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Crise d'Abadan

La crise d'Abadan s'est déroulée entre 1951 et 1954, après la nationalisation par l'Iran des installations de l'Anglo-Iranian Oil Company (AIOC) en mars 1951 et l'expulsion des sociétés pétrolières britanniques des raffineries de la ville d'Abadan (voir raffinerie d'Abadan). La crise plomba très vite l'économie du pays et la situation politique dégénéra. La crise atteignit son sommet avec la tentative de coup d'état menés par les services secrets britanniques et américains, l'exil du chah Mohammad Reza Pahlavi et qui se solda par le renversement du premier ministre Mohammad Mossadegh. La crise prit fin en octobre 1954 avec la signature de nouveaux contrats pétroliers avec les compagnies occidentales pour 25 ans, ce qui coïncide avec la fin du règne de Mohammad Reza Shah Pahlavi lors de la révolution iranienne.

Prélude

Puits de pétrole à Masjed Soleiman, propriété de l'AIOC.

Abadan est une ville situĂ©e sur les rivages du golfe Persique, oĂą l'on dĂ©couvrit du pĂ©trole en 1908. Lors des 40 annĂ©es suivantes, les pays dĂ©veloppĂ©s, et notamment la Grande-Bretagne, firent de la raffinerie d'Abadan la plus grande raffinerie du monde. La raffinerie, comme toutes les autres installations pĂ©trolières dans cette partie de l'Iran Ă©taient la propriĂ©tĂ© de l'Anglo-Iranian Oil Company (AIOC). Dans le but d'obtenir plus de revenus pour le pays, le gouvernement de Reza Chah conclut un nouvel accord avec la sociĂ©tĂ© britannique en 1933. Après cela, sur une pĂ©riode de 60 ans, selon l'accord, l'Iran perçut environ 8 % du produit net de la vente de pĂ©trole brut, sans compter les recettes du raffinage et de la vente de produits pĂ©troliers finis[1]. En 1947, l'AIOC obtint un produit net de 40 millions ÂŁ, dont 7 millions ÂŁ furent versĂ©s Ă  l'Iran, ce qui correspond Ă  seulement 18 % des revenus complets[2].

Pendant la Seconde Guerre mondiale et la crise irano-soviĂ©tique qui suivit, l'Iran ne songeait pas Ă  une rĂ©vision de l'accord de 1933. L'Iran fut occupĂ© jusqu'en 1944 par les troupes alliĂ©es (jusqu'en 1946 pour les soviĂ©tiques) et ne peut recouvrir sa capacitĂ© d'action indĂ©pendante qu'en 1947. Lors de la guerre, les AlliĂ©s avaient rĂ©visĂ© l'accord pour orienter la production pĂ©trolière ainsi que ses revenus vers l'effort de guerre ; le gouvernement iranien voulait parvenir Ă  une solution comparable au Venezuela, dont la version rĂ©visĂ©e en 1942 de toutes les concessions pĂ©trolières prĂ©voyait une rĂ©partition 50/50 du produit net. En fĂ©vrier 1949, les nĂ©gociations entre l'AIOC et le ministre des Finances Abbas Gholi Golshaiyan du gouvernement de Mohammad Sa'ed commencèrent, dans le but de rĂ©viser l'accord de 1933[3].

Les nĂ©gociations aboutirent Ă  un accord, de sorte qu'une nouvelle commission fut crĂ©Ă©e en 1950 par le Parlement nouvellement Ă©lu, pour traiter du sujet des concessions pĂ©trolières. Le prĂ©sident de cette commission a d'abord Ă©tĂ© Allahyar Saleh, puis plus tard Mohammad Mossadegh, leader du Front National. En 1950, la nĂ©gociation de l'Arabian-American Oil Company (ARAMCO) avec les Saoudiens sur un nouvel accord, prĂ©voyait une rĂ©partition 50/50 des revenus pĂ©troliers nets du grand pays de la pĂ©ninsule arabique. Pour le gouvernement iranien, le Parlement et le Shah, il Ă©tait naturel qu'un système similaire soit mis en place avec l'AIOC. Si l'AIOC n'accĂ©dait pas Ă  ces demandes, l'industrie pĂ©trolière devrait ĂŞtre nationalisĂ©e. Les nĂ©gociations du gĂ©nĂ©ral-premier ministre Haj Ali Razmara avec l'AIOC ne purent ĂŞtre terminĂ©s car, le 7 mars 1951, Razamra fut abattu par un membre du Fedayin de l'Islam, Khalil Tahmasbi. L'ayatollah Kashani dĂ©clara que le tueur de Razmara Ă©tait un « sauveur du peuple iranien » et demanda sa libĂ©ration immĂ©diate. Le lendemain, la nationalisation de l'industrie pĂ©trolière fut approuvĂ©e par la Commission PĂ©trolière du Parlement[4].

L'AIOC était pour les Britanniques « l'actif le plus important à l'étranger » et « une source de fierté nationale » dans l'après-guerre de Clement Attlee et Ernest Bevin. Même « dans les années 1940 et au début des années 1950, certains responsables britanniques de haut rang croyaient encore que le pétrole persan était en fait à juste titre du pétrole britannique puisqu'il avait été découvert par les Britanniques, développé par des capitaux britanniques, et exploité grâce à l'habileté et à l’ingéniosité britanniques »[5].

À l'opposé, le futur Premier ministre Mossadegh estimait que la concession de 1933 accordée à l'AIOC par l'Iran était « immorale et illégale », contestant alors tous les aspects de la présence commerciale britannique en Iran[6]. Les Britanniques dirent plus tard qu'ils craignaient que, si la politique de Mossadegh l'emportait, « les nationalistes de par le monde pourraient abroger les concessions britanniques en toute impunité »[6].

La nationalisation de l'industrie pĂ©trolière, si elle s'est vue soutenue par la totalitĂ© du peuple iranien, a des attraits diffĂ©rents selon les uns et les autres. Pour le parti communiste Tudeh la nationalisation Ă©tait une Ă©tape importante dans la mise en place d'un Iran socialiste. Pour Mohammad Mossadegh et son parti le Front national, cela allait plus avec la souverainetĂ© politique et l'honneur national. Les islamiques et leurs partisans y ont vu une lutte contre l'occidentalisation (gharbsadegi) de l'Iran, critiquant Razmara qui se souciait de la praticabilitĂ© d'une telle loi, et freinait la nationalisation, cherchant Ă  prendre toutes les prĂ©cautions nĂ©cessaires, ce qui le fit passer pour un agent des Britanniques (Alors que Razmara s'Ă©tait rapprochĂ© de l'URSS). Il souligna que le pĂ©trole comme toutes les ressources naturelles appartenaient dĂ©jĂ  au gouvernement iranien en raison d'un article constitutionnel et qu'il Ă©tait donc question seulement de la nationalisation des raffineries et de l'industrie pĂ©trolière. Razmara dit, lors d'une sĂ©ance au Majlis, le Parlement: « Je veux très clairement dire ici que l'Iran ne dispose actuellement pas des moyens industriels pour extraire son pĂ©trole et le vendre sur le marchĂ© mondial [...] Messieurs, vous ne pourriez mĂŞme pas gĂ©rer une usine de ciment avec les employĂ©s Ă  votre disposition. [...] Je le dis très clairement, cela met en danger la richesse et les ressources de notre pays, et ce serait commettre une trahison envers notre peuple. ». Ce Ă  quoi Mossadegh rĂ©pondit : « Je pense que les Iraniens ne ressentent que de la haine envers ce que le premier ministre a dit, et considèrent le gouvernement illĂ©gitime, pour se livrer Ă  une telle humiliation aussi servilement. Il n'y a aucun moyen de passer outre la nationalisation du pĂ©trole. »[7].

Nationalisation

Mohammad Mossadegh, dirigeant du Front national, nommé premier ministre par Mohammad Reza Shah Pahlavi

Que les nĂ©gociations menĂ©es par Razmara aient pu aboutir relèvent du mystère. Une semaine après son assassinat, le projet de loi de nationalisation du pĂ©trole est ratifiĂ© le 14 mars 1951 par le Parlement iranien et 5 jours plus tard par le SĂ©nat. Il reçoit le mĂŞme jour la sanction royale. Cet Ă©vĂ©nement est très populaire en Iran. La nationalisation, permettant Ă  l'Iran de rĂ©cupĂ©rer ses richesses propres, est perçue comme une solution aux problèmes Ă©conomiques et sociaux et comme un moyen d'Ă©chapper aux menaces que font peser les puissances Ă©trangères sur l'indĂ©pendance du pays[8]. Le Majlis charge ensuite la Commission PĂ©trolière d'Ă©laborer le dispositifs d'exĂ©cution. Hossein Ala', le nouveau premier ministre devrait mener les nĂ©gociations Ă  venir avec les Britanniques. Le 26 avril, Mossadegh soumet la Commission parlementaire du pĂ©trole Ă  un plan en neuf points concernant la mise en Ĺ“uvre des dispositions de la loi de nationalisation sans consulter Ala'. Ce dernier, attaquĂ© Ă  la fois par les Anglais (qui voient d'un mauvais Ĺ“il le mouvement nationaliste) et le Front National Ă  travers des manifestations, prĂ©sente peu après sa dĂ©mission au Shah. Le , le Shah nomma comme Premier ministre Mossadegh. Entre-temps, le Parlement a adoptĂ© son plan de 9 points. Le 30 avril, le plan en neuf points est confirmĂ© par le SĂ©nat et entra en vigueur le 1er mai 1951 après avoir reçu la signature du Shah.

La NIOC procède au changement de signalétique à Abadan, au siège de l'AIOC, 20 juin 1951.

Sur la base de la loi de nationalisation, la National Iranian Oil Company (NIOC) ([9]) est crĂ©Ă©e. Trois membres du conseil d'administration provisoire de la NIOC se rendent le 9 juin Ă  Abadan et, le 10 juin 1951, hissent le drapeau iranien au siège de la raffinerie. Ils offrent ensuite aux 4 500 employĂ©s britanniques de l'AIOC d'ĂŞtre reconduits dans leur travail avec la NIOC. Ceux-ci refusent et quittent le pays. Ă€ ce moment-lĂ , environ 61 500 personnes Ă©taient employĂ©es par l'AIOC[10]. La production de pĂ©trole est interrompue jusqu'Ă  nouvel ordre après le dĂ©part du personnel britannique. 

En Grande-Bretagne, la nationalisation est largement considérée comme une violation intolérable des termes du contrat, comme un vol. Des émissaires britanniques aux États-Unis font savoir qu'autoriser l'Iran à nationaliser l'AIOC serait considéré « comme une victoire pour les Russes » et causerait « une perte d'une centaine de millions de livres par an pour le Royaume-Uni, affectant sérieusement notre programme de réarmement et le coût de la vie »[11]. Explicitant ses intentions, la Grande-Bretagne envoie des troupes à Chypre et un navire de guerre au large d'Abadan. Le chah s'indigne et fait savoir à l'ambassadeur britannique que si la moindre action militaire est tentée sur le sol iranien, il enverra l'armée et prendra personnellement la tête de ses troupes[12].

Les Britanniques firent appel Ă  la Cour internationale de justice sise Ă  La Haye et au Conseil de sĂ©curitĂ© des Nations Unies Ă  New York, comme commissions de conciliation. Mossadegh se rendit devant la Cour internationale de La Haye et en octobre 1951 Ă  New York devant le Conseil de sĂ©curitĂ© de l'ONU. Mais la rĂ©union Ă  New York n'aboutit Ă  aucune dĂ©cision (De mĂŞme que La Haye se dĂ©clara incompĂ©tente ensuite). Le litige sur la nationalisation de l'industrie pĂ©trolière devint la crise d'Abadan.

Les efforts de médiation des États-Unis

Mossadegh lors de sa visite aux États-Unis, au cimetière national d'Arlington, en compagnie de Mozaffar Bagha'i.

Les États-Unis entretenaient depuis la Seconde Guerre mondiale des relations amicales avec l'Iran. Dans le cadre du programme Point IV lancé par le président Harry S. Truman, une sorte de plan Marshall pour le Moyen-Orient, les États-Unis envoyaient des aides à la reconstruction financière et humaine en Iran. Mossadegh se rendit à Washington, pour discuter avec le président Truman. Le gouvernement à Washington proposa la Banque internationale pour la reconstruction et le développement (BIRD) comme institution médiatrice. La banque pourrait prendre en charge la gestion des ventes de pétrole pour un temps limité et proposerait à l'Iran un prêt pour financer la reprise de la production pétrolière, remboursable à partir des revenus pétroliers attendus. L'avantage pour l'Iran serait que le pays pourrait générer des revenus de l'activité pétrolière jusqu'à ce que le différend puisse être finalement réglé lors de nouvelles négociations. Mossadegh accepta la proposition. Les Britanniques furent plus réticents [13].

Pendant ce temps, la production de pétrole en Irak, au Koweït, en Arabie saoudite augmenta de manière significative et fut très prisée aux États-Unis, le retrait du pétrole iranien du marché étant ainsi plus que compensé. En plus de cela, la situation économique en Iran se détériorait de plus en plus de par l'absence de revenus pétroliers. Le gouvernement britannique décida cependant d'imposer un embargo à l'exportation sur l'Iran. En retour Mossadegh ordonna la fermeture de tous les consulats britanniques en Iran.

Le 22 juillet 1952, la Cour internationale de Justice Ă  La Haye dĂ©cida Ă  9 voix contre 5, que les litiges relatifs Ă  la concession pĂ©trolière de 1933 Ă©tait un accord entre l'Iran et une entreprise privĂ©e et que ce n'Ă©tait donc pas une question relative au gouvernement britannique et que l'Iran avait le droit de nationaliser les installations industrielles, si une compensation adĂ©quate Ă©tait donnĂ©e [14]. Mossadegh, qui s'Ă©tait rendu aux Pays-Bas, fut cĂ©lĂ©brĂ© comme un gagnant moral, et revint acclamĂ© en Iran. Mais le fait est que la production de pĂ©trole Ă©tait passĂ©e de 666 000 barils par jour Ă  20 000 barils par jour et les revenus pĂ©troliers, après dĂ©duction des salaires et traitements, Ă©taient proches de zĂ©ro[14].

Dans la deuxième année de la guerre de Corée, la crise d'Abadan devint une charge politique de plus en plus importante pour les États-Unis. Le président Truman ne voulait pas que Mossadegh fournisse l'Union soviétique en pétrole, ce qui risquait d'arriver si la crise devenait trop grave et que l'Iran se tournait vers le bloc de l'Est. Il convainquit le Premier ministre britannique Winston Churchill de faire à l'Iran une nouvelle offre. L'offre était de résoudre la crise à un niveau bilatéral entre l'AIOC et le gouvernement iranien : elle posait comme conditions que la nationalisation des installations industrielles soient reconnue par le Royaume-Uni, la question des paiements de compensation aurait ensuite été soumise à la Cour internationale, et pour redémarrer les ventes de production de pétrole l'embargo sur les exportations serait desserré. En outre, le gouvernement américain voulait fournir à l'Iran immédiatement 10 millions $ en prêts pour relancer l'économie à nouveau[15].

Le 27 août 1952, la proposition Churchill-Truman fut envoyée à Mossadegh. Il la rejeta immédiatement. Il se voyait comme le vainqueur de La Haye qui ne tolérerait désormais plus d'ingénieurs britanniques à Abadan. Le 3 septembre 1952, une offre plus conciliatrice encore fut énoncée par le secrétaire d'État Dean Acheson lors d'une conférence de presse à Washington dans laquelle il reconnaissait que seule la NIOC avait le contrôle sur la gestion de l'industrie pétrolière iranienne, l'offre suggérant qu'un consortium international devrait être mis en place, qui achèterait le pétrole iranien et le vendrait ensuite sur le marché international du pétrole. Si la NIOC avait acquis une expertise suffisante dans les années à venir, il pourrait agir en tant que vendeur indépendant sur le marché international du pétrole. Cette offre fut également refusée par Mossadegh. Il expliqua en outre que la question de l'indemnisation devait être négociée devant un tribunal iranien, que le tribunal de La Haye avait déjà déclaré qu'il n'était pas compétent sur cette question[16].

DĂ©gradation de la situation et escalade du conflit

Le 22 août 1951, le cabinet britannique impose une série de sanctions économiques contre l'Iran, interdisant les exportations de produits britanniques clés tels que le sucre et l'acier, ordonnant le retrait du personnel britannique des champs pétroliers iraniens, et bloquant à l'Iran l'accès à ses comptes en devises dans les banques britanniques[17]. Après le retrait des travailleurs britanniques à l'automne 1951, l'Iran pense pouvoir facilement embaucher des techniciens non-britanniques pour faire tourner l'industrie, et rapidement former des iraniens pour les remplacer.

Churchill, revenu au pouvoir le , croyait encore que la crise pouvait avoir une solution en sa faveur. Mossadegh menait la politique, comme il le disait, de l'« Ă©quilibre nĂ©gatif ». Pour lui, la question des concessions Ă©trangères avait Ă©tĂ© traitĂ©e par les prĂ©cĂ©dents gouvernements iraniens selon l' « Ă©quilibre positif ». Ainsi, dans le sud, les Britanniques avaient reçu une concession pĂ©trolière ; pour compenser, les Russes avaient obtenu une concession dans le nord. Mossadegh voulait remĂ©dier Ă  la dĂ©pendance de l'Iran sur les revenus des concessions Ă©trangères par une politique strictement nationale, en cessant d'accepter de faire des concessions aux gouvernements ou entreprises Ă©trangers, selon le chah[18]. Le pĂ©trole iranien devait ĂŞtre extrait, traitĂ©, transportĂ© et vendu par la NIOC. Mohammad Reza Shah, Mossadegh et le Parlement iranien tombaient d'accord sur ce point. La question Ă©tait de savoir comment, et dans quel laps de temps, pouvait-on parvenir Ă  ce rĂ©sultat. En nationalisant les installations pĂ©trolières Ă  Abadan, l'État iranien avait un contrĂ´le total sur la production et la transformation du pĂ©trole. Mais l'Iran n'avait pas un seul camion-citerne susceptible d'amener du pĂ©trole Ă  ses clients potentiels, et l'Iran ne possĂ©dait pas de marine, ce qui lui rendait inaccessible la route de mer dans le golfe Persique [19].

La Grande-Bretagne Ă©tendit l'embargo et annonça qu'elle confisquera tous les pĂ©troliers chargĂ©s de pĂ©trole iranien. NĂ©anmoins, l'Inde, la Turquie et l'Italie conclurent de nouveaux contrats avec la NIOC, puis annonça l'accord d'approvisionnement. En juillet 1952, la Royal Navy intercepte le pĂ©trolier italien Rose Mary et le contraint d'accoster dans le protectorat britannique d'Aden au motif que le pĂ©trole qu'il transporte est un bien volĂ©. La nouvelle se rĂ©pand et effraie les autres transporteurs de produits pĂ©troliers, condamnant vĂ©ritablement les exports pĂ©troliers de l'Iran[20]. En outre, le gouvernement britannique fait pression sur les gouvernements des pays sollicitĂ©s (États-Unis, Suède, Belgique, Pays-Bas, Pakistan, Allemagne de l'Ouest, Autriche, Suisse et France) pour faire interdire aux ingĂ©nieurs et techniciens qui travaillent selon les contrats signĂ©s avec la NIOC leur dĂ©part vers l'Iran. La plupart des pays industrialisĂ©s cèdent Ă  la Grande-Bretagne et contribuent ainsi au succès du boycott[21]. Également, la Banque d'Angleterre gèle toutes les livres sterling iraniennes en totalisant 49 millions de livres sterling en compensation de la nationalisation des usines de pĂ©trole Ă  Abadan[22]. Le 23 octobre 1952, l'Iran rompt ses relations avec le Royaume-Uni. L'embargo britannique fait son effet en Iran. ParalysĂ©e par la perte (et le non-remplacement) des revenus pĂ©troliers, l'Ă©conomie iranienne plonge ; dans les villes et les campagnes, le mĂ©contentement comme l'embargo se font sentir et la population iranienne commence Ă  mourir de faim.

Les décrets d'urgence

SĂ©ance parlementaire au Majlis, Baharestan.

La pression sur Mossadegh pour arriver Ă  une solution dans la crise d'Abadan s'accrĂ»t. Le 23 juillet 1952, le Parlement nouvellement Ă©lu adopta une sorte de loi d'urgence, qui donna Ă  Mossadegh la capacitĂ© de gouverner le pays par dĂ©cret pour 6 mois[23]. Il dissolut le SĂ©nat, qui s'Ă©tait opposĂ© Ă  la dĂ©responsabilisation du premier ministre vis-Ă -vis des assemblĂ©es parlementaires. Le 21 octobre 1952, il fit adopter une loi impliquant que quiconque pourrait ĂŞtre arrĂŞtĂ© s'il appelait les travailleurs et les employĂ©s Ă  faire grève, ou s'il faisait grève alors qu'il travaillait comme employĂ© du gouvernement ou fonctionnaire. Tous ceux qui avaient Ă©tĂ© arrĂŞtĂ©s en vertu de la prĂ©sente loi devaient ĂŞtre considĂ©rĂ©s comme coupable jusqu'Ă  ce que la police ait prouvĂ© leur innocence[24]. Le 6 janvier 1953, Mossadegh demanda au Parlement d'Ă©tendre ses pouvoirs pour non plus 6 mois, mais 12. De nombreux membres de son parti refusèrent alors de le suivre. MĂŞme le clergĂ©, dirigĂ© par le prĂ©sident du Parlement Kashani, qui soutenait Mossadegh au dĂ©part refusa. En fin de compte, Mossadegh rĂ©ussit Ă  convaincre la majoritĂ© des parlementaires qu'il ne permettrait plus que les Britanniques puissent jouir de leurs ressources si le Majlis renouvelait sa confiance au gouvernement. Le 20 janvier 1953, le Parlement accepta l'extension de ses pouvoirs.

Aux États-Unis, le prĂ©sident nouvellement Ă©lu Dwight D. Eisenhower prit ses fonctions. Il confirma le 20 fĂ©vrier 1953 dans un accord, sur proposition de Churchill, de continuer l'engagement de son prĂ©dĂ©cesseur Truman en tant que mĂ©diateur dans la crise irano-britannique. Un nouvel accord fut proposĂ© : la nationalisation de l'industrie pĂ©trolière Ă©tait en principe reconnue par le Royaume-Uni, mais seul le montant des paiements de compensation, qui devrait ĂŞtre financĂ© par les ventes de pĂ©trole nĂ©cessitait d'ĂŞtre clarifiĂ©. Mossadegh voulait Ă©galement revoir Ă  la valeur des installations industrielles. La proposition d'Eisenhower et de Churchill parlait vaguement d'une compensation « fondĂ©e sur des principes internationaux entre nations libres ... »[25].  Mossadegh resta ferme et rejeta la proposition.

Les États-Unis avaient renflouĂ© l'Iran, dans le cadre du programme Point IV du prĂ©sident Truman, de plus de 44 millions de dollars pour Ă©viter un effondrement complet de l'Ă©conomie iranienne. Mais les montants ne suffisaient pas, en fin de compte, pour compenser le manque de revenus pĂ©troliers. Le 10 juin 1953, l'Union soviĂ©tique et l'Iran signèrent un nouvel accord Ă©conomique. Lors d'autres nĂ©gociations, l'Union soviĂ©tique proposa le retour des rĂ©serves d'or iraniennes saisies pendant la Seconde Guerre mondiale, les questions frontalières devraient ĂŞtre rĂ©solues en faveur de l'Iran et le traitĂ© d'amitiĂ© irano-soviĂ©tique de 1921 devait ĂŞtre renĂ©gociĂ©.

Crise politique

Mossadegh démissionna en juillet 1952, à la suite du refus du Shah et du Parlement de lui donner le ministère de la Guerre. Il fut remplacé par Ghavam os-Saltaneh. Mais face à des manifestations violentes en faveur de Mossadegh, qui aboutirent à l'incendie de la maison du premier ministre, Mossadegh fut rappelé au pouvoir. En février 1953, le couple royal envisagea de partir pour l'étranger, une décision gardée secrète mais révélée par Kashani, président du Majlis. À nouveau, la rue se soulèva, mais en faveur du Shah, cette fois. Des émeutiers, conduits par Shaban Jafari, tentèrent d'enfoncer la porte de la maison de Mossadegh, sans succès. Finalement, le voyage du Shah et de son épouse fut annulé.

En juin 1953, un message du Caire surprit les politiciens de TĂ©hĂ©ran. Un an plus tĂ´t, un groupe d'officiers - dont Gamal Abdel Nasser - avait dĂ©posĂ© le roi Farouk en faveur de son fils Fouad II. Le 18 juin 1953, le Conseil de commandement rĂ©volutionnaire Ă©gyptien, qui avait auparavant dirigĂ© les affaires gouvernementales proclama la RĂ©publique, dont Mohammad Naguib serait le premier prĂ©sident et le Premier ministre.

De nombreux membres du Parlement iranien souhaitèrent ou craignirent, en fonction de la situation politique, que l'Iran ne connaisse le mĂŞme sort. L'unitĂ© entre le Shah, le gouvernement Mossadegh et le parlement qui prĂ©valait au dĂ©but des affrontements avec les Britanniques, se dĂ©tĂ©riora face Ă  l'aggravation de la crise Ă©conomique et aux troubles sociaux et politiques, avant de se rompre complètement. Le parti Tudeh appela Ă  l'abolition la monarchie et la mise en place d'une rĂ©publique. Mossadegh, repoussant cette idĂ©e, savait cependant que la majoritĂ© parlementaire ne le suivrait pas. Le 10 juillet 1953, il annonça la tenue prochaine d'un rĂ©fĂ©rendum, portant sur la dissolution du Parlement. Le 21 juillet, le Parti Tudeh organisa une grande manifestation rĂ©unissant plus de 100 000 participants pour sensibiliser Ă  leur cause : l'abolition de la monarchie, la rupture avec les États-Unis et la mise en place d'une coopĂ©ration Ă©troite avec l'Union soviĂ©tique[26].

Le 29 juillet, Mossadegh ordonna par dĂ©cret la tenue du rĂ©fĂ©rendum le 3 aoĂ»t Ă  TĂ©hĂ©ran et le 10 aoĂ»t dans les provinces. Les votes « oui » et « non » devaient ĂŞtre introduits dans des urnes sĂ©parĂ©es et sur chaque bulletin devait ĂŞtre inscrit le nom de l'Ă©lecteur, sa date de naissance et son lieu de rĂ©sidence, indiquĂ©s sur sa carte d'identitĂ©. Il s'agissait d'une violation flagrante de la Constitution, qui prĂ©voyait un scrutin secret et anonyme[27]. La mise en Ĺ“uvre de cet arrangement devint plus malsaine encore : pour le « oui » et le « non » des bureaux de vote sĂ©parĂ©s furent mis en place. Ceux placĂ©s sur la file d'attente du « non » furent menacĂ©s avec des bâtons et des couteaux, selon Afkhami [28]. 99 % des suffrages exprimĂ©s furent des « oui ».

Le 11 aoĂ»t, le Shah « se rendit en vacances » (en rĂ©alitĂ© pour fuir une capitale survoltĂ©e) dans le nord de l'Iran Ă  Ramsar, puis Ă  sa rĂ©sidence d'Ă©tĂ© Ă  Kelardasht sur les rivages de la mer Caspienne. Le 12 aoĂ»t, Mossadegh ordonna l'arrestation des hommes politiques de l'opposition et congĂ©dia les gĂ©nĂ©raux et les officiers critiques envers sa politique. Le 13 aoĂ»t 1953, le Shah signa, comme l'y autorisait la Constitution, deux dĂ©crets (Farman). Par le premier dĂ©cret, il ordonna le renvoi de Mossadegh. Par le second, il nommait le gĂ©nĂ©ral Fazlollah Zahedi comme nouveau Premier ministre. Le colonel Nassiri, chef de la Garde ImpĂ©riale, reçut la mission d'annoncer les dĂ©crets au gĂ©nĂ©ral Zahedi et Ă  Mossadegh [28]. Le gĂ©nĂ©ral Zahedi, ancien ministre, Ă©tait devenu un adversaire dĂ©clarĂ© de Mossadegh. Mossadegh avait essayĂ© d'arrĂŞter Zahedi après les Ă©vĂ©nements de fĂ©vrier 1953, mais il avait Ă©tĂ© relâchĂ©, et se cachait depuis lors.

Le 14 aoĂ»t, Mossadegh dĂ©clara qu'il dissoudrait le parlement conformĂ©ment aux rĂ©sultats du rĂ©fĂ©rendum tenu prĂ©cĂ©demment. La demande officielle du gouvernement au Shah de dissoudre le Parlement eut lieu le 15 aoĂ»t. Le soir du 15 aoĂ»t, le colonel Nassiri retourna Ă  TĂ©hĂ©ran et apporta Ă  Mossadegh son dĂ©cret de licenciement, ce qui conduisit Ă  l'arrestation immĂ©diate de l'Ă©missaire. Mossadegh sembla refuser la dĂ©cision du Shah, et la fin de la monarchie semblait avoir sonnĂ©. Le 16 aoĂ»t 1953 au matin, le Shah apprit l'arrestation de Nassiri, se rendit Ă  l'aĂ©roport de Ramsar avec sa femme Soraya dans son petit avion personnel, puis s'envola vers Bagdad oĂą il demanda « l'asile pour quelques jours »[29]. L'ambassadeur iranien Ă  Bagdad demanda l'extradition immĂ©diate du Shah d'Iran. Ce dernier se rendit alors Ă  Rome le 17 aoĂ»t [30].

Coup d'État

A Rome, Mohammad Reza Shah expliqua Ă  la presse mondiale ce qui se passait selon lui. Il n'avait pas abdiquĂ©, et il avait renvoyĂ© Mossadegh comme premier ministre, et le gĂ©nĂ©ral Zahedi Ă©tait le nouveau premier ministre. Les faits Ă  TĂ©hĂ©ran racontent tout autre chose. Mossadegh continua d'agir en tant que premier ministre et le gĂ©nĂ©ral Zahedi continua d'ĂŞtre cachĂ© après l'arrestation du colonel Nematollah Nassiri.

En rĂ©alitĂ©, ce qui venait de se produire avait Ă©tĂ© prĂ©parĂ© Ă  Washington. La CIA avait Ă©laborĂ© un plan pour destituer Mossadegh, au nom de code TPAJAX. Le 4 avril 1953, le directeur de la CIA Allen Dulles avait approuvĂ© un budget de 1 million $ pour le dĂ©partement Ă  TĂ©hĂ©ran. Le plan se composait en trois Ă©lĂ©ments: Mohammad Reza Shah promettait un soutien total en signant le firman, le gĂ©nĂ©ral Zahedi devenait premier ministre, et une campagne de propagande Ă©tait mise en Ĺ“uvre pour prĂ©parer la chute de Mossadegh. En juin 1953 Eisenhower approuva le plan de la CIA[31]. Le plan original, Ă©tabli en avril 1953, devait toutefois dĂ©railler lors des Ă©vĂ©nements en aoĂ»t.

LĂ©galement, Mossadegh n'Ă©tait plus premier ministre en raison des dĂ©crets du Shah et le nouveau premier ministre Ă©tait le gĂ©nĂ©ral Zahedi. Maintenant, il fallait faire appliquer la dĂ©cision du Shah dans les faits. Ce qui a suivi est controversĂ©. Selon Kermit Roosevelt et son livre de 1979, Countercoup : the struggle for the control of Iran, la CIA, et surtout lui-mĂŞme, auraient fait appel Ă  des « hommes d'action » qui auraient provoquĂ© le retrait forcĂ© de Mossadegh et aidĂ© le gĂ©nĂ©ral Zahedi Ă  accĂ©der Ă  son poste de Premier ministre. Stephen Kinzer rĂ©utilisa la prĂ©sentation des faits par Kermit Roosevelt et publia en 2003 son livre All the Shah's Men : An american coup and the roots of Middle East Terror. Le gĂ©nĂ©ral Zahedi et surtout son fils Ardeshir Zahedi prĂ©sentèrent leurs rĂ´les dans ces Ă©vĂ©nements de façon complètement diffĂ©rente.

La victoire des partisans du chah.

Le GĂ©nĂ©ral Zahedi et son fils se cachèrent Ă  Shemiran. Ardeshir avait gagnĂ© la ville dans le but de reproduire le dĂ©cret du Shah - que son père avait reçu - dans un magasin de photo. SaĂŻd Hekmat avait quant Ă  lui invitĂ© la presse internationale Ă  une confĂ©rence de presse dans sa maison. Ardeshir distribua des copies du dĂ©cret nommant son père premier ministre Ă  partir du 15 aoĂ»t 1953 par le Shah. Le refus de Mossadegh de quitter son poste faisait de lui un renĂ©gat menant un coup d'État contre la constitution et la monarchie[32].

Le 15 aoĂ»t, les dĂ©crets du chah furent imprimĂ©s Ă  TĂ©hĂ©ran dans le quotidien Ettela'at. Mossadegh, le matin, avant mĂŞme d'avoir eu vent de la fuite du chah, avait estimĂ© qu'il devait se retirer après avoir fait une annonce Ă  la Radio. Mais certains de ses collaborateurs, dont Hossein Fatemi, l'en dissuadèrent [30]. Plus tard, il dit qu'il avait fait Ă©chouer un coup d'État militaire, mais qu'il ne parla aucunement des dĂ©crets du chah. Les militants du Toudeh dĂ©boulonnèrent les statues de Reza Shah. Le mardi 16 aoĂ»t, une manifestation de masse du Toudeh appela Ă  la proclamation d'une RĂ©publique populaire dĂ©mocratique de l'Iran. Le soir du mĂŞme jour, les partisans de Shah descendirent dans les rues aux cris de "Longue vie au Shah". Le mercredi, les partisans du Shah appelèrent au renversement de Mossadegh. Ce retournement spectaculaire des rues de TĂ©hĂ©ran est attribuĂ©e Ă  un groupe de lutteurs menĂ©s par Shaban Jafari. Il organisa une petite manifestation pro-Shah, qui pris de l'importance. Toute personne qui criait sur le passage du cortège « Vive le Shah » (Javid Shah) avait reçu un billet de dix rials. L'argent provenait des coffres de la CIA[33]. La foule, galvanisĂ©e par le mouvement de groupe (en partie feint), se joignit petit Ă  petit au cortège. BientĂ´t la manifestation pris beaucoup d'ampleur et passa Ă  plusieurs centaines de participants. Le gĂ©nĂ©ral Zahedi utilise Ă©galement ses rĂ©seaux pour dĂ©clencher d'autres manifestations un peu partout dans les grandes villes[34].

Le matin du 19 aoĂ»t 1953, Mossadegh prĂ©voyait un nouveau rĂ©fĂ©rendum. Mais pour cela, il devait se rendre au Parlement, ce qui se rĂ©vĂ©la impossible Ă  cause des nouvelles manifestations pro-Shah en cours dans tout TĂ©hĂ©ran. Les troupes militaires sĂ©curisant la capitale cherchèrent Ă  d'abord calmer l'agitation. A 15:00 Radio TĂ©hĂ©ran tomba aux mains des partisans du Shah et diffusa en continu l'hymne national. L'armĂ©e changea complètement d'avis et passa du cĂ´tĂ© des partisans du Shah. Une autre grande partie des manifestants attend l'avis des religieux importants. Les grands ayatollahs Boroudjerdi et Kashani annoncèrent finalement leur ralliement au shah[35]. Certains chars, chargĂ©s de dĂ©fendre Radio TĂ©hĂ©ran, furent rĂ©quisitionnĂ©s par les militaires ayant dĂ©sertĂ© et conduits Ă  la maison de Mossadegh, accompagnĂ© d'une foule de manifestants. Devant la maison, le portail cĂ©da après quelques coups de feu. Mais Mossadegh avait quittĂ© sa maison depuis longtemps. Les Ă©meutiers firent irruption dans la maison et commencèrent Ă  la piller[36]. Le 22 aoĂ»t 1953, Mossadegh, en fuite, se rendit aux autoritĂ©s. Le mĂŞme jour, Mohammad Reza Shah rentra Ă  TĂ©hĂ©ran et rencontra le Premier ministre Zahedi pour discuter sur la façon de procĂ©der.

Mohammad Reza Shah et le Premier ministre Zahedi estimèrent que la première chose Ă  faire Ă©tait de faire revenir Ă  la normale l'Ă©conomie iranienne. Eisenhower tint sa parole et renouvela le 5 septembre son prĂŞt, cette fois de 45 millions $, pour une utilisation immĂ©diate. En outre, une aide Ă©conomique de 23,4 millions $ dans le cadre du programme Point IV fut promise. Les nĂ©gociations avec les britanniques sur la question de l'indemnisation pour la raffinerie nationalisĂ©e Ă  Abadan reprirent. En dĂ©cembre 1953, l'Iran et le Royaume-Uni rĂ©tablirent leurs relations diplomatiques. Dans le mĂŞme mois, le Parlement fut dissous par un dĂ©cret du Shah. Le Parlement nouvellement Ă©lu fut constituĂ© le 18 mars 1954.

Suites et résolution de la crise

Le général Fazlollah Zahedi, nouveau premier ministre (1953-1955).

La crise d'Abadan avait sĂ©rieusement endommagĂ© les relations entre l'Iran et le Royaume-Uni. Aux yeux des Iraniens, le Royaume-Uni Ă©tait devenu un symbole de l'oppression et de l'exploitation. A l'inverse, les États-Unis apparaissaient comme un alliĂ© fidèle de la monarchie iranienne. Le 5 aoĂ»t 1954, fut signĂ© un accord commun, qui reconnaissait que l'Iran seul avait le contrĂ´le total de ses stocks pĂ©troliers. Fut ensuite formĂ© un consortium prenant en charge la production, la transformation et la commercialisation du pĂ©trole iranien pour les 25 prochaines annĂ©es. La NIOC reste donc seule Ă  vendre son pĂ©trole, mais les compagnies du consortium sont en quelque sorte ses agents. Après quelques nĂ©gociations prĂ©liminaires en avril 1954 avec les États-Unis, la Standard Oil et la Royal Dutch Shell s'ajoutèrent aux compagnies pĂ©trolières britanniques dĂ©sireuses de pĂ©trole iranien au sein du consortium. Le pĂ©trole iranien est ensuite rĂ©parti entre les diffĂ©rents vendeurs du consortium : L'AIOC possède 40 % du brut, la Standart Oil 40 %, la Royal Dutch Shell 14 % et la Compagnie française des pĂ©troles 6 %. L'Iran perçoit dĂ©sormais 25 % des revenus, et le consortium lui verse un impĂ´t de 25 % sur ses propres revenus [37]. Deux entreprises crĂ©Ă©es et Ă©tablies aux Pays-Bas (Iranian Oil Exploration and Producing Co. et Iranian Oil Refining Co.) devaient prendre en charge l'activitĂ© opĂ©rationnelle.

Le consortium nommé Iranian Oil Participants, basé à Londres, était chargé de prendre des décisions concernant les volumes et les prix de production. Dans ce consortium, l'Iran n'avait pas de représentant. La compensation pour la nationalisation de la raffinerie d'Abadan, à l'origine de £ 200 millions, fut abaissée à £ 25 millions payables en versements échelonnés sur 10 ans. La NIOC pourra s'occuper de la distribution intérieure du pétrole, et compter sur une part croissante de la production du brut qu'elle pourra distribuer à l'international sans passer par le consortium[38]. Les raffineries de Kermanshah et d'Abadan seront gérées par des iraniens [37].

Personne ne fut finalement satisfait du contrat du consortium en Iran, ni mĂŞme Zahedi ou le chah [37] : Les contrats pĂ©troliers Ă©taient dĂ©sormais bien gĂ©rĂ©es par les sociĂ©tĂ©s iraniennes, mais les dĂ©cisions sur le dĂ©bit et le prix du baril Ă©taient dĂ©cidĂ©s par le consortium dans lequel l'Iran n'Ă©tait pas reprĂ©sentĂ©. Le Parlement et le SĂ©nat approuvèrent les contrats en octobre 1954. Ali Amini, qui avait nĂ©gociĂ© le rĂ´le de l'Iran au sein des nouveaux accords dĂ©clara devant le Parlement: « Nous ne disons ni que ce contrat est la solution idĂ©ale, ni que nous avons trouvĂ© la solution que veut notre peuple. [...] Mais nous devons reconnaĂ®tre que nous ne pouvons dĂ©fendre nos idĂ©es que lorsque nous avons le pouvoir, la prospĂ©ritĂ© et les possibilitĂ©s techniques de rivaliser avec les pays grands et puissants. »[39]. Amini avait formulĂ© les lignes directrices de la politique pĂ©trolière pour les 25 prochaines annĂ©es dans son discours au Parlement. En 1979, lorsque l'accord devait ĂŞtre renĂ©gociĂ©, l'Iran, en tant que partenaire Ă©gal, devait pouvoir faire face aux puissances occidentales et dĂ©cider enfin de la production, du traitement et du prix de la vente du pĂ©trole iranien.

Bibliographie

  • Alan W. Ford : The Anglo-Iranian Oil Dispute 1951–1952. A Study of the Role of Law in the Relations of States. University of California Press, Berkeley CA u. a. 1954.
  • GĂ©rard de VilliersL'irrĂ©sistible ascension de Mohammad Reza, shah d'Iran. Plon, 1975,  (ISBN 3-430-19364-8)
  • Stephen Kinzer : All the Shah’s Men. An American Coup and the Roots of Middle East Terror. John Wiley and Sons, Hoboken NJ 2003,  (ISBN 0-471-26517-9)
  • Gerhard Altmann : Abschied vom Empire. Die innere Dekolonisation GroĂźbritanniens 1945–1985 (= Moderne Zeit 8). Wallstein-Verlag, Göttingen 2005,  (ISBN 3-89244-870-1) (aussi: Fribourg, UniversitĂ©, Diss, 2003-2004).
  • Manucher Farmanfarmaian, Roxanne Farmanfarmaian : Blood and Oil. A Prince’s Memoir of Iran, from the Shah to the Ayatollah. Random House, New York, 2005,  (ISBN 0-8129-7508-1)
  • Gholam Reza Afkhami : The Life and Times of the Shah. University of California Press, Berkeley CA u. a. 2009,  (ISBN 978-0-520-25328-5)
  • Yves Bomati et Houchang Nahavandi : Mohammad RĂ©za Pahlavi, le dernier shah / 1919-1980, Perrin, 2013, (ISBN 978-2-262-03587-7)

Voir aussi

Références

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  2. (en) Stephen Kinzer, All the Shah's Men : An American Coup and the Roots of Middle East Terror, Wiley, , 272 p. (ISBN 978-1-118-14440-4, lire en ligne), p. 67
  3. Afkhami, The Life and Times of the Shah, 2009, p. 115.
  4. Afkhami, The Life and Times of the Shah, 2009, p. 116.
  5. Mohammad Mosaddeq and the 1953 Coup in Iran, Mark Gasiorowski et Malcolm Byrne, Syracuse University Press, 2004, p.129
  6. Mohammad Mosaddeq and the 1953 Coup in Iran, Mark Gasiorowski et Malcolm Byrne, Syracuse University Press, 2004, p.148
  7. (fa) Rahim Zehtab Fard, (Afsane-ye Mosaddeq (Le mythe Mosaddegh, Téhéran, Nashr-e Elmi, 1376 (1997) (ISBN 964-5989-66-3), p. 230
  8. Hélène Carrère D'encausse, « Le conflit anglo-iranien, 1951-1954 », Revue française de science politique, vol. 15e année, no 4,‎ , p. 731-743 (lire en ligne)
  9. Aussi appelée Société Nationale de Pétrole Iranien (SNIP)
  10. « NIOC - Brief History - Page 5 of 9 », (version du 26 septembre 2009 sur Internet Archive)
  11. Kinzer, Stephen, All the Shah's Men : An American Coup and the Roots of Middle East Terror, Stephen Kinzer, John Wiley and Sons, 2003, p. 90.
  12. Yves BOMATI et Houchang NAHAVANDI, Mohammad RĂ©za Pahlavi : Le dernier shah / 1919-1980, edi8, , 704 p. (ISBN 978-2-262-04204-2, lire en ligne), p. 171
  13. Afkhami, The Life and Times of the Shah, p. 130
  14. (en) Manucher Farmanfarmaian et Roxane Farmanfarmaian, Blood and Oil : Memoirs of a Persian Prince, Prion, , 514 p. (ISBN 978-1-85375-306-0, lire en ligne), p. 275
  15. Afkhami, The Life and Times of the Shah, p. 144
  16. Afkhami, The Life and Times of the Shah, p. 145
  17. Kinzer, All the Shah's Men, (2003), p. 110.
  18. Mohammad Reza Pahlavi (Shah of Iran), RĂ©ponse Ă  l'histoire, le Livre de poche, , 381 p. (ISBN 978-2-253-02707-2, lire en ligne), p. 85
  19. En réalité, l'armée iranienne avait possédé une flotte, créée sous l'impulsion de Reza Chah. Mais durant l'invasion anglo-soviétique de l'Iran, elle avait été détruite dans sa totalité vers Abadan - justement. La marine ne sera rebâtie que dans les années 1950 - après le renversement de Mossadegh.
  20. Kinzer, All the Shah's Men, (2003), p. 138.
  21. Citation de Heiss dans Mohammad Mosaddeq and the 1953 Coup in Iran, édité par Mark J. Gasiorowski et Malcolm Byrne, Syracuse University Press, 2004, p. 182.
  22. Farmanfarmaian, Blood and Oil, 2005, p. 279.
  23. (en) Ervand Abrahamian, Iran Between Two Revolutions, Princeton University Press, , 561 p. (ISBN 0-691-10134-5, lire en ligne), p. 273
  24. Afkhami, The Life and Times of the Shah, p. 148
  25. Afkhami, The Life and Times of the Shah, p. 151
  26. (en) « 100,000 Red Rally in Iranian Capital », New York Times,‎
  27. (en) « Mossadegh Voids Secret Balloting. Decrees „Yes“ and „No“ Booths for Iranian Plebiscite on Dissolution of Majlis. », New York Times,‎
  28. Afkhami, The Life and Times of the Shah, p. 156.
  29. Gérard de Villiers, Bernard Touchais et Annick de Villiers, L'irrésistible ascension de Mohammad Reza, shah d'Iran, Plon, (lire en ligne), p. 156
  30. Bomati et Nahavandi, Mohammad RĂ©za Pahlavi, le dernier shah/ 1919-1980, p. 198
  31. Kinzer, All the Shah's Men, p. 161
  32. Afkhami, The Life and Times of the Shah, p. 171
  33. De Villiers, L'irrésistible ascension de Mohammad Réza, shah d'Iran, p. 292
  34. Bomati et Nahavandi, Mohammad RĂ©za Pahlavi, le dernier shah/ 1919-1980, p. 204
  35. Yves Bomati et Houchang Nahavandi, Mohammad RĂ©za Pahlavi, le dernier shah/ 1919-1980, p. 206
  36. Afkhami, The Life and Times of the Shah, p. 178
  37. Bomati et Nahavandi, Mohammad RĂ©za Pahlavi, le dernier shah/ 1919-1980, p. 229-230
  38. Afkhami, The Life and Times of the Shah, p. 198
  39. Afkhami, The Life and Times of the Shah, p. 199
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