Géomythologie
La géomythologie est une discipline historico-scientifique formalisée au début des années 1970 par la géologue américaine Dorothy Vitaliano, qui cherche à expliquer l'origine des mythes recelant la trace d'événements géologiques, d'éléments paléontologiques ou géomorphologiques[4]. Ces traces sont reprises, remaniées, transformées et englobées dans des récits mythologiques qui font intervenir des forces et des êtres surnaturels, et dont la connaissance est préservée et transmise au travers des générations dans le contexte spécifique de chaque communauté.
Éléments historiques
Lors d'une intervention en mai 1967 au colloque de géologie de l'université de l'Indiana sur le sujet « Geomythology - The Impact of Geology on History and Legend, with Special Reference to Atlantis », la géologue Dorothy Vitaliano relie le mythe de l'Atlantide à l'éruption du Santorin qu'elle a étudiée avec son mari Charles, également géologue. Le professeur de folkloristique Richard Dorson (en) qui fait partie du public lui conseille d'écrire un livre sur ce sujet. Elle publie d'abord en 1968 un article qui résume le colloque, « Atlantis: a review essay »[5] dans lequel elle invente le terme de géomythologie, puis écrit en 1973 le livre « Legends of the Earth. Their Geologic Origins », qui relie les légendes à la géologie[6].
Géomythes
Les géomythes étiologiques chargés de faire connaître l'origine des êtres et des choses (récits originels) et les géomythes eschatologiques qui prédisent la ruine, la destruction et la fin du monde (récits sur les continents ou les cités englouties, mythes sur le déluge) comprennent notamment les événements géologiques inquiétants ou dangereux tels que les éruptions volcaniques[7], les séismes[8], les tsunamis, les glissements de terrain[9], la remontée du niveau marin, ou les inondations. Les géomythes peuvent être universels (transmis selon un centre unique — théorie de la monogenèse et de la diffusion — ou selon plusieurs endroits éloignés géographiquement et à différentes époques — théorie de la polygenèse)[10] ou régionaux[11].
Les découvertes de fossiles pourraient avoir inspiré les récits relatifs à de nombreux animaux surnaturels, branche de la cryptozoologie, et avoir renforcé l'interprétation évhémériste des mythes[12] - [13].
- Le dragon oriental porte des cornes sans doute inspirées par les bois fossiles du cerf disparu, Cervocerus (en), fréquents dans certains gisements de Chine centrale[14].
- La fontaine de Vaucluse est l'antre du Coulobre.
- L'art divinatoire chinois recourt notamment aux ossements d'animaux (ici une omoplate fossile de bovin).
- Les fosses nasales confluentes qui initient le démarrage de la trompe de l'éléphant nain ont pu inspirer le géomythe des cyclopes avec leur œil au milieu du front[15].
- Namazu, le poisson-chat géant responsable des tremblements de terre au Japon.
- Dans la mythologie hawaïenne, Pélé et sa sœur Hiʻiaka sont probablement associées aux éruptions du Kīlauea[18].
Notes et références
- Pavel Bělina, Petr Čornej, Jiří Pokorný, Histoire des pays tchèques, Seuil, , p. 11.
- Plusieurs gaz sont évoqués : l'éthylène selon John Hale, Jelle Zeilinga de Boer, Jeffrey Chanton et Henry Spiller, « Les secrets de la Pythie », Pour la science, no 311, , p. 70-75, (en) J.Z. de Boer, J.R. Hale, J. Chanton, « New evidence for the geological origins of the ancient Delphic oracle (Greece) », Geology, vol. 29, no 8, , p. 707–710 (DOI 10.1130/0091-7613(2001)029<0707:NEFTGO>2.0.CO;2) ; méthane et éthane qui réagissent avec l'oxygène présent dans le temple de Delphes pour produit du CO2, selon (en) G. Etiope, G. Papatheodorou, D. Christodoulou, M. Geraga, P. Favali, « The geological links of the ancient Delphic Oracle (Greece): A reappraisal of natural gas occurrence and origin », Geology, vol. 34, no 10, , p. 821-824 (DOI 10.1130/G22824.1, lire en ligne).
- (en) Sébastien Nomade et al., « A 36,000-Year-Old Volcanic Eruption Depicted in the Chauvet-Pont d’Arc Cave (Ardèche, France)? », PLoS ONE, vol. 11, no 1, (DOI 10.1371/journal.pone.0146621).
- (en) Luigi Piccardi, W. Bruce Masse, Myth and Geology, Geological Society, , p. 1-8.
- (en) D. Vitaliano, « Atlantis: a review essay » », Journal of the Folklore Institute, vol. 8, , p. 68-76.
- (en) Dorothy B. Vitaliano, Legends of the Earth. Their Geologic Origins, Indiana University Press, , 305 p..
- (en) Loredana Lancini, « Echoes of Ancient Volcanic Representations: A Geo-Mythological Approach », Rivista Internazionale di Storia della Scienza, vol. 55, , p. 49-70.
- Par exemple les séismes produits dans la zone de subduction des Cascades (notamment le séisme de 1700). Cf (en) Alan D. McMillan, Ian Hutchinson, « When the Mountain Dwarfs Danced: Aboriginal Traditions of Paleoseismic Events along the Cascadia Subduction Zone of Western North America », Ethnohistory, vol. 49, no 1, , p. 41–68 (DOI 10.1215/00141801-49-1-41), (en) Coll Thrush, R. S. Ludwin, « Finding Fault: Indigenous Seismology, Colonial Science, and the Rediscovery of Earthquakes and Tsunamis in Cascadia », American Indian culture and research journal, vol. 31, no 4, , p. 1-24 (DOI 10.17953/aicr.31.4.3374595624774617).
- Phénomène à l'origine du géomythe du Pont des Dieux.
- (en) Timothy J. Burbery, Geomythology. How Common Stories Reflect Earth Events, Taylor & Francis, , p. 19-64.
- (en) Timothy J. Burbery, Geomythology. How Common Stories Reflect Earth Events, Taylor & Francis, , p. 65-86.
- (en) Timothy J. Burbery, Geomythology. How Common Stories Reflect Earth Events, Taylor & Francis, , p. 1-19.
- (en) David Alderton, Scott Elias, Encyclopedia of Geology, Elsevier Science, , p. 644-648.
- (en) Christopher Duffin, « Fossils and Folklore », Ethical Record, vol. 113, no 3, , p. 19.
- Stéphane Deligeorges, « Des éléphants de 90 cm au garrot », La Recherche, no 334, , p. 70
- Cette association s'explique par la taille impressionnante des épaisses coquilles, par leur forme arquée qui évoque celle d'une griffe, par leur surface ornée de stries de croissance qui rappellent en plus grossier les stries d'un ongle. La croyance populaire les considérait comme les ongles de pied du diable, arrachés lorsqu'il pourchassait les âmes en perdition. cf. Bruno David, Guillaume Lecointre, Le monde vivant, Grasset, , p. 283.
- Une tradition chrétienne attribue aux tests de différentes espèces de renfermer la vie et la mort du Christ, au point que les évangélistes les utilisent pour illustrer leurs cours de catéchisme. Au centre de la face arrière du test, le dessin des cinq pétales symboliserait le poinsettia d'hiver ou étoile de Bethléem. Les 5 perforations allongées représenteraient les cinq plaies du Christ. Lorsqu'on brise le test en deux, il libère cinq petits éléments calcaires (correspondant aux 5 dents de l'appareil masticatoire qui ressembleraient étrangement à des oiseaux blancs aux ailes déployées, les colombes du Saint-Esprit, symbole de résurrection. cf. Marc Taquet, Coralie Taquet, Les étoiles de mer et leurs cousins. 80 clés pour comprendre, éditions Quæ, , p. 58.
- (en) Donald A. Swanson, « Hawaiian oral tradition describes 400 years of volcanic activity at Kīlauea », Journal of Volcanology and Geothermal Research, vol. 176, no 3, , p. 427-431 (DOI 10.1016/j.jvolgeores.2008.01.033, lire en ligne).
Voir aussi
Bibliographie
- (en) L. Sprague de Camp, « Geomythology », Nature, vol. 362, no 6421, , p. 1476-4687 (DOI 10.1038/362665a0)
- (en) Timothy J. Burbery, Geomythology. How Common Stories Reflect Earth Events, Taylor & Francis, , 118 p.
Articles connexes
- Mythologie du paysage (en)