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Halal

Dans l'islam, le mot áž„alāl (arabe : Ű­Ù„Ű§Ù„) dĂ©signe ce qui est «permis», «licite», au regard de la loi islamique, c’est-Ă -dire la Charia. Cela ne concerne pas seulement l'alimentation, mais les rĂšgles de vie en gĂ©nĂ©ral, la «morale musulmane[1]».

Boucherie halal Ă  Paris.

Généralement dans l'islam, toute action qui n'est pas explicitement interdite dans les textes est considérée comme permise. Sinon, elle est dite harām, c'est-à-dire illicite.

Histoire

Le halal dans le Coran et la jurisprudence islamique

Le mot « halal » est mentionné à plusieurs reprises dans le Coran, notamment dans ces versets :

  • « De ce qui existe sur Terre, mangez le licite (halal-an) et le pur » (Sourate 2, verset 168) ;
  • « Et mangez de ce qu’Allah vous a attribuĂ© de licite (halal-an) et de bon
 » (Sourate 5, verset 88).

Pour les Fuqahā (spécialistes de la jurisprudence islamique), les actions humaines sont classées en cinq catégories (ahkām) :

  • obligatoires (fard) ;
  • recommandĂ©es (mandĆ«b) ;
  • licites (halāl) ;
  • dĂ©conseillĂ©es (makrouh) ;
  • illicites (haram)[2].

Le halal alimentaire

Les interdits coraniques

Un des premiers interdits coraniques liĂ©s Ă  la nourriture concerne les excĂšs[3]. Au-delĂ , d'autres interdits dĂ©finissent les aliments — principalement d'origine animale — et les boissons[4] autorisĂ©s dans le cadre de la charia. On utilise alors le terme halal[5]. Les critĂšres utilisĂ©s prĂ©cisent Ă  la fois quels sont les aliments autorisĂ©s et la maniĂšre dont ils doivent ĂȘtre prĂ©parĂ©s. Ces interdits sont considĂ©rĂ©s comme une voie de Salut[3].

La viande

Boucherie halal Ă  Londres.

L'exemple le plus connu de nourriture non halal (ou interdite) est la viande de porc. Bien que celle-ci soit la seule viande qui ne puisse ĂȘtre consommĂ©e par les musulmans, quelle que soit leur obĂ©dience, d'autres types de viandes peuvent Ă©galement ĂȘtre interdits[6]. Les critĂšres utilisĂ©s pour dĂ©terminer quelles sont ces derniĂšres incluent notamment la provenance de l'animal, la cause de sa mort et la maniĂšre dont il a Ă©tĂ© traitĂ© :

« Vous sont interdits la bĂȘte trouvĂ©e morte, le sang, la chair de porc, ce sur quoi on a invoquĂ© un autre nom que celui de Dieu, la bĂȘte Ă©touffĂ©e, la bĂȘte assommĂ©e ou morte d'une chute ou morte d'un coup de corne, et celle qu'une bĂȘte fĂ©roce a dĂ©vorĂ©e — sauf celle que vous Ă©gorgez avant qu'elle ne soit morte. (Vous sont interdits aussi la bĂȘte) qu'on a immolĂ©e sur les pierres dressĂ©es, ainsi que de procĂ©der au partage par tirage au sort au moyen de flĂšches. Car cela est perversitĂ©. Aujourd'hui, les mĂ©crĂ©ants dĂ©sespĂšrent (de vous dĂ©tourner) de votre religion : ne les craignez donc pas et craignez-Moi. »

— Le Coran, « La Table », V, 3, (ar) Ű§Ù„Ù…Ű§ŰŠŰŻŰ©.

Ces interdits sont levés en cas de contrainte de la faim, sans intention de pécher[3].

Les aliments issus de la mer

« La chasse en mer vous est permise, et aussi d'en manger, pour votre jouissance et celle des voyageurs. »

— Le Coran, « La Table », V, 96, (ar) Ű§Ù„Ù…Ű§ŰŠŰŻŰ©.

Selon le Coran, tous les produits de la mer sont halal.

En revanche, pour les chiites duodécimains , à part les poissons à écailles et les crevettes, tous les autres fruits de mer sont considérés comme illicites. On retrouve là une similarité avec la tradition juive[7].

Les produits transformés

De nombreuses spĂ©cialitĂ©s alimentaires, telles que certaines confiseries ou certains produits laitiers, peuvent ne pas ĂȘtre halal, Ă  cause de l'origine de l'un de leurs ingrĂ©dients ou de leurs additifs. Les cas le plus connus sont ceux de la gĂ©latine alimentaire animale provenant souvent du porc et de la prĂ©sure provenant d'animaux n'ayant pas Ă©tĂ© abattus selon les rites musulmans.

Certains musulmans veillent également à ce que les articles non alimentaires, comme les cosmétiques[8] soient halal.

MĂ©thode

La ᾎabÄ«áž„ah (Ű°ÙŽŰšÙÙŠÙ’Ű­ÙŽŰ©) est la mĂ©thode prescrite par la loi islamique concernant l'abattage de tous les animaux Ă  l'exception des animaux marins. Il doit ĂȘtre rĂ©alisĂ© en invoquant le nom d'Allah, en disant : « Bismillah al-Rahman al-Rahim» (Au nom de Dieu le trĂšs misĂ©ricordieux le tout misĂ©ricordieux)[9].

Cette mĂ©thode consiste Ă  utiliser un couteau bien aiguisĂ© et sans dĂ©faut pour effectuer une profonde et rapide incision Ă  la pointe du cou, tranchant dans le mĂȘme temps l'Ɠsophage, la trachĂ©e, la carotide et la jugulaire afin de faire jaillir le sang car ce dernier n'est pas halal. La moelle Ă©piniĂšre est Ă©pargnĂ©e afin que les derniĂšres convulsions amĂ©liorent encore le drainage et la tĂȘte de l'animal est traditionnellement orientĂ©e vers la qibla, c'est-Ă -dire La Mecque[10], bien que cette derniĂšre condition ne soit pas acceptĂ©e par certains[11].

Le sacrificateur doit appartenir Ă  la catĂ©gorie des "gens du Livre"[12]. Dans cette logique, la viande casher peut ĂȘtre considĂ©rĂ©e comme halal, puisque chez les juifs, l'animal est abattu dans des conditions proches[13]. Mais les savants musulmans restent en dĂ©saccord sur ce cas de figure et la conception souple du halal a tendance Ă  ĂȘtre marginalisĂ©e[12].

À l'inverse, la production de viande halal Ă  grande Ă©chelle par l'industrie agro-alimentaire a conduit Ă  des labellisations halal par des organismes certificateurs d'animaux non Ă©gorgĂ©s (notamment en ce qui concerne les poulets)[14].

Positions Ă©thiques

Selon l'association Islamic Concern for Animals, pour qu'une viande soit halal, il ne suffit pas que la viande soit issue d'un processus obéissant à certaines rÚgles strictement alimentaires : il faut aussi que le traitement de l'animal vivant suive les principes musulmans[15] ; ainsi pour elle, il n'est pas halal d'élever un animal comme une machine (en élevage intensif par exemple), les animaux aussi méritant compassion, puisqu'ils sont, comme les hommes, des créatures de Dieu[16].

La prescription selon laquelle la bĂȘte doit ĂȘtre Ă©gorgĂ©e consciente (donc non Ă©tourdie)[17] suscite souvent la polĂ©mique dans les pays non musulmans. En Belgique par exemple, tout abattage rituel sans Ă©tourdissement est interdit depuis le en Flandre, et depuis le en Wallonie, mais reste autorisĂ© en rĂ©gion de Bruxelles-Capitale[18]. Dans certains pays d'Europe du Nord, certaines autoritĂ©s religieuses reconnaissent comme halal de la viande issue d'animaux Ă©tourdis avant leur mise Ă  mort[19].

Certification halal et contrĂŽles

Par kilogramme de viande, la certification halal coĂ»te entre 10 et 15 centimes d'euro, prĂ©levĂ©s dĂšs l'abattage[20] pour un marchĂ© en fort dĂ©veloppement, qui rapporte quelque 50 millions d'euros de chiffre d'affaires par an aux organismes habilitĂ©s Ă  produire cette certification[21].

En France, des arrĂȘtĂ©s publiĂ©s en 1994 et 1996 ont agrĂ©Ă© respectivement la grande MosquĂ©e de Paris[22] puis la mosquĂ©e d'Évry et la grande mosquĂ©e de Lyon[23] en tant qu'organisme religieux habilitant des sacrificateurs autorisĂ©s Ă  pratiquer le sacrifice rituel et Ă  percevoir la taxe liĂ©e Ă  la certification.

Ces arrĂȘtĂ©s obligent ainsi les abattoirs Ă  faire appel Ă  des sacrificateurs habilitĂ©s car, Ă  l'Ă©poque, les rĂšgles de l'abattage rituel Ă©taient rarement respectĂ©es[24]. Un chef de service de la Direction gĂ©nĂ©rale de l'alimentation a rappelĂ© en 2010 que la certification halal n’est pas encadrĂ©e par les pouvoirs publics et correspond Ă  une certification qui n’est pas officielle, donc, une certification qui relĂšve d’une initiative privĂ©e[25]. Cependant, la Direction gĂ©nĂ©rale de la concurrence, de la consommation et de la rĂ©pression des fraudes a dĂ©clarĂ© en 2008 contrĂŽler la traçabilitĂ© de la viande des merguez marquĂ©es « halal » et procĂšde rĂ©guliĂšrement Ă  des contrĂŽles pour dĂ©tecter la prĂ©sence de porc dans des produits vendus sous l'appellation halal[26].

Une des premiĂšres initiatives de crĂ©ation d'une certification halal privĂ©e date des annĂ©es 1980 avec la rĂ©union de plusieurs associations au sein d'une fĂ©dĂ©ration nommĂ©e Tayyibat destinĂ©e Ă  rĂ©glementer le marchĂ© de l'alimentation halal en France[27] - [28]. Depuis, le marchĂ© de la certification halal s'est dĂ©veloppĂ© et plusieurs articles[24] - [29] - [30] - [31] et livres[27] - [32] ont rĂ©vĂ©lĂ© qu'il existe actuellement en Europe de nombreuses certifications halal qui ne parviennent pas Ă  se mettre d'accord entre elles. Notamment, une association de consommateurs musulmans (Asidcom) montre Ă  partir d'enquĂȘtes menĂ©es en 2008 et 2009 sur plusieurs organismes de certification « halal » qu'il existe des diffĂ©rences flagrantes aux niveaux des processus et des moyens de contrĂŽles mis en Ɠuvre par ces organismes[33] - [34].

Les principales divergences entre certificateurs portent sur la mĂ©thode d’abattage. Certains prĂ©conisent un abattage sans Ă©lectronarcose tandis que d’autres l’acceptent. Parmi ceux autorisant l’abattage avec Ă©lectronarcose, on peut citer les labels des trois grandes mosquĂ©es françaises (SFCVH[35], ACMIF[36] et ARGML[37]), l’AFCAI ou MCI. Cette mĂ©thode est approuvĂ©e car elle prend en compte la souffrance animale et la rĂ©glementation europĂ©enne. Les labels rigoristes ou prĂŽnant un islam sĂ©culaire interdisent l’utilisation de l’électronarcose avant et aprĂšs l’abattage : Achahada, Arrisala, AVS[38]... Avant de bannir l'Ă©lectronarcose de son cahier des charges, AVS tolĂ©rait le recours Ă  cette mĂ©thode d'Ă©tourdissement jusqu'Ă  [39]. À l'international, l’électronarcose est communĂ©ment admise : le plus grand certificateur mondial, le malaisien JAKIM, permet l’abattage des volailles avec Ă©lectronarcose prĂ©alable[40]. Toutefois on constate que l'Ă©tourdissement prĂ©alable des animaux est de plus en plus souvent contestĂ© dans le monde musulman[41].

En 2019, l'ƒuvre d'assistance aux bĂȘtes d'abattoir (OABA) a indiquĂ© que le halal ne peut pas ĂȘtre labellisĂ© bio[42].

L'Ă©conomie des produits halal

Le concept halal s'est développé sous sa forme marketing en Occident, permettant à des industriels de se structurer et de servir les communautés musulmanes dont le pouvoir d'achat n'a cessé d'augmenter avec l'accÚs des jeunes générations à des emplois hautement qualifiés et mieux rémunérés comparés aux premiÚres générations. Les estimations de la valeur économique du marché des produits alimentaires halal divergent souvent. Au niveau mondial, cette valeur oscille entre 450 et 661[43] milliards de dollars.

Dans La Bible du Halal[6], Lotfi Bel Hadj introduit la conception de « halal social » et affirme que « la conception du halal va au-delĂ  du rituel ; en effet, il faut aussi tenir compte des conditions de travail, du niveau des salaires et plus gĂ©nĂ©ralement des revendications des salariĂ©s ». Et il va plus loin en posant la question : « Comment peut-on vouloir faire du halal dans des pays oĂč l'on fait travailler des enfants ou prĂ©tendre faire du halal dans un pays oĂč il n'y a mĂȘme pas le droit de vote ? »

Depuis 2017, le BrĂ©sil est le premier exportateur mondial de viande halal pour le bƓuf et la volaille[44].

Halal et laïcité

Les entreprises privĂ©es commerciales sont Ă©videmment libres de proposer Ă  la consommation des produits achetĂ©s dans les filiĂšres halal ou casher, suivant les prescriptions de la casherout. En revanche, les collectivitĂ©s publiques se trouvent devant deux obligations liĂ©es Ă  leur nature. D'une part, tous les publics doivent pouvoir se restaurer (croyants, vĂ©gĂ©tariens
). D'autre part, en France, en fonction du principe de laĂŻcitĂ©, en particulier de la Loi de sĂ©paration des Églises et de l'État du , elles ne peuvent financer un culte. De nombreuses municipalitĂ©s (Lyon, Grenoble
) et le mouvement associatif laĂŻque (Ligue de l'enseignement
) offrent une solution respectant ces deux principes, en proposant des menus diversifiĂ©s (traditionnel, sans porc, sans viande). Les consommateurs peuvent choisir sans faire Ă©tat de leurs motivations (goĂ»t personnel, allergie, religion
)[45].

Selon la sociologue Christine Rodier, qui a rĂ©alisĂ© une enquĂȘte ethnographique entre 2007 et 2010, le dĂ©veloppement de la consommation halal en France, loin d'ĂȘtre une atteinte au principe de laĂŻcitĂ© et une dĂ©rive communautariste, marque plutĂŽt une maniĂšre de s'intĂ©grer. Alors que les primo-arrivants dĂ©couvrent dans les annĂ©es 1960 une sociĂ©tĂ© de consommation oĂč prĂ©domine une nourriture carnĂ©e trĂšs Ă©loignĂ©e de leur consommation traditionnelle, ce qui les incite Ă  conserver leurs rituels culinaires, les Français issus de l'immigration des gĂ©nĂ©rations suivantes rejettent parfois leur nourriture traditionnelle jugĂ©e trop grasse (ce que l'islamologue Gilles Kepel appelle la « dĂ©couscousification »). Par le biais du halal, ils introduisent peu Ă  peu de nouveaux mets, qui relĂšvent plus des coutumes françaises (bƓuf bourguignon halal, hachis parmentier halal), ce qui leur permet de concilier leurs identitĂ©s française et musulmane[46].

Lotfi Bel Hadj, auteur de la Bible du Halal[6] considĂšre que « le halal doit devenir [....] un des symboles de ce droit Ă  l'indiffĂ©rence que revendiquent nos compatriotes musulmans dans leur vie quotidienne comme dans l'exercice de leur culte. À ce titre, la normalisation du halal dans la sociĂ©tĂ© française tĂ©moignera d'une RĂ©publique apaisĂ©e, confiante en son avenir, en ses valeurs qui unissent tous nos compatriotes, et leur permettra de cultiver cet art français si singulier du vivre-ensemble »[47].

Halal imposé aux non-musulmans

Au Québec, au printemps 2012, un ensemble de médias a créé la polémique en publiant des articles alarmants sur le fait que « tous les Québécois mangent halal à leur insu »[48]. Cette polémique a pris une dimension plus importante quand des politiciens se sont joints pour nourrir la controverse[49]. Le député André Simard du Parti québécois est allé jusqu'à déclarer que l'abattage rituel était contre les valeurs québécoises[50], dont la laïcité constitue la principale composante. D'autres voix, comme celle de Bouazza Mache[51], fondateur de MarkEthnik, se sont fait entendre pour changer d'angle d'analyse et dédramatiser la situation, en voyant ce secteur comme une opportunité et non comme une menace[52].

Une polĂ©mique similaire s'est dĂ©veloppĂ©e en France lors de la campagne pour l'Ă©lection prĂ©sidentielle en 2012. Marine Le Pen, prĂ©sidente du Front national affirmait que « l'ensemble de la viande qui est distribuĂ©e en Île-de-France, Ă  l'insu du consommateur, est exclusivement de la viande halal ». La base de l'information provient d'un numĂ©ro d'EnvoyĂ© spĂ©cial (fait rĂ©-exprimĂ© dans Le Parisien du [53]) et par Jean-François HallĂ©pĂ©e (alors directeur de la Maison de l'Ă©levage d'Île-de-France) : la totalitĂ© des abattoirs d'Île-de-France (au nombre de cinq) vendent de la viande halal, sans exception aucune, que ce soit Ă  destination religieuse ou non. Les Franciliens achĂštent et mangent donc de la viande halal Ă  leur insu. En effet, que la viande soit vendue en barquette ou Ă  la dĂ©coupe, rien n'indique le mode d'abattage car aucune lĂ©gislation n'oblige Ă  le mentionner.

L'explication de cet Ă©tat de fait provient de la recherche de rentabilitĂ© des entreprises qui pour simplifier la chaĂźne et rĂ©duire les coĂ»ts se sont engagĂ©es dans une gĂ©nĂ©ralisation de cette pratique rituelle. Cet objectif de rentabilitĂ© a pour consĂ©quence qu'une partie des consommateurs de cette rĂ©gion est obligĂ©e de manger halal sans le vouloir et mĂȘme sans le savoir. On leur fait Ă©galement supporter le coĂ»t supplĂ©mentaire induit par ce type d'abattage ainsi que l'impĂŽt religieux reversĂ© aux imams par les entreprises de certification. Ainsi, en 2012, en France, 32 % de la viande vendue est abattue selon des rituels musulman ou juif, alors que la demande plafonne Ă  7%[54].

Le gouvernement Fillon fit expurger du « RÚglement européen d'information des consommateurs sur les denrées alimentaires », publié le , l'obligation d'étiquetage des viandes en fonction de leur mode d'abattage[55].

Halal et autres religions

Pour certaines branches du sikhisme oĂč le vĂ©gĂ©tarisme n'est pas un sine qua non (le vĂ©gĂ©tarisme est la norme culturelle chez les sikhs), la consommation de viande est permise uniquement si l'animal a Ă©tĂ© tuĂ© rapidement (par dĂ©capitation — ce qui exclut les poissons) et sans rituel religieux[56]. La viande halal leur est donc, entre autres, interdite[56] - [57].

L'Ă©thique musulmane : le comportement halal

« Que sont le bien et le mal, le licite et l’illicite ? Comment dĂ©terminer le « bon comportement » et le sens de la vertu ? Tout comme dans la pensĂ©e occidentale, la prĂ©occupation Ă©thique est centrale dans la tradition islamique.

[...] Qui dĂ©termine le « bon » et le « mauvais » au cƓur de l’islam, et comment ? Doit-on se rĂ©fĂ©rer en prioritĂ© aux sources scripturaires (Coran et traditions prophĂ©tiques) ? La raison n’a-t-elle rien Ă  ajouter ? Comment l’éthique islamique s’applique-t-elle dans les domaines de la mĂ©decine, de l’économie, de l’environnement, de la psychologie, de l’éducation, des arts ? Et comment la relier aux autres traditions religieuses et philosophiques ? »

— Tariq Ramadan, Introduction Ă  l'Ă©thique islamique[58].

Le Coran et les traditions prophĂ©tiques prĂ©sentant des contenus souvent difficiles Ă  interprĂ©ter, la tradition islamique est pĂ©trie de ces questions et les positions y sont souvent tranchĂ©es, polarisĂ©es, voire irrĂ©conciliables. Les dĂ©bats concernant les finalitĂ©s des questionnements religieux, philosophiques, mystiques et professionnels y sont vifs et ces questions parcourent les diffĂ©rents cercles musulmans Ă  travers l’Histoire avec des rĂ©ponses trĂšs diverses.

Le halal selon Bergeaud-Blackler

Le halal comme norme

La thĂšse suivante est uniquement soutenue par Florence Bergeaud-Blackler, aucun autre scientifique, notamment historien ou islamologue n'a avancĂ© de telle thĂšse. Les Ă©coles juridiques musulmanes (malikisme, chafĂ©isme, hanbalisme, hanafisme, jafarisme) ont depuis leurs origines normĂ© la nourriture halal. Selon Mohammed‑Hocine Benkheira[59], le propos de Bergeaud-Blackler « est fragilisĂ© par une mĂ©connaissance de la doctrine islamique de la boucherie qui invalide l’analyse ainsi que les conclusions qui en sont tirĂ©es ».

Selon Florence Bergeaud-Blackler, auteur de plusieurs ouvrages sur le halal, « en Europe occidentale, jusqu'aux annĂ©es 1980, la plupart des autoritĂ©s musulmanes considĂ©raient les nourritures des gens du Livre (juifs, chrĂ©tiens, musulmans) comme halal, Ă  l'exception du porc ». Cette absence d'objection est confirmĂ©e dans une fatwa de Mohamed Abduh[60] et s’appuie sur le texte coranique (la sourate 5 et notamment son cinquiĂšme verset)[61]. Jusque dans les annĂ©es 1980, hormis quelques juristes d'Ă©coles rigoristes et des groupes islamistes originaires du sous-continent indien, les autoritĂ©s religieuses, y compris les plus radicales « considĂ©raient que les musulmans pouvaient consommer la nourriture des pays de tradition chrĂ©tienne et juive »[62].

Enseigne d'une boucherie à Hankou, Chine, 1935. Les deux mots chinois « propre » et « vrai » en haut signifient que la viande est consommable par les musulmans.

Florence Bergeaud-Blackler soutient que le marché halal est un marché mondialisé industriel né dans les années 1980 d'une rencontre entre deux courants : l'idéologie libérale du libre-échange dans un marché mondial sans frontiÚres et le fondamentalisme islamique porté par deux tendances : les FrÚres musulmans et les salafistes[62]. Cette évolution permettait aux courants fondamentalistes d'« ériger des frontiÚres symboliques entre les musulmans et les non-musulmans »[60].

Ces courants religieux islamiques ont donc rĂ©pandu l'idĂ©e que les musulmans avaient des « besoins » spĂ©cifiques en termes d'alimentation. Les fondamentalistes ont fait Ă©voluer leur position et ont dĂ©clarĂ© illicite l'alimentation des pays non musulmans. Ils ont appelĂ© Ă  manger des produits licites, halal. L'idĂ©e du halal est, en particulier, nĂ©e de la volontĂ© de l’ayatollah Khomeini qui, faute d'interdire l'importation de viandes Ă©trangĂšres, rĂ©ussit Ă  imposer un contrĂŽle islamique, d'abord Ă  l'Australie et la Nouvelle-ZĂ©lande qui acceptĂšrent[60]. En rĂ©ponse Ă  cette exigence, les industriels des pays non musulmans ont acceptĂ© de fournir une marchandise contrĂŽlĂ©e par des musulmans, pour gagner de nouveaux marchĂ©s[62].

Florence Bergeaud-Blackler dĂ©crit de quelle maniĂšre le marchĂ© halal s'est d'abord limitĂ© Ă  l'abattage rituel, puis au dĂ©but des annĂ©es 2000 s'est Ă©tendu Ă  toute l'alimentation, enfin aux autres produits de consommation. Au cours de cette Ă©volution, la Malaisie est parvenue Ă  faire reconnaĂźtre dans le monde entier « sa conception trĂšs restrictive du halal »[62]. Poussant le concept Ă  l’extrĂȘme, de l'eau halal -avec une certitude de non-contamination- se vend en Malaisie de nos jours[60].

L’histoire et l’implantation du halal en France font Ă©cho Ă  l’histoire de l’immigration maghrĂ©bine dans l’hexagone. Durant les annĂ©es quatre-vingt, alors que les besoins en infrastructures religieuses commencent Ă  s’exprimer publiquement, l’État français refuse toute contribution publique au culte musulman arguant de son respect pour la laĂŻcitĂ©. C’est le modĂšle de la casherout qui va inspirer les responsables d’associations musulmanes dans leur tentative d’instaurer un prĂ©lĂšvement direct sur la viande halal pour financer la crĂ©ation et le maintien des institutions nĂ©cessaires au culte musulman en France[63]. Selon Florence Bergeaud-Blackler, le dĂ©veloppement du halal peut ĂȘtre compris comme un « rĂ©flexe de protection identitaire et culturel »[60].

Depuis 2005, un halal « unique » apparaĂźt. Tandis que les aliments produits par des non-musulmans Ă©taient considĂ©rĂ©s par tous comme autorisĂ©s, certains pays, en particulier les pays du Golfe et la Turquie, considĂšrent que toute la chaĂźne de production doit ĂȘtre tenue par des musulmans[64].

Le halal comme « espace normatif »

Dans Les Sens du Halal[65], l'ouvrage dirigĂ© par l'anthropologue Florence Bergeaud-Blackler, le halal n’est plus une simple question de viande mais un univers complexe qui rĂ©unit aussi bien des produits et des services variĂ©s, tels la finance halal, les hĂŽtels « sharia-compatibles », que des comportements et des institutions comme la sexualitĂ© ou le mariage. Il renvoie Ă  un « espace normatif » autonome, au point que l’on peut parler, par exemple, de « vivre dans le halal ». Incluant aussi Ă  cet espace « le jouet, les cosmĂ©tiques, les vacances », le journaliste Yves Mamou a qualifiĂ© en ce sens le halal d’« outil de sĂ©cession communautariste »[66].

Notes et références

  1. (en) Ludwig Adamec, Historical Dictionary of Islam, 2nd Edition, Lanham, Scarecrow Press, Inc, , 459 p. (ISBN 978-0-8108-6161-9), p. 102.
  2. Nathalie Bernard-Maugiron, « Fiqh », Orientxxi,‎ (lire en ligne, consultĂ© le ).
  3. Encyclopedia of the Quran, vol 2, "Food and drink"
  4. Toute boisson alcoolique est interdite, mais Ă©galement le mĂ©lange de dattes vertes et de dattes mĂ»res ou le mĂ©lange de raisin sec et de dattes mĂ»res trempĂ©s dans de l’eau car ce genre de liquide se transforme rapidement en alcool.
  5. Halal, définition et synonymes, définition Mediadico.fr sur notrefamille.com.
  6. La Bible du Halal, Lotfi Bel Hadj, Éditions du Moment, 2015. (ISBN 978-2-35417-333-3).
  7. (en) Deeb, Lara, 1974-, Leisurely Islam : negotiating geography and morality in Shi'ite South Beirut, 286 p. (ISBN 978-1-299-87420-6, 1299874207 et 9781400848560, OCLC 858652684, lire en ligne), p. 87
  8. Silvia Hernando, « Le cosmĂ©tique halal, un marchĂ© porteur », El Pais Semanal,‎ , en partie traduit dans le no 1392 de Courrier International du 6 au 12 juillet 2017.
  9. Jacqueline Pousson-Petit, Les droits maghrébins des personnes et de la famille à l'épreuve du droit français, L'Harmattan, (ISBN 978-2-296-09043-9 et 2-296-09043-5, lire en ligne), p. 285.
  10. L'Ă©gorgement rituel en Islam, doctrine-malikite.fr.
  11. « Comment tuer un animal en Islam ? », sur www.halal.fr (consulté le ).
  12. « Le halal, symbole de fracture identitaire ? », sur Le Monde.fr (consulté le ).
  13. La consommation de viande provenant des gens du Livre, chrétiens ou juifs licite ou illicite ?, le Message de l'Islam.
  14. Comprendre le Halal, Florence Bergeaud-Blackler et Bruno Bernard, Edipro, 2010.
  15. (en) « Islamic Teaching of Concerns for Animals », sur Animals in Islam (consulté le ).
  16. « Islam: une organisation de végétariens musulmans », sur Religioscope, .
  17. « Des sacrificateurs religieux agréés », Le Monde, 14 juin 2005.
  18. Belga, « Environ 150 musulmans ont manifestĂ© Ă  Bruxelles pour dĂ©fendre l’abattage rituel », sur BX1, (consultĂ© le )
  19. Pascale Dunoyer, « La réglementation applicable dans le domaine de l'abattage rituel », dans le bulletin de l'Académie vétérinaire de France (ISSN 0001-4192), no 4 (2008), p. 341-350 [lire en ligne].
  20. Kamel Kabtane, « Ce mot est complÚtement galvaudé », Le Parisien, 12 août 2010.
  21. Chiffres 2010
  22. ArrĂȘtĂ© du 15 dĂ©cembre 1994 relatif Ă  l'agrĂ©ment d'un organisme religieux habilitant des sacrificateurs rituels, NOR AGRG9402382A, J.O. DU 24/12/1994 Page : 18377.
  23. ArrĂȘtĂ©s du 27 juin 1996 relatifs Ă  l'agrĂ©ment d'organismes religieux habilitant des sacrificateurs rituels, NOR:AGRG9601128A, J.O. DU 29/06/1996 Pages : 9787/9788.
  24. Halal, une appellation incontrĂŽlĂ©e. Les animaux consommĂ©s par les musulmans doivent ĂȘtre sacrifiĂ©s selon le rite coranique. Mais ces rĂšgles sont rarement respectĂ©es, LibĂ©ration, 31 dĂ©cembre 1997.
  25. « La certification halal n’est pas encadrĂ©e par les pouvoirs publics », Enviro2B, 13 septembre 2010.
  26. Violaine Domon, A quand une certification halal officielle en France ?, Lepost.fr, 21 octobre 2010.
  27. Bernard Godard et Sylvie Taussig, Les Musulmans en France, Hachette, (ISBN 978-2-01-279446-7)
  28. Interview avec Daniel-Youssof Leclercq : disposer d’un label fiable et juridiquement protĂ©gĂ©, Association ASIDCOM, 17/09/2010
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Annexes

Articles connexes

Bibliographie

  • Florence Bergeaud-Blackler, Le marchĂ© Halal : ou l'invention d'une tradition, Paris, Seuil, , 257 p. (ISBN 978-2-02-134161-4).
  • Florence Bergeaud-Blackler, Les sens du Halal : Une norme dans un marchĂ© mondial, Paris, CNRS, , 340 p. (ISBN 978-2-271-08156-8).

Liens externes

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