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Bombe Ă  chauves-souris

La bombe à chauves-souris est une arme expérimentale de la Seconde Guerre mondiale développée aux États-Unis. Les bombes étaient constituées d'un réservoir en forme de bombe et contenant de nombreux compartiments. Chacun d'eux contenait une chauve-souris de genre tadaride du Brésil (Tadarida brasiliensis), équipée d'une petite bombe incendiaire reliée à un système de déclenchement à retardement. Largué à l'aube depuis un bombardier, le conteneur devait déployer un parachute à mi-chute, puis s'ouvrir pour libérer les chauves-souris. Celles-ci iraient alors se percher dans les corniches des toitures et les greniers. Des incendies se déclareraient alors dans les endroits inaccessibles des maisons majoritairement constituées de papier et de bois, dans les villes japonaises, cibles désignées de cet armement.

Conteneur de bombe à chauves-souris de l'armée de l'air américaine, utilisé par la suite comme abri d'hibernation des chauves-souris.

Aperçu

Les bombes à chauves-souris furent conçues initialement par un dentiste de Pennsylvanie du nom de Lytle S. Adams, qui se trouvait être un ami d’Eleanor Roosevelt, la femme du président[1], et qui la soumit à la Maison-Blanche en janvier 1942. Par la suite, elle reçut l'approbation du président Franklin Roosevelt[2] conseillé par Donald Griffin[3].

Le Dr Adams avait observé que les infrastructures japonaises étaient particulièrement vulnérables aux incendies, la plupart des bâtiments étant constitués de papier, de bambou et d’autres matériaux hautement inflammables. Il avait été prévu de lâcher des bombes à chauves-souris, chacune munie d'une petite bombe incendiaire au napalm avec retardateur, au-dessus de villes présentant des cibles industrielles très disséminées. Les chauves-souris se disperseraient loin de leur point de libération, puis à l'aube, elles iraient se cacher dans les bâtiments de la ville entière. Peu après, les mécanismes à retardement allumeraient les bombes, causant des incendies généralisés, générateurs de chaos.

Les États-Unis décidèrent de développer les bombes à chauves-souris durant la Seconde Guerre mondiale, considérant quatre facteurs biologiques favorables à ce plan. Tout d'abord, les chauves-souris existent en grand nombre. Quatre grottes au Nouveau-Mexique sont chacune occupées par plusieurs millions d'individus[note 1]. Deuxièmement, les chauves-souris peuvent porter en vol plus que leur propre poids — les femelles emportent leur petit en vol, et parfois des jumeaux. Troisièmement, les chauves-souris hibernent, et, pendant leur sommeil, elles ne nécessitent ni soin ni alimentation. Enfin, elles volent dans l'obscurité, et trouvent ensuite des endroits retirés, souvent dans les bâtiments, pour se cacher durant la journée.

DĂ©tails du projet

Vue aérienne du village japonais et du village allemand utilisé pour des tests d'armes incendiaires sur le terrain du Dugway Proving Ground.
Incendie d'un bâtiment de la base aérienne auxiliaire du champ d'aviation de l'United States Army Air Forces à Carlsbad, Nouveau-Mexique, causé malgré elles par des chauves-souris échappées de l'expérience.

Vers mars 1943, une espèce de chauve-souris convenant au projet avait Ă©tĂ© sĂ©lectionnĂ©e. Le projet avait Ă©tĂ© considĂ©rĂ© comme suffisamment sĂ©rieux pour que Louis Fieser, l'inventeur du napalm militaire, conçoive des dispositifs incendiaires de 17 et de 28 grammes que porteraient les chauves-souris. On conçut Ă©galement un rĂ©servoir Ă  chauves-souris, similaire Ă  une enveloppe de bombe, comptant vingt-six plateaux superposĂ©s, chacun contenant des compartiments pour quarante chauves-souris, soit un emport potentiel de mille-quarante animaux. Les conteneurs seraient larguĂ©s Ă  3 000 m d'altitude. Ă€ l'altitude de 10 000 pieds (3 000 m), la bombe devait s'ouvrir, puis les plateaux se sĂ©pareraient, mais demeureraient suspendus Ă  un parachute qui se dĂ©ploierait Ă  l'altitude de 300 m. Il Ă©tait prĂ©vu que dix bombardiers B-24 portant chacun une centaine de conteneurs, et partant d'Alaska, pourraient libĂ©rer 1 040 000 chauves-souris porteuses de bombes au-dessus de la cible, Ă  savoir les villes industrielles de la baie d'Osaka. On mena plusieurs sĂ©ries d'essais pour rĂ©pondre Ă  diverses questions opĂ©rationnelles. Lors d'un incident, un incendie se dĂ©clara le 15 mai 1943 sur la base aĂ©rienne auxiliaire du champ d'aviation de l'United States Army Air Forces [note 2], Ă  proximitĂ© de Carlsbad, Nouveau-Mexique. Des chauves-souris Ă©quipĂ©es avaient Ă©tĂ© libĂ©rĂ©es par accident[4]. Elles mirent le feu Ă  la zone d'essai et allèrent se percher sous un rĂ©servoir d'essence. Ă€ la suite de ce revers, le projet fut relĂ©guĂ© Ă  la Marine amĂ©ricaine en aoĂ»t 1943, qui le rebaptisa « Projet X-Ray », puis au corps des Marines en dĂ©cembre. Celui-ci transfĂ©ra l'opĂ©ration Ă  leur champ d'aviation d'El Centro (Californie). Après plusieurs expĂ©riences et ajustements opĂ©rationnels, l'essai dĂ©finitif fut menĂ© sur le « Village japonais », une rĂ©plique en rĂ©duction d'une ville japonaise construite par le Service de la Guerre chimique sur leur site d'essai des Dugway Proving Grounds, dans l'Utah. Les observateurs en rendirent compte avec optimisme. Le chef des essais incendiaires de Dugway Ă©crivit : « Un nombre raisonnable de feux destructifs peut ĂŞtre engagĂ© malgrĂ© la taille extrĂŞmement rĂ©duite des unitĂ©s. L'avantage principal des unitĂ©s semble ĂŞtre leur placement Ă  l'intĂ©rieur des positions ennemies Ă  l'insu des propriĂ©taires ou des guetteurs d'incendie, permettant ainsi aux feux de se propager avant leur dĂ©couverte »[1]. L'observateur du ComitĂ© de recherche de la DĂ©fense nationale (National Defense Research Committee, NDRC) affirmait : « Nous en concluons que X-Ray est une arme efficace. » Le rapport du chimiste en chef (Chief Chemist) affirmait que sur la base du poids considĂ©rĂ©, X-Ray Ă©tait plus efficace que les bombes incendiaires standards utilisĂ©es Ă  l'Ă©poque. « Autrement dit, les bombes ordinaires donneraient probablement entre 167 et 400 feux pour chaque bombe chargĂ©e, lĂ  oĂą X-Ray donne 3 625 Ă  4 748 feux ».

D'autres essais Ă©taient prĂ©vus pour l'Ă©tĂ© 1944 mais le programme fut annulĂ© par l'amiral de la flotte Ernest J. King lorsqu'il entendit qu'il ne serait vraisemblablement pas prĂŞt pour le combat avant la mi-1945. Le budget dĂ©pensĂ© sur le projet jusqu'Ă  ce moment a Ă©tĂ© estimĂ© Ă  2 millions de dollars. On pensait que le dĂ©veloppement des bombes Ă  chauves-souris avançait trop lentement et Ă©tait dĂ©passĂ© dans la course vers une fin rapide de la guerre par le projet de bombe atomique.

Le Dr Adams maintint que ces bombes à chauves-souris auraient été efficaces sans les effets dévastateurs de la bombe atomique. Il a dit :

« Imaginez des milliers d'incendies survenant simultanĂ©ment dans un disque de 70 km de diamètre autour de chaque bombe larguĂ©e. Le Japon aurait pu ĂŞtre dĂ©vastĂ©, mais avec cependant un faible nombre de vies perdues[2]. »

Le Dr Stanley P. Lovell, directeur de la recherche et du développement de l'Office of Strategic Services (OSS), évoqua ultérieurement le projet tristement célèbre d'« invasion par les chauves-souris » comme « Die Fledermaus Farce ».

Influences culturelles

  • L'ouvrage Sunwing Ă©crit par Kenneth Oppel est inspirĂ© de ce plan ;
  • La chanson The Story Of The Japanese Bat Bomb de l'album de 2008 Doris, Buzz and Friends, Ă©crit par John Krane, est Ă©galement basĂ© sur ce projet, bien qu'il Ă©voque son inventeur attristĂ© par la dĂ©tonation imminente de la bombe (il n'y a aucune preuve d'un tel sentiment) ;
  • Adams et son projet de bombe Ă  chauves-souris constituent le sujet du poème de Derrick C. Brown The Project Known as X-Ray (Le projet connu sous le nom de rayon X), dans le recueil Scandalabra ;
  • Le roman d'Alan Scott The Anthrax Mutation (La mutation de l'anthrax), dont le titre original Ă©tait Project Dracula, utilisait le concept de bombe Ă  chauves-souris, mais avec des chauves-souris portant des poches remplies de bacilles de la maladie du charbon (anthrax en anglais) sous forme de poudre, une variĂ©tĂ© amĂ©liorĂ©e par gĂ©nie gĂ©nĂ©tique afin d'ĂŞtre particulièrement infectieuse, et rĂ©sistante, tant aux effets de la lumière solaire qu'Ă  la tempĂ©rature ;
  • Dans la bande dessinĂ©e Le Groom vert-de-gris (de la sĂ©rie Spirou et Fantasio), un Belge Ă©lève des chauves-souris, Ă©quipĂ©es de bombes, Ă  aller au contact avec les avions allemands.

Notes et références

Notes

  1. Ce site est aujourd'hui protégé, il s'agit du Parc national des grottes de Carlsbad.
  2. CoordonnĂ©es du site : 32° 15′ 39″ N, 104° 13′ 45″ O

Références

Voir aussi

Document utilisé pour la rédaction de l’article : document utilisé comme source pour la rédaction de cet article.

Bibliographie

  • (en) Jack Couffer, Bat Bomb : World War II's Other Secret Weapon [« La bombe Ă  chauves-souris : autre arme secrète de la Seconde Guerre mondiale »], University of Texas Press, , 252 p. (ISBN 0-292-70790-8)
  • (en) Patrick Drumm et Christopher Ovre, « A batman to the rescue » [« Une chauve-souris Ă  la rescousse »], Monitor on Psychology, vol. 42, no 4,‎ (lire en ligne, consultĂ© le ) Document utilisĂ© pour la rĂ©daction de l’article
  • (en) C. V. Glines, « The Bat Bombers », Air Force Magazine : Journal of the Airforce Association, vol. 73, no 10,‎ (lire en ligne, consultĂ© le )
  • (en) Stanley P. Lovell, Of spies & stratagems (des espions et des stratagèmes), Pocket Books, (ASIN B0007ESKHE)
  • (en) Alan Lance Andersen, « Spy Gadgetry: Espionage Equipment Designed to Fight Hitler » [« Les gadgets de l'espionnage, Ă©quipement d'espionnage conçu pour lutter contre Hitler »], GAMES Magazine,‎
  • (en) Alan Scott, The Anthrax Mutation (La mutation de l'anthrax), Pyramid Books, , 319 p. (ISBN 0-515-03949-7, ASIN B000R80FMI)
  • (en) Steve Silverman, Einstein's Refrigerator : And Other Stories from the Flip Side of History, Andrews McMeel Publishing, . Ouvrage utilisĂ© pour la rĂ©daction de l'article

Articles connexes

Liens externes

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