Chevalier romain
Les chevaliers (en latin : equites, pluriel de eques, equitis) sont un groupe de citoyens de la Rome antique capables financièrement de s'équiper pour servir dans l'armée à cheval sous la République. Les chevaliers se virent attribuer un poids politique privilégié dans les institutions de la République romaine. Les chevaliers sont organisés sous l'Empire en ordre équestre (equester ordo), venant immédiatement après l'ordre sénatorial.
Choisis par les censeurs, ce sont les plus fortunés (possession d'au moins 400 000 sesterces du IIe siècle av. J.-C. jusqu'au début de l'Empire) et les plus honorables des citoyens (en dehors des sénateurs)[1]. Cette appartenance pouvait être théoriquement remise en cause à chaque censure. En pratique elle était héréditaire. Le chevalier se reconnaît à la bande de pourpre étroite cousue sur sa tunique (tunique dite angusticlave), et au port de l'anneau d'or.
Origine
Selon la tradition romaine, l'ordre équestre aurait été créé par Servius Tullius au VIe siècle av. J.-C. lorsqu'il institua les comices centuriates. L'objectif est de favoriser les plus riches des citoyens. Les 18 centuries équestres sont les premières unités de vote dans les comices centuriates ; suivent ensuite les 172 centuries pédestres, puis une centurie spéciale.
Accès à l'ordre équestre
Celui-ci dépend de trois prérequis :
- la possession d'une fortune originelle de 400 000 sesterces[2] (ce qui représentait la valeur d'un ou deux grands domaines). Ce montant est indiqué dans la Vie des douze Césars de Suétone[3] ;
- une réputation d'honorabilité (il faut être fiable, ne pas exercer de métier infamant, …)[1]
- le refus de la carrière des magistratures.
Ces trois conditions remplies, le censeur inscrit dans un registre le nouveau chevalier, qui reçoit ses attributs vestimentaires (l'anneau et la tunique) ainsi que le cheval public (lat. equus publicus) : il devient un eques equo publico.
À partir du Ier siècle av. J.-C., l'ordre équestre permet aux citoyens les plus riches l'accès à certaines magistratures, auquel cas ils rendent leur cheval public et abandonnent leur statut de chevalier (une des conditions n'est en effet plus remplie). Ce sont des hommes nouveaux (lat. homo novus, pluriel homines novi) dans les hautes sphères dirigeantes de l'État.
Carrière
Ce qui définit le plus sûrement cette couche sociale, c’est une carrière spécifique, comprenant quatre types de charges : les milices équestres, les procuratèles, les grandes préfectures et les sacerdoces équestres[1].
Les trois milices équestres (3 fois 3 ans) : préfet de cohorte auxiliaire ; préfet d’aile; tribun de légion. Cet ordre n’est devenu strict qu’à partir de l’époque flavienne.
Les procuratèles : les procurateurs remplissaient les fonctions de chefs de services administratifs à Rome, au palais impérial (procuratèles palatines). Hors de la Ville ils gouvernaient les provinces impériales procuratoriennes (petites provinces peu romanisées où ne stationnaient que des troupes auxiliaires), ou bien ils géraient les finances impériales.
Ils étaient répartis en trois niveaux en fonction de leur salaire. On distingue les fonctions sexagénaires (payées 60 000 sesterces/an), centenaires (100 000 sest./an), ducénaires (200 000 sest./an) et tricénaires (300 000 sest./an) à partir de Marc Aurèle.
Les grandes préfectures : elles sont, dans l’ordre hiérarchique croissant :
- les préfectures des flottes italiennes de Ravenne (mer Adriatique) et de Misène (mer Tyrrhénienne). Leur importance est mineure car les attaques se font sur terre ; le rôle des préfets est donc de surveiller les côtes italiennes (contre les pirates) et de protéger les convois de l'annone.
- la préfecture des vigiles, qui est à la tête des 7 cohortes de vigiles (sapeurs pompiers de Rome).
- la préfecture de l'annone, qui est responsable du ravitaillement de Rome en huile (en provenance de Bétique notamment) et en blé (venant principalement d'Égypte)
- la préfecture d’Égypte, qui gouverne cette région qui n'est pas une province mais propriété personnelle de l'empereur
- la préfecture du prétoire, qui est à la tête des 9 ou 10 cohortes prétoriennes assurant la protection rapprochée de l'empereur à l'intérieur et en dehors de Rome. Depuis Claude, ces cohortes sont généralement indispensables au futur empereur pour parvenir au pouvoir.
Les sacerdoces équestres de la Ville de Rome : haruspices, luperques, etc. En outre, les chevaliers formaient un milieu ouvert vers le haut (par accès à l’ordre sénatorial) et vers le bas (par recrutement dans le groupe des notables municipaux).
Les rangs suivent l'évolution de la carrière : d'abord vir egregius ("homme remarquable"), puis vir perfectissimus ("homme très parfait"), enfin vir eminentissimus ("homme très éminent") au sommet de cette hiérarchie. Le salaire annuel respectif est de 60, 100 et 300 000 sesterces, ce qui reste inférieur au seuil sénatorial de 400 000 sesterces par an.
La RĂ©publique romaine
Sous la République les comices centuriates, qui représentent le peuple en armes, élisent les magistrats supérieurs (à Imperium c'est-à -dire à pouvoir civil et militaire) : Consulat et Préture, et tous les cinq ans les deux censeurs.
Lors de la création des comices centuriates, les centuries de l'ordre équestre ajoutées aux centuries de première classe donnaient la majorité absolue aux plus riches des citoyens. Au fil des réformes leur mainmise sur le vote diminua.
Toutefois pour être élu à une magistrature du cursus honorum, il fallait être membre de l’ordre équestre, c’est-à -dire être inscrit au cens équestre. La division entre chevaliers et reste de la population vient s'ajouter à celle qui existe entre plébéiens et patriciens.
Le rôle des chevaliers changea en -123 quand Caius Gracchus reprit le projet de son frère, Tiberius Gracchus tribun de la plèbe, de redistribuer les terres agricoles. Il confia alors les tribunaux aux chevaliers, qui ne participaient pas jusqu'alors à la vie politique.
L'Empire romain
Sous le règne d'Auguste, la classe des chevaliers devient une noblesse de fonctionnaires (commandement de la garde prétorienne, préfectures, fonctions administratives diverses). Ils sont officiers dans l'armée, peuvent commander en chef les troupes auxiliaires (le gouvernement de l'Égypte est dévolu à l'un d'entre eux), administrer les biens, immenses, du prince ou assurer l'intendance des armées. Des centaines d'entre eux sont appelés à siéger, comme jurés, dans les tribunaux publics de Rome et exercent certaines charges administratives dans la capitale : les préfectures des vigiles (police nocturne, chargée également de la lutte contre les incendies), de l'annone et, surtout, du prétoire, c'est-à -dire de la garde personnelle d'Auguste. Il trouvera en l'un d'eux, Mécène, un bon diplomate pour administrer les territoires de l'Orient.
En 6, un chevalier est nommé préfet des vigiles. À la tête de sept cohortes, il a pour tâche est de coordonner la lutte contre les incendies dans Rome en plus de faire la police des rues durant la nuit. Les membres de ces cohortes sont des soldats recrutés parmi les affranchis. Mais le chef de la police demeure un sénateur.
C'est aussi dans l'ordre des chevaliers que l'on recrute, entre 8 et 14, le Præfectus annonæ (Préfet de l'annone), un préfet impérial permanent qui a pour mission d'assurer l'approvisionnement en grains de Rome.
Les Julio-Claudiens
Sous les Julio-Claudiens, les empereurs poursuivent le programme d'Auguste, sans véritable conquête territoriale. Ils annexent des royaumes alliés ou clients : la Commagène, la Maurétanie, le Bassin de Londres, la Thrace et la Judée. De nouvelles provinces apparaissent, notamment dans le massif alpin et en Maurétanie, et sont confiés aux chevaliers les pouvoirs nécessaires pour rendre la justice. Sous le règne de Caligula, on compte environ 20 000 chevaliers dont 5 000 résident dans la région de Rome.
C'est pendant le règne de Claude (41-54) que de nouvelles carrières s'ouvrirent aux chevaliers. On leur confia des provinces, tandis que, par ailleurs, il réprimait durement les complots de l'aristocratie sénatoriale.
Les Antonins
Sous le règne d'Hadrien (117-138) les chevaliers prennent la place des affranchis lors de la réforme de la Chancellerie. Les chevaliers sont considérés comme des nobles dont la richesse s'enracine précisément dans les provinces.
Pendant le règne de Commode (180-192), les chevaliers donnèrent leur appui politique à l'empereur détesté par le sénat (l'ordre équestre est alors de plus en plus prépondérant et c’est en son sein que sont recrutés les chefs militaires et les hauts fonctionnaires). Le chevalier Perennis gouverna au nom de l'empereur de 182 à 185. Jaloux, les sénateurs l'accusèrent de prétendre au trône et il succomba aux mains de l'armée de Bretagne et du chambellan M. Aurelius Cleander.
La crise du IIIe siècle
Après l’assassinat de Commode en 192 et l’arrivée au pouvoir des Sévères en 193, une nouvelle conception de l’État se fait jour. Elle est systématisée par Dioclétien (284-305). Le pouvoir impérial s'affiche désormais comme un pouvoir sacré, séparé du commun des mortels par un cérémonial emprunté aux monarchies orientales, ce qui met fin à la fiction du principat augustéen. Le rôle du Sénat est par conséquent marginalisé, puisqu'il cesse d'être la source de la légitimité impériale. Les chevaliers retirent un grand bénéfice de cette évolution en accaparant notamment tous les grands commandements militaires et les hautes fonctions administratives. Désormais, le plus important des fonctionnaires équestres, le préfet du prétoire, fait office de « premier ministre » de l'empereur.
Constantin et le déclin de l’ordre équestre
L’empereur Constantin, dans les années 320-350 renverse l'évolution politique favorisant les chevaliers. En effet, il porte les effectifs du Sénat à 2 000 membres en y intégrant les membres les plus en vue de l’ordre équestre, et surtout transfère la plupart des fonctions équestres à des sénateurs. Le préfet du prétoire devient notamment un sénateur, ce qui condamne l’ordre équestre à une place subalterne dans l’organisation de l’État. Désormais le passage par le Sénat est obligatoire pour accéder aux plus hautes fonctions.
Notes et références
- Yann LE BOHEC, « CHEVALIERS ROMAINS » , sur Encyclopædia Universalis (consulté le )
- Ce cens équestre n'a sans doute été fixé que vers le début du IIe siècle av. J.-C., après la promulgation de la lex Claudia (-218) : cf. Claude Nicolet, « Les classes dirigeantes romaines sous la République : ordre sénatorial et ordre équestre », Annales. Économies, sociétés, civilisations., 32e année no 4,‎ , p. 741 (DOI 10.3406/ahess.1977.293851)
- Suétone (trad. La Harpe, rév. Cabaret-Dupaty), Vie des Douze Césars, Paris, Garnier Frères,, , « Octave, 32 ».
Voir aussi
Bibliographie
- Ségolène Demougin, « L'ordre équestre sous les Julio-claudiens », Publications de l'École française de Rome, no 108,‎ (lire en ligne)
- Ségolène Demougin, « L’ordre équestre en Asie Mineure. Histoire d’une romanisation : Actes du colloque international de Bruxelles-Leuven, 5-7 octobre 1995 », Publications de l’École Française de Rome, no 257,‎ , p. 579-612 (lire en ligne, consulté le ).
- Claude Nicolet, L'ordre équestre à l'époque républicaine (« Bibliothèque des Écoles françaises d'Athènes et de Rome », 207), Paris, De Boccard, 1966.
- L'ordre équestre. Histoire d'une aristocratie (IIe siècle av. J.-C. - IIIe siècle apr. J.-C.), Actes du colloque international Bruxelles-Leuven, 5-7 octobre 1995 (« Collection de l'École française de Rome », 257), Paris, De Boccard, 1999, 694 p., 9 pl.
- Joseph-Émile Belot , Histoire des chevaliers romains considérée dans ses rapports avec celle des différentes constitutions de Rome, depuis le temps des Gracques jusqu'à la division de l'Empire romain, Paris : Durand et Pedone-Lauriel , 1872