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Glandée

La glandĂ©e est la production par les chĂȘnes de glands, ou leur consommation par les animaux, notamment les porcs.

La rĂ©colte de glands pour nourrir les porcs (miniature du psautier de la reine Marie vers 1320-1330, British Library). À l'aide de gaules, des paysans frappent les branches de chĂȘnes au pied desquels se nourrissent des porcs.

Fructification des chĂȘnes

La glandĂ©e est l'annĂ©e oĂč les chĂȘnaies produisent les glands : en France, plus on descend vers le Sud, plus elles sont frĂ©quentes :

  • Dans le Nord-Est : 1 glandĂ©e tous les 10 Ă  15 ans
  • En Bourgogne : 1 glandĂ©e tous les 5 Ă  10 ans

Ce phĂ©nomĂšne de pics de fructification massive suivi d'annĂ©es de moindre production de glands, se rĂ©alisant de maniĂšre synchrone entre les chĂȘnes sur de grandes rĂ©gions, existe aussi chez d'autres espĂšces forestiĂšres que les chĂȘnes[1]. La production massive et synchrone de fruits entre les arbres d'une mĂȘme population au niveau rĂ©gional dĂ©finit le « masting » ou fructification de masse qui correspond Ă  une stratĂ©gie de reproduction. Il s'observe par exemple chez le hĂȘtre (Fagus sylvatica dont la fructification se nomme la faĂźnĂ©e)[2] et certains pins (Pinus ponderosa) sous l'effet du climat[3]. Les Ă©tudes suggĂšrent en effet que les tempĂ©ratures Ă©levĂ©es en avril associĂ©es Ă  de faibles prĂ©cipitations amĂ©liorent la pollinisation et les chances de fortes glandĂ©es. « Il est donc probable que le phĂ©nomĂšne de masting Ă  l'Ă©chelle de grands territoires ne soit pas une collective des arbres d'une mĂȘme espĂšce qui communiqueraient entre eux, mais plutĂŽt le dĂ©clenchement programmĂ© de la reproduction pour cette espĂšce quand les facteurs favorables[4] ».

Plusieurs hypothĂšses, non mutuellement exclusives, sont proposĂ©es pour expliquer l'apparition du masting au cours de l’évolution[5] : satiĂ©tĂ© des prĂ©dateurs (rongeurs, ongulĂ©s, oiseaux, insectes) qui Ă©vite une prĂ©dation complĂšte des fruits ; maximisation de l'efficacitĂ© de la pollinisation anĂ©mophile (augmentation du rapport production de graines / investissement en fleurs pour les annĂ©es de forte floraison) ; rĂ©gulation de la dynamique des communautĂ©s de prĂ©dateurs et d'insectes parasites pondant dans les fruits, Ă©vitant de les maintenir Ă  un niveau Ă©levĂ© ; allocation des ressources dĂ©diĂ©es certaines annĂ©es au dĂ©veloppement et la croissance, et d'autres consacrĂ©es Ă  la reproduction.

Culture populaire et folklorique

Le jeu de carte Magic : l'assemblée contient une carte nommée Glandée[6] en français (Acorn Harvest en VO). La carte permet de mettre en jeu des jetons de créature écureuils.

Pain de chĂȘne

Jusqu'au XIXe siĂšcle, les hommes se nourrissent de pain d'orge ou d'avoine, puis de glands de chĂȘne ou de racines en pĂ©riode de famine. Ils peuvent aussi faire de la farine qui donne un « pain de glands », appelĂ© aussi « pain de chĂȘne » Ă  peine mangeable en raison de la forte teneur en tanins toxiques[7].

PĂąturage des porcs

Le pratique de la glandée a longtemps organisé la transhumance forestiÚre des porcs lors des années de fructification massive (miniature extraite du mois de novembre des TrÚs Riches Heures du duc de Berry, XVe siÚcle)[8].

La glandĂ©e ou panage dĂ©signe aussi une pratique qui permet d'envoyer ses porcs paĂźtre dans les forĂȘts pour y consommer les glands des chĂȘnes et les faĂźnes des hĂȘtres.

En Angleterre, du temps de Guillaume le ConquĂ©rant, les forĂȘts Ă©taient encore si nombreuses et Ă©tendues qu'elles n'Ă©taient pas valorisĂ©es par la quantitĂ© de bois, ou ce qui pourrait ĂȘtre abattu chaque annĂ©e, mais par le nombre de porcs que les glands pouvaient entretenir[9].

Certains troupeaux de porcs sont encore élevés à la glandée : porc ibérique en Espagne et au Portugal, porc de Corse, porc en Sardaigne, en Autriche, etc. On a tenté de remettre des porcs à la glandée en Angleterre et en Allemagne pendant la Seconde Guerre mondiale[10].

En France

Dans les sociĂ©tĂ©s d'Ancien RĂ©gime, la glandĂ©e se pratique en automne, sa durĂ©e variant selon les coutumes, du dĂ©but septembre (Notre-Dame de septembre), de la fin septembre (Saint-Michel) ou du dĂ©but octobre (Saint-RĂ©my) Ă  la fin octobre (Saint-AndrĂ©). Certaines coutumes la prolongent tout l'hiver[11]. Les seigneurs fonciers perçoivent un droit de paisson mais ils ont tendance Ă  restreindre les droits d'usage consentis aux paysans, surtout quand la rĂ©colte de glands est mauvaise (les seigneurs ont leur propre troupeau) ou que la surveillance des troupeaux est insuffisante (souvent l'ensemble des porcs du village Ă©taient rĂ©unis en un seul troupeau surveillĂ© par un pĂątre commun). La divagation des animaux peut en effet causer des grands dommages aux cultures ou aux jeunes parcelles forestiĂšres dont les fragiles semis et rejets de taillis peuvent ĂȘtre dĂ©truits par le piĂ©tinement des bĂȘtes. Les nombreux procĂšs (attestĂ©s par le dĂ©pouillement des archives des communautĂ©s) et Ă©dits rĂ©pressifs tĂ©moignent de la multiplication des conflits d'usages[12].

L'ordonnance de Colbert en 1669 sur les Eaux et ForĂȘts rĂ©glemente strictement le droit de panage qui provoque rĂ©guliĂšrement des conflits entre les propriĂ©taires des forĂȘts et les paysans usagers. Le droit d’usage des forĂȘts (bois de construction, de chauffage, charbon de bois, pĂąture, glandĂ©e
) reste en effet une rĂ©alitĂ© fondamentale des sociĂ©tĂ©s d'Ancien RĂ©gime, si bien que la suppression ou la limitation de ce droit est mal accueilli ex explique que l'ordonnance est trĂšs partiellement appliquĂ©e[13]. En contrepartie de ce droit qui favorise l'enfouissement des glands par le piĂ©tinement des cochons, des moutons, le droit exige que les villageois coupent le sommet de certains ronciers. Cette opĂ©ration d'Ă©claircie sylvicole permet de dĂ©gager quelques tiges de chĂȘne coincĂ©es dans cet Ă©pineux, ce qui donne la lumiĂšre suffisante pour la croissance de l'arbre (et les futures ressources qu'ils fourniront au gibier, garantes du succĂšs des chasses Ă  courre royales), mais maintient l'Ă©pineux autour de l'arbre afin de lui fournir un degrĂ© de protection suffisant contre les herbivores consommateurs[14].

Lors de la RĂ©volution française les droits d'usage des forĂȘts reviennent dans tous les cahiers de dolĂ©ances ruraux et urbains. RĂ©glĂ©s par une infinitĂ© de coutumes, leur application varie suivant les rĂ©gions, voire suivant les forĂȘts. Le droit fĂ©odal est aboli et la propriĂ©tĂ© forestiĂšre est modifiĂ©e, ce qui n'empĂȘche pas les conflits de perdurer, notamment en raison de la surexploitation des espaces forestiers par les industries naissantes (forges, fourneaux, briqueteries et tuileries) qui se fixent au cƓur des massifs forestiers pour s'approvisionner en charbon de bois[15]. Le code forestier promulguĂ© en 1827, dĂ©fend le droit de propriĂ©tĂ© et rĂ©duit fortement ces droits, ce qui explique la guerre des Demoiselles. Ces droits peuvent ĂȘtre rachetĂ©s mais les usages comme la glandĂ©e dans les bois communaux tombent en dĂ©suĂ©tude au cours du XIXe siĂšcle et deviennent marginaux au XXe siĂšcle. La situation actuelle s'appuie sur les articles 63 et 64 de ce code. « L'autoritĂ© administrative peut, lorsque la forĂȘt n'est pas « affranchie de servitude » dĂ©cider que telle portion de forĂȘt peut faire l'objet de droits d'usages. Le cantonnement et le rachat sont des amĂ©nagements Ă  ces droits dans les forĂȘts, soumis Ă  la dĂ©livrance d'un titre dĂ©livrĂ© par l'Office national des forĂȘts[16] ».

Le porcher chargĂ© d'accompagner les cochons en forĂȘt Ă©tait appelĂ© le « glandeur ». Comme il Ă©tait peu occupĂ©, est restĂ© l'expression populaire de glander, pour traduire une personne qui reste Ă  ne rien faire.

Notes et références

  1. Éliane Schermer et al., « Fluctuations des glandĂ©es chez les chĂȘnes : Mieux les comprendre pour mieux gĂ©rer la rĂ©gĂ©nĂ©ration des chĂȘnaies », Rendez-vous techniques de l'ONF, Office National des ForĂȘts, no 50,‎ , p. 21-29 (lire en ligne)
  2. (en) G. Vacchiano et al, « Spatial patterns and broad-scale weather cues of beech mast seeding in Europe », New Phytol, vol. 215, no 2,‎ , p. 595-608 (DOI 10.1111/nph.14600).
  3. (en) Christopher R. Keyes et RubĂ©n Manso GonzĂĄlez, « Climate-influenced ponderosa pine (Pinus ponderosa) seed masting trends in western Montana, USA » (Short Communication), Forest System, vol. 24, no 1,‎ (lire en ligne)
  4. Laurent Tillon, Être un chĂȘne : sous l'Ă©corce de Quercus, Actes Sud Nature, , p. 81.
  5. (en) Ian S. Pearse, Walter D. Koenig, Dave Kelly, « Mechanisms of mast seeding: resources, weather, cues, and selection », New Phytologist, vol. 212, no 3,‎ , p. 546-562 (DOI 10.1111/nph.14114).
  6. Gatherer.wizards.com
  7. Laurent Tillon, Être un chĂȘne. Sous l'Ă©corce de Quercus, Actes Sud Nature, , p. 22
  8. Un porcher, secondĂ© par un chien de troupeau molossoĂŻde, gaule les glands de chĂȘne. Deux autres gardiens surveillent les bĂȘtes.
  9. (en) John Ramsbottom, « Dry Rot in Ships », Essex Naturalist, vol. 25,‎ , p. 234 (lire en ligne, consultĂ© le )
  10. Sigaut François. C. L. Ten Cate, Wan God mast gift... Bilder aus der Geschichte der Schweinezucht im Walde. . In: Études rurales, n°59, 1975. pp. 116-117. Lire en ligne
  11. En dehors de ces saisons, les cochons parcourent les friches, les champs ou mĂȘme les rues du village, Ă  la recherche de nourriture.
  12. Raymond Gromas, Histoire agricole de la France, des origines Ă  1939, Mende, , p. 70.
  13. CĂ©dric Michalski, « Le droit Ă  la glandĂ©e », Revue ForestiĂšre Française, vol. LVII, nos 5-2005,‎ , p. 377-391 (lire en ligne)
  14. Laurent Tillon, Être un chĂȘne. Sous l'Ă©corce de Quercus, Actes Sud Nature, , p. 42-43
  15. Denis Woronoff (dir.), Forges et forĂȘts : recherches sur la consommation proto-industrielle de bois, Ă©ditions de l'EHESS, , p. 9-12
  16. Anthony Falgas, Le dualisme juridictionnel en matiĂšre de propriĂ©tĂ© publique, Presses de l’UniversitĂ© Toulouse, , p. 343.
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