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ConquĂȘte musulmane de la Transoxiane

La conquĂȘte musulmane de la Transoxiane est l'extension aux VIIe et VIIIe siĂšcles du califat omeyyade puis abbasside sur la Transoxiane, un territoire situĂ© entre les fleuves Amou-Daria et Syr-Daria, en Asie centrale. Cette zone recouvre certaines parties des actuels États d'OuzbĂ©kistan, Tadjikistan, Kazakhstan et Kirghizistan.

ConquĂȘte musulmane de la Transoxiane
Description de cette image, également commentée ci-aprÚs
Carte de la Transoxiane et du Khorassan au VIIIe siĂšcle
Informations générales
Date 673 – 751
Lieu Transoxiane, Asie centrale
Issue

Victoire du Califat abbasside

Belligérants
Califat omeyyade
(jusqu'en 748)
Califat abbasside
(Ă  partir de 748)
Soutiens :
Empire du Tibet
Khanat TĂŒrgesh (jusqu'en 717)
Principautés du Tokharistan
Principautés de la Sogdiane
Khwarezm
Fergana
Khanat TĂŒrgesh
Dynastie Tang
Commandants
Qutayba ibn Muslim
Muslim ibn Sa'id †
Al-Kharashi
Junayd ibn Abd al-Rahman al-Murri
Sawra ibn al-Hurr al-Abani
Sa'id ibn Amr al-Harashi
Asad ibn Abd Allah al-Qasri
Nasr ibn Sayyar
Ghurak
Soulouk
Köl-chĂŒr
al-Harith ibn Surayj
Kapagan Khan
Bilge Qaghan
Kul Tigin
Divashtich †
Karzanj †

ConquĂȘtes musulmanes

Batailles

Situation avant la conquĂȘte

Les Arabes atteignent l’Asie centrale dans la dĂ©cennie qui suit leur victoire dĂ©cisive contre les Sassanides Ă  la bataille de Nahavand en 642, achevant leur conquĂȘte de la Perse ; ils s’emparent alors des rĂ©gions du SistĂąn et du Khorassan. Merv, capitale du Khorassan, tombe en 651 entre les mains d'Abdallah ibn Amir, repoussant les frontiĂšres du califat jusqu'au fleuve Oxus (aujourd'hui l’Amou-Daria)[1] - [2]. Les terres situĂ©es au-delĂ , la Transoxiane (c’est-Ă -dire « au-delĂ  de l’Oxus »), sont appelĂ©es par les Arabes « le pays au-delĂ  de la riviĂšre » (arabe : Ù…Ű§ ÙˆŰ±Ű§ŰĄ Ű§Ù„Ù†Ù‡Ű± (mā warāʟ an-nahr))[3].

Contrairement aux rĂ©gions que les Arabes rencontrent auparavant, la Transoxiane prĂ©sente une topographie variĂ©e, allant des montagnes reculĂ©es de l’Hindou Kouch aux dĂ©serts et leurs villes-oasis, en passant par des vallĂ©es fluviales fertiles. De plus, des peuples variĂ©s, sĂ©dentaires ou nomades, y habitent, et en lieu et place de l’administration impĂ©riale des Perses, les Arabes se retrouvent face Ă  une rĂ©gion divisĂ©e en plusieurs petites principautĂ©s indĂ©pendantes[4].

Géographiquement, politiquement et socialement, la Transoxiane est divisé en quatre régions :

Comme aujourd’hui, la population appartient Ă  deux grands groupes linguistiques : les locuteurs de langues iraniennes, qui, au VIIe siĂšcle, ont tendance Ă  ĂȘtre urbanisĂ©s et les peuples turcs, qui sont Ă  l’époque pour la plupart encore nomades[3]. Ce bilinguisme est le reflet de l’histoire de la Transoxiane, rythmĂ©e jusque-lĂ  par les invasions des peuples nomades d’Asie centrale. Au IIe siĂšcle av. J.-C., les Yuezhi dĂ©truisent le royaume grĂ©co-bactrien et fondent l’Empire kouchan, qui permet au bouddhisme de s'implanter dans la rĂ©gion. Aux Kouchans succĂšdent les ShvetahĂ»na au dĂ©but du Ve siĂšcle, dont la domination dure jusqu'Ă  l’avĂšnement du Khaganat turc Ă  la moitiĂ© du VIe siĂšcle. AprĂšs la division du Khaganat en deux entitĂ©s, le Khaganat turc occidental maintient sa suzerainetĂ© sur les diffĂ©rentes principautĂ©s de la Transoxiane, et lance parfois mĂȘme des raids jusqu’à Balkh[6].

Tokharistan

Lors de sa visite du Tokharistan, autre nom de la Bactriane, en 630, le moine bouddhiste chinois Xuanzang y trouve pas moins de 27 principautĂ©s diffĂ©rentes, sous l’autoritĂ© gĂ©nĂ©rale d’un prince turc (Shad) vivant Ă  KondĂŽz, alors le fils aĂźnĂ© du Yabgu du Khaganat turc occidental. AprĂšs l’effondrement du Khaganat durant les annĂ©es 650, ce prince/vice-roi gagne son indĂ©pendance et revendique pour lui-mĂȘme de titre de Yabghu. Il maintient une forme de suzerainetĂ© sur les autres principautĂ©s du Tokharistan, mais ce pouvoir n'est que symbolique. De fait, les princes, dont beaucoup sont des chefs turcs et des gouverneurs locaux ayant pris le pouvoir Ă  la suite de l’effondrement du khaganat, sont totalement indĂ©pendants[7].

Au nord de l’Oxus, dans la partie supĂ©rieure du Tokharistan, les principautĂ©s les plus importantes sont, d’est en ouest, celles de Badakhshan, Khuttal, Kubadhiyan et Chaghaniyan. Au sud de l’Oxus, dans la partie infĂ©rieure du Tokharistan, c'est Balkh, l’ancienne capitale de la rĂ©gion, qui reste la citĂ© la plus importante du Tokharistan et son principal centre religieux, avec l’important stĆ«pa bouddhiste de Nawbahar, qui attire les pĂšlerins venus de loin. Les autres principautĂ©s importantes de cette rĂ©gion sont celles de Guzgan, BĂądghĂźs, HĂ©rat et BĂąmiyĂąn. Au-delĂ , dans l’Hindou Kouch, on trouve Kaboul[8] - [9].

Sogdiane

La Sogdiane se trouve au nord et Ă  l'ouest des monts Hissar, le long de la riviĂšre Zeravchan. C'est une rĂ©gion au passĂ© riche, avec une culture, une langue et une Ă©criture qui lui sont propres, toutes bien documentĂ©es grĂące aux dĂ©couvertes archĂ©ologiques et aux sources littĂ©raires. La Sogdiane est elle aussi divisĂ©e en plusieurs petites principautĂ©s, mais les deux grandes villes de Boukhara et Samarcande dominent l'ensemble. Les Sogdiens sont des nĂ©gociants particuliĂšrement actifs sur la route de la soie[10] - [11]. Les sources chinoises semblent suggĂ©rer que la plupart des princes sogdiens appartiennent a diverses branches d'une mĂȘme famille, dont le chef, le souverain de Samarcande, est liĂ© par mariage aux khagans turcs. La plupart de ces souverains utilisent des titres persans (khudah, chah), mais certains utilisent Ă©galement des titres turcs. Le souverain de Samarcande utilise le titre d’ikhshid, tout comme les rois de Ferghana, afin de marquer sa prĂ©Ă©minence[12]. Ce titre se transmet de pĂšre en fils, mais celui qui le porte n'a pas un pouvoir absolu. L’ikhshid doit composer avec l’aristocratie terrienne, les dehqan, et de riches marchands qui jouissent, selon l'historien H. A. R. Gibb, « non seulement d'une grande indĂ©pendance, mais aussi, Ă  l’occasion, du pouvoir de destituer le prince rĂ©gnant et d’élire son successeur. »[13].

Vallée de Ferghana et Khwarezm

Au nord et Ă  l’est de la Sogdiane s’étend un territoire connu sous le nom de « Steppe de la Faim ». Il s'agit d'une large Ă©tendue d’environ 160 km, qui s’arrĂȘte au niveau des plaines fertiles situĂ©es autour du fleuve Jaxartes (aujourd'hui le Syr-Daria). Le Jaxartes est plus petit que l’Oxus et peut ĂȘtre facilement franchi Ă  guĂ©. Cette rĂ©gion abrite au nord-ouest la principautĂ© de Shash (aujourd'hui Tachkent) et Ă  l'est la vallĂ©e de Ferghana, qui borde les monts Tian Shan. DerriĂšre ces monts, se trouve Kachgar, l’avant-poste le plus oriental de l’Empire chinois[14]. Enfin, Ă  l’ouest de la Sogdiane, isolĂ© au milieu du dĂ©sert, se trouve le Khwarezm, habitĂ© par un peuple iranien sĂ©dentaire et urbanisĂ©.

L’histoire de cette rĂ©gion entre la fin du IIIe siĂšcle et le dĂ©but de la conquĂȘte musulmane est souvent floue, Ă  cause de l’absence de sources littĂ©raires et archĂ©ologiques. En consĂ©quence, les historiens modernes ne s'accordent pas sur une potentielle domination de l'Empire kouchan, notamment Ă  cause de l’absence de toute trace du bouddhisme dans la rĂ©gion et de la prĂ©sence continue du zoroastrisme. Selon l'historien persan Tabari, la rĂ©gion est conquise par les Perses sous le rĂšgne d'Ardachir Ier (r. 224-242), le fondateur de la dynastie Sassanide, et bien que les listes ultĂ©rieures des provinces sassanides n’incluent pas le Khwarezm, la rĂ©gion reste certainement sous une certaine forme de dĂ©pendance Ă  l’égard de la Perse sassanide. Au dĂ©but du IVe siĂšcle, le Khwarezm est gouvernĂ© par la dynastie locale des Afrighides, connue Ă  travers des piĂšces de monnaie et les Ă©crits d'al-Biruni, un savant d'origine khwarezmienne du XIe siĂšcle. On ignore cependant si le Khwarezm passe sous domination turque aux VIe – VIIe siĂšcles[15] - [16].

Comme le note l'historien britannique Hugh N. Kennedy, la Transoxiane « Ă©tait une terre riche, pleine d'opportunitĂ©s et de richesses mais dĂ©fendue par des hommes belliqueux tenant Ă©normĂ©ment Ă  leur indĂ©pendance. » Et effectivement, l'assujettissement de cette rĂ©gion va se rĂ©vĂ©ler ĂȘtre le plus long et plus dur combat menĂ© depuis le dĂ©but des conquĂȘtes musulmanes : il faudra attendre que la bataille de Talas en 751 garantisse aux musulmans leur domination sur la rĂ©gion[2].

PremiĂšres incursions musulmanes

Bien que les sources arabes suggĂšrent une conquĂȘte de la rĂ©gion dĂšs les annĂ©es 650, la plupart des opĂ©rations ne sont guĂšre plus que des raids visant Ă  faire du butin et obtenir un tribut. En effet, la prĂ©sence arabe dans la rĂ©gion se limite Ă  une petite garnison Ă  Marw al-Rudh (en), les raids Ă©tant menĂ©s chaque annĂ©e par des armĂ©es envoyĂ©es par les gouverneurs d’Irak pour piller les principautĂ©s locales[17].

La premiĂšre expĂ©dition, commandĂ©e par Ahnaf ibn Qays en 652, est repoussĂ©e par une coalition de troupes venant de tout le Tokharistan infĂ©rieur et retourne Ă  Marw. Une deuxiĂšme expĂ©dition, commandĂ©e par al-Aqra ibn Habis, a cette fois plus de succĂšs : elle rĂ©ussit Ă  vaincre le prince de Guzjan et occupe les villes de Guzjan, Faryab, Talaqan et Balkh. Des dĂ©tachements arabes pillĂšrent ensuite la rĂ©gion, certains allant jusqu'au Khwarezm. En 654, la ville de Mayamurgh en Sogdiane est pillĂ©e[18], mais peu aprĂšs la population locale, dirigĂ©e par Qarin, peut-ĂȘtre un membre de la maison de Karen, se rĂ©volte. Les Arabes se retirent totalement du Khorassan et, selon des sources chinoises, les princes du Tokharistan redonnent, pour un temps, Ă  PĂ©roz III, le fils de Yazdgard III, le titre de roi de Perse. OccupĂ©s par la premiĂšre fitna (656-661), les Arabes ne sont pas en mesure de rĂ©agir face Ă  cette rĂ©volte, mĂȘme s'ils continuent les expĂ©ditions de pillage entre 655 et 658[19].

AprĂšs la fin de la guerre civile, Abdallah ibn Amir se voit confier la tĂąche de restaurer le contrĂŽle musulman sur Khorassan. Le dĂ©roulement exact des Ă©vĂ©nements des annĂ©es suivantes n'est pas clair, car les sources historiques le confondent avec l'Ibn Amir prĂ©sent lors de la premiĂšre conquĂȘte de cette zone. Toujours est-il que les informations que nous avons, qui sont pour la plupart des rĂ©cits des tribus locales, suggĂšrent une rĂ©sistance farouche et des rĂ©bellions occasionnelles, entraĂźnant comme rĂ©action la destruction du stupa Nawbahar par Qays ibn al-Hatham, un adjoint d'ibn Amir[20]. Il faut attendre la nomination de Ziyad ibn Abi Sufyan comme gouverneur de l’Irak et de l’est du califat pour que les Arabes entreprennent une campagne de pacification systĂ©matique du Khorassan. De 667 jusqu'Ă  sa mort en 670, Al-Hakam ibn Amr al-Ghifari, l'adjoint de Ziyad au Khorassan, mĂšne une sĂ©rie de campagnes au Tokharistan, amenant les armĂ©es arabes Ă  traverser l’Oxus pour rejoindre le Chaghaniyan. PĂ©roz III est Ă©vincer et fuit une nouvelle fois vers la Chine. La mort d'Al-Hakam est suivie d'un autre soulĂšvement Ă  grande Ă©chelle, mais son successeur, Rabi ibn Ziyad al-Harithi, reprend Balkh et dĂ©fait les rebelles Ă  Kouhistan, avant de traverser l’Oxus pour envahir le Chaghaniyan. D'autres troupes arabes prennent le contrĂŽle des points de passage de Zamm et Amul, situĂ©s plus Ă  l’Ouest, alors que les sources arabes indiquent une conquĂȘte simultanĂ©e du Khwarezm[21]. Plus important encore pour l’avenir de la prĂ©sence musulmane dans la rĂ©gion, en 671 Ziyad ibn Abi Sufyan installe 50 000 guerriers, venant principalement de Bassorah et, dans une moindre mesure, de Koufa, Ă  Marw avec leur famille. Ce geste renforce non seulement la prĂ©sence musulmane au Khorassan, mais il fournit Ă©galement la puissance militaire nĂ©cessaire Ă  la future expansion en Transoxiane[22] - [23].

À la mort de Ziyad, son fils, Ubayd Allah, poursuit sa politique. Ubayd, nommĂ© gouverneur du Khorassan, arrive Ă  Marw Ă  l'automne 673. Au printemps suivant, il traverse l’Oxus et envahit la principautĂ© de Boukhara, qui est alors dirigĂ©e par une reine-mĂšre, connue simplement sous le nom de Khatun (un titre turc signifiant « dame »), assurant la rĂ©gence au nom de son fils encore enfant. Les Arabes remportent un premier succĂšs prĂšs de la ville de Baykand avant de marcher sur Boukhara. La tradition historique locale rapporte que les Arabes assiĂšgent alors Boukhara et que les Turcs sont appelĂ©s Ă  l'aide. Les sources arabes, quant Ă  elles, n'apportent pas ces prĂ©cisions et ne rapportent qu'une grande victoire sur les habitants de Boukhara. ConformĂ©ment Ă  une pratique apparemment courante Ă  l’époque, Ubayd Allah recrute 2 000 prisonniers, tous des « archers confirmĂ©s », pour former sa garde personnelle. Le sort de Boukhara reste incertain, mais selon H. A. R. Gibb cet arrangement suggĂšre que la citĂ© reconnait une certaine forme de suzerainetĂ© arabe et devient un État tributaire[24].

Les succĂšs de Ubayd Allah ne sont pas poursuivis par ses successeurs, Aslam ibn Zur'a et Abd al-Rahman ibn Ziyad; qui se contentent de lancer des raids vers l'autre rive de l'Oxus en Ă©tĂ©. Ce n'est que lorsque Sa'id ibn Uthman devient briĂšvement gouverneur en 676, que les Arabes lancent une grande expĂ©dition en Sogdiane. Selon les historiens Al-BalĂądhurĂź et Narshakhi, Sa'id dĂ©fait une coalition locale qui comprend les villes de Kish, Nasaf, Boukhara et des Turcs, contraint la Khatun Ă  rĂ©affirmer l’allĂ©geance de Boukhara au califat et marche ensuite sur Samarcande, qu’il assiĂšge et prend. Il prend ensuite 50 jeunes nobles comme otages, qui finissent par ĂȘtre exĂ©cutĂ©s Ă  MĂ©dine. Pendant son voyage de retour, Sa'id capture la ville de Tirmidh, qui est situĂ©e sur l’Oxus et reçoit la capitulation du prince de Khuttal[25].

Les premiĂšres attaques arabes au-delĂ  de l’Oxus ne vont pas plus loin que Shash et Khwarezm et sont interrompues par la guerre inter-tribale qui Ă©clate au Khorasan pendant la deuxiĂšme guerre civile islamique (683-692). Les gouverneurs suivants, notamment Uthman ibn Sa'id et Al-Muhallab ibn Abi Suffrah, tentent de conquĂ©rir des territoires situĂ©s sur l'autre rive de la riviĂšre, mais ils Ă©chouent[26]. Les princes locaux, pour leur part, essayent d’exploiter les rivalitĂ©s des Arabes et avec l’aide du renĂ©gat arabe Musa ibn Abdallah ibn Khazim, qui, en 689, prend la forteresse de Tirmidh pour son propre compte, ils rĂ©ussissent Ă  chasser les Arabes de leurs terres[27]. NĂ©anmoins, les princes Transoxianiens restent divisĂ©s par leurs propres querelles et n’arrivent pas Ă  s’unir face Ă  la conquĂȘte arabe, ce qui va ĂȘtre convenablement exploitĂ©e par Qutayba aprĂšs 705[28].

Les guerres entre les Omeyyades et les GöktĂŒrks

La plus grande partie de la Transoxiane est finalement conquise par le chef omeyyade Qutayba ben Muslim, pendant le rĂšgne d’Al-WalÄ«d 1er (r. 705-715)[29][30]. Tour Ă  tour, Kachgar, Samarcande, Boukhara, Ferghana, Kokand, Chach et Paikent tombent entre les mains de Qutayba ibn Muslim[31]. La loyautĂ© des populations locales de la Transoxiane, d'origines iraniennes et turques, et celle de leurs souverains reste sujette Ă  caution, comme le prouve la pĂ©tition que les souverains transoxianiens envoient en 719 aux Chinois et Ă  leurs vassaux GöktĂŒrks, pour leur demander une aide militaire contre les gouverneurs du califat[32].

Cette pĂ©tition n'est pas la premiĂšre implication diplomatique de la Chine dans le conflit, car les chroniques arabes rapportent que, parallĂšlement Ă  ses campagnes, Qutayba envoie une mission diplomatique vers la Chine. D'aprĂšs les sources chinoises, cette dĂ©lĂ©gation diplomatique arabe est envoyĂ©e en 713[33]. En outre, les omeyyades ont dĂ©jĂ  lancĂ© des attaques contre le protectorat d'Anxi, le protectorat militaire qui permet aux Chinois de contrĂŽler l'Aise centrale. Ces attaques se sont conclues par un Ă©chec pour le califat, marquĂ© par une dĂ©faite musulmane en 717 lors de la bataille d'Aksou. Lors de cette bataille, qui a eu lieu quelque part dans la rĂ©gion du Xinjiang, a proximitĂ© de l'actuelle frontiĂšre entre la Chine et le Kirghizistan, les arabes et leurs alliĂ©s TibĂ©tains et TĂŒrgesh, sont vaincus par les Tang et leurs alliĂ©s Karlouks et Kökturks[34]. Pire, aprĂšs la bataille, les TĂŒrgesh se reconnaissent vassaux des Tangs et attaquent les troupes du Califat dans la vallĂ©e de Ferghana. Finalement, les omeyyade sont quasiment expulsĂ©s de la vallĂ©e par les TĂŒrgesh et ne gardent le contrĂŽle que de quelques forts.

Toujours est-il qu'Ă  la suite de la pĂ©tition des souverains transoxianiens, les GöktĂŒrks rĂ©pondent Ă  cette demande en lançant une sĂ©rie d’attaques contre les musulmans en Transoxiane, dĂšs 720. En plus de ces incursions, les Arabes doivent faire face Ă  des soulĂšvements contre le califat qui Ă©clatent en Sogdiane et ils sont presque vaincus par une alliance de KöktĂŒrks et de Sogdiens[35]. En effet, en 721, les troupes des KöktĂŒrks, dirigĂ©es par KĂŒl Chor, rĂ©ussissent Ă  vaincre l’armĂ©e du califat, commandĂ©e par Sa'id ibn Abdu'l-Aziz, prĂšs de Samarcande.

AprĂšs cette dĂ©faite, le nouveau gouverneur omeyyade du Khorassan, Amr ibn Sa'id al-Harashi, rĂ©agit en rĂ©primant durement les troubles. Il massacre les Turcs et les Sogdiens rĂ©fugiĂ©s Ă  Khodjent, provoquant un afflux de rĂ©fugiĂ©s vers les territoires des KöktĂŒrks. Finalement, il rĂ©ussit Ă  reconquĂ©rir la quasi-totalitĂ© des territoires qui avaient Ă©tĂ© conquis par Qutayba, Ă  l’exception de la vallĂ©e de Ferghana, dont il perd le contrĂŽle[36][37]. Si l'intervention des KöktĂŒrks commence par redonner de l’espoir Ă  Divashtich, le chef des rebelles sogdiens, aprĂšs la prise de Pendjikent par les Arabes, il est obligĂ© de se replier dans sa forteresse, situĂ©e dans les monts Mugh. Les archives en langue sogdienne qui ont Ă©tĂ© trouvĂ©es dans la forteresse de Divashtich rĂ©vĂšlent Ă  quel point sa situation est prĂ©caire, ainsi que les Ă©vĂ©nements menant Ă  sa capture. AprĂšs sa capture, al-Harashi, ordonne sa crucifixion sur un na'us, c'est-Ă -dire un tumulus[38]. MalgrĂ© la victoire finale d'al-Harashi, la rĂ©volte de Divashtich offre un bon exemple du sentiment anti-islam qui se dĂ©veloppe dans la rĂ©gion juste aprĂšs la conquĂȘte et des difficultĂ©s que rencontrent les Arabes pour tenir la Transoxiane[39].

En 724 le calife Hisham nomme un nouveau gouverneur Ă  Khorasan, Muslim ibn Sa'id, avec comme instruction d'Ă©craser une bonne fois pour toutes les Turcs, qui sont en train d'assiĂ©ger Samarcande, qui vient juste d'ĂȘtre reprise par les Arabes. Alors qu'il se rend sur place avec ses soldats, le nouveau gouverneur est attaquĂ© par Suluk, le Khagan des KöktĂŒrks. Lorsqu'il finit par arriver Ă  Samarcande, Sa'id n'a plus avec lui qu'une poignĂ©e de fidĂšles ayant survĂ©cu Ă  ce que les Arabes appellent le « jour de la Soif ». Le calife envoie alors une autre armĂ©e dirigĂ©e par Qutayba ibn Muslim, qui rĂ©ussit Ă  vaincre les Turcs et lever le siĂšge de Samarcande[40]. AprĂšs cette victoire, Qutayba ordonne la destruction des "idoles" prĂ©sentes dans la ville ainsi que la construction d'une mosquĂ©e. Sa victoire lui permet Ă©galement de capturer 30.000 esclaves et de rĂ©cupĂ©rer un butin d'une valeur de 2 200 000 de dirhams[41]. Par la suite, les troupes de Qutayba rĂ©ussissent Ă  vaincre une alliance composĂ©e des troupes de plusieurs royaumes de la vallĂ©e de Ferghana, qu'ils affrontent prĂšs de Samarcande et dans le royaume de Khwarezm. Qutayba ibn Muslim ne s’arrĂȘte pas lĂ  et poursuit ses conquĂȘtes en soumettant Boukhara sans trop de difficultĂ©s[42].

Plusieurs lieutenants d'Hisham sont vaincus par Soulouk, qui prend Boukhara en 728, puis inflige une sĂ©rie de dĂ©faites tactiques aux Arabes, comme lors de la bataille de la Passe. Le royaume des KöktĂŒrks qui est alors Ă  son apogĂ©e, contrĂŽle la Sogdiane et la vallĂ©e de Ferghana. En 732, deux grandes expĂ©ditions arabes attaquent Samarcande et rĂ©ussissent, au prix de lourdes pertes, Ă  rĂ©tablir le pouvoir califal dans la rĂ©gion. Reconnaissant sa dĂ©faite, Soulouk renonce Ă  ses ambitions sur Samarcande et abandonne Boukhara pour se replier vers le Nord.

En 734, al-Harith ibn Saridj, un vassal des Omeyyades, se rĂ©volte contre la domination arabe et prend les villes de Balkh et Merv avant de rejoindre les Turcs trois ans plus tard, vaincu par les troupes du califat. Durant l'hiver 737, Soulouk, ainsi que ses alliĂ©s al-Harith et Gurak (un leader Turco-Sogdiens), prennent la tĂȘte d'une armĂ©e composĂ©e de soldats venant de Usrushana, Tachkent et Khuttal, pour lancer une derniĂšre offensive. Il entre dans Jowzjan mais il est vaincu par le gouverneur omeyyade Asad Ă  la bataille de Kharistan. L’annĂ©e suivante, Soulouk est assassinĂ© par son gĂ©nĂ©ral, qui bĂ©nĂ©ficie de l’aide des Chinois. En 739 le gĂ©nĂ©ral en question est tuĂ© Ă  son tour par les Chinois, qui reprennent ainsi pied en Transoxiane. Finalement, ce n'est qu'aprĂšs la mort de Soulouk que la Sogdiane est vĂ©ritablement pacifiĂ©e[43] et malgrĂ© cette pacification, l'islam n'arrive pas Ă  vĂ©ritablement s'implanter dans la rĂ©gion avant la pĂ©riode du califat abbasside[44].

Une grande partie de la culture et du patrimoine Sogdien est perdu Ă  cause de la guerre[45]. Et mĂȘme si les toponymes utilisĂ©s par les Arabes contiennent des Ă©lĂ©ments provenant du sogdien[46], cette langue perd son rĂŽle de langue vĂ©hiculaire dans la rĂ©gion, au profit du perse aprĂšs l’arrivĂ©e de l’Islam[47].

Les derniĂšres batailles

Les Sogdiens convertis Ă  l'Islam et qui travaillent pour les Abbasides sont pour la plupart envoyĂ©s Ă  Merv, Nichapur et Bagdad[31]. AprĂšs la chute des Omeyyades, le califat des Abbassides renvoie ces alliĂ©s en Sogdiane, oĂč ils deviennent des officiers du calife[48].

La derniĂšre grande victoire des Arabes en Asie centrale a eu lieu Ă  la bataille de Talas (751). Lors de cette bataille, l'Empire du Tibet s'est alliĂ© aux Arabes contre la dynastie Tang[49][50]. Comme les Arabes ne profitent pas de leur victoire pour pousser plus en avant et tenter d'annexer le Xinjiang, la bataille n'a pas une rĂ©elle importance stratĂ©gique pour les Chinois. C'est en rĂ©alitĂ© le chaos provoquĂ© par la rĂ©volte d'An Lushan qui va forcer les Tang Ă  se replier d’Asie centrale[51] - [52]. En dĂ©pit de la conversion de certains Turcs aprĂšs la bataille de Talas, la majoritĂ© des peuples turcs d'Asie centrale ne se convertissent pas Ă  l'Islam avant la moitiĂ© du Xe siĂšcle, lors de l'Ă©tablissement du Khanat des Qarakhanides[50][53] - [54] - [55] - [56].

Les Turcs doivent attendre deux siÚcles avant de pouvoir reconquérir la Transoxiane, lorsque les Qarakhanides arrivent à reconquérir la ville de Boukhara en 999. Selon Denis Sinor, ce sont les ingérences dans les affaires intérieures du Khaganat turc occidental qui ont mis fin à la suprématie chinoise en Asie centrale; car c'est la chute du khaganat qui débarrasse les musulmans de leur plus grand adversaire et d'un puissant allié des Chinois.

Ce serait donc la perte de leur allié et la plus grande guerre civile de cette époque qui aurait vraiment mis fin à la présence chinoise en Asie centrale et non pas la bataille de Talas[57].

Islamisation

Le processus d’islamisation des populations locales est lent pendant la pĂ©riode du califat omeyyades, mais il devient plus rapide sous le califat abbasside. En fait, les Omeyyades traitent les peuples non arabes comme des citoyens de seconde zone et n’encouragent pas les conversions[58], ce qui fait que seulement quelques Sogdiens non nobles se convertissent Ă  l’Islam pendant leur rĂšgne[59]. À l'inverse, les Abbassides traitent sur un pied d'Ă©galitĂ© arabes et non arabes, du moment qu'ils sont musulmans. C'est aprĂšs ce changement que l'Islam commence Ă  se rĂ©pandre dans toute l’Asie centrale.

Cependant, la conquĂȘte arabe ne marque pas la fin du bouddhisme ou de l'influence chinoise dans la rĂ©gion. Le khanat des Kara-Khitans, un royaume bouddhiste, rĂ©ussit Ă  conquĂ©rir une grande partie de l’Asie centrale au XIIe siĂšcle, aux dĂ©pens de la dynastie musulmane des Qarakhanides. Les Kara-Khitans rĂ©introduisent aussi le systĂšme chinois du gouvernement impĂ©rial, car la Chine est toujours respectĂ©e et estimĂ©e dans la rĂ©gion, mĂȘme par la population musulmane[60] - [61] et les Khitans utilisent toujours le chinois comme langue officielle principale[62]. De leur cĂŽtĂ©, les musulmans appellent les souverains Kara-Khitans "les Chinois"[63].

Les Turcs vus par les Arabes

Les Ă©crits des chroniqueurs arabes mĂ©diĂ©vaux indiquent que les Turcs de leur Ă©poque leur semblent Ă©tranges et qu'ils sont extrĂȘmement diffĂ©rents physiquement. Les Arabes qualifient les Turcs de « gens avec un visage plat et de petits yeux »[64] - [65]. Les mĂȘmes chroniqueurs trouvent que les TibĂ©tains et les Turcs se ressemblent beaucoup et ils sont souvent incapables de faire la diffĂ©rences entre ces deux peuples[66].

La Chine vue par les musulmans

Le nom donnĂ© a la Chine par les Turcs vient de Toba, le nom des souverains de la dynastie Wei du Nord, et est prononcĂ©e par eux Tamghāj', Tabghāj', Tafghāj ou Tawjāch. Les royaumes indiens lui donnent le nom de "Maha Chin", soit "Grande Chine", qui a donnĂ© naissance Ă  deux noms diffĂ©rents pour dĂ©signer la Chine en persan: "chÄ«n" et "māchÄ«n"(چين, Ù…Ű§Ú†ÙŠÙ†). Ces deux termes passent du persan Ă  l'arabe et donnent áčŁÄ«n et māáčŁÄ«n (Ű”ÙŠÙ† Ù…Ű§Ű”ÙŠÙ†). Dans premier temps, áčŁÄ«n sert Ă  dĂ©signer la Chine du sud et māáčŁÄ«n celle du nord; mais avec le temps les dĂ©finitions s'inversent et c'est māáčŁÄ«n qui finit par dĂ©signer le sud, pendant que áčŁÄ«n dĂ©signe le nord. Ce changement de dĂ©finition oblige Ă  ĂȘtre trĂšs prudent lorsqu'on lit les textes arabes de l'Ă©poque qui parlent de la Chine, afin de comprendre quelle partie de la Chine est dĂ©signĂ©e par tel ou tel mot. Les Tang contrĂŽlaient Kashgar depuis les "Quatre Garnisons" du protectorat d'Anxi, ce qui correspond actuellement au Xian de Guazhou. Du coup, des Ă©crivains comme KashghārÄ« ont considĂ©rĂ© que Kashgar fait partie intĂ©grante de la Chine (áčŁÄ«n). En consĂ©quence, des peuples comme les OuĂŻghours et les Khitans, qui vivent dans cette rĂ©gion, sont qualifiĂ©s en bloc de "Chinois" par MarwazÄ«, qui Ă©crit Ă©galement que sÄ«nwas est frontalier du māáčŁÄ«n[67], qui est Ă©galement orthographiĂ© "mahachin"[68].

Les auteurs musulmans comme MarwazÄ« Ă©crivent que la Transoxiane est une ancienne partie de la Chine, ce qui est leur façon de retranscrire l'ancienne mainmise indirecte des Tang sur la rĂ©gion. Pour les Ă©crivains musulmans, les Khitans, le royaume des OuĂŻgours de Ganzhou et Kachgar font tous partie de la Chine d'un point de vue culturel et gĂ©ographique, avec les musulmans d’Asie centrale qui conservent l’hĂ©ritage de la domination chinoise sur cette rĂ©gion Ă  l’aide de titres tels que "Khan de Chine" (ŰȘمŰșۧۏ ŰźŰ§Ù†) (Tamghaj Khan ou Tawgach) en turc et "Le roi de l’Orient en Chine"(ملك Ű§Ù„Ù…ŰŽŰ±Ù‚ (ŰŁÙˆ Ű§Ù„ŰŽŰ±Ù‚) ÙˆŰ§Ù„Ű”ÙŠÙ†) (malik al-mashriq (ou al-sharq) wa al-áčŁÄ«n) en arabe pour les souverains musulmans Qarakhanides et leurs ancĂȘtres Karlouks[69] - [70].

Le titre de "Malik al-Mashriq wa'l-áčąÄ«n" a Ă©tĂ© confĂ©rĂ© par le calife abbasside au Khan de Tamghaj, Khaqan YĆ«suf b. កasan, qui est originaire de Samarcande. DĂšs lors, le titre du Khan de Tamghaj est mentionnĂ© sur des piĂšces et dans des Ă©crits et il continue d’ĂȘtre employĂ© aprĂšs la division du royaume en deux, par les rois des deux nouveaux États. Les Qarakhanides utilisent des objets d'origine chinoise tels que les piĂšces de monnaie, le systĂšme d’écriture, des tablettes, des sceaux, des produits artisanaux, comme la porcelaine, des miroirs, du jade et autres objets chinois visant Ă  attirer la population d'Asie centrale, qui considĂšre la rĂ©gion comme un ancien territoire chinois et veut conserver des liens avec la Chine, qui continue de jouir d'un grand prestige.

Le "Turkestan" et le "ChÄ«n" (Chine) sont dĂ©crits par Fakhr al-DÄ«n Mubārak Shāh comme Ă©tant le mĂȘme pays, oĂč se trouvent les villes de Balasagun et Kachgar[71]. Cet amalgame est repris dans l’épopĂ©e persane du ShĂąh NĂąmeh, oĂč ces deux pays sont considĂ©rĂ©s comme une mĂȘme entitĂ©, et oĂč le Khan du Turkestan est Ă©galement appelĂ© le Khan de Chin[72] - [73] - [74].

Bien qu’en ourdou moderne "Chin" signifie "Chine", ce terme faisait rĂ©fĂ©rence Ă  l’Asie centrale Ă  l'Ă©poque de Mohamed Iqbal, c’est pourquoi ce dernier a Ă©crit que "Chin est nĂŽtre", comprendre "Chin appartient aux musulmans", dans sa chanson "Tarana-e-Milli"[75]. De mĂȘme, dans les Ă©crits originaux, l'histoire d'Aladin ou la Lampe merveilleuse se dĂ©roule en Chine, ce qui peut trĂšs bien signifier en fait "Asie centrale", la subtilitĂ© ayant Ă©chappĂ© aux traducteurs occidentaux de ce conte[76].

Notes et références

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Annexes

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