Fort Sancti Spiritu
Le fort Sancti Spiritu (aussi Santo Spirito) Ă©tait le premier foyer de peuplement espagnol sur l’actuel territoire argentin. Il fut fondĂ© le 27 fĂ©vrier 1527, Ă l’initiative de l’explorateur italien SĂ©bastien Cabot, sur la rive du rĂo Carcarañá, près de son embouchure dans le rĂo Coronda, Ă 6 km au nord du confluent de celui-ci avec le rĂo Paraná, dans l’extrĂŞme sud-est de l’actuelle petite localitĂ© de Puerto Gaboto, soit Ă une soixantaine de km au nord de la ville de Rosario. La petite colonie, qui vĂ©cut initialement en bons termes avec les indigènes, alla jusqu’à possĂ©der une chapelle, dans laquelle se cĂ©lĂ©brèrent des mariages entre Espagnols et Guaranis. Cependant, les mauvais traitements que ces derniers eurent Ă subir de la part des chefs espagnols les portèrent en 1527 Ă dĂ©truire complètement cette première implantation europĂ©enne, au bout de seulement deux ans et demi d’existence. Le fort, dont subsistent quelques vestiges, mis au jour par des fouilles menĂ©es en particulier dans la dĂ©cennie 2000, a Ă©tĂ© partiellement reconstruit et constitue aujourd’hui un parc archĂ©ologique et a rang de MusĂ©e national[1].
Histoire
Expédition de Sébastien Cabot
Le 3 avril 1526, une expédition, dirigée par Sébastien Cabot et composée d’un peu plus de deux cents hommes répartis sur quatre vaisseaux, prit la mer au départ du port Espagne|espagnol de Sanlúcar de Barrameda à destination des îles Moluques, via le détroit de Magellan.
DĂ©but novembre, elle atteignit Porto dos Patos (l’actuel FlorianĂłpolis) sur l’île Sainte-Catherine (aujourd’hui brĂ©silienne, Ilha de Santa Catalina), oĂą elle dĂ©couvrit deux naufragĂ©s du deuxième voyage de l’expĂ©dition de Juan DĂaz de SolĂs (Juan DĂaz de SolĂs avait Ă©tĂ© tuĂ© par les Indiens Charruas lors du premier voyage en 1516), qui l’informèrent des supposĂ©es richesses fabuleuses d’un roi blanc et d’un lieu dĂ©nommĂ© Sierra de la Plata. Ă€ l’écoute de ces rĂ©cits, Cabot dĂ©cida, pour son compte et sans en rĂ©fĂ©rer aux autoritĂ©s espagnoles, de s’écarter de sa mission (qui Ă©tait de trouver un itinĂ©raire de navigation plus court pour parvenir aux Indes), donc d’abandonner la destination des Moluques, et de mettre le cap, en fĂ©vrier 1527, vers le sud, jusqu’à l’embouchure du fleuve alors encore appelĂ© rĂo de SolĂs[2] (puisque De SolĂs en avait fait la dĂ©couverte en 1515), et que l’on commençait Ă nommer RĂo de la Plata. Il remonta le cours dudit fleuve jusqu’à une Ă®le qu’il nomma Saint-Gabriel (San Gabriel), l’ayant en effet abordĂ©e le 18 mars, c'est-Ă -dire Ă la saint Gabriel. Près de cette Ă®le, situĂ©e dans le territoire auquel ils donnèrent nom Bande orientale (correspondant grosso modo Ă l’Uruguay actuel), ils s’établirent dans un accul par eux nommĂ© San Lázaro, lequel donc est le premier Ă©tablissement europĂ©en dans cette partie de l’AmĂ©rique.
Entre-temps, ils avaient fait la rencontre du mousse Francisco del Puerto, unique survivant d’un petit dĂ©tachement qui, lors du premier voyage de De SolĂs, avait dĂ©barquĂ©, sous la conduite de ce dernier, sur le rivage et avait Ă©tĂ© attaquĂ© et massacrĂ© par les indigènes, Ă l’exception de Del Puerto, lequel, en raison sans doute de son âge, fut Ă©pargnĂ© et recueilli par les Indiens[3]. Del Puerto, libĂ©rĂ© par Cabot, s’offrit alors Ă leur signaler le chemin vers la convoitĂ©e Sierra de la Plata, qui en rĂ©alitĂ© se trouvait dans une rĂ©gion (non encore conquise) du PĂ©rou et du Haut-PĂ©rou[4]. En mai, Cabot dĂ©cida de laisser sur place les navires Trinidad et Santa MarĂa avec une trentaine d’hommes sous le commandement de AntĂłn de Grajeda, et les chargea de construire entre-temps un fort plus sĂ»r dans un endroit appelĂ© San Salvador[5], Ă©galement dans la Bande orientale. Le capitaine pour sa part repartit avec ce qui restait d’hommes Ă bord des vaisseaux San Gabriel et de la goĂ©lette Santa Catalina, naviguant sur le rĂo Paraná de las Palmas jusqu’à l’embouchure du rĂo Carcarañá dans le rĂo Coronda.
Fondation de Sancti Spiritu
Le 27 mai 1527, ils mirent pied Ă terre sur la rive gauche de la rivière Carcarañá, dans l’angle que forme cette rivière avec le rĂo Coronda, Ă six km environ au nord du confluent du Coronda et du rĂo Paraná, Ă mi-chemin entre les actuelles villes de Rosario et de Coronda. LĂ , sur une berge saillante de six mètres de haut, ils fondèrent le fort Sancti Spiriti et Ă©levèrent en outre une vingtaine de maisons, faisant ainsi de ce site le premier foyer de peuplement blanc sur le territoire de l’actuelle Argentine.
Dans les débuts de la colonie, les Indiens guaranà carcarañá consentirent à collaborer avec les Espagnols tant pour la construction du village que pour les cultures de blé et d’orge, qui furent les premières jamais effectuées en Amérique du Sud[6].
L’ecclĂ©siastique GarcĂa Ă©rigea una petite chapelle, la première qu’il y eut jamais dans le RĂo de la Plata, oĂą il lut la messe les dimanches, lundis et vendredis, et oĂą furent cĂ©lĂ©brĂ©s les premiers mariages entre olivâtres et blancs.
Les travaux de construction du fort furent achevés le 9 juin 1527, jour de la pentecôte, raison pour laquelle Cabot donna au fort le nom latin de Sancti Spiritu (Esprit saint). Le fort élevé sur la berge était cerné d’une douve de trois mètres de large pour quarante de long, formant demi-cercle et doublée d’une palanque faite de pieux pointus. Il possédait deux tours de guet et, au-dedans de l’enceinte, une maison de pisé à armature de bois et toit de chaume qui servait de quartier-général. Cabot se fit aménager dans le fort une pièce décorée de cuirs portant des dessins en relief.
L’on construisit Ă©galement une brigantine, et Cabot, après avoir nommĂ© Gregorio Caro capitaine du fort et lui avoir laissĂ© une trentaine d’hommes pour le dĂ©fendre, remonta le 23 dĂ©cembre avec 130 hommes d’équipage le fleuve Paraná Ă la recherche du roi blanc, et aborda une Ă®le qu’il baptisa Año Nuevo (Nouvel An). Il rĂ©solut toutefois bientĂ´t de retourner au rĂo Carcarañá, par crainte des indigènes dont il avait incendiĂ© les huttes et tuĂ© plusieurs d’entre eux — ce fut lĂ au demeurant la première tuerie d’indigènes dans cette partie de l’AmĂ©rique. Ensuite, il poursuivit son pĂ©riple jusqu’à l’embouchure du rĂo Paraguay, qu’il dĂ©passa, continuant vers l’amont sur le Paraná, jusqu’à atteindre en fĂ©vrier 1528 un hameau guaranĂ, dont le chef s’appelait YaguarĂłn ; il nomma ce lieu Santa Ana (Sainte-Anne), embryon de l’actuelle petite ville argentine d'ItatĂ, dans la province de Corrientes. Il entreprit ensuite de remonter la rivière Paraguay, s’avançant avec sa brigantine jusqu’à l’embouchure du rĂo Bermejo, oĂą l’expĂ©diton se trouva face Ă la tribu des Agaces, qui leur tendirent une embuscade, dans laquelle pĂ©rirent plusieurs hommes. Redoutant des dĂ©boires plus grands encore, il prĂ©fĂ©ra en avril 1528 revenir Ă Sancti Spiritu.
Entre-temps toutefois, en fĂ©vrier de cette mĂŞme annĂ©e, Ă©tait arrivĂ©e dans le RĂo de la Plata l’expĂ©dition de Diego GarcĂa de Moguer. Naviguant en avril sur le Paraná, il dĂ©couvrit fortuitement le fort Sancti Spiritu ; surpris et indignĂ©, il ordonna au capitaine Caro de quitter les lieux, ces terres lui appartenant en effet en exclusivitĂ© attendu que c’était lui qui avait Ă©tĂ© dĂ©signĂ© par l’Espagne pour les explorer. Mais, cĂ©dant aux instances de Caro et de ses gens qui le sollicitaient d’apporter son concours Ă Cabot, GarcĂa continua son incursion vers l’amont et finit par rencontrer, entre les actuelles localitĂ©s de Goya et de Bella Vista, le navigateur vĂ©nitien, qui sut achever de le convaincre et l’amener Ă coopĂ©rer avec lui dans le recherche de la Sierra de la Plata[7].
Cependant, à Sancti Spiritu, les Espagnols négligèrent la défense du fort et tendaient à relâcher la discipline, en particulier pendant les absences de Cabot[8]. Si, au début, les colons avaient vécu en bonne entente avec les indigènes des environs, Cabot bientôt crut de son devoir de les maltraiter, persuadé que le respect que les Indiens lui rendraient serait en proportion directe de l’ampleur des châtiments qui leur seraient infligés. Ce traitement, ainsi que les exactions à l’égard du cacique Yaguari et les appropriations forcées de femmes indigènes, ne réussirent qu’à éveiller la haine des Indiens, lesquels prirent le fort d’assaut le 1er septembre 1529 avant l’aube. Les Espagnols n’eurent d’autre ressource que de se précipiter vers les brigantines, et seuls quelques-uns réussirent à se sauver[9].
Ă€ ce mĂŞme moment, Sebastien Cabot et Diego GarcĂa de Moguer se trouvaient dans le poste de San Salvador, occupĂ©s Ă prĂ©parer hommes et embarcations, ignorant de ce qui se passait Ă Sancti Spiritu, jusqu’à ce que les eussent rejoints Gregorio Caro et les rescapĂ©s porteurs de la terrible nouvelle de la destruction du fort. AussitĂ´t Cabot et GarcĂa firent route vers le fort afin de sauver leurs hommes. Aux alentours de Sancti Spiritu, ils trouvèrent quelques cadavres horriblement mutilĂ©s, les brigantines dĂ©foncĂ©es et coulĂ©es, les entrepĂ´ts pillĂ©s et incendiĂ©s. Cabot alors prit la dĂ©cision de retourner en Espagne, oĂą il fut mis en jugement et condamnĂ© Ă quatre ans de bannissement Ă Oran. Il n’accomplira toutefois que la moitiĂ© de sa peine, car Charles Quint voudra le rĂ©tablir dans sa charge de pilote majeur. Ce qu’il rapporta de la Sierra del Plata incita d’autres voyageurs Ă explorer la rĂ©gion.
Seuls deux canons étaient demeurés sur place pour témoigner du premier ouvrage de fortification jamais élevé sur le territoire argentin.
Événements ultérieurs
Une tour du fort se maintint debout pendant plusieurs annĂ©es. En 1541, Domingo MartĂnez de Irala cloua une croix de bois parmi les ruines du fort et y laissa une lettre dans laquelle il relatait les dĂ©boires de la première tentative de fondation de Buenos Aires, laquelle lettre fut dĂ©couverte en 1545.
En 1573, Jerónimo Luis de Cabrera, le fondateur de la ville de Córdoba, se proposa d’établir sur le site un port appelé San Luis, comme point de desserte navigable à l’usage de la province de Córdoba fraîchement créée. Cependant, après confrontation avec son compatriote mais aussi rival Juan de Garay, qui descendait le fleuve venant d'Asuncion, avec le même objectif de créer des « ports de terres », mais cette fois à l’usage de la zone du Paraguay, et après que les deux hommes eurent discuté sur le propos de savoir lequel des deux détenait le droit royal de s’implanter sur le site de l’ancienne tour de Cabot (aucun des deux du reste n’avait ce droit), Cabrera, qu’on appela alors de Córdoba, dut quitter les lieux. Ainsi la zone demeura-t-elle sous juridiction de Garay, puis du cabildo de Santa Fe.
Au XVIIe siècle, les pères franciscains y créèrent une rĂ©duction d’Indiens, Ă partir duquel se forma plus tard un petit village. Charles Darwin, qui Ă©tait de passage dans ce village en 1832, observa comment le gouverneur de Santa Fe Estanislao LĂłpez exerçait des reprĂ©sailles fĂ©roces Ă l’encontre des Tobas, MocovĂs et Abipons.
En 1891 fut officiellement aménagé un port, qui reçut le nom de Puerto Gaboto, en souvenir du navigateur, la zone accueillant alors en effet une très importante immigration européenne, principalement en provenance d’Italie.
Le 4 février 1942, le gouvernement argentin, par décret nº 112765, déclara Lieu historique national le site où le fort fut fondé. Des fouilles entamées en 2006 permirent de mettre au jour des débris d’objets de céramique, de métal, de verre, de pierre, ainsi que des ossements et du charbon dans l’extrêmité sud de la localité de Puerto Gaboto, le long de la rivière Carcarañá, et de localiser ainsi l’ancien fort Sancti Spiritu[10].
Fouilles et reconstitution du fort
Antécédents
En 1898, le docteur Calixto Lassaga lança l’idĂ©e d’ériger Ă Puerto Gaboto un monument qui cĂ©lĂ©brât la première implantation europĂ©enne dans cette rĂ©gion du monde. L’historien Enrique de GandĂa, membre de l’AcadĂ©mie nationale d’histoire, voulut endosser ce projet, mais ne parvint pas Ă le concrĂ©tiser.
Au cours de la décennie 1940, l’architecte Oscar Mongsfeld commença des recherches sur le terrain afin de déterminer l’emplacement du fort et présenta, trente ans après, un projet de reconstitution. Celui-ci cependant fut retardé et Mongsfeld décéda sans avoir pu mettre en œuvre son idée. L’architecte Emilio Maisonnave, plusieurs années plus tard encore, reprit le projet, en l’actualisant en fonction des caractéristiques du terrain et en le complétant à partir des études d’Amadeo Soler, historien de Puerto Gaboto.
XXIe siècle
En décembre 2011, Guillermo Frittegotto, archéologue de Rosario, directeur de l’équipe de recherche instituée par le ministère de l’Innovation et de la Culture de la province de Santa Fe et par le Musée historique provincial de Rosario Dr. Julio Marc et cofinancée par le Conseil fédéral des Investissements, mit au jour de nouveaux vestiges de la structure du fort Sancti Spiritu, vestiges situés « en dehors de sa limite originale d’exploration (...) dans l’extrême sud-est de Puerto Gaboto, près du confluent des rivières Carcarañá et Coronda, à environ 15 mètres de chaque côté de ces deux cours d’eau. Cette zone pourrait être le remblai de la vallée d’inondation des deux rivières ». Il est précisé qu’en cherchant en dehors de l’aire du champ de fouilles originel « l’on eut la confirmation de la présence de structures dans le sous-sol, nous donnant à penser que le fort Sancti Spiritu allait au-delà des limites que nous avions imaginées jusque-là »[11]. En contrepartie, une portion du site colonial a inexorablement disparu en raison des caractéristiques géographiques du lieu et de l’action érosive des eaux.
Les déblayements ont fait émerger les restes d’un mur de pisé, qui faisait partie intégrante de la structure même du fort. Outre des ossements, l’on trouva différents types de céramique européenne, des outils indigènes, des objets métalliques (tels qu’une clef et des clous forgés à tête carrée typiques du XVIe siècle), et plus de 300 débris de verre[11].
Pour Frittegotto, la théorie d’archéologues uruguayens, selon laquelle le premier établissement espagnol se serait situé sur le territoire de l’actuel Uruguay, est fausse : « En réalité, il n’y eut là qu’une implantation éphémère (des Espagnols en Uruguay), mais même pour cela il n’y a pas d’éléments probants »[11].
Projet de reconstruction
Le projet propose que le terrain occupé par le futur monument Fort Sancti Spiritu ait la forme d’une ellipse dont les deux axes mesurent 90 et 66 mètres ; ce périmètre serait cerné d’un fossé et d’une palissade rustique faite de pieux verticaux en bois fichés dans un talus de terre consolidée. Au-dedans de ce périmère sera reconstruite la place d’armes, avec sa hampe principale pour hisser le drapeau, la chambre de Cabot sur l’axe principal à l’est, ses dépendances, les quartiers pour loger les gens de troupe et, enfin, les deux tours de guet.
Pour ce qui est de l’emplacement, il ne fait plus guère de doute que le site historique est à situer, selon ce que l’Académie national d’histoire a pu déterminer, sur un point sis non loin de la berge de la rivière Carcaraña et sujet au risque d’inondation en période de crues ; selon l’Académie, la peupleraie bordant le Carcarañá peut être considérée comme faisant partie dans toute son extension de la zone dépendant directement du fort. Appartient également à l’ensemble la Croix des navigants, se dressant à quelques encablures en aval du fortin, à l’embouchure de la Carcarañá dans la Coronda, réplique de la croix plantée là par Sébastien Cabot comme une sorte de phare signalant la présence de chrétiens. Enfin, pour compléter le site, compte tenu que le fort possédait un port doté d’un chantier naval et offrant un lieu d’amarrage aux navires, l’on s’efforcera d’obtenir une réplique d’une brigantine, si possible du San Telmo, qui fut construit sur les lieux.
Le projet tel qu’indiqué fut approuvé par l’assemblée législative provinciale de Santa Fe (loi 10875 du 15 octobre 1992), laquelle déclarait « d’intérêt provincial la construction du monument commémoratif Fort Sancti Spiritu dans la localité de Puerto Gaboto », et autorisa la commune à exécuter le projet sur terrains appropriés.
Le projet de reconstruction ne fut jamais mis à exécution en sa totalité, seule en effet ayant pu être menée à bien une phase initiale comprenant la douve, la palissade de pieux, le portail d’entrée et les hampes, en plus de la Croix des navigants disposée sur le confluent. En 2012, le site se trouvait à l’abandon, accaparé par les pâturages et défiguré par un complexe privé situé sur la même berge de la rivière, et quelques-uns de ses panneaux de présentation ont été dérobés.
Histoire de LucĂa de Miranda
L’origine de cette histoire remonte Ă un ouvrage de 1610, rĂ©digĂ© par Ruy DĂaz de Guzmán, criollo originaire d’Asuncion, intitulĂ© Historia Argentina del Descubrimiento, PoblaciĂłn y Conquista de las Provincias del RĂo de la Plata (litt. Histoire argentine de la dĂ©couverte, de la population et de la conquĂŞte des provinces du RĂo de la Plata), connu d’abord comme La Argentina, puis comme La Argentina manuscrita, ouvrage dans lequel apparaĂ®t un rĂ©cit ayant pour dĂ©cor le fort Sancti Spiritu et impliquant une jeune femme d’origine europĂ©enne, mais dont la vĂ©racitĂ© est mise en doute par les historiens.
Cette histoire relate les destinĂ©es de LucĂa de Miranda, noble jeune dame andalouse Ă©prise d’un soldat nommĂ© Sebastián Hurtado. Par suite de l’opposition des parents de la jeune fille, les amoureux dĂ©cidèrent de fuir leurs foyers respectifs et s’engagèrent dans l’expĂ©dition de SĂ©bastien Cabot. Il est Ă souligner que ces prĂ©misses du rĂ©cit ne figurent pas dans la chronique de Ruy DĂaz de Guzmán ; celui-ci prĂ©sente, dans le chapitre VII du Livre I, les deux personnages comme membres de la dotation espagnole du fort. Après que le couple se fut installĂ© Ă Sancti Spiritu, un cacique de la contrĂ©e, MangorĂ©, tombe amoureux de LucĂa. Cependant, comme celle-ci le repoussait, le cacique conçut le dessein d’enlever LucĂa et de dĂ©truire le fort, en profitant de ce que de nombreux Espagnols, parmi lesquels Hurtado lui-mĂŞme, s’étaient Ă©loignĂ©s du fort en quĂŞte de nourriture. Il y pĂ©nĂ©tra par ruse, en laissant Ă l’extĂ©rieur une troupe d’indigènes, qui se lancèrent Ă l’attaque quelque temps après, alors que les Espagnols dormaient. Au cours des combats qui s’ensuivirent, MangorĂ© fut tuĂ© par le capitaine Nuño de Lara, mais les Indiens, sous les ordres dĂ©sormais de son frère Siripo, dĂ©truisirent de toute façon le fort et enlevèrent LucĂa Miranda. Siripo s’enamoura Ă son tour de la jeune femme, en fit d’abord son esclave, puis l’éleva au statut d’épouse. Hurtado, revenu entre-temps au fort, tenta de dĂ©livrer son Ă©pouse, mais fut fait prisonnier. Siripo le condamna Ă mort, cependant l’Espagnole intercĂ©da et obtint que le cacique lui laissât la vie sauve et lui permĂ®t de demeurer sur les lieux, moyennant sa parole qu’ils ne se vissent point, ni qu’il n’eĂ»t plus aucun rapport avec elle. Siripo accorda une femme Ă Hurtado, mais avec le temps celui-ci finit par rompre le pacte, et, les amants dĂ©couverts, Siripo les condamna Ă mort. Sebastián Hurtado fut alors attachĂ© Ă un arbre et occis Ă coups de flèches, tandis que LucĂa fut brĂ»lĂ©e vive sur un bĂ»cher. Ce type de narration, mettant en scène un couple d’amoureux contrariĂ©s qui après avoir fui leurs familles, pĂ©rissent de la manière dĂ©crite, Ă©tait commune et apparaĂ®t dans plusieurs poèmes europĂ©ens de l’époque.
S’il n’a jamais pu être démontré qu’une femme eût pris part à l’expédition de Cabot[12], il existe en revanche des preuves de l’existence d’un nommé Sebastián Hurtado dans le fort. Il n’y a pas d’éléments probants permettant de trancher si le récit est légendaire ou véridique, même s’il est généralement admis qu’il s’agit d’une création de l’auteur.
Le poète et dramaturge Manuel José de Lavardén se saisira de cette histoire à la fin du XVIIIe et en fera le sujet de sa tragédie en vers Siripo (1786), et plus tard encore, dans les années 1920, le compositeur argentin Felipe Boero composera à partir de cette œuvre un drame musical homonyme.
Selon Luis Astrana MarĂn, auteur de la prĂ©face Ă l’édition en traduction espagnole des Ĺ“uvres complètes de Shakespeare publiĂ©e par l’éditeur Aguilar en 1960, le poète anglais devait connaĂ®tre quelqu’une des versions de cette histoire qui couraient en Europe vers le milieu du XVIe siècle, laquelle lui inspira peut-ĂŞtre les noms de Sebastian et Miranda, personnages de la TempĂŞte[13].
Références
- « Hallan nuevas ruinas del primer asentamiento europeo en el paĂs » (consultĂ© le )
- Abad de Santillán, p. 104-105
- Abad de Santillán, p. 97
- La foi que les Espagnols ajoutèrent à cette rumeur est une des origines du nom Argentina, cf. Rio de la Plata - Britannica.com Inc. Encyclopedia Britannica en ligne.
- Selon toute probabilitĂ©, il s’est agi d’un campement ou d’un fort improvisĂ© sis au confluent de l’actuel rĂo San Salvador avec le rĂo Uruguay.
- Abad de Santillán, pp. 106-107
- Abad de Santillán, p. 107
- Abad de Santillán, p. 107-108
- Abad de Santillán, p. 108
- Puerto Gaboto: historias ocultas a orillas del Carcarañá. Consulté le 15 novembre 2010.
- Hallan nuevos restos del Fuerte Sancti Spiritu en Puerto Gaboto, par Hugo Lucero Journal en ligne de l’agence de presse Telam, 27/12/2011.
- Abad de Santillán, p. 105
- (es) Luis Astrana MarĂn, William Shakespeare. Obras completas, Madrid, Aguilar, (OCLC 432726610), p. 105-106 :
« ... Il est possible que Shakespeare ait connu ce rĂ©cit et que le nom de LucĂa Miranda lui soit restĂ©. On ne s’explique pas autrement qu’il ait donnĂ© Ă une femme le nom de Miranda, comme son patronyme. En outre, Caliban parle du « dieu de sa mère », Setebos, nom qui figure dĂ©crit comme le grand diable des Patagons dans les Voyages de Magellans, que Shakespeare aurait lu dans l’original ou du moins en anglais Ă travers Eden´s History of Travaile (1577), et dans lesquels apparaissent Ă©galement les noms de Ferdinando, Sebastian, Alonso et González (que le dramaturge allait transformer en Gonzalo). »
Bibliographie
- (es) Diego Abad de Santillán, Historia Argentina, Buenos Aires, TEA (Tipográfica Editora Argentina).
Liens externes
- (es) Puerto Gaboto, el lugar donde comenzĂł la historia
- (es) Navegando con Magallanes y Gaboto
- (es) Film documentaire d'une station de télévision de Santa Fe
- (es) Film documentaire d'une station de télévision de Santa Fe