme veille-sommeil. Un autre rythme facile Ă  mesurer est celui de la tempĂ©rature corporelle, qui passe par un maximum en fin de journĂ©e, et un minimum en milieu de nuit (avec une diffĂ©rence un peu infĂ©rieure Ă  1 °C chez la plupart des individus).

On sait depuis les années 1950 que ces rythmes reflètent l’existence d’horloges biologiques internes[1], les horloges circadiennes. Les organismes dotés de ces horloges les plus étudiés par les chronobiologistes sont la plante modèle Arabidopsis thaliana (ou arabette des dames), la mouche du vinaigre (Drosophila melanogaster), les rongeurs (souris, rats, hamsters) et l’humain.

Le tempo des horloges circadiennes est indĂ©pendant de la tempĂ©rature, et caractĂ©ristique de l’espèce considĂ©rĂ©e (pour l'homme, une valeur gĂ©nĂ©ralement acceptĂ©e est de 24,18 h ± 0,04 h, ce qui donne une idĂ©e de sa prĂ©cision)[2]. Elles sont toutefois sensibles Ă  l'environnement, qui assure leur remise Ă  l’heure solaire d’un jour sur l’autre (notamment par les variations nycthĂ©mĂ©rales de lumière et de tempĂ©rature). Ainsi, l’alternance jour-nuit synchronise ou « entraĂ®ne Â» les horloges circadiennes, et confère Ă  l’organisme une pĂ©riodicitĂ© de 24 heures prĂ©cisĂ©ment, bien que la pĂ©riode propre de son horloge soit un peu diffĂ©rente. Les horloges reçoivent donc des « signaux entrants Â» (appelĂ©s Zeitgebers, mot allemand signifiant littĂ©ralement « donneurs de temps Â») qui contrĂ´lent leur fonctionnement.

En aval des horloges, Ă  l'inverse, se trouvent leurs « sorties Â» : les processus biologiques dont elles contrĂ´lent la pĂ©riodicitĂ© et l’ordonnancement temporel, jusqu’au niveau comportemental. Les mĂ©canismes de ce contrĂ´le sont relativement mal connus. L’étude des horloges circadiennes conduit ainsi Ă  une question centrale pour les neurosciences, celle du lien entre fonctionnement neuronal et comportement. Cette Ă©tude a Ă©galement de nombreuses retombĂ©es potentielles pour la santĂ© humaine.

La capacité à mesurer le temps semble avoir une triple fonction[3]. D’une part, l’organisme peut mettre en route tel ou tel processus physiologique (nutrition, photosynthèse, éclosion...) un peu à l'avance, pour l’activer pleinement au moment le plus favorable, plutôt que d’avoir à attendre un signal extérieur déclenchant : il vaut évidemment mieux anticiper que réagir après coup. D’autre part, une horloge centrale permet de synchroniser des horloges secondaires (ou périphériques) qui lui sont couplées. Le mode de couplage de chaque horloge détermine son déphasage par rapport à l’horloge centrale. Celle-ci sert ainsi de chef d'orchestre, assurant un ordre temporel entre des processus physiologiques variés, sans forcément chercher de simultanéité avec un phénomène extérieur. Enfin, l’horloge joue un rôle crucial dans les phénomènes saisonniers (reproduction, diapause et hibernation, notamment). Ils sont presque toujours contrôlés par la durée d’éclairement journalier, ou photopériode, que l’organisme mesure grâce à son horloge circadienne.

« Dessine-moi une horloge... Â»

L'existence des horloges circadiennes paraît aujourd'hui aller de soi. Il suffit d'avoir ressenti le jet-lag, les symptômes du décalage horaire qui accompagnent un vol transméridien, pour savoir que l'organisme peut se comporter comme une montre, rappelant implacablement l'heure locale du point de départ. Pour se mettre à l'heure locale de la destination, il lui faudra plusieurs jours (en moyenne deux par heure de décalage), pendant lesquels l'individu souffre de troubles plus ou moins marqués du sommeil et de la digestion, notamment.

La notion même d'horloge circadienne endogène n'a pourtant émergé que dans les années 1950[4]. En 1970, certains biologistes contestaient encore la capacité des organismes à mesurer le temps d'une manière autonome[5]. L'année suivante voyait la découverte de l'horloge centrale des mammifères et celle du premier gène d'horloge (chez la drosophile), ce qui trancha définitivement le débat. Jusqu'alors, il faut bien le reconnaître, l'horloge n'était guère plus qu'un concept. Son existence expliquait certes beaucoup d'observations – non seulement les rythmes circadiens, mais aussi l'orientation sur le soleil de certains oiseaux migrateurs ou de la danse des abeilles, ou la reproduction saisonnière chez les animaux comme chez les végétaux. Mais personne ne pouvait imaginer à quoi elle ressemblait, ni comment elle fonctionnait[6]...

Système circadien chez les mammifères

De nombreux laboratoires travaillent sur l'horloge circadienne des mammifères, principalement les rongeurs tels que souris et hamster, ainsi que sur l'Homme. Du point de vue anatomique et physiologique, c'est donc le système circadien le mieux connu à l'heure actuelle. Soulignons toutefois l'intérêt d'étudier d'autres espèces de mammifères (même si elles sont moins faciles à élever ou manipuler), ne serait-ce que pour ne pas se limiter à des espèces nocturnes[7].

Horloge centrale (maître) dans le cerveau

Elle est situĂ©e dans les noyaux suprachiasmatiques (NSC), une petite zone de l'hypothalamus qui chevauche le point de croisement des nerfs visuels gauche et droit, ou chiasma optique (suprachiasmatique, « au-dessus du chiasma Â»). Chez l'Homme, chacun des deux noyaux, gauche et droit, comprend environ 10 000 neurones.

L'ablation de ces noyaux rend les animaux (rats ou hamsters) arythmiques, tant dans leur comportement (alternance veille-sommeil) que dans la production de différentes hormones (mélatonine ou cortisol) ou dans leur température corporelle, toutes caractéristiques qui présentent normalement des rythmes circadiens[8]. En leur greffant de nouveaux NSC, prélevés sur des embryons de la même espèce, on peut restaurer la plupart de ces rythmes. Chez le hamster, l'existence d'un mutant d'horloge (baptisé tau) a permis d'utiliser des animaux donneurs ayant une période propre d'environ 20h, plutôt que 24h chez les receveurs, avant qu'ils n'aient subi l'ablation de leurs propres NSC. Après la greffe, les receveurs acquièrent la période des donneurs. On a donc bien transplanté l'horloge qui détermine la durée des cycles circadiens.

Les NSC utilisent des signaux variĂ©s pour imposer leur rythmicitĂ© aux diffĂ©rents processus physiologiques qu'ils contrĂ´lent. L'identification de ces signaux constitue un domaine de recherche très actif. Certains sont probablement des « facteurs humoraux Â», libĂ©rĂ©s localement et qui diffusent ensuite jusqu'Ă  leurs cibles Ă  travers l'organisme. En effet, des NSC greffĂ©s de manière Ă  leur interdire toute connexion nerveuse avec le cerveau receveur, tout en laissant diffuser les petites molĂ©cules qu'ils produisent, restaurent un rythme de comportement (alternance veille-sommeil) normal aux animaux receveurs.

Toutefois la production de mélatonine et celle de cortisol restent alors arythmiques. Leur contrôle par les NSC passe par des connexions nerveuses. L'une des voies les mieux connues relie les NSC à la glande pinéale (ou épiphyse), pour y contrôler la production de mélatonine[9].

Trois relais successifs sont mis en jeu, dont le dernier est un ganglion situĂ© au niveau de la nuque (le ganglion cervical supĂ©rieur) qui appartient au système nerveux sympathique. Certains de ses neurones contactent la glande pinĂ©ale, oĂą ils libèrent un neurotransmetteur, la noradrĂ©naline. En se fixant sur des rĂ©cepteurs spĂ©cifiques, Ă  la surface des cellules pinĂ©ales[10], la noradrĂ©naline dĂ©clenche une cascade de signaux Ă  l’intĂ©rieur de ces cellules. Elle aboutit, in fine, Ă  y moduler la production de mĂ©latonine, d'une part selon les indications de l'horloge centrale (la production n'a lieu que pendant la nuit « subjective Â»), d'autre part selon les conditions d'Ă©clairement (elle est rapidement et complètement inhibĂ©e par la lumière), ce qui vaut Ă  la mĂ©latonine le sobriquet d'« hormone de la nuit Â».

Gènes de l'horloge

L'horloge, au niveau moléculaire, semble impliquer d'une manière générale deux types de mécanismes : transcriptionnels (régulation de la transcription des gènes, au niveau de l'ADN, c'est-à-dire de leur copie sous forme d'ARN messager) et post-transcriptionnels (régulation des étapes situées en aval de la transcription). Ils sont étonnamment conservés entre les mammifères et les insectes[11].

MĂ©canismes transcriptionnels

On peut résumer ces mécanismes par une boucle de rétroaction négative. Elle repose sur une paire d'éléments positifs et une paire d'éléments négatifs. Les premiers activent l'expression des seconds. Quand ceux-ci s'accumulent, ils interagissent avec les éléments positifs pour en inhiber l'activité. L'expression des éléments négatifs n'étant plus activée, leur quantité finit par diminuer (rien n'est éternel dans une cellule). Les éléments positifs ne sont bientôt plus inhibés, et un nouveau cycle peut débuter. prévoir un schéma?

Pour donner un peu plus de chair à cette description, voici d'abord les noms réels des acteurs en jeu chez les mammifères. Les éléments positifs sont deux gènes, les facteurs de transcription CLOCK (abrégé en CLK) et BMAL1 (lui-même une abréviation d'un nom peu informatif ici[12]). Les deux éléments négatifs sont deux protéines, PERIOD (abrégé en PER) et CRYPTOCHROME (abrégé en CRY)[13]. Dans un neurone du noyau suprachiasmatique, il y a peu de PER et de CRY en fin de journée. L'activation des gènes correspondants (notés par convention per et cry) par la paire CLK-BMAL1 est maximale. Mais les protéines PER et CRY ne s'accumulent pas tout de suite, sans doute en grande partie parce qu'elles sont alors instables, ce qui permet au cycle de ne pas s'interrompre prématurément. À la suite d'interactions avec d'autres protéines (voir ci-dessous), elles sont progressivement stabilisées au cours de la nuit et peuvent s'associer avec CLK-BMAL1 pour en inhiber l'activité. Les gènes per et cry étant de moins en moins activés, les protéines PER et CRY sont de moins en moins produites. Leur quantité passe par un maximum en tout début de nuit, pour ensuite diminuer. En parallèle, la paire CLK-BMAL1 retrouve progressivement son activité au cours de la nuit... et la boucle est bouclée.

MĂ©canismes post-transcriptionnels

Le bon fonctionnement de la boucle circadienne exige que ses Ă©lĂ©ments nĂ©gatifs (les protĂ©ines PER et CRY) disparaissent le moment voulu, dès qu'ils ont rempli leur rĂ´le. Tant qu'ils inhibent l'activitĂ© des Ă©lĂ©ments positifs (CLK et BMAL1), un nouveau cycle ne peut en effet pas commencer. Le contrĂ´le de leur stabilitĂ© est Ă©galement important Ă  l'autre « extrĂ©mitĂ© Â» du cycle : son amplitude serait en effet très rĂ©duite si PER et CRY, dès qu'ils sont produits, allaient immĂ©diatement freiner leur production en inhibant l'activitĂ© de CLK et BMAL1.

Plusieurs processus post-transcriptionnels affectent donc l'aptitude de PER et CRY Ă  agir sur CLK et BMAL1[14]. Le plus Ă©tudiĂ© est la modification de ces protĂ©ines par phosphorylation et dĂ©phosphorylation. Plusieurs protĂ©ines kinases comptent PER et/ou CRY au nombre de leurs cibles, et chacune des deux protĂ©ines peut ĂŞtre phosphorylĂ©e sur de nombreux sites distincts. Leur nombre et l'ordre dans lequel ils sont phosphorylĂ©s pourraient contribuer Ă  fixer la pĂ©riode de l'horloge. Comment ces modifications affectent-elles la stabilitĂ© de PER et CRY ? Elles accĂ©lèrent ou ralentissent leur transfert vers un système gĂ©nĂ©ral de dĂ©gradation des protĂ©ines au sein de toute cellule, le protĂ©asome, que l'on peut comparer Ă  un vĂ©ritable broyeur. Les protĂ©ines Ă  dĂ©grader sont d'abord « marquĂ©es Â» par une autre modification, plus massive, qui leur greffe une autre petite protĂ©ine l'ubiquitine. Plusieurs systèmes d'ubiquitination existent dans la cellule. L'identification de ceux qui agissent sur PER et/ou CRY constitue un axe de recherche important.

La phosphorylation de PER et CRY affecte aussi leur capacité à interagir avec d'autres protéines (dont CLK et BMAL1). Notons que les protéines CLK et BMAL1 sont probablement elles aussi phosphorylées, ce qui peut altérer par exemple leur capacité à activer les gènes per et cry[15].

Mise à l'heure de l'horloge centrale par la lumière

Chez les mammifères, la lumière agit exclusivement par les yeux, contrairement Ă  ce qui avait Ă©tĂ© affirmĂ© en 1998[16], mais pas par les photorĂ©cepteurs responsables de la vision consciente (cĂ´nes et bâtonnets)[17]. Au niveau de la rĂ©tine, une nouvelle catĂ©gorie de cellules photorĂ©ceptrices a en effet Ă©tĂ© dĂ©couverte en 2000[18]. Il s'agit d'une sous-population très restreinte (moins de 1 % chez l'humain) de cellules ganglionnaires. Elles expriment la mĂ©lanopsine[19], un pigment photosensible appartenant Ă  la famille des opsines, Ă©galement prĂ©sentes dans les cĂ´nes et les bâtonnets. Contrairement Ă  ces derniers, qui perçoivent chacun la lumière provenant d'une direction bien prĂ©cise pour pouvoir former une image, les cellules ganglionnaires Ă  mĂ©lanopsine « rĂ©coltent Â» la lumière dans un grand champ. Elles sacrifient ainsi la rĂ©solution spatiale au profit de la mesure de l'intensitĂ© lumineuse (irradiance). Leur rĂ©ponse Ă  la lumière diffère Ă©galement de celle des cĂ´nes et des bâtonnets : elle est de signe inverse (dĂ©polarisante et non hyperpolarisante), soutenue et peut se prolonger après l'extinction de la lumière. Ses caractĂ©ristiques sont Ă©galement cohĂ©rentes avec un rĂ´le de dĂ©tecteur d'irradiance.

Les prolongements (axones) des cellules à mélanopsine, au sein du nerf visuel formé par l'ensemble des cellules ganglionnaires de la rétine, sont les seuls à atteindre l'horloge centrale (noyaux suprachiasmatiques, ou NSC). Ils innervent aussi bien d'autres zones du cerveau, dont certaines sont connues pour être impliquées dans d'autres fonctions dites non-visuelles, comme le réflexe pupillaire. Chez la souris, les cellules ganglionnaires à mélanopsine peuvent mettre l'horloge centrale à l'heure dès la naissance, environ 10 jours avant que les photorécepteurs classiques ne soient fonctionnels[20].

Comment l'information lumineuse est-elle transmise aux neurones des NSC ? Les cellules ganglionnaires Ă  mĂ©lanopsine produisent au moins deux neurotransmetteurs, le glutamate et un neuropeptide, le PACAP[21]. Certains neurones des NSC (pas tous), ceux qui sont innervĂ©s par ces cellules ganglionnaires, possèdent les rĂ©cepteurs correspondants. Leur activation dĂ©clenche une cascade de signalisation qui aboutit, finalement, Ă  augmenter l'expression de diffĂ©rents gènes, dont des gènes per, mais uniquement dans les neurones des NSC innervĂ©s par les cellules ganglionnaires Ă  mĂ©lanopsine. Dans un second temps, les gènes per sont activĂ©s dans le reste des NSC, par des mĂ©canismes qui sont pour l'instant moins bien connus. Comme c'est leur niveau d'activation qui « donne l'heure Â», l'horloge s'en trouve donc dĂ©calĂ©e.

Les NSC ne présentent cette réponse à la lumière que pendant la nuit subjective. Ainsi l'horloge contrôle elle-même sa remise à l'heure.

Horloges périphériques (esclaves et maître)

Les noyaux suprachiasmatiques se comportent comme « l'horloge maître », par rapport aux « oscillateurs esclaves » dans les tissus périphériques. Plusieurs de ces oscillateurs ont été localisés dans de nombreuses régions du cerveau et dans des tissus comme le foie, le cœur, le rein, la peau, la rétine, etc[22].

Système circadien de la drosophile

Gènes de l'horloge

La plupart des gènes décrits ci-dessus chez les mammifères existent aussi chez la drosophile. Il s'agit plus précisément de gènes considérés comme homologues : ils ont divergé à partir de gènes ancestraux, présents dans le dernier ancêtre commun aux mammifères et aux insectes. Dans son principe, le fonctionnement de l'horloge circadienne de la drosophile est lui aussi apparenté à celui de notre propre horloge. On y retrouve notamment une boucle de rétroaction négative transcriptionnelle, et les régulations post-transcriptionnelles de stabilité et d'activité de ses composants, dont les concentrations varient ainsi de manière rythmique dans la cellule. Les enzymes (telles que les protéines kinases) impliquées dans ces régulations sont elles-mêmes pour la plupart homologues chez la drosophile et les mammifères.

Il y a pourtant quelques diffĂ©rences. Par exemple, le cryptochrome de la drosophile ne semble pas jouer de rĂ´le central dans l'horloge proprement dite. Cette protĂ©ine est en revanche clairement un photorĂ©cepteur, qui participe Ă  la remise Ă  l'heure de l'horloge par la lumière. C'est une autre protĂ©ine, TIMELESS (abrĂ©gĂ© en TIM), qui sert de partenaire Ă  PER pour inhiber l'activitĂ© de la paire CLK/BMAL1[23]. Elle illustre une autre forme d'Ă©volution des gĂ©nomes. Au fil de son Ă©volution, la branche du vivant qui a produit les mammifères actuels aurait en effet perdu l'homologue du gène tim. Ils se sont « dĂ©brouillĂ©s Â» sans lui, en s'appuyant sur leurs gènes cry.

Horloge cérébrale et comportement

Comme chez la plupart des animaux, le comportement le plus évident à observer chez une mouche est son activité locomotrice. Mais comment fait-on en pratique ? La mouche est enfermée dans un tube en verre de 3 mm de diamètre, contenant de la gélose sucrée à une extrémité, ce qui assure à l'insecte boisson et nourriture pendant quelques semaines. Ses allées et venues sont comptabilisées par une cellule photoélectrique, dont un ordinateur enregistre les signaux. À la fin de l'expérience, leur répartition dans le temps est analysée[24], pour déterminer notamment si elle présente des cycles réguliers, et donc si l'activité est rythmique (et dans ce cas quelle est la période du rythme).

Ces expériences se déroulent dans des conditions très contrôlées de lumière et de température – un impératif absolu en chronobiologie. Elles visent à mesurer comment l'animal se comporte soit en présence de signaux liés à l'alternance régulière du jour et de la nuit (par exemple, en alternant 12 heures de lumière et 12 heures d'obscurité, à température constante), soit dans des conditions aussi constantes que possible (par exemple, nuit permanente, à une température donnée).

L’horloge qui donne son tempo Ă  l’activitĂ© de la mouche se situe dans son cerveau, comme chez les mammifères. Elle est constituĂ©e d’un rĂ©seau d’environ 160 neurones (sur un total de cent Ă  deux cent mille), qui expriment de manière rythmique les gènes period et timeless, et les protĂ©ines correspondantes. Lorsque cette horloge est synchronisĂ©e par des alternances de lumière et d’obscuritĂ©, la mouche commence Ă  s’activer quelques heures avant « le jour Â», et Ă  nouveau avant « la nuit Â», après une « sieste Â» en milieu de journĂ©e. La mouche anticipe ainsi l’aube et le crĂ©puscule, alors qu'un mutant dĂ©pourvu d'horloge se contente de rĂ©agir brutalement Ă  l'allumage et Ă  l'extinction de la lumière. En obscuritĂ© permanente, elle continue Ă  alterner repos, pendant sa nuit subjective, et activitĂ©, pendant son jour subjectif. Mais ses plages de repos et d’activitĂ© se dĂ©calent en gĂ©nĂ©ral petit Ă  petit, en fonction de la pĂ©riode propre de son horloge. Ajouter un actogramme ?

Les recherches actuelles visent Ă  prĂ©ciser le rĂ´le respectif de ces 160 « neurones d’horloge Â». Ils forment une douzaine de sous-groupes, rĂ©partis de manière symĂ©trique dans les deux hĂ©misphères cĂ©rĂ©braux. Ainsi une horloge rĂ©duite Ă  8 seulement de ces neurones suffit-elle Ă  maintenir le rythme d’activitĂ© en nuit permanente, avec une pĂ©riode proche de 24 h. En conditions jour-nuit, elle permet aussi Ă  la mouche d’anticiper l’aube, mais pas le crĂ©puscule, dont l'anticipation dĂ©pend de 8 autres neurones d'horloge.

Notes et références

  1. Dunlap, J. C., Loros, J. J., and DeCoursey, P. J., eds. Chronobiology: biological timekeeping, Sinauer Associates, Sunderland, MA, 2004.
  2. Czeisler CA, Duffy JF, Shanahan TL, Brown EN, Mitchell JF, et al. (1999) Stability, precision, and near-24-hour period of the human circadian pacemaker. Science 284: 2177–2181.
  3. Pittendrigh C.S. (1993) Temporal organization: reflections of a Darwinian clock-watcher. Annu Rev Physiol, 55, 16-54
  4. Le terme « circadien Â» a Ă©tĂ© forgĂ© en 1959 par Franz Halberg, et le premier congrès scientifique consacrĂ© aux horloges biologiques s'est tenu Ă  Cold Spring Harbor, aux États-Unis (près de New York), en 1960.
  5. Hastings J.W., Brown F.A., Palmer J.D., The Biological Clock – Two Views, New York, Academic Press, 1970.
  6. Klarsfeld A., “La controverse des horloges biologiques”, La Recherche, 2002, 351, 44-7.
  7. Mendoza J., Revel F. G., Pevet P. et Challet E., “Shedding light on circadian clock resetting by dark exposure: differential effects between diurnal and nocturnal rodents”, Eur J Neurosci, 2007, 25(10), 3080-90.
  8. pour un historique complet et personnel, avec beaucoup de rĂ©fĂ©rences, voir Weaver D. R., « The suprachiasmatic nucleus: A 25-year retrospective Â», J Biol Rhythms, 1998, 13(2), 100-112
  9. Schomerus C. et Korf H.-F., « Mechanisms regulating melatonin synthesis in the mammalian pineal organ Â», Annals NY Acad Sci, 2005, 1057, 372-383.
  10. appelés aussi pinéalocytes
  11. On retrouve des schémas semblables chez la moisissure Neurospora, bien que les éléments positifs et négatifs ne semblent pas directement apparentés. Chez certaines bactéries, les mécanismes de base semblent être uniquement post-transcriptionnels.
  12. Brain and muscle Arnt-like protein-1
  13. Pour être encore plus précis, il existe chez les mammifères trois protéines PER apparentées, mais distinctes. Il existe aussi deux protéines CRY distinctes, d'où la possibilité théorique de former six paires différentes d'éléments négatifs. On ne sait encore pratiquement rien des éventuelles différences de fonction entre ces six paires.
  14. Gallego M. et Virshup D. M., “Post-translational modifications regulate the ticking of the circadian clock”, Nat Rev Mol Cell Biol, 2007, 8(2), 139-48.
  15. La plupart des données en ce sens ont été obtenues chez la drosophile, mais les homologies sont telles que les mécanismes sont probablement très semblables chez les mammifères (cf référence précédente)
  16. Absence of circadian phase resetting in response to bright light behind the knees. Wright KP Jr, Czeisler CA. Science. 2002 Jul 26;297(5581):571.
  17. Ainsi certains aveugles sont-ils toujours en phase avec le jour extérieur, tandis que d’autres, qui ont perdu toute connexion entre rétine et cerveau, se décalent progressivement, comme Michel Siffre au fond de son gouffre.
  18. A novel human opsin in the inner retina. Provencio I, Rodriguez IR, Jiang G, Hayes WP, Moreira EF, Rollag MD. J Neurosci. 2000 Jan 15;20(2):600-5.
  19. article de revue récent : Bailes H. J. et Lucas R. J., “Melanopsin and inner retinal photoreception.”, Cell Mol Life Sci, 2010, 67(1), 99-111.
  20. Sekaran S., Lupi D. et coll., “Melanopsin-dependent photoreception provides earliest light detection in the Mammalian retina”, Curr Biol, 2005, 15(12), 1099-107.
  21. pituitary adenylate cyclase-activating polypeptide
  22. Isabelle Poirot, Carmen Schröder, Sommeil, rythmes et psychiatrie, Dunod, , p. 55.
  23. BMAL1 a reçu chez la mouche le nom de CYCLE (abrégé en CYC), qui a l'avantage d'indiquer son rôle dans l'horloge, et l'inconvénient de compliquer la nomenclature.
  24. par exemple par transformation de Fourier

Voir aussi

Bibliographie

  • Albert Goldbeter, La Vie oscillatoire. Au cĹ“ur des rythmes du vivant, Ă©ditions Odile Jacob, 2010. PrĂ©sentation en ligne
  • AndrĂ© Klarsfeld, Les Horloges du vivant. Comment elles rythment nos jours et nos nuits, Ă©ditions Odile Jacob, 2009. PrĂ©sentation en ligne

Articles connexes

Liens externes

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