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Dommage en droit civil français

Le dommage est traditionnellement dĂ©fini en droit civil français comme l'atteinte Ă  un intĂ©rĂȘt patrimonial ou extra-patrimonial d'une personne que l'on appelle victime.

Le préjudice est synonyme de « dommage » dans l'usage commun. Il s'agit des conséquences juridiques d'un dommage subi par une personne physique ou morale dans son intégrité physique, dans ses biens, dans ses sentiments, dans son honneur. Le préjudice est le fait que le dommage fait naßtre, chez la victime, un droit à réparation. Ainsi, si le dommage correspond à un fait matériel, le préjudice correspond à sa conséquence qui entraßne le droit à réparation et à l'indemnisation.

Origine du terme et sémantique

Le terme de «dommage», entrĂ© dans la langue française au cours du XIe siĂšcle, dĂ©rive du latin damnum puis de l'ancien français dam oĂč il Ă©voque alors le chĂątiment des damnĂ©s privĂ©s de la prĂ©sence divine[1]. Son sens a Ă©voluĂ© au cours du temps pour dĂ©signer aujourd'hui, dans son acception courante, le « prĂ©judice portĂ© Ă  quelqu'un, le dommage causĂ© Ă  une chose »[2]. Le terme est prĂ©sent, dans le langage juridique, au sein du droit de la responsabilitĂ© dont il constitue une condition fondamentale de mise en Ɠuvre. Ainsi, les articles 1240[3] et suivants mentionnent tous l'existence d'un dommage comme conditrion essentielle de la condamnation[4].

Cette notion, «omĂ©ga du droit de la responsabilitĂ© civile »[5], qui «évite bien des altermoiements et des hĂ©sitations par lesquelles l'ordre moral paralyse ou perturbe le droit Ă  indemnisation»[6], tend Ă  former pour la jurisprudence et la trĂšs grande majoritĂ© de la doctrine un synonyme avec le terme de prĂ©judice[1]. Certains auteurs proposent nĂ©anmoins une distinction entre ces deux notions[7] - [8] - [9] - [10] - [11]tandis que d'autres s'y opposent[12]. Le dommage serait ainsi dĂ©fini comme l'atteinte portĂ©e Ă  la victime et le prĂ©judice par les consĂ©quences juridiques de cette atteinte[1]. Cette approche se veut fidĂšle au Droit romain oĂč, dans la lex aquilia, lorsqu'un damnum injuria datum Ă©tait commis, seule pouvait ĂȘtre rĂ©parĂ©e la perte de la chose dĂ©truite (damnum) «d'aprĂšs la plus haute valeur de la chose dans l'annĂ©e prĂ©cĂ©dant le dĂ©lit»[13]. Ses partisans y voient l'idĂ©e que le droit romain, qui a dĂ©fini plus tard sous le Haut-Empire la notion de prĂ©judice, l'a fait par opposition Ă  celle de dommage[1].

Notion de dommage en droit français

Le dommage est l'atteinte Ă  l'intĂ©rĂȘt patrimonial ou extra-patrimonial d'une personne physique ou morale (la victime). La victime peut ĂȘtre « immĂ©diate », c'est-Ă -dire lorsqu'elle subit le prĂ©judice de façon immĂ©diate. Elle peut ĂȘtre Ă©galement « par ricochet », c'est-Ă -dire lorsqu'elle subit le prĂ©judice de façon mĂ©diate, donc par l'intermĂ©diaire de la victime d'un prĂ©judice. Il existerait trois types de dommages : le dommage corporel, le dommage matĂ©riel et le dommage moral. Mais parce que cette prĂ©sentation n'est qu'une construction juridique qui s'avĂšre ĂȘtre de moins en moins adaptĂ©e Ă  la rĂ©alitĂ© qu'elle entend rĂ©gir, certains auteurs s'appuient sur l'aspect juridique et nĂ©cessairement artificiel de la notion pour la faire Ă©voluer et proposer ainsi une conception diffĂ©rente[14]. En 2016, la loi pour la reconquĂȘte de la biodiversitĂ©, de la nature et des paysages a introduit un quatriĂšme type de dommage : le dommage Ă©cologique.

En vertu de l'adage “Nemo ex alterius facto praegravari debet[15] », on sait que le principe de la rĂ©paration intĂ©grale du prĂ©judice induit que tout le prĂ©judice doit ĂȘtre rĂ©parĂ©. Il s’agit d’une application de l’ancien article 1149 du code civil devenu Ă  droit constant le nouvel article 1231-2 : “Les dommages et intĂ©rĂȘts dus au crĂ©ancier sont, en gĂ©nĂ©ral, de la perte qu'il a faite et du gain dont il a Ă©tĂ© privĂ©, sauf les exceptions et modifications ci-aprĂšs. »

Types de dommages

Dommage corporel

Il s'agit d'une atteinte à l'intégrité physique d'une personne, aussi qualifiée de préjudice physiologique ou fonctionnel (amputation d'un membre, etc.). La réparation est alors fixée en fonction du taux d'incapacité.

Celle-là se réfÚre à l'impossibilité d'effectuer certaines activités, la privation totale ou partielle, provisoire ou définitive des plaisirs de la vie et des joies de l'existence (par exemple impossibilité de pratiquer un sport, une activité artistique, perte du goût, trouble de la vie sexuelle) mais également le préjudice d'esthétique consistant dans la persistance d'une disgrùce permanente chez la victime (cicatrices, enlaidissement). Le dommage corporel peut aussi emporter un préjudice économique (par exemple des pertes de salaires résultant de l'incapacité de travailler aprÚs l'accident, frais médicaux, frais d'appareillages, etc).

En droit du dommage corporel, il convient de distinguer entre le dommage d’une part, qui est une atteinte Ă  l’intĂ©gritĂ© physique ou psychique de la personne, et le prĂ©judice rĂ©parable d’autre part, qui relĂšve d’une atteinte aux droits subjectifs de la personne, qu’ils soient patrimoniaux ou personnels.

Dommage matériel

Il s'agit d'une atteinte au patrimoine de la victime. En d'autres termes ce sont ceux qui, consĂ©cutifs Ă  une atteinte aux biens d'une personne, consistent en la lĂ©sion d'intĂ©rĂȘts de nature Ă©conomique. Le prĂ©judice matĂ©riel ouvre droit Ă  une indemnisation dont la valeur est apprĂ©ciĂ©e souverainement par les juges du fond en fonction du principe de la rĂ©paration intĂ©grale du prĂ©judice. Cette indemnisation se dĂ©ploie dans deux directions : la perte subie (damnum emergens) et le gain manquĂ© (lucrum cessans).

Dommage moral

MĂȘme si les prĂ©judices donnent lieu Ă  une rĂ©paration pĂ©cuniaire ayant vocation Ă  entrer dans le patrimoine de la victime, certains ne lĂšsent que des intĂ©rĂȘts de nature extrapatrimoniale, raison pour laquelle on les qualifie souvent de prĂ©judices moraux. Ces prĂ©judices moraux, comme l'atteinte Ă  l'honneur, Ă  la rĂ©putation et au crĂ©dit de la personne mĂ©ritent d'ĂȘtre rĂ©parĂ©s, que la victime soit une personne physique ou morale. Cependant pendant trĂšs longtemps, la jurisprudence a refusĂ© de rĂ©parer le prĂ©judice moral Ă©tant donnĂ© la difficultĂ© d'apprĂ©ciation et le principe selon lequel « les larmes ne se monnaient pas »[16].

Certains préjudices moraux sont particuliers à la personne physique, en effet c'est le cas du pretium doloris (le prix de la douleur). La liste, non exhaustive et indéterminée, inclus notamment :

  • les souffrances physiques endurĂ©es par la victime d'un dommage corporel
  • le prĂ©judice d'affection liĂ© Ă  la souffrance morale causĂ©e par le dĂ©cĂšs d'un proche, voire par la perte d'un animal
  • le prĂ©judice sexuel,
  • le prĂ©judice esthĂ©tique
  • et plus largement le prĂ©judice d'agrĂ©ment (que la jurisprudence dĂ©finit comme la perte ou la diminution de la pratique d'une activitĂ© par rapport Ă  la pratique faite avant la survenue de l'accident)

Par exemple, en 2008, une instance d'arbitrage nommĂ©e par Christine Lagarde a condamnĂ© une banque publique Ă  verser Ă  Bernard Tapie une indemnisation de 45 millions d'euros (405 millions avec intĂ©rĂȘts) au titre de « prĂ©judice moral » causĂ© avec ses affaires[17].

Dommage Ă©cologique

La loi du 8 aoĂ»t 2016 pour la reconquĂȘte de la biodiversitĂ©, de la nature et des paysages a introduit dans le code civil la notion de prĂ©judice Ă©cologique, qui constitue donc un quatriĂšme type de dommage[18].

Dommages et intĂ©rĂȘts exemplaires ou punitifs

Cette notion n'existe actuellement pas en droit français en France[19]mĂȘme si les dommages et intĂ©rĂȘts peuvent y atteindre des montants importants[20]. Elle existerait par contre en droit quĂ©bĂ©cois, droit civil d'origine française. Son usage est attestĂ© dans plusieurs systĂšmes de common law, notamment aux États-Unis (punitive damages). Dans tous les cas, ces dommages visent notamment Ă  dissuader le responsable du prĂ©judice de s'engager de nouveau dans des actes menant Ă  de tels dommages. Aux États-Unis, c'est le jury qui fixe la somme due, laquelle est accordĂ©e Ă  la victime bien que le dommage se rĂ©fĂšre Ă  la sociĂ©tĂ©, par la notion de dissuasion.

CaractÚres du dommage réparable

Le dommage doit ĂȘtre certain

Pour ĂȘtre rĂ©parable, le dommage doit ĂȘtre certain. D'oĂč la nĂ©cessitĂ© qu'existe une vĂ©ritable lĂ©sion subie par la victime, laquelle doit pouvoir dĂ©montrer qu'elle a Ă©prouvĂ© une perte ou une dĂ©gradation par rapport Ă  un Ă©tat antĂ©rieur.

L'exigence d'un dommage certain signifie surtout qu'il ne peut y avoir de responsabilité que si l'on a la certitude que le dommage s'est déjà réalisé (préjudice actuel) ou se réalisera (préjudice futur).

  • Le dommage certain s'oppose ainsi au dommage Ă©ventuel, trop hypothĂ©tique pour ĂȘtre rĂ©parĂ©. La victime doit rapporter la preuve de la matĂ©rialitĂ© et l'effectivitĂ© du prĂ©judice. selon les juges du fond, la simple exposition Ă  un risque ne constitue pas un dommage certain, il ne peut donc ĂȘtre indemnisĂ©.
  • Au contraire, le dommage futur est rĂ©parable. Le prĂ©judice, bien que futur, peut ĂȘtre rĂ©parĂ© par l'allocation de dommages-intĂ©rĂȘts Ă  la victime si ce dernier est le prolongement certain et direct de l'Ă©tat actuel.
  • La perte de chance est aussi un dommage rĂ©parable. C'est la disparition par le fait du dĂ©fendeur d'une Ă©ventualitĂ© favorable qui devait se produire dans un avenir proche et qui n'a pas pu ĂȘtre tentĂ©e (c'est l'exemple de l'avocat qui n'a pas fait appel dans le dĂ©lai requis, et qui a fait perdre Ă  son client la chance de gagner).

Le dommage doit ĂȘtre la consĂ©quence directe du fait gĂ©nĂ©rateur de responsabilitĂ©

Pour que le prĂ©judice soit rĂ©parable, il doit dĂ©couler du fait gĂ©nĂ©rateur de responsabilitĂ©. Le problĂšme se pose quant Ă  savoir jusqu'oĂč peut-on remonter dans les causes du phĂ©nomĂšne. Ainsi, deux thĂ©ories se dĂ©gagent de cette problĂ©matique :

  • la thĂ©orie de la causalitĂ© adĂ©quate : on ne retient comme cause du dommage, parmi tous les Ă©vĂšnements qui ont concouru Ă  sa rĂ©alisation, celui qui l'a rendu le plus probable.
  • la thĂ©orie de l'Ă©quivalence des conditions : tout Ă©vĂ©nement ayant concouru de prĂšs ou de loin Ă  la rĂ©alisation du dommage en est rĂ©putĂ© ĂȘtre la cause.

Sous couvert de leur pouvoir souverain d'appréciation, les juges font plutÎt application de la théorie de la causalité de l'équivalence des conditions.

Le dommage doit porter atteinte Ă  un intĂ©rĂȘt lĂ©gitimement protĂ©gĂ©

L'atteinte Ă  un intĂ©rĂȘt lĂ©gitime suffit; l'absence d'atteinte a un droit n'exclut pas la rĂ©paration du dommage[21]. Le dommage doit prĂ©senter un caractĂšre licite c'est-Ă -dire que l'intĂ©rĂȘt lĂ©sĂ© doit ĂȘtre lĂ©gitime.

Il s'agit de l'application de l'article 31 du code de procédure civile :

L'action est ouverte Ă  tous ceux qui ont un intĂ©rĂȘt lĂ©gitime au succĂšs ou au rejet d'une prĂ©tention, sous rĂ©serve des cas dans lesquels la loi attribue le droit d'agir aux seules personnes qu'elle qualifie pour Ă©lever ou combattre une prĂ©tention, ou pour dĂ©fendre un intĂ©rĂȘt dĂ©terminĂ©.

Il s'agit Ă©galement de l'application de la jurisprudence en son fameux arrĂȘt Perruche[22].

La condition de la licéité du dommage a longtemps été opposée à une victime particuliÚre, la concubine, victime par ricochet de la mort accidentelle de son compagnon. Cependant, aujourd'hui cette réparation a été admise, y compris en cas de concubinage adultérin. Mais la condition de légitimité du préjudice n'a pas disparu pour autant. Ainsi, une victime ne peut obtenir la réparation de la perte de ses rémunérations que si celles-ci sont licites (déclarées).

La réparation du dommage

En matiÚre de responsabilité délictuelle, on dédommage l'ensemble du préjudice, tandis qu'en responsabilité contractuelle, seulement ce que stipulait le contrat. L'article 1231-3 du code civil prévoit que seule la réparation du dommage prévisible au jour de la conclusion du contrat est possible. De plus cet article précise que si l'inexécution du contrat est dû à une faute lourde ou dolosive de la part du débiteur, alors c'est l'intégralité du préjudice qui sera réparé.

Notes et références

  1. Denis Alland et Stéphane Rials, , PUF, 2014, 1696 p. (ISBN 9782130539360), Faute
  2. Dictionnaire encyclopédique Larousse
  3. Anciennement 1382 et suivants
  4. ClĂ©ment François, , Éditions Jean Domat, 2020, 690 p. (ISBN 9782380410105)
  5. Georges Durry, « Rapport de synthĂšse au colloque «Le prĂ©judice, questions choisies» », ResponsabilitĂ© civile et assurance-NumĂ©ro spĂ©cial,‎ , p. 32
  6. Denis Mazeaud, « Encore de la responsabilitĂ© civile », ResponsabilitĂ© civile et assurance-NumĂ©ro spĂ©cial,‎ , p. 1
  7. F. Benoilt, « Essai sur les conditions de la responsabilitĂ© civile en droit public et privĂ© », JurisClasseur PĂ©riodique, vol. 1,‎ , p. 1351
  8. LoĂŻc Cadiet, Le prĂ©judice d'agrĂ©ment (ThĂšse pour le Doctorat d'État en Droit), Poitiers, , 682 p.
  9. André Tunc, , Montchrestien, 1965-6Úme édition, p. 16-Tome 1
  10. Isabelle Poirot-MazĂšres, « La notion de prĂ©judice en droit administratif », RDP,‎ , p. 519
  11. S. Rouxel, Recherches sur la distinction du dommage et du préjudice en droit civile français (ThÚse), Grenoble II,
  12. Denis Mazeaud,«Ils sont du temps à perdre», Cours de responsabilité civile, Panthéon-Assas
  13. A. Giffard et R. Villers, Droit romain et ancien droit français (obligations), Précis Dalloz, 3e éd., n°368
  14. Par ex. Ch. Broche, "la notion juridique de dommage en droit de la responsabilité civile extracontractuelle", thÚse 2010, Université de Grenoble
  15. Personne ne doit ĂȘtre appauvri par le fait d'autrui.
  16. Jacqueline MORAND-DEVILLER, Droit administratif : cours, thĂšmes de rĂ©flexion, commentaires d'arrĂȘts avec corrigĂ©s, Issy-les-Moulineaux, Jacqueline MORAND-DEVILLER, , 808 p. (ISBN 978-2-275-04251-0), p. 738
  17. https://www.lemonde.fr/argent/article/2015/02/18/indemnites-pour-prejudice-moral-l-affaire-tapie-a-change-les-regles-fiscales_4578830_1657007.html
  18. Code civil, article 1246 à 1252 sur la réparation du préjudice écologique
  19. Le propre de la responsabilitĂ© civile est de rĂ©tablir, aussi exactement que possible, l'Ă©quilibre dĂ©truit par le dommage et de replacer la victime dans la situation oĂč elle se trouvait si l'acte dommageable n'avait pas eu lieu. Cass. 2Ăšme civ, 28 octobre 1954. Bulletin civil II, n° 328.
  20. 3,5 millions d'euros dans l'Affaire Perruche
  21. Crim., 20 février 1863,S.1863,1, p. 321, DP1864,1, p. 99.
  22. Cass. Ass. plén., 17 novembre 2000, Bull. civ. no 9 p. 15

Annexes

Articles connexes

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