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Fort Ticonderoga

Le Fort Ticonderoga, appelé Fort Carillon de 1755 à 1759[1], est un important fort construit par les Français au XVIIIe siècle à l'extrémité sud du lac Champlain en Nouvelle-France, dans l'État actuel de New York, aux États-Unis. Il a été bâti par Michel Chartier de Lotbinière, lieutenant et ingénieur ordinaire du roi, de 1755 à 1757. Le nom « Ticonderoga » provient de l'iroquois « tekontaró:ken », signifiant « à la jonction de deux cours d'eau[2] ».

Fort Carillon (1755-1759)
Fort Ticonderoga (depuis 1759)
Le Fort Ticonderoga, depuis le mont Defiance.
Présentation
Type
Fort militaire
Destination actuelle
Musée, centre de recherches
Architecte
Construction
Propriétaire
Fort Ticonderoga Association
Patrimonialité
Site web
Localisation
Pays
État
Commune
Aire protégée
Coordonnées
43° 50′ 30″ N, 73° 23′ 16″ O
Carte
Carte de la vallée du lac Champlain, 1777
Carte de la vallée du lac Champlain, 1777.

Le fort contrôle un point de portage sur la rivière La Chute, longue de km entre le lac George (anciennement lac Saint Sacrement) et le lac Champlain, sur laquelle se succèdent plusieurs rapides. Il s'agissait, dans la première moitié du XVIIIe siècle, d'un point de portage stratégique sur les routes commerciales entre le bassin de l'Hudson, contrôlé par les Britanniques, et le bassin du Saint-Laurent, contrôlé par les Français. Surnommé la « clef du continent »[3], il a été le théâtre de plusieurs batailles entre Français et Britanniques lors de la guerre de Sept Ans, puis entre Britanniques et Américains pendant la guerre d'indépendance des États-Unis[4].

Au cours de l'année 1777, les Britanniques abandonnent le fort à la suite de l'échec de la campagne de Saratoga et ce dernier cesse d'avoir une utilité militaire après la fin de la guerre d'indépendance des États-Unis. Le fort Ticonderoga tombe peu à peu en ruines, ses matériaux de construction, comme la pierre, le bois ou le métal, étant réutilisés par les habitants de la région. Il devient une attraction touristique au cours du XIXe siècle et ses propriétaires le restaurent au début du XXe siècle. Il abrite désormais un musée et un centre de recherches, gérés par une fondation.

Géographie et premières explorations

gravure représentant un combat entre deux tribus indiennes.
Bataille entre les Algonquins et les Iroquois, près du site de Ticonderoga. Gravure de 1885 d'après une gravure réalisée par Samuel de Champlain durant son voyage de 1609.

Le lac Champlain, qui forme la frontière entre les États amĂ©ricains de New York et du Vermont, et le fleuve Hudson forment une importante route utilisĂ©e par les Nord-AmĂ©rindiens avant l'arrivĂ©e des colons europĂ©ens. La route est relativement dĂ©pourvue d'obstacles Ă  la navigation, hormis quelques portages. L'un des points stratĂ©giques de cette route est la pointe formĂ©e par le confluent de la rivière La Chute, par laquelle le lac George se jette dans le lac Champlain, et du lac Champlain. Un plateau rocheux permet de contrĂ´ler tous les accès au sud du lac Champlain, bien que le mont Defiance, culminant Ă  260 m, et deux autres collines — le mont Hope et le mont Independence — dominent le site[5].

Les Amérindiens occupent le site avant que l'explorateur français Samuel de Champlain n'y arrive en 1609. Champlain rapporte que les Algonquins, avec qui il voyageait, ont combattu un groupe d'Iroquois près d'un village indien appelé Ticonderoga[6]. En 1642, le missionnaire français Isaac Jogues est le premier Européen à emprunter le portage de Ticonderoga, en voulant échapper à un combat entre Iroquois et Hurons[7].

À la fin du XVIIe siècle, les Français, qui se sont installés dans la vallée du Saint-Laurent au nord, et les Britanniques, qui se sont emparés des établissements néerlandais au sud, se disputent la région. En 1691, le colon néerlandais Pieter Schuyler construit un petit fort en palissades sur la pointe de Ticonderoga, sur la rive occidentale du lac Champlain[8]. Ces conflits coloniaux atteignent leur apogée pendant la guerre de Sept Ans, au milieu du XVIIIe siècle[9].

Construction

Carte de Fort Carillon, en 1758
Carte de Fort Carillon, en 1758.

En 1750, une petite fortification de palissade est à nouveau construite sur la pointe. Elle est baptisée Fort Vaudreuil, du nom du gouverneur général de la Nouvelle-France Pierre de Rigaud de Vaudreuil.

Après la bataille du lac George en 1755, Vaudreuil envoie son cousin Michel Chartier de Lotbinière construire une fortification pérenne sur la pointe de Ticonderoga, que les Français appellent Fort Carillon[10]. Le fort pourrait tirer son nom de Philippe de Carrion du Fresnoy, un colon français qui y a établi un poste commercial à la fin du XVIIe siècle[11]. Il semble cependant plus probable que ce nom provienne de la rivière La Chute, dont le bruit des rapides évoquerait le bruit des cloches d'un carillon[12]. La construction du fort à l'italienne, dessiné par Lotbinière inspiré par l'ingénieur militaire Vauban, commence en octobre 1755.

Les travaux progressent lentement durant les bonnes saisons des années 1756 et 1757, utilisant les troupes stationnées au Fort Saint-Frédéric et au Canada[13] - [14]. Les travaux de 1755 consistent prioritairement dans la construction des murs principaux et de la redoute Lotbinière, un ouvrage destiné à couvrir principalement La Chute. L'année suivante voit la construction des quatre bastions et d'une scierie près de la rivière. La construction de l'ouvrage ralentit en 1757, en raison de l'attaque du Fort William Henry par Montcalm qui mobilise les troupes. Les baraquements et les demi-lunes ne sont pas achevés avant le printemps 1758[15].

Murs et bastions

Les Français ont construit Fort Carillon pour contrôler les accès sud au lac Champlain. Le bastion Germain regarde vers le nord-ouest et le bastion de la Reine est orienté au nord-est. Ces deux importants bastions protègent les accès au lac Champlain par la terre. Ils sont renforcés par deux demi-lunes orientées respectivement au nord et à l'ouest. Les bastions Joannes et Languedoc, orientés au sud, protègent les accès maritimes au lac.

Les murs ont une hauteur de 2,1 m et une Ă©paisseur de 4,3 m. L'ensemble est entourĂ© par un glacis et des fossĂ©s secs profonds de 1,5 m et larges de 4,3 m. Ces murs sont Ă  l'origine des poutres comblĂ©es avec de la terre, rapidement remplacĂ©es par des pierres extraites d'une carrière voisine, bien que cela ne soit jamais vĂ©ritablement effectuĂ© en totalitĂ©[12]. Lorsque les principales dĂ©fenses ont Ă©tĂ© achevĂ©es, Fort Carillon est armĂ© avec des canons apportĂ©s de MontrĂ©al et de Fort Saint-FrĂ©dĂ©ric[16] - [17].

Intérieurs et extérieurs

Le fort abrite trois baraquements et quatre entrepôts. L'un des bastions abrite une boulangerie capable de produire soixante miches de pain par jour. Un magasin à poudre a été taillé dans l'escarpement rocheux sous le bastion Joannes. Toutes les constructions à l'intérieur du fort ont été bâties en pierre[12].

Une palissade protège la zone comprise entre le sud du fort et la rive du lac. Ce site constituait le point d'accostage des canots et abritait plusieurs lieux d'entreposage additionnels nécessaires au fonctionnement du fort[12]. Lorsqu'il est devenu clair, en 1756, que le fort avait été bâti trop à l'ouest du lac, une redoute supplémentaire a été dressée à l'extrémité de la pointe pour couvrir le lac[18].

  • Baraquements des officiers, Ă  droite, et des soldats, Ă  gauche, vus depuis le bastion Languedoc.
    Baraquements des officiers, Ă  droite, et des soldats, Ă  gauche, vus depuis le bastion Languedoc.
  • Le bastion Languedoc, le baraquement des officiers et celui des soldats, l'entrĂ©e du fort.
    Le bastion Languedoc, le baraquement des officiers et celui des soldats, l'entrée du fort.
  • EntrepĂ´ts et magasin Ă  poudre, baraquements des soldats.
    EntrepĂ´ts et magasin Ă  poudre, baraquements des soldats.
  • Le fort vu depuis le bastion Joannes.
    Le fort vu depuis le bastion Joannes.
  • Vue sur le lac Champlain, en direction du sud.
    Vue sur le lac Champlain, en direction du sud.
  • Le fort vu depuis la demi-lune nord.
    Le fort vu depuis la demi-lune nord.
  • Vue du fort depuis le lac Champlain.
    Vue du fort depuis le lac Champlain.
  • Maquette du fort.
    Maquette du fort.

Analyse

Le fort est achevé en 1758. Le marquis de Montcalm, maréchal de camp et commandant des troupes régulières françaises, et deux ingénieurs militaires inspectent la fortification et critiquent presque tous ses aspects : les bâtiments sont trop grands et, par conséquent, forment des cibles faciles pour l'artillerie, le magasin à poudre fuit et la maçonnerie est de piètre qualité[19]. Il semble cependant que l'accent n'ait pas été mis sur la principale faiblesse de la position : l'existence de trois collines – le mont Hope au nord-ouest, le mont Defiance au sud-ouest et le mont Independence au sud-est, de l'autre côté du lac[20] – dominent Fort Carillon, l'exposant à l'artillerie adverse. Montcalm est notamment accompagné de Nicolas Sarrebource de Pontleroy, ingénieur général de la Nouvelle-France, préféré dans cette fonction à Lotbinière, suspecté de tirer profit de ses liens de parenté avec Vaudreuil. Pontleroy écrit plusieurs rapports particulièrement négatifs sur Lotbinière, dont la carrière est brisée[21].

William Nester, dans son Ă©tude exhaustive de la bataille de Fort Carillon, remarque d'autres problèmes dans la construction du fort. Le fort est trop petit, environ 150 m, pour une fortification inspirĂ©e par Vauban et il peut contenir Ă  peine plus de 400 hommes. Les capacitĂ©s d'entreposage sont trop faibles, rendant nĂ©cessaire la construction d'entrepĂ´ts et de rĂ©serves Ă  l'extĂ©rieur des murs, dans un espace exposĂ©. Sa citerne Ă©tait petite et la qualitĂ© de l'eau Ă©tait rĂ©putĂ© mauvaise[22] - [23].

Histoire militaire

Guerre de Sept Ans

Carte de la bataille de Fort Carillon, 1758
Carte de la bataille de Fort Carillon, 1758.

En août 1757, les troupes commandées par Montcalm quittent Fort Carillon et capturent Fort William Henry, sur la rive sud du lac George[24]. Cette victoire, accompagnée d'une série d'actions victorieuses des Français, conduit les Britanniques à préparer une attaque de grande envergure contre Fort Carillon, dans leur stratégie globale de guerre contre le Canada français[25]. En juin 1758, le général britannique James Abercrombie regroupe une force militaire importante au Fort William Henry en préparation d'une campagne contre la vallée du lac Champlain. Cette armée débarque à l'extrémité nord du lac George, à quelques kilomètres du Fort Carillon le 6 juillet[26]. Le général George Howe, commandant en second l'expédition et considéré comme l'un des meilleurs officiers britanniques, est tué au cours d'une reconnaissance. Troublé, Abercombie fait alors preuve d'hésitations et ralentit la marche de son armée[27]. L'échec d'Arbecombie à se porter directement sur le fort le 7 juillet permet au marquis de Montcalm d'améliorer les défenses du fort. Les Français construisent en deux jours une série de retranchements autour d'une petite colline située à environ un kilomètre a nord-ouest du fort et mettent en place un abattis en contrebas de ces retranchements[28].

Vue de Fort Carillon depuis le mont Defiance
Vue de Fort Carillon depuis le mont Defiance, pendant la bataille de 1759.

Le 8 juillet 1758, Abercombie ordonne une attaque frontale contre les prĂ©paratifs dĂ©fensifs français. Il dĂ©cide d'avancer rapidement sur les quelques dĂ©fenseurs français, choisissant de renoncer Ă  son artillerie et de se reposer sur la supĂ©rioritĂ© numĂ©rique de ses 16 000 hommes. Mais les 4 000 Français, retranchĂ©s et bĂ©nĂ©ficiant du soutien de l'artillerie, infligent aux Britanniques une sĂ©vère dĂ©faite[29]. Bien que les canons du fort ont Ă©tĂ© peu utilisĂ©s, en raison de la distance le sĂ©parant du champ de bataille[30], la bataille de Fort Carillon lui a confĂ©rĂ© sa rĂ©putation de place imprenable, ce qui a influencĂ© les futures opĂ©rations militaires dans la rĂ©gion, notamment pendant la guerre d'indĂ©pendance amĂ©ricaine[31]. Après la victoire française, Montcalm, qui anticipait une nouvelle attaque britannique, ordonne la construction de deux redoutes au nord-est du fort, les redoutes Germain et Pontleroy, du nom des ingĂ©nieurs qui les ont bâties[32] - [33]. Toutefois, les Britanniques ne lancent pas de nouvelle attaque et les Français se retirent en novembre, ne laissant qu'une faible garnison pour l'hiver[34].

Carte du plan d'attaque de Ticonderoga
Plan d'attaque de Ticonderoga, « proposé pour une mise en exécution pourvu que les circonstances et le terrain le permettent. »

Fort Carillon est capturĂ© par les Britanniques l'annĂ©e suivante, au cours de la bataille de Ticonderoga. Le 21 juillet 1759, 11 000 soldats commandĂ©s par le gĂ©nĂ©ral Jeffery Amherst s'approchent du fort avec leur artillerie, ne rencontrant pas de rĂ©sistance française. En effet, le colonel François-Charles de Bourlamaque a Ă©vacuĂ© le fort dès qu'il eut connaissance de l'arrivĂ©e des Britanniques, conformĂ©ment aux instructions de Montcalm. Il ne laisse que 400 hommes sur le commandement du capitaine Louis-Philippe Le Dossu d'HĂ©bĂ©court. Le 26 juillet, HĂ©bĂ©court abandonne Ă  son tour le fort, après l'avoir fait sauter et dĂ©truit ses canons. Le magasin Ă  poudre est dĂ©truit mais le reste du fort n'est pas sĂ©rieusement endommagĂ©[35]. MalgrĂ© les travaux entrepris par les Britanniques en 1759 et 1760 pour le restaurer, le fort, dĂ©sormais appelĂ© Fort Ticonderoga, ne joue plus aucun rĂ´le significatif dans la suite du conflit[36]. Après la guerre, les Britanniques y laissent une petite garnison qui laisse le fort se dĂ©labrer. En 1773, le gĂ©nĂ©ral Frederick Haldimand, qui commande Fort Ticonderoga, Ă©crit qu'il est « dans un Ă©tat de ruines »[37].

Débuts de la guerre d'indépendance

Gravure représentant Ethan Allen demandant la reddition du fort
Ethan Allen demande la reddition de Fort Ticonderoga.

En 1775, Fort Ticonderoga, en ruines, n'est plus occupĂ© que par une prĂ©sence symbolique. Le 10 mai, moins d'un mois après le dĂ©but de la guerre d'indĂ©pendance amĂ©ricaine Ă  Lexington et Concord, cette garnison composĂ©e de 48 hommes est surprise par la milice des Green Mountain Boys, aidĂ©s par des volontaires du Massachusetts et du Connecticut et conduits par Ethan Allen et Benedict Arnold[38]. Allen aurait lancĂ© au commandant du fort, le capitaine William Delaplace : « Come out, you old rat! » (« Sors de lĂ , vieux rat ! »)[39]. Il dit plus tard qu'il demanda la reddition de Delaplace « au nom du Grand JĂ©hovah et du Congrès continental ». Quoi qu'il en soit, sa demande de reddition a Ă©tĂ© faite au lieutenant Jocelyn Feltham et non au commandant du fort, qui remit son Ă©pĂ©e un peu plus tard[39]. Arnold reste Ă  Ticonderoga jusqu'au 17 juin 1775, quand 1 000 soldats du Connecticut commandĂ©s par le capitaine Benjamin Hinman arrivent pour prendre la relève et reconstruire le fort. Ă€ cause de manĹ“uvres politiques et de mauvaises communications, Arnold n'a pas Ă©tĂ© informĂ© de l'arrivĂ©e de Hinman et refuse de lui cĂ©der le commandement. Une dĂ©lĂ©gation venue du Massachusetts – qui avait commissionnĂ© Arnold – est amenĂ©e pour clarifier la situation. Benedict Arnold remet finalement le fort entre les mains de Hinman et quitte Ticonderoga le 22 juin[40]. Au cours de l'hiver 1775-1776, les canons de Fort Ticonderoga sont conduits par le colonel Henry Knox Ă  Boston, assiĂ©gĂ© par les insurgents. L'utilisation de ces canons, dĂ©ployĂ©s Ă  Dorchester Heights, est dĂ©cisive, contraignant les Britanniques Ă  Ă©vacuer la capitale de la Nouvelle-Angleterre le 17 mars 1776[41].

Avec la capture du fort, obtenue sans le moindre Ă©change de coup de feu, les patriotes gagnent un accès Ă  la vallĂ©e Champlain et, Ă  partir du mois de juillet, Fort Ticonderoga sert de point de rassemblement pour prĂ©parer l'invasion du Canada lancĂ©e fin aoĂ»t dans le but d'impliquer les Canadiens dans la rĂ©volte. Sous le commandement des gĂ©nĂ©raux Philip Schuyler et Richard Montgomery, hommes, armes et matĂ©riel sont accumulĂ©s au cours des mois de juillet et aoĂ»t[42]. Le 28 aoĂ»t, après avoir Ă©tĂ© informĂ© que les Britanniques se prĂ©paraient Ă  lancer une attaque depuis Fort Saint-Jean, Montgommery lance ses 1 200 hommes sur le lac Champlain[43]. Fort Ticonderoga continue Ă  servir de base pour les opĂ©rations au Canada, jusqu'Ă  la bataille et le siège de QuĂ©bec malgrĂ© la mort de Montgomery le 31 dĂ©cembre 1775[44]. En mai 1776, les Britanniques envoient des renforts Ă  QuĂ©bec, brisent le siège et repoussent les AmĂ©ricains sur le lac Champlain[45]. Après la dĂ©faite amĂ©ricaine Ă  la bataille de l'Ă®le Valcour en octobre, les AmĂ©ricains perdent toute chance de rallier le QuĂ©bec Ă  leur cause. 1 700 soldats hivernent alors Ă  Fort Ticonderoga sous le commandement du colonel Anthony Wayne[46].

Siège de 1777

Fort Ticonderoga vu depuis le mont Defiance
L'embouchure de la rivière La Chute, Fort Ticonderoga et le lac Champlain, vus depuis le mont Defiance.

Au cours de l'été 1776, les généraux américains Schuyler, commandant le front nord, et Horatio Gates, commandant Fort Ticonderoga, renforcent substantiellement les défenses de Fort Ticonderoga. Sur la rive opposée du lac Champlain, distant d'un kilomètre, le mont Independence est fortifié pour prévenir toute attaque venant du nord. En bas de la colline, sur le rivage, des tranchées sont creusées et un pont flottant est jeté pour rejoindre Fort Ticonderoga. Au bord de l'escarpement rocheux, une batterie en fer à cheval est mise en place tandis qu'un petit fort, appelé Fort Independence, est construit au sommet de la colline, protégé par plusieurs redoutes. Le mont Defiance, réputé inaccessible, n'est pas fortifié[47].

Mont Defiance vu depuis les terrasses de Fort Ticonderoga
Mont Defiance vu depuis les terrasses de Fort Ticonderoga.

En mars 1777, les gĂ©nĂ©raux amĂ©ricains s'attendent Ă  une attaque britannique sur l'Hudson. Le gĂ©nĂ©ral Schuyler demande le renforcement de la garnison de Fort Ticonderoga Ă  hauteur de 10 000 hommes et l'envoi de 2 000 autres sur la rivière Mohawk. George Washington, qui n'est jamais venu Ă  Fort Ticonderoga[48], pense qu'une attaque venant du nord est improbable, en raison de sa rĂ©putation de fort inexpugnable[31]. Cette idĂ©e, combinĂ©e aux incessantes attaques sur l'Hudson par les forces britanniques basĂ©es Ă  New York, conduit Washington Ă  croire que toute attaque de la rĂ©gion d'Albany se fera par le sud, coupant les voies de ravitaillement du fort, avec pour consĂ©quence son Ă©vacuation. Ainsi, aucune mesure n'est prise pour poursuivre la fortification de Ticonderoga ou augmenter sa garnison[49]. Cette garnison, composĂ©e d'environ 2 000 soldats placĂ©s sous les ordres du gĂ©nĂ©ral Arthur St. Clair, est trop faible pour couvrir l'ensemble des fortifications de Ticonderoga[50].

Le général Gates est conscient que le mont Defiance menace Fort Ticonderoga[51]. Le peintre John Trumbull, alors adjudant-général adjoint de Gates, l'a démontré en 1776 quand un coup de canon tiré depuis le fort avait atteint le sommet de la colline. Plusieurs officiers qui ont inspecté le mont Defiance ont remarqué des approches possibles pour des affûts d'artillerie[51]. Toutefois, en raison de la faible garnison de Ticonderoga, la colline n'est pas défendue[52]. Lorsqu'Anthony Wayne quitte Fort Ticonderoga en avril 1777 pour rejoindre l'armée de Washington, il lui écrit que tout allait bien et que « le fort ne pourrait être pris sans d'importantes effusions de sang[53] ».

« Où une chèvre peut aller, un homme peut aller. Et où un homme peut aller, il peut emporter un canon. »

Le général d'artillerie William Phillips à ses hommes, transportant leurs canons au sommet du mont Defiance, en juillet 1777[54].

En juin 1777, le gĂ©nĂ©ral John Burgoyne et 7 800 Britanniques et Hessois quittent QuĂ©bec en direction du sud[55]. Après s'ĂŞtre emparĂ© sans rĂ©sistance de Fort Crown Point, construit près des ruines de Fort Saint-FrĂ©dĂ©ric, le 30 juin, Burgoyne prĂ©pare le siège de Fort Ticonderoga[56]. Il comprend l'avantage tactique que reprĂ©sente les hauteurs proches du fort : il contourne le fort par l'ouest et ordonne Ă  ses hommes de hisser leurs canons au sommet du mont Defiance et du mont Hope. Enfin, il occupe les « lignes françaises » construites par Montcalm vingt ans auparavant. ConfrontĂ© au bombardement imminent depuis ces hauteurs, le gĂ©nĂ©ral St. Clair ordonne l'Ă©vacuation de Ticonderoga le 5 juillet 1777, avant mĂŞme qu'un coup de canon ne soit tirĂ©. Le lendemain, Burgoyne en prend possession[57], lançant ses avant-gardes Ă  la poursuite des AmĂ©ricains[58]. En apprenant la prise de Fort Ticonderoga, Washington a dĂ©clarĂ© que cet Ă©vĂ©nement n'avait pas Ă©tĂ© « envisagĂ©, que cela dĂ©passait [pour lui] les limites de l'entendement[59] ». La nouvelle de la capture du « bastion imprenable » sans combat provoque « la plus grande surprise et la plus grande alarme » Ă  travers toutes les colonies[60]. Devant le tollĂ© gĂ©nĂ©ral, le gĂ©nĂ©ral St. Clair est traduit devant une cour martiale en 1778 qui le blanchit de toutes les charges[59].

Une dernière attaque

Après la capture de Fort Ticonderoga, les Britanniques y laissent une garnison de 700 hommes, commandée par le général Henry Watson Powell. 500 soldats occupent le mont Independence tandis que 100 autres occupent Ticonderoga et que les 100 restants construisent un fortin sur le mont Defiance[61]. George Washington envoie le général Benjamin Lincoln dans les New Hampshire Grants pour « diviser et distraire l'ennemi[62] ». Sachant que les Britanniques gardent des prisonniers américains dans la région, Lincoln décide de mettre à l'épreuve les défenses britanniques. Le 13 septembre, il envoie 500 hommes à Skenesboro, abandonné par les Britanniques, et 500 autres de part et d'autre du lac Champlain en direction de Fort Ticonderoga. Le colonel John Brown conduit les troupes sur la rive occidentale avec instruction de libérer les prisonniers qu'il rencontrerait et d'attaquer le fort si cela semblait réalisable[63].

Tôt dans la matinée du 18 septembre, Brown surprend un groupe de soldats britanniques gardant des prisonniers américains près du début du portage au nord du lac George, pendant qu'une partie de ses troupes se faufile jusqu'au sommet du mont Defiance et capture l'équipe de construction du fortin endormie. Brown et ses hommes descendent ensuite le portage vers le fort, surprenant sur leur route plusieurs groupes de Britanniques et libérant leurs prisonniers[64]. La garnison de Fort Ticonderoga ignore tout de l'avancée américaine jusqu'à ce que les hommes de Brown et les Britanniques s'accrochent sur les lignes françaises. Brown apporte deux canons de 6 livres capturés et commence à tirer sur le fort. Les Américains bombardent également Fort Ticonderoga depuis le mont Defiance à l'aide d'un canon de 12 livres[65]. La colonne devant attaque le mont Independence, la garnison britannique du site a eu le temps de se préparer, en entendant les échanges de tirs de l'autre côté du lac. Leur défense, aussi bien leurs salves de mousqueterie que par les tirs de quelques navires ancrés dans le lac, décourage les Américains d'attaquer le mont Independence[65]. La situation reste bloquée et les deux parties échangent des tirs pendant plusieurs jours. Le 21 septembre, cent Hessois arrivent de la vallée de la rivière Mohawk pour renforcer le fort assiégé. Brown finit par envoyer cinq parlementaires proposer un cessez-le-feu. Les défenseurs de Fort Ticonderoga leur tirent dessus, en tuant trois[66]. Réalisant qu'il ne pourrait pas s'emparer du fort par les armes, Brown se retire. Il détruit plusieurs chalands et s'empare d'un navire sur le lac George, effectuant quelques coups de main contre des positions britanniques en bordure du lac. Son action permet la libération de 118 Américains et la capture de 293 Britanniques, tout en ne perdant que moins de dix hommes[65].

Abandon

Ă€ la suite de la reddition de Burgoyne Ă  Saratoga le 17 octobre 1777, Fort Ticonderoga n'a plus d'importance stratĂ©gique. En novembre 1777, les Britanniques abandonnent le fort, ainsi que Fort Crown Point, distant de 20 km. Les deux garnisons dĂ©truisent les forts autant qu'elles le peuvent avant leur retraite[67]. Fort Ticonderoga est Ă©pisodiquement occupĂ© par des groupes britanniques isolĂ©s dans les annĂ©es suivantes et il est dĂ©finitivement abandonnĂ© après la capitulation de Cornwallis Ă  Yorktown en octobre 1781[68]. Après la guerre, les habitants de la rĂ©gion se servent du fort comme d'une carrière et d'une rĂ©serve de matĂ©riaux pour leurs propres constructions, allant jusqu'Ă  fondre ses canons[69].

Attraction touristique

Vues stéréoscopiques des ruines de Fort Ticonderoga
Vues stéréoscopiques des ruines de Fort Ticonderoga à la fin du XIXe siècle.

En 1785, le fort devient propriété de l'État de New York. Il en fait don à l'université Columbia de New York et à l'Union College de Schenectady en 1803[70] avant que le fort ne soit racheté par l'homme d'affaires William Ferris Pell en 1820[71]. En 1826, Pell construit sa résidence d'été à proximité immédiate du fort, dans le « jardin du roi » qu'il réhabilite, étant passionné d'horticulture. Cette résidence, appelée le Pavilion, devient un hôtel pour les touristes qui viennent visiter les ruines de Fort Ticonderoga, à partir de 1840[72]. En 1848, le peintre de l'école de l'Hudson River Russell Smith peint Ruins of Fort Ticonderoga, décrivant l'état du fort[73].

Intérieur restauré de Fort Ticonderoga
Baraquements restaurés de Fort Ticonderoga.

La famille Pell, qui compte parmi ses membres plusieurs personnalités politiques américaines – de William C. C. Claiborne, premier gouverneur de la Louisiane à Claiborne Pell, sénateur du Rhode Island – restaure le fort en 1909 et l'ouvre formellement au public. Le président William Howard Taft assiste aux cérémonies, qui commémorent le tricentenaire de la première exploration du lac Champlain par les Européens[74]. Stephen Pell, qui est le fer de lance de la restauration, fonde la Fort Ticonderoga Association en 1931, qui gère le fort depuis cette date[75]. Les fonds pour la restauration viennent notamment de Robert M. Thompson, magnat philanthrope et beau-père de Pell[76]. Pendant la première moitié du XXe siècle, la fondation acquiert la plupart des terrains entourant Fort Ticonderoga, y compris le mont Defiance, le mont Independence et une grande partie du mont Hope[77]. Le gouvernement britannique fournit 14 canons de 24 livres afin de réarmer le fort. Ces canons ont été fondus en Grande-Bretagne pendant la guerre d'indépendance mais n'ont jamais été envoyés en Amérique en raison de la fin du conflit[78].

Fort Ticonderoga est maintenant une attraction touristique, un musée d'histoire militaire américaine et un centre de recherche. Le site est classé depuis le 9 octobre 1960 comme National Historic Landmark[79]. Ce classement inclut le fort en lui-même, le mont Defiance et le mont Independence[80]. Il a été ajouté au Registre national des lieux historiques en 1966[79]. En raison de l'état de dégradation de certains murs et du Pavilion de Pell, Fort Ticonderoga fait l'objet d'une surveillance particulière par les NHL depuis 1998[79]. La restauration du « magasin du roi » détruit par les Français en 1759 est achevée en 2008 selon les plans d'origines de Lotbinière. Il abrite désormais un centre d'enseignement et de congrès[81].

HĂ©ritage

timbre américain représentant Fort Ticonderoga
Timbre commémorant le bicentenaire de la construction de Fort Ticonderoga.

Fort Ticonderoga est évoqué dans de nombreux romans. En 1887, Robert Louis Stevenson publie un poème racontant la légende de Duncan Campbell, un officier écossais tué à la bataille de Fort Carillon hanté par le fantôme de son cousin. Cette légende a également donné lieu à plusieurs chansons[82]. Au cinéma, deux films racontent l'histoire de Fort Ticonderoga. Réalisé en 1911, The Capture of Fort Ticonderoga a pour sujet l'épisode de la prise du fort par les Américains en 1775[83]. En 1951, George Montgomery est le héros de Fort Ti, retraçant la bataille de Fort Carillon[84]. Dans le film Starship Troopers, réalisé en 1997, une station de combat spatiale porte le nom de « Ticonderoga ».

Le nom de Ticonderoga a été donné à cinq navires de l'US Navy : une goélette (en), un sloop (en), un cargo (en), un porte-avions et un croiseur. Une classe entière de croiseurs porte également son nom.

Le fort a également donné son nom à la société Dixon Ticonderoga (en), fondée au début du XIXe siècle et fabriquant notamment les crayons Ticonderoga.

En 1955, un timbre est émis par US Post Office pour commémorer le bicentenaire de la construction du fort.

Notes et références

  1. C'est Ă  la suite de la bataille de Ticonderoga que le fort prit son nom actuel.
  2. Afable et Beeler 1996, p. 193
  3. Hamilton, Fort Ticonderoga, Key to a Continent
  4. La bataille de Fort Carillon, en 1758, voit 4 000 Français repousser victorieusement l'assaut de 16 000 soldats britanniques. En 1759, Les Britanniques chassent une garnison française symbolique lors de la bataille de Ticonderoga. En mai 1775, pendant la guerre d'indĂ©pendance des États-Unis, la milice des Green Mountain Boys et quelques autres groupes sous la conduite d'Ethan Allen et Benedict Arnold s'emparent du fort au cours d'une attaque surprise. Les canons capturĂ©s sont transportĂ©s Ă  Boston, oĂą leur dĂ©ploiement permet la prise de la ville par les Patriots en mars 1776. En juin 1777, les Britanniques dirigĂ©s par le gĂ©nĂ©ral britannique John Burgoyne rĂ©occupe les hauteurs entourant le fort, contraignant l'ArmĂ©e continentale Ă  Ă©vacuer Ticonderoga. En octobre 1777, John Brown, Ă  la tĂŞte de cinq cents AmĂ©ricains face Ă  cent dĂ©fenseurs, tenta sans succès de rĂ©occuper le fort en menant la première et unique attaque directe contre celui-ci.
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  30. Selon Chartrand et Nester, qui décrivent tous deux la bataille avec précision, les seuls coups de canon ont été tirés du bastion sud-ouest pendant un bref moment à destination d'une manœuvre britannique sur la rivière La Chute.
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Liens externes

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