Figure Ă©tymologique
En grammaire, la figure Ă©tymologique (du latin figura etymologica) est une construction lexico-syntaxique dans laquelle on associe des mots ayant le mĂȘme radical. De telles constructions existent dans le langage courant, ainsi que dans des Ćuvres littĂ©raires et philosophiques, dans des discours et dans le journalisme, en tant que figures de style. Le terme provient de la rhĂ©torique, Ă©tant aussi adoptĂ© par la stylistique, comme appellation dâun procĂ©dĂ© dâinsistance, dâintensification par rĂ©pĂ©tition[1] - [2] - [3] - [4] - [5].
Les opinions divergent quant Ă la nature des composants des constructions pouvant ĂȘtre appelĂ©es figures Ă©tymologiques. Certains auteurs utilisent ce seul terme pour dĂ©signer les constructions formĂ©es de mots diffĂ©rents dĂ©rivĂ©s du mĂȘme radical (apparentĂ©s donc par lâĂ©tymologie)[6], ainsi que celles composĂ©es de formes flĂ©chies dâun mĂȘme mot[7]. Dâautres limitent cette appellation aux constructions de la premiĂšre catĂ©gorie[8]. Dans dâautres ouvrages, on utilise seulement le terme « polyptote » pour les deux types de constructions[9]. On trouve aussi le terme « dĂ©rivation » pour le premier type de construction, « polyptote » Ă©tant rĂ©servĂ© au second[10]. Il existe aussi une vision dans laquelle la figure Ă©tymologique est un cas particulier du polyptote[11]. Il y a Ă©galement des auteurs qui utilisent les termes « figure Ă©tymologique » et « polyptote », mais incluent parmi les figures Ă©tymologiques certaines constructions que dâautres considĂšrent comme des polyptotes[12]. Dâautres encore emploient le terme « figure Ă©tymologique » en tant que dĂ©signation commune, « parigmĂ©non » en tant quâĂ©quivalent de « dĂ©rivation » pour les constructions du premier type et « polyptote » pour celles du second[13].
Dans le langage courant, la figure Ă©tymologique est limitĂ©e au niveau du syntagme et de la phrase simple Ă deux termes, ayant ou non un rĂŽle dâinsistance, alors quâen tant que procĂ©dĂ© littĂ©raire, elle peut ĂȘtre prĂ©sente au niveau dâentitĂ©s syntaxique plus Ă©tendues, ayant toujours un rĂŽle dâinsistance.
La dérivation
La dĂ©rivation en tant que type de figure Ă©tymologique peut ne pas avoir de valeur dâintensification dans le langage courant.
Lâune de ces constructions est celle appelĂ©e à « complĂ©ment interne », lorsque le complĂ©ment dâobjet direct a le mĂȘme radical que son verbe rĂ©gissant. Elle est possible avec certains verbes intransitifs aussi, comme vivre[14]. Exemples :
- (fr) vivre sa vie, jouer gros jeu[14];
- (ro) Èi-a trÄit traiul « il/elle a vĂ©cu sa vie », a cĂąntat un cĂąntec « il/elle a chantĂ© une chanson », scrie o scrisoare « il/elle Ă©crit une lettre »[4] ;
- (en) to give a gift « faire un cadeau » (littéralement « donner un don »), to dance a dance « danser une danse »[1] ;
- (hu) éneket énekel « il/elle chante une chanson », éli az életet « il/elle vit la vie »[15].
Certains auteurs considÚrent également comme une figure étymologique la construction à complément interne exprimé par un radical différent de celui du verbe mais sémantiquement apparenté à celui-ci, ex. (fr) Dormez votre sommeil[6].
Il y a aussi dâautres constructions fondĂ©es sur la dĂ©rivation, comme :
- (ro) sapa sapÄ Â« la houe ameublit » (du radical du verbe a sÄpa « creuser », cf. (fr) saper)[4] ;
- (hu) uralkodĂł uralkodik « un roi rĂšgne » (du radical Ășr « seigneur »)[5] ;
- verbeâcomplĂ©ment dâobjet indirect : (ro) ⊠tot de-o moarte are sÄ moarÄ litt. « câest toujours dâune mort quâil mourra » (Ion CreangÄ)[2] ;
- Ă©pithĂšteânom : (hu) Az el nem mĂșlĂł mĂșlt « Le passĂ© qui ne passe pas » (titre dâarticle de presse)[5].
En tant que procĂ©dĂ© littĂ©raire, on rencontre la dĂ©rivation au niveau dâentitĂ©s syntaxiques plus Ă©tendues, comme la phrase complexe :
- (fr) Je montai dans un autobus plein de contribuables qui donnaient des sous Ă un contribuable qui avait sur son ventre de contribuable une petite boĂźte qui contribuait Ă permettre aux autres contribuables de continuer leur trajet de contribuables (Raymond Queneau)[16] ;
- (en) With eager feeding, food doth choke the feeder « La nourriture étouffe celui qui se nourrit gloutonnement » (William Shakespeare)[17] ;
- (ro) CĂąntÄreÈte-Èi necĂąntÄritele cuvinte « PĂšse tes mots non pesĂ©s » (Ion Minulescu)[3].
Le polyptote
Par le polyptote, considĂ©rĂ© ou non comme un type de figure Ă©tymologique, on reprend, dans la conception de Morier 1961 et dâautres auteurs, des formes flĂ©chies dâun mĂȘme mot, en fonction des traits grammaticaux (cas, nombre, temps ou mode verbal, etc.) qui caractĂ©risent une langue ou une autre[18] - [19].
Dans le langage courant, lâune des constructions est celle dâintensification dans laquelle les termes sont dans un rapport de possession, du genre (he) Ś©ŚŚš ŚŚ©ŚŚšŚŚ (Chir ha-chirim) « Cantique des Cantiques », cet exemple Ă©tant calquĂ© dans les nombreuses langues dans lesquelles on a traduit la Bible HĂ©braĂŻque[5]. Dans certaines grammaires, on appelle cette construction « superlatif populaire »[19]. Exemples :
- (ro) frumoasa frumoaselor litt. « la belle des belles », prostul proÈtilor litt. « le stupide des stupides »[19] ;
- (hu) szépek szépe litt. « beau/belle des beaux/belles », poklok pokla litt. « enfer des enfers »[20].
La construction appelĂ©e dans certaines grammaires « complĂ©ment double » exprime une gradation. Elle existe comme polyptote en hongrois, ex. ĂłrĂĄrĂłl ĂłrĂĄra « heure par heure »[21]. On ne peut pas la rendre par un polyptote dans les langues comme le français, oĂč la construction Ă©quivalente est analytique, le mot nâĂ©tant pas dĂ©clinĂ©.
En hongrois il y a encore dâautres constructions dâintensification par polyptote, comme :
- celle fondée sur le degré comparatif de supériorité, ex. szebbnél szebb litt. « plus beau/belle que plus beau/belle »[22] ;
- le verbe Ă un mode personnel intensifiĂ© par le mĂȘme au gĂ©rondif, ex. kĂ©rve kĂ©r litt. « il/elle prie en priant », vĂĄrva vĂĄr litt. « il/elle attend en attendant »[23].
Une autre construction Ă polyptote inclut selon certaines grammaires ce quâelles appellent un « complĂ©ment circonstanciel de relation ». Elle exprime une concession :
- avec le complément exprimé par un verbe :
- (hu) Ă lâinfinitif : Hallani hallom, de Ă©rteni nem Ă©rtem « Pour entendre, jâentends, mais pour comprendre, je ne comprends pas »[24] ;
- (ro) au participe : De citit, am citit « Pour lire, jâai lu »[25] ;
- avec le complément exprimé par un adjectif :
- (hu) SzĂ©pnek szĂ©p « Pour ĂȘtre beau/belle, il/elle est beau/belle »[26].
En tant que procĂ©dĂ© littĂ©raire, le polyptote aussi existe au niveau dâunitĂ©s syntaxiques plus Ă©tendues. Exemples :
- (fr) Et lâon sait tout chez moi, hors ce quâil faut savoir (MoliĂšre)[27] ;
- (ro) Dar ce nu pot pricepe ea pricepu, de plĂąnge? « Mais ce que je ne peux pas comprendre, le comprit-elle, puisquâelle pleure ? » (Tudor Arghezi)[19] ;
- (en) Judge not, that ye be not judged « Ne jugez point, afin que vous ne soyez point jugĂ©s » (Ăvangile selon Matthieu)[28] ;
- (hu) Szemet szemĂ©rt « Ćil pour Ćil » (Livre de l'Exode)[22].
Références
- Bussmann 1998, p. 409.
- Dragomirescu 1995, article parigmenon.
- Bidu-VrÄnceanu 1997, p. 201.
- Constantinescu-Dobridor 1998, article figurÄ etimologicÄ.
- SzathmĂĄri 2008, article Figura etymologica.
- TLFi, article Ă©tymologique
- Par exemple GĂĄspĂĄri 2002 (p. 293).
- Par exemple Constantinescu-Dobridor 1998 (article figurÄ etimologicÄ) ou Dragomirescu 1995 qui utilise le terme parigmenon comme synonyme de « figure Ă©tymologique » (article parigmenon).
- Par exemple dans Farnsworth 2011 (p. 63â73).
- Par exemple dans Morier 1961 (p. 927).
- Par exemple dans Bussmann 1998 (p. 409).
- Par exemple SzathmĂĄri 2008 (article PoliptĂłton).
- Par exemple Bidu-VrÄnceanu 1997, p. 201.
- Grevisse et Goosse 2007, p. 322.
- Kålmånné Bors et A. Jåszó 2007, p. 378.
- TLFi, article polyptote.
- Farnsworth 2011, p. 64.
- Morier 1961, p. 927.
- Bidu-VrÄnceanu 1997, p. 368.
- SzathmĂĄri 2008, article Epitheton.
- Kålmånné Bors et A. Jåszó 2007, p. 386.
- SzathmĂĄri 2008, article PoliptĂłton.
- Cs. Nagy 2007, p. 238.
- Kålmånné Bors et A. Jåszó 2007, p. 408.
- Avram 1997, p. 390â391.
- LaczkĂł 2006, p. 302.
- Robrieux 1993, p. 57.
- Farnsworth 2011, p. 63.
Sources bibliographiques
- (ro) Avram, Mioara, Gramatica pentru toÈi [« Grammaire pour tous »], Bucarest, Humanitas, (ISBN 973-28-0769-5)
- (ro) Bidu-VrÄnceanu, Angela et al., DicÈionar general de ÈtiinÈe. ÈtiinÈe ale limbii [« Dictionnaire gĂ©nĂ©ral des sciences. Sciences de la langue »], Bucarest, Editura ÈtiinÈificÄ, (ISBN 973-440229-3, lire en ligne)
- (en) Bussmann, Hadumod (dir.), Dictionary of Language and Linguistics [« Dictionnaire de la langue et de la linguistique »], Londres â New York, Routledge, (ISBN 0-203-98005-0, lire en ligne [PDF])
- (ro) Constantinescu-Dobridor, Gheorghe, DicÈionar de termeni lingvistici [« Dictionnaire de termes linguistiques »] (DTL), Bucarest, Teora, (sur Dexonline.ro)
- (hu) Cs. Nagy, Lajos, « Mondattan », dans A. Jåszó, Anna (dir.), A magyar nyelv könyve [« Le livre de la langue hongroise »], Budapest, Trezor, , 8e éd. (ISBN 978-963-8144-19-5, lire en ligne), p. 321-344
- (ro) Dragomirescu, Gheorghe, DicÈionarul figurilor de stil. Terminologia fundamentalÄ a analizei textului poetic [« Dictionnaire des figures de style. Terminologie fondamentale de lâanalyse du texte poĂ©tique »] (DFS), Bucarest, Editura ÈtiinÈificÄ, (ISBN 973-4401-55-6, sur Dexonline.ro)
- (en) Farnsworth, Ward, Farnsworth's Classical English Rhetoric [« Rhétorique anglaise classique »], Jaffrey (New Hampshire), David R. Godine, (ISBN 978-1-56792-385-8, lire en ligne)
- (hu) GĂĄspĂĄri, LĂĄszlĂł, « A gondolatalakzatok kĂ©rdĂ©skörĂ©rĆl (az ismĂ©tlĂ©s) » [« Sur la question des figures de style (la rĂ©pĂ©tition) »], Magyar NyelvĆr, vol. 126, no 3,â , p. 284-297 (lire en ligne [PDF], consultĂ© le )
- Grevisse, Maurice et Goosse, André, Le Bon usage, Bruxelles, De Boeck Université, , 14e éd. (ISBN 978-2-8011-1404-9)
- (hu) Kålmånné Bors, Irén et A. Jåszó, Anna, « Az egyszerƱ mondat », dans A. Jåszó, Anna (dir.), A magyar nyelv könyve [« Le livre de la langue hongroise »], Budapest, Trezor, , 8e éd. (ISBN 978-963-8144-19-5, lire en ligne), p. 345-436
- (hu) LaczkĂł, Krisztina, « 15. fejezet â Az Ășjmagyar Ă©s az Ășjabb magyar kor », dans Kiefer, Ferenc (dir.), Magyar nyelv [« Langue hongroise »], Budapest, AkadĂ©miai KiadĂł, (ISBN 963-05-8324-0, sur DigitĂĄlis TankönyvtĂĄr), p. 283-305 (PDF Ă tĂ©lĂ©charger)
- Morier, Henri, Dictionnaire de poétique et de rhétorique, Paris, Presses Universitaires de France,
- Robrieux, Jean-Jacques, ĂlĂ©ments de rhĂ©torique et dâargumentation, Paris, Dunod, (ISBN 2-10-001480-3)
- (hu) Szathmåri, Istvån (dir.), Alakzatlexikon. A retorikai és stilisztikai alakzatok kézikönyve [« Lexicon des figures. Guide des figures rhétoriques et stylistiques »], Budapest, Tinta,
- « Trésor de la langue française informatisé (TLFi) » (consulté le )
Bibliographie supplémentaire
- Cyril Aslanov, « Camoufler la parentĂ© : la figure Ă©tymologique estompĂ©e », Revue romane, Amsterdam, vol. 36, no 2,â , p. 235-254 (ISSN 1600-0811, lire en ligne [PDF], consultĂ© le )