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Guerre perso-byzantine de 602-628

La guerre de 602 Ă  628 entre les empires byzantin et perse (parfois surnommĂ© la "Grande-Guerre d'Orient") sous la dynastie sassanide marque la derniĂšre et la plus sanglante phase du long conflit qui opposa les deux empires. La phase prĂ©cĂ©dente s’était terminĂ©e en 591 lorsque l’empereur Maurice avait aidĂ© le roi Khosro II (ou Khosrau II) Ă  regagner son trĂŽne. En 602, Maurice fut assassinĂ© par son rival, Phocas. Khosro saisit ce prĂ©texte pour dĂ©clarer la guerre Ă  l’empire byzantin. Cette guerre devait s’étendre sur plus de vingt ans et s’avĂ©rer la plus longue, enflammant l’Égypte, le Levant, la MĂ©sopotamie, le Caucase et l’Anatolie et venant aux portes mĂȘmes de Byzance.

Si les Perses eurent le dessus pendant la premiĂšre Ă©tape de la guerre, soit de 602 Ă  622, conquĂ©rant la majeure partie du Levant, l’Égypte et une partie de l’Anatolie, l’arrivĂ©e au pouvoir d’HĂ©raclius en 610 devait conduire malgrĂ© quelques revers initiaux Ă  leur recul. De 622 Ă  626, les incursions d’HĂ©raclius en territoire perse renversĂšrent les positions et, en mettant les Perses sur la dĂ©fensive, permirent aux Byzantins de gagner du terrain. AprĂšs s’ĂȘtre alliĂ©s aux Avars, les Perses tentĂšrent un assaut final sur Constantinople en 626, mais furent dĂ©faits. HĂ©raclius put alors s’enfoncer jusqu’au cƓur de l’empire perse en 627, ne laissant Ă  ses adversaires d’autre alternative que de demander la paix.

Au cours de ce conflit les deux empires Ă©puisĂšrent leurs ressources tant humaines que matĂ©rielles. Ils se trouvaient ainsi en position de faiblesse face au califat musulman naissant dont les armĂ©es envahirent les deux empires quelques annĂ©es Ă  peine aprĂšs la fin de la guerre. Le califat conquit rapidement l’ensemble de l’empire sassanide et fit perdre Ă  l’Empire romain d’Orient ses territoires du Levant, du Caucase, d’Égypte et d’Afrique du Nord. Au cours des siĂšcles qui suivirent, la totalitĂ© de l’empire sassanide et la plus grande partie de l’empire byzantin tombĂšrent sous leur domination.

Sources

empire byzantin au dĂ©but du VIIe siĂšcle
L'empire byzantin au début du VIIe siÚcle

Nos sources concernant cette guerre sont principalement byzantines. ParticuliĂšrement utile parmi les textes grecs contemporains est le Chronicon Paschale, Ă©crit par un auteur inconnu aux environs de 630[1] - [2]. Georges de Pisidie, Ă©galement contemporain, a Ă©crit de nombreux poĂšmes et autres ouvrages. On conserve des lettres de ThĂ©ophylacte Simocatta de mĂȘme qu’un traitĂ© d’histoire qui nous donne le portrait politique des Byzantins, mais seulement pour la pĂ©riode 582-602[1] - [2]. Il nous reste Ă©galement un discours de ThĂ©odore Syncelle, rĂ©digĂ© pendant le siĂšge de Constantinople (626) qui nous renseigne sur certains Ă©vĂšnements. Enfin, divers papyrus d’Égypte datant de cette pĂ©riode sont parvenus jusqu'Ă  nous[1].

Les sources non-grecques comprennent les Chroniques de Jean de Nikiou, Ă©crites en copte mais qui ne nous sont parvenues que dans une traduction Ă©thiopienne, ainsi que l’Histoire de Sebeos (bien que l’auteur soit disputĂ©), compilation en aramĂ©en de diverses sources disposĂ©es selon un ordre chronologique alĂ©atoire. Elle couvre la guerre de façon inĂ©gale, d’autant plus que son principal objectif Ă©tait de tracer un parallĂšle entre les prophĂ©ties de la Bible et les Ă©vĂ©nements contemporains ce qui rend son objectivitĂ© douteuse[3]. Sont Ă©galement parvenus jusqu’à nous divers textes en syriaque, lesquels s’il faut en croire Dodgeon, Greatrex et Lieu seraient « les plus importantes » sources contemporaines[2] - [3]. Ils incluent les Chroniques de 724 par Thomas le Presbyte rĂ©digĂ©es en 640. Les Chroniques de Guidi, aussi appelĂ©es Chroniques du Khuzistan nous donnent la perspective d’un chrĂ©tien nestorien vivant en territoire sassanide.[2]

Parmi les textes grecs plus tardifs on trouve les Chronicles de ThĂ©ophane et la BrĂšve Histoire de NicĂ©phore Ier de Constantinople. Les Chroniques de ThĂ©ophane sont particuliĂšrement utiles pour nous permettre de comprendre le cadre de la guerre[4]. On leur superpose gĂ©nĂ©ralement des sources syriaques encore plus tardives comme la Chronique de 1234 et la Chronique de Michel le Syrien[2]. Toutefois ces sources, si l’on excepte la BrĂšve Histoire de NicĂ©phore et celles du chrĂ©tien arabe Agapios de Manbij (HiĂ©rapolis) semblent toutes tirer leur matĂ©riel d’une source commune, probablement l’historien ThĂ©ophile d'Édesse au VIIIe siĂšcle[2] - [4].

Datant du Xe siĂšcle, l’Histoire de la Maison d’Artsrunik de Thomas Artsruni, un ArmĂ©nien, emprunte probablement aux sources Ă©galement utilisĂ©es par Sebeos. Également au Xe siĂšcle, l’Histoire de l’ArmĂ©nie de Movses contient des informations sur les annĂ©es 620 empruntĂ©es Ă  des sources non identifiĂ©es[5]. Howard-Johnston considĂšre les histoires de Movses et de Sebeos comme « les plus importantes sources non musulmanes existant encore »[6]. L’histoire rĂ©digĂ©e par le patriarche arabe chrĂ©tien Eutychius d’Alexandrie comporte de nombreuses erreurs mais peut ĂȘtre utilisĂ©e. Le Coran contient Ă©galement des informations que l’on doit utiliser avec prudence[4]. Un historien arabe, Mohamed ibn Jarir al-Tabari, l’auteur de Tarikh al-Tabari (ou Histoire des prophĂštes et des rois) contenant l’histoire de la dynastie sassanide, utilise des sources aujourd’hui disparues[7].

Diverses hagiographies ou vies de saints byzantines Ă©crites par saint ThĂ©odore de SykĂ©on et Anastase le Perse peuvent nous aider Ă  comprendre la pĂ©riode de la guerre[4] La Vie de George de Khozeba nous donne une idĂ©e de la panique qui devait rĂ©gner pendant le siĂšge de JĂ©rusalem[8]. Toutefois, on peut se demander si ces textes hagiographiques n’ont pas Ă©tĂ© corrompus par diverses interpolations des VIIIe et IXe siĂšcles[9]. La numismatique, ou Ă©tude des piĂšces de monnaie, s’est avĂ©rĂ©e utile pour dater certains faits[10]. La sigillographie, ou Ă©tude des sceaux, a Ă©tĂ© utilisĂ©e aux mĂȘmes fins. L’art et d’autres dĂ©couvertes archĂ©ologiques sont Ă©galement prĂ©cieux, mais les sources Ă©pigraphiques ou inscriptions sont d’utilisation limitĂ©e[9].

Toile de fond

Khosro II
PiĂšce de monnaie en or Ă  l'effigie de Khosro II

AprĂšs de nombreuses annĂ©es de combats non dĂ©cisifs, l’empereur byzantin Maurice avait mis un terme Ă  la guerre perso-byzantine de 572-591 en aidant le prince sassanide Khosro (le futur Khosro II) Ă  regagner son trĂŽne, usurpĂ© par Bahram Chobin. Bien que l’accord ne nous soit pas connu dans tous ses dĂ©tails, les Sassanides cĂ©dĂšrent aux Byzantins le nord-est de la MĂ©sopotamie, une grande partie de l’ArmĂ©nie et l’IbĂ©rie caucasienne (l'actuelle GĂ©orgie[11] - [12] - [13]). Plus important encore pour l’économie byzantine, l’empire n’eut plus Ă  payer tribut aux Sassanides[Note 1]. Maurice put alors entreprendre de nouvelles campagnes dans les Balkans pour arrĂȘter les invasions slaves et avares[13] - [14].

Les largesses de TibĂšre II Constantin avaient creusĂ© un dĂ©ficit important dans le trĂ©sor public, dĂ©ficit que Maurice tenta d’éponger par des mesures fiscales rigoureuses[15] - [16]. Il rĂ©duisit la solde des troupes, ce qui le rendit impopulaire auprĂšs de l’armĂ©e. Aussi, lorsqu’il ordonna aux troupes qui faisaient campagne dans les Balkans de passer l’hiver de 602 dans les terres au-delĂ  du Danube par souci d'Ă©conomie, celles-ci se rĂ©voltĂšrent et proclamĂšrent empereur un centurion de Thrace nommĂ© Phocas[11] - [17]. Maurice tenta de dĂ©fendre Constantinople et arma les deux grandes factions de l’hippodrome, les Verts et les Bleus, pour tenir l’usurpateur en Ă©chec, sans succĂšs toutefois. Maurice dut alors fuir, mais fut rapidement rattrapĂ© par les troupes de Phocas et assassinĂ©[18] - [19] - [20].

Les débuts du conflit

À la suite de l’assassinat de Maurice, le gouverneur byzantin de la province de MĂ©sopotamie, NarsĂšs, se rebella contre Phocas et s’empara d’Édesse (aujourd’hui Urfa en Turquie), la plus importante ville de la MĂ©sopotamie byzantine[21]. Phocas envoya alors Germanus assiĂ©ger Édesse, ce qui poussa NarsĂšs Ă  demander l’aide de Khosro. Trop heureux d’aider Ă  venger Maurice, « son ami et son pĂšre », Khosro utilisa la mort de Maurice comme un casus belli et envahit l’empire byzantin, tentant de reconquĂ©rir l’ArmĂ©nie et la MĂ©sopotamie[22] - [23].

Germanus fut tuĂ© dans la bataille contre les Perses, de sorte que Phocas envoya l’eunuque LĂ©ontius affronter NarsĂšs et lança une nouvelle armĂ©e contre Khosro[24] - [25]. Non seulement NarsĂšs Ă©chappa Ă  LĂ©ontius, mais la seconde armĂ©e byzantine fut dĂ©faite prĂšs de Dara en Haute-MĂ©sopotamie, permettant la prise de cette importante forteresse en 605. Lorsque NarsĂšs tenta de retourner Ă  Constantinople pour conclure la paix, Phocas le fit arrĂȘter et brĂ»ler vif, se privant ainsi d’un gĂ©nĂ©ral d’une compĂ©tence exceptionnelle[26]. L'exĂ©cution de NarsĂšs et l'incapacitĂ© de Phocas Ă  arrĂȘter l’avancĂ©e des Perses ruinĂšrent le prestige du rĂ©gime militaire de ce dernier[25] - [24].

La révolte d'Héraclius

solidus d'HĂ©raclius
Solidus portant au recto l'effigie d'HĂ©raclius et de ses deux fils, HĂ©raclius Constantin et HĂ©raclonas

PoussĂ© par le comte des excubites et beau-fils de Phocas Priscus, l'exarque d'Afrique HĂ©raclius l'Ancien se rĂ©volta en 608[27]. HĂ©raclius se proclama consul conjointement avec son fils qui portait le mĂȘme nom, revendiquant ainsi implicitement le titre impĂ©rial et faisant frapper des piĂšces de monnaie qui les reprĂ©sentaient portant la toge consulaire[28].

Dans le sillage de cette rĂ©volte Ă©clatĂšrent presque simultanĂ©ment d’autres rĂ©bellions en Syrie et en Palestine. En 609 ou en 610, le patriarche d’Antioche, Anastase II, mourut. Diverses sources prĂ©tendent que des Juifs auraient jouĂ© un rĂŽle important dans les combats, mais il n’est pas certain si ce fut pour des motifs politiques ou religieux[29]. Phocas nomma alors Bonus Comes Orientis (comte d’Orient) pour mettre fin aux violences et punir les Verts d’Antioche de leur participation aux violences de 609[29]. Certains auteurs, au nombre desquels John Julius Norwich, soutiennent qu’il aurait tentĂ© de convertir les Juifs par la force, y compris ceux qui Ă©taient aux premiers rangs des combats. En donnant des ordres en ce sens, Phocas devint l’ennemi jurĂ© des Juifs[26].

HĂ©raclius l'Ancien envoya son neveu NicĂ©tas attaquer l’Égypte. Bonus tenta de l’arrĂȘter, mais fut dĂ©fait devant Alexandrie[29]. NicĂ©tas rĂ©ussit Ă  s’emparer de la province en 610 et s’en fit une base de commandement avec l’aide du patriarche d'Alexandrie Jean l'AumĂŽnier qu’il avait aidĂ© Ă  faire Ă©lire[30] - [31] - [32] - [33].

Le gros des forces rebelles fut utilisĂ© dans une invasion navale contre Constantinople dirigĂ©e par le futur empereur HĂ©raclius le Jeune. La rĂ©sistance contre HĂ©raclius disparut rapidement, si bien que Phocas fut capturĂ© et livrĂ© entre ses mains par le patricien Probos (Photius)[34]. Phocas devait ĂȘtre exĂ©cutĂ©, non sans avoir eu auparavant avec son successeur le cĂ©lĂšbre Ă©change :

« — C’est donc ainsi, de demander HĂ©raclius, que tu as gouvernĂ© l’empire ? — Et tu penses, de rĂ©pondre Phocas avec esprit, que ton gouvernement aurait Ă©tĂ© meilleur[35] ? »

Quant Ă  HĂ©raclius l'Ancien, les sources ne le mentionnent plus par la suite ; sans doute mourut-il, mais on ignore encore oĂč et quand[36].

Alors ĂągĂ© de 35 ans, HĂ©raclius le Jeune Ă©pousa sa niĂšce Martine au cours d’une imposante cĂ©rĂ©monie pendant laquelle il fut Ă©galement couronnĂ© empereur par le patriarche. Le frĂšre de Phocas, Comentiolus, se mit Ă  la tĂȘte d’une force importante en Anatolie centrale, mais le commandant armĂ©nien Justin mit un terme Ă  la menace qu’il reprĂ©sentait pour HĂ©raclius en le faisant assassiner[37].Le transfert des forces que commandait Comentiolus fut retardĂ©, permettant aux armĂ©es perses de progresser en Anatolie[38]. Afin d’augmenter ses revenus et de diminuer les coĂ»ts, HĂ©raclius publia un Ă©dit limitant le nombre d’ecclĂ©siastiques Ă©margeant au budget de l’État[39]. En utilisant efficacement la pompe des cĂ©rĂ©monies, il parvint Ă  lĂ©gitimer sa dynastie[40] alors que son administration de la justice renforçait son pouvoir sur le plan intĂ©rieur, mĂȘme si la situation demeurait critique sur le plan extĂ©rieur[41].

La montée perse

La frontiĂšre en 597.

Pendant ce temps, les Sassanides avaient profitĂ© de la guerre civile pour conquĂ©rir la Syrie et lancer des raids en Asie mineure. En 609, ils conquirent Mardin et Amida. En 610, ce fut au tour d’Édesse, que les Byzantins croyaient imprenable en raison de la promesse de JĂ©sus au roi Abgar V de lui donner la victoire sur tous ses ennemis[24] - [42] - [43]. Une offensive en 608 les conduisit jusqu'Ă  ChalcĂ©doine, sur le Bosphore, en face de Constantinople[22], et en 609, ils s’emparĂšrent de CĂ©sarĂ©e, dans le centre de l'Anatolie[30] - [44].

L’avĂšnement d’HĂ©raclius n’amĂ©liora guĂšre la situation de l'Empire. Durant la premiĂšre annĂ©e de son rĂšgne, HĂ©raclius tenta de conclure la paix avec les Perses, puisque Phocas, qui avait Ă©tĂ© Ă  l’origine de cette guerre, Ă©tait mort. Toutefois, les Perses rejetĂšrent ces ouvertures, leurs armĂ©es ayant dĂ©jĂ  remportĂ© plusieurs victoires[45]. Selon Walter Emil Kaegi, on peut croire que le but des Perses Ă©tait de restaurer ou mĂȘme de surpasser l’empire achĂ©mĂ©nide en dĂ©truisant l’empire byzantin, bien que la perte des archives perses rende impossible de prouver cette thĂšse[45].

Les Perses avaient dĂ©jĂ  forcĂ© les Byzantins Ă  se dĂ©fendre sur deux fronts importants, l’ArmĂ©nie et l’Euphrate[45]. Lorsque HĂ©raclius monta sur le trĂŽne, les Perses avaient lentement conquis l’ArmĂ©nie et la Cappadoce et, sous la direction du gĂ©nĂ©ral Schahin, ils avaient pris CĂ©sarĂ©e dont Priscus, le beau-fils de Phocas, devait faire le siĂšge pendant une annĂ©e pour les empĂȘcher d’en sortir[46].

Il Ă©tait alors bien Ă©tabli que les empereurs ne dirigeaient pas eux-mĂȘmes leurs troupes au combat. Faisant fi de cette convention, HĂ©raclius alla rejoindre Priscus devant CĂ©sarĂ©e. Toutefois, ce dernier prĂ©texta une maladie pour Ă©viter de le rencontrer. Ceci constituait une insulte Ă  peine voilĂ©e Ă  l’endroit d’HĂ©raclius, lequel fit mine de ne pas s’en apercevoir et retourna Ă  Constantinople en 612. Pendant ce temps, les troupes de Schahin rĂ©ussirent Ă  Ă©chapper au siĂšge aprĂšs avoir brĂ»lĂ© CĂ©sarĂ©e, Ă  la grande fureur d’HĂ©raclius. Priscus fut bientĂŽt relevĂ© de son commandement en mĂȘme temps que d’autres gĂ©nĂ©raux connus pour leur sympathie envers Phocas[47]. Philippicos, un ancien gĂ©nĂ©ral de Maurice, fut nommĂ© Ă  sa place, mais il se rĂ©vĂ©la incapable de soumettre les Perses, refusant mĂȘme le combat[48]. HĂ©raclius prit alors directement le commandement des armĂ©es, en compagnie de son frĂšre ThĂ©odore[48].

Khosro profita de l’incompĂ©tence des gĂ©nĂ©raux d’HĂ©raclius pour attaquer la Syrie byzantine sous la direction du gĂ©nĂ©ral Schahr-BarĂąz[49]. HĂ©raclius tenta d’arrĂȘter cette invasion Ă  Antioche et fit appel Ă  ThĂ©odore de SykĂ©on pour qu’il implore la bĂ©nĂ©diction divine sur ses armĂ©es. Cependant, les Byzantins dirigĂ©s par HĂ©raclius et NicĂ©tas subirent une cuisante dĂ©faite face Ă  Schahin, bien que les dĂ©tails soient incertains en raison du manque de sources[50]. AprĂšs leur victoire, les Perses tuĂšrent le patriarche et dĂ©portĂšrent de nombreux citoyens aprĂšs avoir pillĂ© la ville. Les Byzantins subirent une nouvelle dĂ©faite aux Portes ciliciennes, un peu au nord d’Antioche[51]. Cette dĂ©faite coupait l’empire en deux parties, avec Constantinople et l’Anatolie d’un cĂŽtĂ© et la Syrie, la Palestine, l’Égypte et l’exarchat de Carthage de l’autre[51].

La domination perse

Campagnes de 611-624.

La capture de JĂ©rusalem

La rĂ©sistance des populations locales de Syrie et de Palestine aux Perses s'avĂ©ra de peu de poids : les dirigeants locaux construisirent des fortifications, mais ils n’étaient pas de taille Ă  arrĂȘter les envahisseurs Ă  eux seuls et prĂ©fĂ©rĂšrent donc, dans l'ensemble, nĂ©gocier[51]. Les villes de Damas, ApamĂ©e et ÉmĂšse se rendirent rapidement en 613, donnant aux Perses la possibilitĂ© de pousser vers le sud. NicĂ©tas, cousin d’HĂ©raclius, tenta de rĂ©sister, mais fut dĂ©fait Ă  Adhri’at. Il parvint toutefois Ă  remporter une petite victoire Ă  ÉmĂšse oĂč les deux camps subirent de lourdes pertes : prĂšs de 20 000 combattants seraient restĂ©s sur le champ de bataille[52]. Plus lourde de consĂ©quences fut la chute de JĂ©rusalem, qui capitula au bout de trois semaines malgrĂ© une rĂ©sistance acharnĂ©e[53]. Il y eut entre 57 000 et 65 000 victimes, auxquelles s'ajoutent les 35 000 prisonniers rĂ©duits en esclavage, parmi lesquels le patriarche Zacharie[52]. Plusieurs Ă©glises, y compris celle du Saint-SĂ©pulcre, furent incendiĂ©es et de nombreuses reliques dont la Sainte Croix, la Sainte Lance et la Sainte Éponge furent emportĂ©es Ă  CtĂ©siphon, la capitale perse. Les Byzantins y virent une indication Ă©vidente du courroux divin Ă  leur encontre[35]. Nombreux furent ceux qui blĂąmĂšrent les Juifs pour ce malheur et la perte de la Syrie[54]. Des rĂ©cits, probablement grossiĂšrement exagĂ©rĂ©s et fruit de l’hystĂ©rie collective, faisaient effectivement Ă©tat du fait que les Juifs avaient aidĂ© les Perses Ă  s’emparer de certaines villes. Des complots, qui avaient Ă©tĂ© dĂ©couverts et dĂ©jouĂ©s, auraient visĂ© Ă  assassiner les ChrĂ©tiens dans les villes dĂ©jĂ  conquises par les Perses[51].

L’Égypte

En 616, les forces de Shahrbaraz envahirent l’Égypte, une province qui n’avait pratiquement jamais connu la guerre depuis trois siĂšcles[55]. Les monophysites de la rĂ©gion, persĂ©cutĂ©s par les Byzantins orthodoxes, les accueillirent comme des sauveurs. Alexandrie, oĂč la rĂ©sistance Ă©tait dirigĂ©e par NicĂ©tas, dut se rendre au bout d’une annĂ©e de siĂšge, aprĂšs qu’un traĂźtre eĂ»t indiquĂ© aux Perses l’existence d’une canalisation abandonnĂ©e par laquelle ils purent entrer dans la ville. NicĂ©tas s’enfuit vers Chypre en compagnie du patriarche Jean, l’un de ses plus fidĂšles appuis en Égypte[56]. On ignore ce que devint NicĂ©tas par la suite, les sources Ă©tant muettes Ă  ce sujet ; chose certaine, HĂ©raclius fut privĂ© d’un gĂ©nĂ©ral compĂ©tent[57]. La perte de l’Égypte constituait un revers sĂ©rieux pour l’empire, puisque Constantinople dĂ©pendait des plaines fertiles de l’Égypte pour son approvisionnement en blĂ©. La ration gratuite de blĂ© distribuĂ©e aux citoyens de Constantinople, lointain Ă©cho de celle de Rome, dut ĂȘtre abolie en 618[58].

AprĂšs avoir conquis l’Égypte, Khosro fit parvenir Ă  HĂ©raclius cette lettre :

« Khosro, le plus grand des dieux et maĂźtre de la terre, Ă  HĂ©raclius, son esclave ignoble et insensĂ©. Pourquoi refuses-tu encore de te soumettre Ă  ma volontĂ© et continues-tu Ă  te parer du titre de roi ? N’ai-je pas dĂ©truit les Grecs ? Tu dis te fier en ton dieu : pourquoi alors n’a-t-il pas dĂ©livrĂ© CĂ©sarĂ©e, JĂ©rusalem et Alexandrie de ma main ? Et je ne dĂ©truirais pas Constantinople de la mĂȘme maniĂšre ? Mais je pardonnerai tes fautes si tu viens jusqu’à moi avec ta femme et tes enfants. Je te donnerai des terres, des vignes et des oliviers, te traitant avec un affectueux respect. Ne te fais pas d’illusion en mettant ta confiance dans ce Christ qui n’a pas su Ă©chapper aux Juifs qui l’ont clouĂ© sur une croix. MĂȘme si tu cherchais refuge dans les profondeurs de la mer, j’étendrai la main pour t’empoigner, que tu le veuilles ou non. »

— Khosro II[59] - [60]

L’Anatolie

empire perse en 620
L'empire sassanide aprĂšs sa conquĂȘte de la MĂ©sopotamie, de la Palestine, de la Syrie et de l'Égypte sous Khosro II aux environs de 620

La situation devint encore plus sombre pour les Byzantins lorsque ChalcĂ©doine, ville situĂ©e sur l'entrĂ©e orientale du Pont-Euxin, face Ă  Byzance et au sud de Chrysopolis, tomba aux mains de Shanin en 617[61]. Des tentatives pour conclure la paix avec Shanin furent reçues avec courtoisie mais sans rĂ©sultat, ce dernier affirmant que de telles nĂ©gociations devaient ĂȘtre menĂ©es avec Khosro lui-mĂȘme. L’offre d’HĂ©raclius fut donc rejetĂ©e[62]. Les Perses furent certes obligĂ©s de reculer[63], mais ils ne perdirent pas l’avantage et s'emparĂšrent d'Ancyre, importante base militaire du centre de l'Anatolie, en 620 ou 622. La base navale stratĂ©gique de Rhodes tomba peut-ĂȘtre en 622 ou 623 (mais il est difficile de certifier cet Ă©vĂ©nement), rendant thĂ©oriquement possible une attaque de Constantinople par mer[64] - [65]. Le dĂ©sespoir Ă©tait tel dans la ville qu’HĂ©raclius songea Ă  transfĂ©rer le siĂšge du gouvernement de Constantinople Ă  Carthage en Afrique[58].

La résurgence byzantine

La réorganisation

follis de cuivre
Follis de Constantin VII et de Zoé ; la piÚce ne contient pratiquement plus d'argent

La lettre de Khosro n’intimida pas HĂ©raclius ; au contraire, elle le poussa Ă  tenter une attaque dĂ©sespĂ©rĂ©e contre les Perses[61] Pour continuer le combat, il rĂ©organisa Ă  fond l’économie de l’empire. DĂšs 614, une nouvelle piĂšce de monnaie en argent, plus lĂ©gĂšre (6,82 grammes) fit son apparition portant son effigie et celle de son fils, HĂ©raclius Constantin, ainsi que la lĂ©gende Deus adiuta Romanis ou « Dieu vienne en aide aux Romains ». Kaegi veut y voir un signe Ă©vident du dĂ©sespoir de l’empire pendant cette pĂ©riode trouble[66]. Le follis de cuivre vit Ă©galement son poids passer de 11 Ă  environ 8 ou 9 grammes. Cette dĂ©prĂ©ciation de la monnaie permit de compenser pour la perte de revenus et de maintenir les dĂ©penses[66] En effet, non seulement la perte de plusieurs provinces s’était-elle traduite par une chute des revenus mais une Ă©pidĂ©mie de peste qui se dĂ©clara en 619 rĂ©duisit considĂ©rablement le nombre de ceux qui payaient des impĂŽts en plus de faire planer la menace d'un chĂątiment divin[67].

Pour financer cette nouvelle contre-offensive, HĂ©raclius se rĂ©solut Ă  diminuer de moitiĂ© la solde des fonctionnaires, Ă  augmenter les impĂŽts et Ă  frapper de lourdes amendes les fonctionnaires corrompus[68] En dĂ©pit de son dĂ©saccord concernant le mariage incestueux de l’empereur avec Martine, le clergĂ© appuya fermement ces rĂ©formes en proclamant qu’il en allait du devoir de chaque chrĂ©tien de combattre les Perses ; il offrit Ă  l’empereur un prĂȘt de guerre rĂ©sultant de la fonte des objets d’argent et d’or de Constantinople. On enleva mĂȘme les mĂ©taux prĂ©cieux et le bronze qui recouvraient les monuments dont la cathĂ©drale de la Sainte-SagesseKaegi 2003, p. 10. Certains ont qualifiĂ© cette entreprise de « premiĂšre croisade »[60] - [61] mĂȘme si d’aucuns comme Kaegi disputent ce qualificatif, la religion n’étant que l’un des mobiles de la guerre[69]. Des milliers de volontaires s’enrĂŽlĂšrent et furent Ă©quipĂ©s grĂące Ă  l’Église[61]. HĂ©raclius lui-mĂȘme prit le commandement de l’armĂ©e. De la sorte, les forces byzantines virent leurs effectifs revenir Ă  un niveau acceptable, furent rĂ©Ă©quipĂ©es et conduites par un gĂ©nĂ©ral compĂ©tent sans ruiner le trĂ©sor public[61].

Selon George Ostrogorsky, les volontaires enrĂŽlĂ©s lors de la rĂ©organisation de l’Anatolie occidentale se seraient vus regroupĂ©s en quatre thĂšmes, recevant Ă  titre hĂ©rĂ©ditaire des dons de terrains en contrepartie du service militaire[70]. Cette affirmation n’a plus cours de nos jours, les historiens Ă©tant plutĂŽt d’avis que la crĂ©ation des thĂšmes fut plus tardive[71] - [72].

La contre-offensive byzantine

En 622, HĂ©raclius Ă©tait prĂȘt Ă  lancer sa contre-offensive. Laissant son jeune fils HĂ©raclius Constantin comme rĂ©gent Ă  Constantinople sous la tutelle du patriarche Serge et du patrice Bonus[73], il cĂ©lĂ©bra PĂąques le dimanche et partit le lendemain[74]. DĂ©sirant menacer tant les forces perses d’Asie mineure que de Syrie, il fit d’abord voile de Constantinople le long de la cĂŽte ionienne vers Rhodes, puis tourna vers l’est en direction de la Cilicie, accostant Ă  Issus oĂč Alexandre le Grand avait lui-mĂȘme dĂ©fait les Perses en 333 avant JĂ©sus-Christ[68]. Il passa l’étĂ© Ă  entraĂźner ses hommes et Ă  affiner sa stratĂ©gie. L’automne venu, en marchant vers la Cappadoce, il menaça de couper les communications perses d’Asie mineure jusqu’à la vallĂ©e de l’Euphrate[68], ce qui força les troupes perses d’Asie mineure sous le commandement de Shahrbaraz Ă  se retirer des lignes de front de la Bithynie et de la Galatie vers l’est de l’Asie mineure pour bloquer son avancĂ©e vers la Perse[75].

Ce qui suivit demeure confus, mais il est certain qu’HĂ©raclius gagna une victoire Ă©crasante sur Shahrbaraz Ă  la bataille d’Issus en 622[76]. La rĂ©ussite de l'opĂ©ration tient au fait qu'on avait dĂ©couvert une embuche tendue par les Perses. Averti, HĂ©raclius feignit de se retirer pendant la bataille; les Perses abandonnĂšrent alors leurs cachettes pour se ruer sur les Byzantins. L’élite des forces byzantines composĂ©e des optimatoi se jetĂšrent alors sur les Perses et les mirent en dĂ©route[75]. Cette victoire sauva l’Asie de la menace perse. Toutefois, HĂ©raclius dut retourner Ă  Constantinople pour faire face Ă  l’invasion des Avars, laissant ses troupes hiverner dans le Pont[68] - [77].

La menace Avar

ethnogenĂšse des Avars
L'Asie centrale vers 500 montrant les territoires d'oĂč l'on croit que seraient partis les Avars d'Europe

Pendant que se dĂ©roulait la guerre entre Byzance et les Perses, Avars et Slaves envahissaient la Dalmatie, capturant de nombreuses citĂ©s byzantines comme Singidunum (Belgrade), Viminacium (Kostolac), Naissus (NiĆĄ), Sardica (Sofia) et dĂ©truisant Salona en 614. MalgrĂ© de nombreuses tentatives ils s’avĂ©rĂšrent incapables de prendre Thessalonique, la deuxiĂšme ville de l’empire et permirent ainsi Ă  Byzance de maintenir sa prĂ©sence dans la rĂ©gion[78]. D’autres villes de moindre importance, comme Jadar (Zadar), Tragurium (Trogir), Butua (Budva), Scodra (Skadar) et Lissus (Ljes) rĂ©sistĂšrent Ă©galement aux invasions[79]. Isidore de SĂ©ville alla jusqu’à prĂ©tendre que les Slaves avaient conquis « la GrĂšce » byzantine[80]. Les Avars pendant ce temps commencĂšrent Ă  piller la Thrace, menaçant le commerce et l’agriculture, et s’avancĂšrent jusqu’aux environs de Constantinople[80].

L’urgence de se dĂ©fendre contre ces invasions, empĂȘcha les Byzantins d’utiliser l’ensemble de leurs forces contre les Perses. HĂ©raclius envoya un ambassadeur auprĂšs du khagan des Avars suggĂ©rant que Byzance accepterait de payer tribut si les Avars se retiraient au nord du Danube[61]. Le khagan demanda alors une rencontre avec l’empereur le Ă  HĂ©raclĂ©a en Thrace oĂč se trouvait l’armĂ©e avare. HĂ©raclius accepta et se mit en chemin avec sa cour[81]. Le khagan toutefois envoya sa cavalerie Ă  HĂ©raclĂ©a capturer HĂ©raclius et exiger une rançon[73]Ce dernier fut cependant mis au courant des plans de son ennemi et put s’enfuir vers Constantinople, pourchassĂ© par les Avars. Les membres de sa cour furent capturĂ©s et tuĂ©s par les soldats du khagan de mĂȘme qu’un nombre estimĂ© Ă  70 000 paysans thraces qui s’étaient dĂ©placĂ©s pour voir l’empereur[82].

En dĂ©pit de cette traitrise, HĂ©raclius se vit forcĂ© comme il s'y Ă©tait engagĂ© de verser aux Avars un tribut de 200 000 solidi et de leur remettre en otage son fils illĂ©gitime Jean Atalarichos, son neveu Étienne et le fils illĂ©gitime du patrice Bonus. Toutefois, ceci lui permit de se concentrer exclusivement Ă  la poursuite de la guerre avec la Perse[73] - [83].

L'assaut de Byzance contre la Perse

campagnes d'HĂ©raclius 624-628
Carte montrant la route suivie par HĂ©raclius pendant ses campagnes de 624 Ă  628

HĂ©raclius offrit Ă  Khosro de faire la paix en 624, menaçant d’envahir la Perse en cas de refus[84]. L’offre ayant effectivement Ă©tĂ© refusĂ©e, HĂ©raclius quitta Constantinople le pour avancer vers le cƓur de l’empire perse, sans se soucier d’assurer ses communications avec la cĂŽte[84]. Pour se rendre directement en Perse, il voyagea par l’AzerbaĂŻdjan et l’ArmĂ©nie[68]. Selon Walter Kaegi, son armĂ©e ne comptait pas plus de 40 000 soldats, plus probablement mĂȘme entre 20 000 et 24 000[69]. En guise de dĂ©fi Ă  la lettre que Khosro lui avait envoyĂ©e, il s’empara de CĂ©sarĂ©e[69].

Avançant le long de la riviĂšre Araxe (ou Aras), il dĂ©truisit Dvin, occupĂ©e par les Perses et capitale de l’ArmĂ©nie de mĂȘme que Nakhchivan. À Ganzak, il dut faire face Ă  l’armĂ©e de Khosro, forte de 40 000 hommes. Utilisant des Arabes qui lui Ă©taient loyaux, il captura et massacra une partie de la garde de Khosro, ce qui conduisit Ă  la dĂ©bandade de l’armĂ©e perse. À la suite de cela, il dĂ©truisit le cĂ©lĂšbre temple de Takht-i-Suleiman, haut lieu du culte de Zoroastre, dĂ©diĂ© au feu[85]. Des raids furent conduits jusqu’à Gayshawan, une rĂ©sidence de Khosro Ă  Atrpatakan[85].

HĂ©raclius hiverna dans l’Albanie caucasienne pour donner Ă  son armĂ©e la possibilitĂ© de se prĂ©parer Ă  la prochaine campagne[86]. Ne voulant pas lui donner de rĂ©pit, Khosro envoya trois armĂ©es commandĂ©es respectivement par Shahr-BarĂąz, Shahin et Shahraplakan pour tenter de capturer et de dĂ©truire les forces d’HĂ©raclius[87]. Shahraplakan voulant prendre les passes de montagne rĂ©ussit Ă  s’avancer jusqu’à Siwnik. Shahrbaraz fut chargĂ© d’empĂȘcher la retraite d’HĂ©raclius par la GĂ©orgie alors que Shahin avait pour mission de bloquer la passe de Bitlis.

Il envoya alors deux faux dĂ©serteurs vers Shahrbaraz pour dire que l’armĂ©e byzantine fuyait devant Shahin. La jalousie entre commandants perses faisant son Ɠuvre, Shahrbaraz s’élança pour avoir sa part de la victoire. HĂ©raclius le rencontra Ă  Tigranakert et mit successivement en fuite les armĂ©es de Shahraplakan et de Shahin. Shahin perdit son intendance et, selon une source, Shahraplakan fut tuĂ©, bien qu’on le vĂźt rĂ©apparaĂźtre par la suite[88] - [89]. AprĂšs cette victoire, HĂ©raclius franchit l’Araxe pour camper dans les plaines de la rive opposĂ©e. Shahin, commandant les restes de sa propre armĂ©e et de celles de Shahraplakan, rejoignit Shahrbaraz pour poursuivre HĂ©raclius. Toutefois les marĂ©cages ralentirent sa poursuite[90] - [89]. Shahrbaraz pour sa part divisa ses forces : quelque 6 000 hommes allĂšrent tendre une embuscade pendant que le reste des troupes restait Ă  Aliovit. HĂ©raclius rĂ©pondit en lançant une attaque nocturne sur Aliovit en qu’il dĂ©truisit. Shahrbaraz n’eut que le temps de fuir aprĂšs avoir tout perdu[90].

HĂ©raclius passa le reste de l’hiver sur la rive nord du lac Van[90]. En 625, ses forces se dirigĂšrent vers l’Euphrate. En sept jours Ă  peine, il contourna le mont Ararat et les quelque 320 kilomĂštres de la riviĂšre Arsanias (aujourd’hui Murat Nehri) pour franchir les 320 kilomĂštres qui le sĂ©parait d’Amida et de Martyropolis, forteresses importantes sur le Haut Tigre[68] - [91] - [92]. Puis il se dirigea vers l’Euphrate poursuivi par Shahrbaraz. Selon des sources arabes, il fut arrĂȘtĂ© et dĂ©fait prĂšs de la riviĂšre Satidama (aujourd’hui Batman Su) ; les sources byzantines toutefois ne mentionnent pas cet incident[92]. Une autre rencontre eut lieu entre HĂ©raclius et Shahrbaraz prĂšs d’Adana. Les forces de Shahrbaraz Ă©taient stationnĂ©es sur la rive de la riviĂšre Sarus (aujourd’hui Seyhan) opposĂ©e Ă  celle oĂč campaient les Byzantins[68]. Un pont enjambait la riviĂšre que les Byzantins entreprirent immĂ©diatement de franchir. Shahrbaraz fit mine de se retirer pour attirer ceux-ci dans une embuscade. L’avant-garde d’HĂ©raclius tomba dans le piĂšge et fut dĂ©truite en quelques minutes. Les Perses cependant ne s’étaient pas souciĂ©s de faire garder le pont ; HĂ©raclius le franchit avec son arriĂšre-garde sans se prĂ©occuper des flĂšches qui pleuvaient autour de lui et rĂ©ussit ainsi Ă  tourner la bataille Ă  son avantage[93]. S’adressant Ă  un traĂźtre grec, Shahrbaraz exprima alors son admiration pour son adversaire : « Voyez votre empereur ! Il ne craint pas plus les flĂšches et les lances qu’une enclume ! »[93]. Cette bataille, connue depuis comme « la bataille de Sarus », n'eut d'autre valeur que symbolique pour les Byzantins[94]. AprĂšs quoi, l’armĂ©e se retira Ă  TrĂ©bizonde pour y passer l’hiver[93].

L'apogée de la guerre

Le siĂšge de Constantinople

soumission du roi Khosro II
Chérubin et l'empereur Héraclius recevant la soumission du roi Khosro II. Plaque provenant d'une crois en émail

RĂ©alisant qu’une nouvelle contre-offensive serait nĂ©cessaire pour se dĂ©faire des Byzantins, Khosro leva deux nouvelles armĂ©es recrutant tous les hommes valides, y compris les Ă©trangers[93]. La premiĂšre, commandĂ©e par Shahin et comprenant 50 000 hommes fut chargĂ©e de rester en ArmĂ©nie et en MĂ©sopotamie pour empĂȘcher HĂ©raclius de marcher contre la Perse ; la seconde, plus petite, sous le commandement de Shahrbaraz se glissa entre les flancs de l’armĂ©e d’HĂ©raclius et se dirigea en droite ligne vers ChalcĂ©doine, la place forte perse faisant face Ă  Constantinople. Khosro coordonna ensuite ses plans avec le khagan des Avars pour attaquer Constantinople Ă  la fois par l’Europe et l’Asie[91]. L’armĂ©e perse prit alors position Ă  ChalcĂ©doine pendant que les Avars disposaient leurs forces sur la rive europĂ©enne. Quoique rendues difficiles en raison de la marine byzantine qui gardait le Bosphore, Perses et Avars purent maintenir leurs communications[91] - [95].

La dĂ©fense de Constantinople Ă©tant assurĂ©e par le patriarche Serge et le patrice Bonus[96], HĂ©raclius divisa son armĂ©e en trois parties. MĂȘme s’il considĂ©rait la capitale comme relativement en sĂ©curitĂ©, il envoya quelques renforts pour assurer le moral des dĂ©fenseurs[96]. Une deuxiĂšme partie, sous le commandement de son frĂšre ThĂ©odore, fut envoyĂ©e au devant de Shahin alors que la troisiĂšme, la plus petite, sous son propre commandement devait pĂ©nĂ©trer au cƓur de la Perse[93].

L’attaque concertĂ©e des Avars et des Slaves contre les murs de la ville commença le . À l’intĂ©rieur de la ville 12 000 hommes de cavalerie, bien entrainĂ©s, dĂ©fendirent leurs positions contre quelque 80 000 assaillants[93]. En dĂ©pit de bombardements sans interruption pendant un mois, le moral demeura excellent, le patriarche Serge portant rĂ©guliĂšrement en procession l’image de la Vierge qui devait garantir Ă  la population la protection divine[97] - [98].

Le , une flottille de radeaux perses transportant des troupes de l’autre cĂŽtĂ© du Bosphore fut entourĂ©e et coulĂ©e par les navires grecs. Les Slaves, sous la direction de quelques Avars, tentĂšrent d’attaquer les murs faisant face Ă  la mer du cĂŽtĂ© de la Corne d’Or pendant que le gros des Avars s’élançait sur les murs du cĂŽtĂ© terrestre. Les galĂšres du patrice Bonus eurent raison des bateaux slaves alors que les attaques des 6 et du cĂŽtĂ© terrestre furent repoussĂ©e[99]. Apprenant que ThĂ©odore s’était assurĂ© d’une victoire dĂ©finitive sur Shahin (qui est supposĂ© en ĂȘtre mort de chagrin), les Avars se retirĂšrent deux jours plus tard dans les Balkans pour ne plus revenir. MĂȘme si l’armĂ©e de Shahrbaraz campait toujours Ă  ChalcĂ©doine, la menace s’était Ă©loignĂ©e de Constantinople[96] - [97]. Bien plus, Shahrbaraz lui-mĂȘme se rangea aux cĂŽtĂ©s d’HĂ©raclius aprĂšs que celui-ci lui eut montrĂ© des lettres de Khosro qu’il avait interceptĂ©es et qui ordonnaient la mort du gĂ©nĂ©ral perse[100]. Shahrbaraz se retira alors dans le nord de la Syrie oĂč il pouvait facilement dĂ©cider sous l’impulsion du moment d’appuyer l’un ou l’autre camp. En neutralisant ainsi le plus habile gĂ©nĂ©ral de Khosro, HĂ©raclius privait l’ennemi de ses meilleures troupes qui Ă©taient aussi les plus expĂ©rimentĂ©es tout en garantissant ses flancs en vue de son invasion de la Perse[101].

L'alliance entre Byzantins et Turcs

Alors que le siĂšge de Constantinople se mettait en place, HĂ©raclius s’était alliĂ© avec ce que les sources byzantines appellent les Khazars dirigĂ©s par Ziebel. On s’accorde aujourd’hui pour voir sous ce nom le khanat des Turcs occidentaux ou GöktĂŒrks conduits par Tong Yabghu[102] qu’HĂ©raclius se concilia par de splendides prĂ©sents et une promesse de mariage avec la princesse porphyrogĂ©nĂšte Eudoxia Epiphania (en).

DĂ©jĂ  en 658, les Turcs avaient fait des avances aux Byzantins aprĂšs que des questions commerciales eurent entraĂźnĂ© une dĂ©tĂ©rioration notable de leurs relations[103]. Les Turcs, originaires du Caucase, avaient envoyĂ© 40 000 de leurs soldats ravager l’empire perse en 626, marquant ainsi le dĂ©but de la troisiĂšme guerre turco-perse[93]. Les opĂ©rations conjointes entre les Byzantins et les GöktĂŒrks se concentrĂšrent sur le siĂšge de Tiflis. Khosro envoya alors la cavalerie forte de 1 000 soldats sous le commandement de Shahraplakan pour renforcer la dĂ©fense de la ville[104], mais celle-ci tomba, probablement Ă  la fin de 628[105]. La mort de Ziebel vers la fin de la mĂȘme annĂ©e sauva Épiphania d’un mariage avec un barbare[93]. Pendant que le siĂšge se poursuivait, HĂ©raclius renforçait ses bases sur le Haut Tigre[96].

La bataille de Ninive

bataille de Ninive
DĂ©roulement de la bataille de Ninive

À la mi-, HĂ©raclius laissant Ziebel responsable du siĂšge de Tiflis envahit le cƓur de l’empire perse au cours d’une campagne-surprise d’hiver, avec une armĂ©e comprenant de 25 000 Ă  50 000 hommes accompagnĂ©s de quelque 40 000 GöktĂŒrks. Ces derniers toutefois dĂ©sertĂšrent peu aprĂšs, n’étant guĂšre habituĂ©s aux conditions hivernales[106]. Sachant que l’armĂ©e perse sous la conduite de Rhahzadh Ă©tait proche, HĂ©raclius avança prudemment, les deux chefs attendant le moment opportun pour attaquer.

Vers la fin de l’annĂ©e, HĂ©raclius engagea le combat avec Rhahzadh prĂšs des ruines de Ninive pour Ă©viter que celui-ci ne puisse recevoir de renforts[107]. La bataille eut lieu dans le brouillard rendant difficile le travail des lanceurs de projectiles perses. HĂ©raclius feignit de se retirer attirant les Perses dans la plaine oĂč il fit volte-face Ă  la grande surprise des Perses[108]. AprĂšs huit heures de combat, les forces perses se retranchĂšrent sur les contreforts sans pourtant que la bataille ne se transformĂąt en dĂ©route[97] - [109]. Environ 6 000 Perses pĂ©rirent dans ce combat[110]. S’il faut en croire la BrĂšve Histoire de NicĂ©phore, Rhahzadh aurait dĂ©fiĂ© HĂ©raclius en un combat singulier. HĂ©raclius aurait acceptĂ© et tuĂ© son adversaire d’un seul coup ; deux autres adversaires l’auraient Ă©galement dĂ©fiĂ© et auraient subi le mĂȘme sort[97] - [111].

La fin de la guerre

empire byzantin en 650
L'empire byzantin en 650 aprĂšs les conquĂȘtes arabes et la chute de l'empire sassanide.

N’ayant plus d’adversaire Ă  combattre, l’armĂ©e victorieuse d’HĂ©raclius pilla Dastagird, l’un des palais de Khosro et s’empara de grandes richesses en plus de rĂ©cupĂ©rer 300 drapeaux byzantins capturĂ©s par les Perses[112]. Khosro avait dĂ©jĂ  fui vers les montagnes de Susiane pour rassembler des forces et se porter au secours de CtĂ©siphon[96]. HĂ©raclius lui envoya l’ultimatum suivant :

« Je ne poursuis et ne recherche que la paix. Ce n’est pas de mon grĂ© que je brĂ»le la Perse ; j’y suis contraint par toi. Mettons plutĂŽt bas les armes et concluons la paix. Éteignons les feux avant qu’ils ne dĂ©vorent tout.

— Ultimatum d’HĂ©raclius Ă  Khosro II, le 6 janvier 628[113]. »

Toutefois HĂ©raclius ne put prendre CtĂ©siphon d’assaut, la chute d’un pont enjambant le canal de Nahrawan lui bloquant le chemin ; curieusement, il ne chercha ni Ă  le franchir ni Ă  le contourner[114].

L’armĂ©e perse se rĂ©volta alors et renversa Khosro II, le remplaçant par son fils, Kavadh II, aussi connu sous le nom de ShirĂŽyĂ©. Khosro mourut dans un donjon. LaissĂ© pratiquement sans nourriture pendant cinq jours, il finit percĂ© de flĂšches[115]. Kavadh s’empressa de solliciter la paix, ce qu’HĂ©raclius accepta en imposant des termes relativement lĂ©gers, sa propre armĂ©e Ă©tant au bord de l’épuisement. Au terme du traitĂ© de paix, les Byzantins regagnĂšrent presque tous les territoires qu’ils avaient perdus, leurs soldats en captivitĂ©, une indemnitĂ© de guerre et, chose encore plus importante pour eux, la vraie Croix et les autres reliques qui avaient Ă©tĂ© perdues Ă  JĂ©rusalem en 614[115] - [116].

Les conséquences

Les conséquences à court terme

retour de la Vraie Croix Ă  JĂ©rusalem
Héraclius rapporte la Vraie Croix à Jérusalem, accompagné de façon anachronique par sainte HélÚne. XVe siÚcle, Espagne

Bien qu’HĂ©raclius ait atteint en mai son palais de HiĂ©reia, quartier suburbain de Constantinople, il ne voulut pas entrer dans la capitale sans la vraie Croix. Ce ne fut qu’en septembre que son frĂšre ThĂ©odore parvint Ă  ChalcĂ©doine. Le , il put finalement entrer en triomphe. La vraie Croix inaugurait le cortĂšge ; l’empereur venait ensuite suivi de quatre Ă©lĂ©phants, les premiers qu’on ait vus Ă  Constantinople. Le dĂ©filĂ© se dirigea vers Hagia Sophia oĂč la croix fut solennellement installĂ©e au-dessus du maĂźtre-autel. Pour bien des spectateurs, c’était le signe prĂ©curseur du nouvel Ăąge d’or qui attendait l’empire byzantin[115].

Cette guerre consacrait la rĂ©putation d’HĂ©raclius en tant que l’un des plus cĂ©lĂšbres gĂ©nĂ©raux de l’Histoire. On le dĂ©crivit comme un « nouveau Scipion » aprĂšs six annĂ©es de victoires non interrompues pendant lesquelles il avait conduit les armĂ©es romaines lĂ  oĂč elles n’étaient jamais allĂ©es auparavant[60] - [116]. Le retour de la vraie Croix et son installation dans la cathĂ©drale furent considĂ©rĂ©e comme le couronnement de sa carriĂšre. S’il Ă©tait mort Ă  ce moment, on aurait certainement vu en lui, selon les mots de Norman Davies, « le plus grand gĂ©nĂ©ral romain depuis Jules CĂ©sar Â»[60]. Mais il dut par la suite faire face aux Arabes et perdit bataille aprĂšs bataille, voyant ainsi sa rĂ©putation se ternir graduellement. Comme l’a Ă©crit John Norwich, « HĂ©raclius a simplement vĂ©cu trop longtemps »[117].

Pour sa part, la monarchie sassanide fut profondĂ©ment Ă©branlĂ©e. La mort de Kavadh II quelques mois seulement aprĂšs son accession au trĂŽne marqua le dĂ©but d’une longue lutte de succession et de guerre civile. Successivement, Ardashir III, Shahrbaraz l’alliĂ© d’HĂ©raclius, Purandokht et Azarmidokht se succĂ©dĂšrent sur le trĂŽne, chacun ne rĂ©gnant que quelques mois. Ce ne fut que lorsque l’un des petits-fils de Khosro II, Yazdgerd III monta sur le trĂŽne en 632 qu’une certaine stabilitĂ© fut rĂ©tablie ; mais il Ă©tait dĂ©jĂ  trop tard pour sauver le royaume sassanide[118] - [119].

Les conséquences à long terme

Les effets dĂ©vastateurs de cette longue guerre ainsi que les consĂ©quences cumulatives d’un siĂšcle de guerre presque continue entre les deux empires laissĂšrent l’un et l’autre affaiblis[120]. Les Sassanides de surcroit virent leur Ă©conomie fortement affaiblie en raison de la lourde taxation imposĂ©e par les campagnes de Khosro, des troubles religieux et le pouvoir croissant des grands propriĂ©taires terriens. Selon Howard-Johnston, « les victoires (d’HĂ©raclius) sur le terrain au cours des ans et leurs consĂ©quences politiques
. sauvĂšrent le principal bastion de la chrĂ©tientĂ© au Proche-Orient en mĂȘme temps qu’elles affaiblirent son vieil ennemi zoroastrien. Elles seront peut-ĂȘtre Ă©clipsĂ©es par les incroyables rĂ©alisations militaires des Arabes dans les deux dĂ©cennies qui suivirent, mais le recul du temps ne doit pas ternir leur lustre[120] ».

L’empire byzantin fut lui aussi affectĂ©, ses rĂ©serves financiĂšres Ă©puisĂ©es et les Balkans occupĂ©s en grande partie par les Slaves[121]. De plus, l’Anatolie avait Ă©tĂ© dĂ©vastĂ©e par les invasions perses rĂ©currentes et l’emprise de l’empire sur les territoires nouvellement reconquis du Caucase, de la Syrie, de la MĂ©sopotamie, de la Palestine et de l’Égypte Ă©tait affaibli par des annĂ©es d’occupation perse[122]. Clive Foss a appelĂ© cette guerre « le premier stage du processus devant conduire Ă  la fin de l’AntiquitĂ© en Asie Mineure»[123].

Ni l’un ni l’autre empire n’eut du reste la chance de refaire ses forces, tous deux devant faire face quelques annĂ©es plus tard aux attaques des Arabes rĂ©cemment unis par l’Islam[124], ce que Howard-Johnston compare Ă  un « tsunami humain »[125]. Selon George Liska, « ce conflit byzantino-perse inutilement prolongĂ© ouvrit la voie Ă  l’Islam »[126]. L’empire sassanide devait rapidement succomber Ă  ces attaques et fut complĂštement dĂ©truit. Les guerres entre Byzance et les Arabes devaient entrainer la perte des provinces reprises rĂ©cemment par l’empire byzantin Ă©puisĂ©, soit celles de l’est et du sud de la Syrie, l’ArmĂ©nie, l’Égypte et le nord de l’Afrique. L’empire ne survivait plus qu’en Anatolie et dans quelques iles Ă©parpillĂ©es aux environs des Balkans et de l’Italie[122]. Par la suite, l’Empire romain, ou ce qui en restait sous la forme de l’empire byzantin, parvint Ă  survivre aux assauts des Arabes, s’accrochant Ă  ce qui lui restait de territoire et parvenant Ă  repousser deux siĂšges arabes de sa capitale, de 674 Ă  678 d’abord, de 717 Ă  718 ensuite[127] - [128]. L’empire byzantin perdit Ă©galement ses territoires de CrĂȘte et d’Italie du sud aux mains des Arabes dans des conflits ultĂ©rieurs, mais rĂ©ussit Ă  les reprendre plus tard[129]. Quant Ă  la Perse Sassanide, elle rĂ©ussit au nord Ă  rĂ©sister aux invasions arabes, c'est-Ă -dire au sein des territoires Daylamites, dont les descendants fonderont la dynastie Bouyides en 945, qui reconquiĂšrent et rĂ©unifiĂšrent l'autre majeure partie de l'Iran ancien alors dominĂ©e par les arabes, mais en acceptant de se convertir Ă  l'islam (alors dĂ©jĂ  acceptĂ© par une grande partie des populations de l'Iran, et non culturellement, d'oĂč le terme islamisĂ© et non arabisĂ©)[130].

La composition des armées et les tactiques militaires

cataphractaire
Reconstitution d'un cataphractaire

Les Savārāns[131] constituaient le corps d'Ă©lite de l'armĂ©e perse. La lance Ă©tait probablement leur arme prĂ©fĂ©rĂ©e parce qu'elle permettait d'empaler deux hommes Ă  la fois[132]. Les chevaux Ă©taient couverts d’une armure faite de lamelles pour les protĂ©ger des archers ennemis[133]. Les archers perses pouvaient lancer leurs flĂšches jusqu’à 175 mĂštres et leur tir prĂ©cis allait de 50 Ă  60 mĂštres[134].

Chez les Byzantins, les cataphractaires formaient l’élite de la cavalerie lourde et devinrent l'un des symboles de Byzance[135]. Le terme français est dĂ©rivĂ© du grec ÎșÎ±Ï„ÎŹÏ†ÏÎ±ÎșÏ„ÎżÏ‚, qui signifie "vĂȘtu de mailles" littĂ©ralement "clos de tous cĂŽtĂ©s". Le terme de "cataphracte" dĂ©crit l'armure portĂ©e par les cataphractaires. Il s’agissait d’une cotte de maille qui recouvrait entiĂšrement homme et cheval. La lance Ă©tait leur arme principale, mais ils pouvaient aussi utiliser l'arc, une large Ă©pĂ©e et une hache de guerre[135]. Les soldats de l’infanterie lourde byzantine ou scutati Ă©taient revĂȘtus d’une armure lamellaire et portaient un petit bouclier rond. Les soldats utilisaient plusieurs armes contre l’ennemi comme les lances pour faire chuter les cavaliers et les haches pour couper les jarrets des chevaux[136]. Les soldats de l’infanterie lĂ©gĂšre ou psiloi, utilisaient essentiellement l’arc et n’avaient qu’une armure de cuir[137]. L’infanterie byzantine avait essentiellement pour rĂŽle de constituer une ligne de dĂ©fense monolithique contre la cavalerie Ă©trangĂšre ou de point d’ancrage lorsque la cavalerie attaquait. Selon Richard A. Gabriel, l’infanterie lourde byzantine « combinait le meilleur de ce qu’offraient la lĂ©gion romaine et la phalange grecque »[138].

Le Strategikon de l’empereur Maurice, un manuel de stratĂ©gie militaire, rapporte que les Perses utilisaient surtout les archers ; ceux-ci Ă©taient « sinon les plus puissants, Ă  tout le moins les plus rapides » de toutes les nations guerriĂšres ; ils Ă©vitaient de se battre lorsque la tempĂ©rature gĂȘnait l’utilisation de l’arc. Toujours selon le Strategikon, ils se dĂ©ployaient de façon que le centre et les flancs soient d’égale force. Ils cherchaient Ă  Ă©viter les charges des cavaliers romains en utilisant des terrains accidentĂ©s afin d’éviter les combats au contact. Maurice recommande de chercher le combat en terrain plat, permettant des charges rapides afin d’éviter les tirs des archers. Il estime aussi que les Perses excellent dans les siĂšges et la planification stratĂ©gique[139].

Pendant leurs campagnes en territoire perse, les troupes byzantines vivaient sur les ressources du pays occupé[140] - [141]. AprÚs la victoire de Ninive et la prise des palais perses, l'armée s'est trouvée libérée des problÚmes de ravitaillement[142].

Notes et références

Notes

  1. La guerre avait dĂ©butĂ© Ă  cause du refus de Justin II de payer le tribut traditionnel remontant Ă  l'Ă©poque de Justinien. À la suite de leur victoire, les Byzantins n'eurent plus Ă  payer ce tribut. Voir Ostrogorsky 1969, p. 79–80.

Références

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  2. Dodgeon, Greatrex et Lieu 2002, p. 182-183.
  3. Kaegi 2003, p. 8.
  4. Kaegi 2003, p. 9
  5. Dodgeon, Greatrex et Lieu 2002, p. xxv.
  6. Howard-Johnston 2006, p. 42-43.
  7. Dodgeon, Greatrex et Lieu 2002, p. xxvi.
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  9. Kaegi 2003, p. 10.
  10. Foss 1975, p. 729-730.
  11. Norwich 1997, p. 87.
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  13. Dodgeon, Greatrex et Lieu 2002, p. 174.
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