Corps réel clos
En mathématiques, un corps réel clos est un corps totalement ordonnable dont aucune extension algébrique propre n'est totalement ordonnable[1].
Exemples
Les corps suivants sont réels clos :
- le corps des réels,
- le sous-corps des réels algébriques,
- le corps des réels calculables (au sens de Turing),
- le corps des réels définissables (en),
- le corps des séries de Puiseux à coefficients réels,
- tout corps superréel (en particulier tout corps hyperréel).
Caractérisation des corps réels clos
Un corps commutatif F est réel clos (selon la définition de l'introduction) si et seulement s'il vérifie l'une des propriétés équivalentes suivantes[2] :
- F est euclidien[3] et tout polynÎme de degré impair à coefficients dans F admet au moins une racine dans F ;
- â1 n'est pas un carrĂ© dans F et F(â-1) est algĂ©briquement clos ;
- la clÎture algébrique de F est une extension finie propre de F ;
- il existe un ordre sur F pour lequel le théorÚme des valeurs intermédiaires est vrai pour tout polynÎme sur F.
Une dĂ©monstration de l'implication 1 â 2 (attribuĂ©e par Nicolas Bourbaki Ă Euler et Lagrange[4]) est donnĂ©e dans l'article consacrĂ© au thĂ©orĂšme de d'Alembert-Gauss.
ThéorÚme d'Artin-Schreier
Emil Artin et Otto Schreier ont démontré en 1927[5] que pour tout corps totalement ordonné K, il existe un corps réel clos algébrique sur K et dont l'ordre prolonge celui de K. Cette extension, unique à isomorphisme prÚs, est appelée la clÎture réelle de K.
Par exemple, « la » clĂŽture rĂ©elle de â est le corps ââ©â des rĂ©els algĂ©briques, d'aprĂšs la caractĂ©risation 2 ci-dessus. On peut remarquer[6] que d'aprĂšs la caractĂ©risation 3, c'est « l'unique » extension algĂ©brique de â dont « la » clĂŽture algĂ©brique â est une extension finie propre.
De plus, pour tout sous-corps « réel » (c'est-à -dire totalement ordonnable) d'un corps algébriquement clos , il existe un sous-corps intermédiaire réel clos tel que [7].
Théorie des corps réels clos
La thĂ©orie des corps rĂ©els clos est une thĂ©orie du premier ordre dont les symboles non logiques sont les constantes 0 et 1, les opĂ©rations arithmĂ©tiques +, Ă, et la relation †; les formules sont construites Ă partir des formules atomiques via les connecteurs â, â, â, et les quantificateurs â, â ; les axiomes sont ceux qui expriment que la structure est prĂ©cisĂ©ment un corps rĂ©el clos.
Cette thĂ©orie admet l'Ă©limination des quantificateurs, c'est-Ă -dire qu'il est possible, Ă partir d'une formule avec quantificateurs, de trouver une formule sans quantificateurs, avec les mĂȘmes variables libres, et Ă©quivalente (c'est-Ă -dire que l'Ă©quivalence logique des deux formules, celle avant Ă©limination et celle aprĂšs Ă©limination, se dĂ©duit des axiomes). Il existe des algorithmes qui mettent en Ćuvre cette Ă©limination. Le premier, dĂ» Ă Alfred Tarski[8], a une complexitĂ© non Ă©lĂ©mentaire, c'est-Ă -dire qui n'est pas bornĂ©e par une tour d'exponentielles , et a donc un intĂ©rĂȘt principalement historique, mais donne un exemple d'une thĂ©orie axiomatique non triviale ne vĂ©rifiant pas le premier thĂ©orĂšme d'incomplĂ©tude de Gödel.
James Davenport et Joos Heintz ont montrĂ© en 1988 que le problĂšme est intrinsĂšquement complexe : il existe une famille Ίn de formules avec n quantificateurs, de longueur O(n) et de degrĂ© constant, telle que toute formule sans quantificateur Ă©quivalente à Ίn doit mettre en Ćuvre des polynĂŽmes de degrĂ© et de longueur , avec les notations asymptotiques O et Ω.
Le logiciel QEPCAD et la fonction Reduce de Mathematica 5[9], par exemple, proposent des implémentations d'algorithmes d'élimination des quantificateurs pour les corps réels clos.
En raison de l'existence d'algorithmes d'élimination des quantificateurs, la théorie des corps réels clos est décidable : à partir de toute formule close, on peut obtenir algorithmiquement une formule équivalente sans quantificateurs ni variables libres, donc facilement décidable.
Une autre consĂ©quence de l'Ă©limination des quantificateurs (indĂ©pendamment du fait qu'elle soit rĂ©alisable algorithmiquement) est que cette thĂ©orie est complĂšte, donc tout corps rĂ©el clos a la mĂȘme thĂ©orie du premier ordre que â.
Groupe multiplicatif
Le groupe multiplicatif de tout corps rĂ©el clos est la somme directe du sous-groupe et de sous-groupes isomorphes Ă : [10]. En effet, 1 et â1 sont ses seuls Ă©lĂ©ments de torsion (c.-Ă -d. racines de l'unitĂ©), et le sous-groupe des Ă©lĂ©ments positifs (les carrĂ©s) est divisible.
RĂ©ciproquement, pour tout cardinal infini , il existe un corps rĂ©el clos dont le groupe multiplicatif est isomorphe Ă [10]. En effet, il existe un corps algĂ©briquement clos de caractĂ©ristique 0 et de cardinal Îș, et (voir supra) un tel corps possĂšde un sous-corps rĂ©el clos de mĂȘme cardinal.
Notes et références
- (en) T. Y. Lam, Introduction to Quadratic Forms over Fields, AMS, , 550 p. (ISBN 978-0-8218-1095-8, lire en ligne), p. 236.
- L'Ă©quivalence entre la dĂ©finition de l'introduction et les caractĂ©risations 1 et 2 est classique : voir par exemple Lam 2005, p. 240-242. L'Ă©quivalence entre 1 et 4 est dĂ©montrĂ©e dans (en) H. Salzmann, T. Grundhöfer, H. HĂ€hl et R. Löwen, The Classical Fields : Structural Features of the Real and Rational Numbers, Cambridge, CUP, coll. « Encyclopedia of Mathematics and its Applications » (no 112), , 401 p. (ISBN 978-0-521-86516-6, lire en ligne), p. 127-128. L'implication 2 â 3 est immĂ©diate. Sa rĂ©ciproque est dĂ©montrĂ©e dans (en) Keith Conrad, « The Artin-Schreier theorem ».
- I. e. : F peut ĂȘtre muni d'un ordre (au sens : ordre total et compatible avec les opĂ©rations) pour lequel tout Ă©lĂ©ment positif est un carrĂ©. Sur un corps euclidien, il n'existe qu'un ordre (au sens prĂ©cĂ©dent).
- N. Bourbaki, AlgÚbre, ch. 6 (Groupes et corps ordonnés), théorÚme 3 p. 25.
- (de) E. Artin et O. Schreier, « Algebraische Konstruktion reeller Körper », Hamb. Abh., vol. 5,â , p. 85-99, traduction en français par le groupe de travail : « Aux sources de la GĂ©omĂ©trie AlgĂ©brique RĂ©elle » de l'IRMAR
- (en) Serge Lang, Algebra, [détail des éditions], p. 278-279 ou p. 457 de l'édition de 2002, Example.
- Artin et Schreier 1927, théorÚme 7.
- Alfred Tarski, A Decision Method for Elementary Algebra and Geometry, University of California Press, 1951 ; repris dans Quantifier Elimination and Cylindrical Algebraic Decomposition mentionné en bibliographie
- Mathematica documentation for Reduce, What's new in Mathematica 5: Reduce
- (en) Gregory Karpilovsky, Field Theory : Classical Foundations and Multiplicative Groups, CRC Press, (lire en ligne), p. 469-470.
Bibliographie
- (en) Saugata Basu, Richard Pollack et Marie-Françoise Roy, Algorithms in Real Algebraic Geometry, Berlin/New York, Springer, coll. « Algorithms and Computation in Mathematics » (no 10), , 662 p. (ISBN 978-3-540-33099-8, lire en ligne)
- (en) Bob F. Caviness et Jeremy R. Johnson, Ă©diteurs, Quantifier Elimination and Cylindrical Algebraic Decomposition, Springer, 1998 (ISBN 978-3-7091-9459-1)
- (en) Chen Chung Chang et Howard Jerome Keisler, Model Theory, Elsevier, 3e Ă©d., 1990 (ISBN 978-0-444-88054-3)
- (en) Harold Garth Dales et W. Hugh Woodin, Super-Real Fields, Clarendon Press, 1996 (ISBN 978-0-19853991-9)
- (en) Bhubaneswar Mishra (en), « Computational Real Algebraic Geometry », dans Handbook of Discrete and Computational Geometry, CRC Press, ([PDF] ou p. 743-764 de l'édition 2004 sur Google Livres)