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Bordel militaire de campagne

Un bordel militaire de campagne (abrégé en BMC) est un dispositif accompagnant plus ou moins officiellement les unités de l'armée française durant le XXe siècle et permettant aux militaires d'avoir aisément des relations sexuelles avec des prostituées. Cette désignation a un caractère argotique et populaire[1].

Un BMC à Aghbalou L'Arbi au Maroc, dans les années 1920.

Selon les lieux et opĂ©rations, le BMC prend diverses formes plus ou moins organisĂ©es : simple contrĂ´le mĂ©dical de quelques femmes habilitĂ©es, voire « invitĂ©es Â», Ă  se prostituer ; bâtiments durablement affectĂ©s Ă  ce service ou camions amĂ©nagĂ©s en bordel. Ils ont progressivement gĂ©nĂ©rĂ© une rĂ©glementation au sein de l'armĂ©e française.

Quasiment disparus en France métropolitaine juste après la Seconde Guerre mondiale, ils furent nombreux lors de la guerre d'Indochine et de la guerre d'Algérie. Par la suite, seule la Légion étrangère en posséda encore quelques-uns, le dernier sur le sol français fermant en 1995 en Guyane[2] ; en 2003, celui de Djibouti fonctionnait encore[3].

Historique

La tradition fait remonter les « bordels Ă  soldats Â» Ă  la croisade de Philippe II Auguste qui est choquĂ© de l'Ă©tendue des relations sexuelles entre soldats et les viols commis par les croisĂ©s. Il fait alors venir de France un bateau plein de prostituĂ©es[4].

Les premiers BMC apparaissent sans doute lors de la période de contrôle militaire de l'Algérie (1830-1870) après sa conquête par l'armée française[2], mais restent alors cantonnés à l'armée d'Afrique.

Ce n'est que lors de la Première Guerre mondiale que les BMC vont arriver en mĂ©tropole avec l'envoi d'unitĂ©s indigènes depuis les colonies, le commandement militaire ne voulant pas par racisme que les soldats indigènes aient des relations sexuelles avec des femmes locales[2]. Mais c'Ă©tait surtout pour essayer de restreindre la contamination des troupes par les infections sexuellement transmissibles, en particulier la syphilis, difficilement guĂ©rissable Ă  l'Ă©poque (la pĂ©nicilline ne la traite qu'Ă  partir de 1944). Cela est un Ă©chec : les annĂ©es 1914 Ă  1918 verront la contamination de 400 000 soldats[2].

Aucun texte officiel ne rĂ©git alors ses bordels de campagne, le sigle « BMC Â» n'apparaissant que dans les annĂ©es 1920 avec la rĂ©glementation des sigles dans l'armĂ©e française, et l'on retrouve alors mention des BMC dans des documents militaires[2].

PĂ©riode contemporaine

Les responsables militaires traitent avec le « Milieu Â» (crime organisĂ©) pour qu'il leur fournisse des prostituĂ©es[2]. L'« Association des maĂ®tres et maĂ®tresses d'hĂ´tels meublĂ©s de France et des colonies Â», rĂ©gie par la loi du , sise au 73, rue de Nazareth Ă  Paris 3e, joue un rĂ´le presque officiel de coordination. En fait, ce sont les proxĂ©nètes et les « placeurs Â» qui jouent le rĂ´le organisationnel.

Les bordels militaires français vont se multiplier durant l'entre-deux-guerres[2] dans les villes ayant une garnison ou un régiment[2]. Lors des guerres coloniales, l'organisation et la fréquentation des BMC était de notoriété publique et encouragée par l'armée, notamment en Indochine, Tunisie et en Algérie (« la boîte à bonbons ») pendant qu'en France les bordels étaient interdits par la loi Marthe Richard depuis 1946. Cependant en 1947, le ministère aux Armées autorise le maintien de BMC pour les unités d'Afrique du Nord stationnées en métropole, les prostituées venant alors d'Algérie[2].

Les premiers BMC ouverts au milieu des années 40 en Indochine sont demandés par l'armée afin de lutter contre les infections sexuellement transmissibles et maintenir le moral des troupes. En pratique, l'armée offre une espèce de « délégation de service public » à des maquerelles dont le bordel est sous protection militaire et les prostituées surveillées médicalement par des médecins militaires plusieurs fois par semaine. Les hommes doivent se soumettre au « défilé des bites », un infirmier examinant leurs parties génitales avant de l'enduire de permanganate[4].

Le succès est au rendez vous avec de nombreux Ă©tablissements dont le « parc aux buffles », un BMC de SaĂŻgon, qui abrite des centaines de prostituĂ©es qui « s'y vendent sur des bat-flancs, dans l'intimitĂ© en lambeaux de petites cabines de toile, meublĂ©es du seul baquet qui sert Ă  la toilette Â». D'autres officient en « maisons volantes Â» qui suivent les bataillons[4].

Il est Ă©voquĂ© le rĂ´le exceptionnel de certaines prostituĂ©es des BMC de la bataille de DiĂŞn BiĂŞn Phu, devenues infirmières lorsque celles-ci vinrent Ă  manquer[2]. Ces prostituĂ©es des deux bordels (l'un avec des vietnamiennes, l'autre avec des magrĂ©bines) dont la prĂ©sence et le rĂ´le ont Ă©tĂ© occultĂ©s contrairement Ă  Geneviève de Galard par conformisme ou pudeur, ont surement toutes Ă©tĂ© tuĂ©es par les Việt Minh selon l'historien Jacques Dalloz[5]. Selon Le Monde certaines prostituĂ©es prennent mĂŞme les armes aux cĂ´tĂ©s des soldats français, mais « pour l'Histoire, Geneviève de Galard doit rester la seule femme ayant vĂ©cu la chute de la place forte. Rien ne doit venir ternir l'image de l'honneur »[6]. Selon le spĂ©cialiste des conflits du XXe siècle Jean-Marc Binot, cette histoire est une « solide tradition, alimentĂ©e par les cercles d'anciens combattants d'extrĂŞme droite Â» mais « nul tĂ©moignage crĂ©dible n'Ă©taie cette pieuse lĂ©gende Â»[4].

Le dernier BMC en métropole, celui de la Légion étrangère du 2e régiment étranger de parachutistes à Calvi en Corse, dit "pouf de Calvi", ferme en 1978: Pauline Delbard, aussi appelée "Madame Janine", expérimentée dans la gestion des BMC pour la Légion depuis les années 50, ayant débuté à Sidi Bel Abbès et ayant poursuivi au Tchad, gérait le "foyer culturel" de la base, où les légionnaires pouvaient payer en jetons pour des "leçons" d'un quart d'heure, d'une heure ou bien pour des "cours du soir". Les filles étaient recrutées par différents groupes de criminels, et Madame Janine avait une quasi-autonomie, la base fournissant de la main d’œuvre pour l'intendance et les visites médicales, l'officier souhaitant préserver ses bonnes relations avec les civils de Calvi. Lors du procès pour proxénétisme à la suite de l’enquête menée par Pierre Michel, seuls les responsables civils (maquerelle et "fournisseurs") furent condamnés, les militaires ayant été "mis en alerte"[2] - [7] - [8] - [9]. Il y avait également de tels établissements à Bonifacio, à Corte et à Orange.

Le dernier BMC en territoire français, celui de la LĂ©gion Ă  Kourou en Guyane, ferme en 1995 Ă  la suite d'une plainte d'un proxĂ©nète brĂ©silien pour « concurrence dĂ©loyale Â»[2].

Hors du territoire français, à Djibouti, la Légion étrangère en possède encore un en 2003. En 1993, il avait été déplacé hors de l'enceinte de la base, à la suite d'une inspection[3].

Dans la culture populaire

  • Dans la chanson Au suivant (1964), Jacques Brel parle d'un « bordel militaire en campagne » oĂą un jeune soldat de vingt ans se dĂ©niaise.
  • Le film le PistonnĂ© (1969) de Claude Berri montre une scène de bordel militaire au Maroc.
  • Dans le film R.A.S. (1973) d'Yves Boisset sur la guerre d'AlgĂ©rie, une sĂ©quence montre l'arrivĂ©e d'un BMC et son utilisation par les soldats.
  • Le film documentaire Putains de guerre de StĂ©phane Benhamou, diffusĂ© sur France 3 le , comporte de nombreuses sĂ©quences et tĂ©moignages sur les BMC, en particulier en Indochine[10].

Références

  1. Christian Benoît, « XII. Les femmes des BMC de l’armée française, 1830-1995: », dans La Guerre et les Femmes, Hermann, (ISBN 978-2-7056-9591-0, DOI 10.3917/herm.baech.2018.04.0167, lire en ligne), p. 167–177
  2. « L'armĂ©e a fermĂ© son dernier bordel en 1995 Â», interview du lieutenant-colonel Christian Benoit dans Guerres & Histoire no 13, juin 2013.
  3. « C'est le bordel à Djibouti », Le Canard enchaîné,‎ (ISSN 0008-5405).
  4. François Reynaert, « Dans les bordels de l'armée française », L'Obs, .
  5. Jacques Dalloz, « Les prostituées de Diên Biên Phu », Libération, (version du 20 février 2016 sur Internet Archive).
  6. « La légende de Geneviève de Galard », Le Monde, .
  7. André Burnat, Les dossiers excitants de la Brigade des mœurs, (Pocket) réédition numérique FeniXX, (ISBN 978-2-266-30311-8, lire en ligne)
  8. François Caviglioli, « Les gaietés de la Légion », Le Nouvel Observateur,‎ , p. 67-68 (lire en ligne [PDF], consulté le )
  9. « La tenancière du " pouf " de Calvi est inculpée de proxénétisme aggravé », Le Monde.fr,‎ (lire en ligne, consulté le )
  10. Jean-Baptiste de Montvalon, « Putains de guerre », Le Monde, .

Voir aussi

Bibliographie

  • Richard Poulin, Occupations militaires : la prostitution Ă©rigĂ©e en système, 28 mai 2004 [en ligne] Sisyphe.org
  • Richard Poulin, The dimensions of trafficking for purposes of prostitution, 27 aoĂ»t 2006
  • Richard Poulin, Comment on transforme un ĂŞtre humain en marchandise sexuelle, 30 avril 2004 [en ligne] Sisyphe.org
  • Christian Benoit, Le soldat et la putain : histoire d'un couple insĂ©parable, Villers-sur-Mer, Pierre De Taillac, , 672 p. (ISBN 978-2-36445-021-9).
  • Jean-Marc Binot, Le repos des guerriers : les bordels militaires de campagne pendant la guerre d'Indochine, Paris, Fayard, coll. « Documents », , 307 p. (ISBN 978-2-213-64422-6).
  • Michel Serge Hardy, De la morale au moral des troupes : ou l’histoire des B.M.C. 1918-2004, Panazol, Lavauzelle, , 363 p. (ISBN 2-7025-1227-5).

Articles connexes

Liens externes

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