Balistique
La balistique est la science qui a pour objet l'Ă©tude du mouvement des projectiles.
Ătymologie
Le terme « balistique » a pour Ă©tymologie le grec ÎČαλλίÏÏÏα (littĂ©ralement : ballistra), issu du mot ÎČΏλλΔÎčÎœ, ballein, « lancer, jeter », au pluriel ballistĂŠ en latin). Avant de devenir un champ d'Ă©tude mathĂ©matique et physique, la balistique Ă©tait une discipline empirique. Elle partage son Ă©tymologie avec une arme de siĂšge cĂ©lĂšbre de l'antiquitĂ©, la baliste.
Préhistoire
Tout projectile lancé, propulsé ou mis en mouvement dans un référentiel donné va suivre une trajectoire balistique. C'est donc un domaine que l'humanité exploite de maniÚre empirique depuis la nuit des temps pour la chasse et la guerre notamment.
Projectiles de prédilections de la préhistoire, les flÚches les plus anciennes ont été découvertes dans la grotte de Fa Hien au Sri Lanka (datées de 48 000 ans)[1], en Tunisie (datées de 50 000 ans)[2], dans la grotte Mandrin en France (datées de 50 000 ans)[3] et dans la grotte de Sibudu en Afrique du Sud (datées de 64 000 ans)[4].
On retrouve Ă©galement Ă cette Ă©poque d'autres moyens de projeter des armes, les propulseurs, qui sont attestĂ©s en Europe dĂšs le PalĂ©olithique supĂ©rieur, du SolutrĂ©en supĂ©rieur au dĂ©but du MagdalĂ©nien supĂ©rieur, de -23000 Ă -15000[5] dans une rĂ©gion limitĂ©e (PĂ©rigord et PyrĂ©nĂ©es). Certains Ă©lĂ©ments de propulseur en matiĂšre dure animale (bois de renne ou ivoire de mammouth) Ă©taient richement dĂ©corĂ©s et constituent des chefs-d'Ćuvre de l'art mobilier[6] - [7].
Histoire
Traitant du problĂšme de la dynamique d'un projectile, Jean Buridan (1292-1363) montre que la thĂ©orie d'Aristote du mouvement est prise Ă dĂ©faut et remet au goĂ»t du jour l'impetus, thĂ©orie de Jean Philopon dont il devient le principal promoteur. L'application par Buridan de la thĂ©orie de l'impetus au mouvement des projectiles le conduit Ă une courbe balistique diffĂ©rente de celle donnĂ©e par la thĂ©orie aristotĂ©licienne. Ce problĂšme a Ă©tĂ© Ă©tudiĂ© de maniĂšre plus approfondie par un autre savant parisien, Albert de Saxe (1316-1390), qui a distinguĂ© trois Ă©tapes diffĂ©rentes dans le mouvement des projectiles. Tout d'abord, une Ă©tape initiale dans laquelle l'impetus est dominante, et la gravitĂ© est considĂ©rĂ©e comme nĂ©gligeable, le rĂ©sultat Ă©tant un mouvement en ligne droite. Albert de Saxe dĂ©finit une Ă©tape intermĂ©diaire dans laquelle la gravitĂ© se rĂ©tablit, et le chemin commence Ă s'Ă©carter de la ligne droite ; Cette partie du chemin est souvent conçue comme faisant partie d'un cercle. TroisiĂšmement, il postule une Ă©tape finale oĂč l'impetus est complĂštement dĂ©pensĂ©e, et la gravitĂ© seule entraĂźne le projectile vers le bas le long d'une ligne verticale. La thĂ©orie de l'impetus a entraĂźnĂ© une forme amĂ©liorĂ©e de la courbe balistique, bien que dans un sens purement qualitatif, d'oĂč il aurait Ă©tĂ© impossible d'en dĂ©duire des tableaux de portĂ©e de valeur pratique[8].
Le mathĂ©maticien italien NiccolĂČ Fontana Tartaglia (1499-1557) fut le premier qui appliqua le raisonnement mathĂ©matique au tir de l'artillerie. Encore fortement imprĂ©gnĂ© de l'impetus, il se donna beaucoup de peine pour dĂ©montrer qu'aucune partie de la trajectoire d'un boulet de canon n'est en ligne droite, mais qu'il dĂ©crit une courbe dĂšs l'origine de son mouvement hors de la bouche ; il prouva de plus qu'un canon tire le plus loin possible sous l'angle de 45°. Tartaglia passe encore pour avoir dĂ©couvert le quart de cercle des canonniers. Il Ă©tait rĂ©servĂ© Ă GalilĂ©e et Ă son Ă©lĂšve Evangelista Torricelli de serrer de plus prĂšs les lois de la chute des corps. Tartaglia prouva qu'un boulet au sortir du canon se meut suivant une courbe, GalilĂ©e dĂ©montra que cette courbe Ă©tait une parabole pourvu que le point de chute du boulet fĂ»t dans le mĂȘme plan que la batterie d'oĂč il avait Ă©tĂ© tirĂ© et que la piĂšce fĂ»t Ă©levĂ©e au-dessus de l'horizon ; il prouva de plus que c'Ă©tait une moitiĂ© de parabole quand le canon dans les mĂȘmes circonstances Ă©tait pointĂ© horizontalement. Evangelista Torricelli Ă©tendit ces dĂ©couvertes, il montra que le boulet, soit qu'il tombĂąt au-dessus ou au-dessous du plan oĂč se trouvait son point de dĂ©part, dĂ©crivait une parabole d'une plus ou moins grande amplitude suivant l'angle sous lequel le canon Ă©tait pointĂ© et suivant la force de la poudre.
La notion d'impetus proclamée en prolongement de la physique d'Aristote disparaßtra au cours du XVIIe siÚcle pour céder place à celle d'inertie professée par Galilée.
Avant l'époque de Galilée, le tir de l'artillerie était défectueux parce qu'on n'y appliquait pas la science mathématique ; aprÚs ce physicien le tir fut défectueux surtout parce que ses théories furent trop exclusivement adoptées et qu'on ne tint pas suffisamment compte des causes d'erreurs accidentelles. « Habitués à nous mouvoir doucement comme nous le faisons à travers l'atmosphÚre qui se divise devant nous et se referme quand nous avons passé si bien qu'il est devenu le véritable type d'un milieu non résistant, c'est à peine si nous pouvons bien apprécier l'immense résistance qu'il oppose à un projectile animé d'une grande vitesse. » Les expériences de Galilée furent faites sur des corps se mouvant lentement, sur lesquels la résistance de l'air ne pouvait avoir qu'une faible influence, de sorte que leur trajectoire parabolique n'aura été que légÚrement déformée, et qu'il n'aura pas apprécié à sa juste valeur l'influence due à cette cause. Cependant Galilée n'ignorait pas que l'air oppose en effet une certaine résistance, mais il crut qu'elle était plus négligeable qu'elle ne l'est réellement. Les idées de Galilée furent adoptées à peu prÚs universellement.
En 1674, Robert Anderson (en) (1668-1696) publie à Londres The Genuine Use and Effects of the Gunne, qui devient trÚs rapidement en Angleterre un ouvrage de référence pour les travaux relatifs à la balistique parabolique, à rapprocher de celui de François Blondel (1618-1686), L'art de jeter les bombes, publié quelques années plus tard en 1683 à Paris. Ces deux textes, qui s'attachent pour l'essentiel à introduire dans la pratique de l'artillerie les principaux résultats de la balistique parabolique établis entre autres par Galilée, Torricelli et Marin Mersenne, ignorent de maniÚre excessives les effets de la résistance de l'air. Bien vite, une querelle oppose, sur la base d'expériences de balistique, Robert Anderson à James Gregory. C'est alors que John Collins (1625-1683), ami de James Gregory, invite John Wallis (1616-1703) et Isaac Newton à donner leurs avis sur la pertinence des thÚses en présence, ce qu'il fera une premiÚre fois en 1674, puis en 1684 dans son De Motu et en 1687, dans les Philosophiae Naturalis Principia Mathematica[9].
Edmond Halley en 1686 affirme d'une maniÚre positive que pour les gros projectiles métalliques dont le poids surpasse d'un grand nombre de fois celui d'un pareil volume d'air, et dont la force est trÚs grande relativement à la surface sur laquelle l'air est pressé, sa résistance est à peine sensible et il conclut du résultat de l'observation, que si pour un petit projectile léger on peut et on doit tenir compte de la résistance de l'air, dans le tir des grosses et lourdes bombes on peut y faire peu ou point attention[10].
Les artilleurs auraient pu ĂȘtre amenĂ©s Ă douter de la vĂ©ritĂ© de cette assertion du docteur Halley par l'autoritĂ© d'Isaac Newton qui dĂ©montre que la courbe dĂ©crite par un projectile dans un milieu fortement rĂ©sistant diffĂšre de la parabole et que la rĂ©sistance de l'air est assez grande pour produire entre la courbe de projection d'un corps pesant et une parabole une diffĂ©rence sensible et trop considĂ©rable pour ĂȘtre nĂ©gligĂ©e. Christian Huygens en 1690 Ă©nonce les mĂȘmes principes.
« MalgrĂ© le tĂ©moignage de deux pareils hommes, et un tĂ©moignage encore meilleur celui de la pratique, l'erreur de GalilĂ©e continua Ă se propager. On peut se demander comment il se fit que les erreurs de la thĂ©orie parabolique se perpĂ©tuĂšrent lorsqu'il Ă©tait si facile par la pratique de les dĂ©montrer. » La rĂ©ponse c'est que beaucoup Ă©taient paralysĂ©s par le grand nom de GalilĂ©e et n'osaient pas se hasarder Ă penser par eux-mĂȘmes ; il y en avait d'autres qui attribuaient le manque de concordance existant entre la thĂ©orie et la pratique Ă l'intervention de quelque cause ; Ă toute chose exceptĂ© Ă la vraie. L'incertitude demeura jusqu'en 1742, annĂ©e oĂč Benjamin Robins publie son traitĂ© appelĂ© New Principles of Gunnery qui prend pleinement en considĂ©ration le frottement de l'air. Les principes dĂ©veloppĂ©s dans ce traitĂ© furent bientĂŽt aprĂšs confirmĂ©s par Leonhard Euler et largement appliquĂ©s par la suite[10].
L'utilisation du calcul différentiel et intégral permettra par la suite de mettre en équation de maniÚre complÚte le mouvement en milieu résistant.
Domaines d'Ă©tude
On distingue[11] :
- la balistique intérieure, dont l'objet est l'ensemble des phénomÚnes se produisant à l'intérieur du canon (mouvement du projectile, détente des gaz...)[12]. Voir chapitre 6.1 de l'article Balistique judiciaire ;
- la balistique extérieure, dont l'objet est le mouvement d'un projectile à l'extérieur du canon. à courte portée, on peut ignorer la courbure du sol et utiliser la formulation décrite plus bas. Cependant la description de la trajectoire d'un missile balistique à longue portée exige une correction tenant compte de la courbure terrestre[13] ;
- la balistique terminale, dont l'objet est l'Ă©tude du projectile lorsqu'il frappe la cible (comportement diffĂ©rent selon les types de tirs : tirs à « bout touchant », à « bout portant » â Ă moins de 50 cm â et à « longue distance »). Voir chapitre 6.3 de l'article Balistique judiciaire.
Approche mathématique de la balistique extérieure
La balistique est l'étude d'un projectile au voisinage du sol[14]. L'objet subit alors trois forces, son poids , la poussée d'ArchimÚde et le frottement de l'air .
On fait les hypothĂšses suivantes :
- le frottement de l'air est négligeable (vitesse faible de l'objet) : ;
- la variation de pression atmosphérique négligeable (variation d'altitude faible) : .
On obtient un cas particulier du mouvement uniformément accéléré (MUA), car l'accélération est constante.
De plus, on fait les hypothĂšses suivantes :
- la poussée d'ArchimÚde est négligeable (projectile de densité trÚs supérieure à celle de l'air) : ;
- l'altitude et la distance parcourue sont trÚs inférieures au rayon de la planÚte : .
Par application du principe fondamental de la dynamique, on obtient une accélération égale à celle de la pesanteur, exprimée par la constante orientée vers le bas : . La trajectoire est alors parabolique : .
Il est à noter que si l'altitude et la distance parcourue n'étaient pas trÚs inférieures au rayon de la planÚte, ne serait plus constant et la trajectoire ne serait plus parabolique, mais elliptique : le projectile aurait alors la trajectoire d'un satellite.
On se place dans un repÚre orthonormé (Oxyz), orienté de telle sorte que (Oz) soit vertical vers le haut, et (Oy) perpendiculaire à .
On pose l'accélération du projectile :
Puis, en intégrant par rapport à :
- oĂč est la vitesse initiale et est l'angle de par rapport Ă l'horizontale.
Puis, en intégrant par rapport à :
- oĂč et sont les positions initiales de l'objet dans le repĂšre orthonormĂ© (Oxyz).
Par simplification, on choisit le repĂšre (Oxyz) tel que et on obtient :
La trajectoire parabolique correspondante dans le plan (Oxz) est alors :
La portée atteinte par le projectile à l'horizontale s'obtient par la résolution de l'équation :
Et si :
On voit que, pour une portée cherchée, deux valeurs complémentaires de sont possibles. La plus grande (supérieure à 45°), donne un tir vertical, l'autre un tir plongeant.
L'altitude maximale atteinte par le projectile est .
Notes et références
- « Des pointes de flÚches, il y a 48 000 ans à Fa-Hien Lena, au Sri-Lanka », sur www.hominides.com, (consulté le )
- Histoire de l'archerie arc et arbalĂšte â Robert Roth â page 13
- « La Grotte Mandrin bouleverse nos connaissances », sur Archéologia, N°555, juin 2017 (consulté le ).
- « Des pointes de flÚches datées entre - 60 000 et - 70 000 ans », sur www.hominides.com, (consulté le )
- Gwenn Rigal, Le temps sacré des cavernes, José Corti, 2016, p. 79-80.
- Cattelain, Pierre et Claire Bellier, 2002, La Chasse dans la Préhistoire : du Paléolithique au Néolithique en Europe⊠et ailleurs, Guides Archéologiques du Malgré-Tout, CEDARC, Treignes, Belgique.
- Stodiek, Ulrich, 1993, Zur Technologie der jungpalaolithischen Speerschleuder: Eine Studie auf der Basis archaologischer, ethnologischer, und experimenteller Erkenntnisse, Verlag Archaeologica Venatoria: Tubingen.
- Olaf Pedersen, Early Physics and Astronomy : A Historical Introduction, CUP Archive, (lire en ligne), p. 210
- Blay Michel. Le traitement newtonien du mouvement des projectiles dans les milieux résistants. In: Revue d'histoire des sciences, tome 40, no 3-4, 1987. p. 325-355. DOI : 10.3406/rhs.1987.4061 [http=//www.persee.fr/doc/rhs_0151-4105_1987_num_40_3_4061 Lire en ligne]
- John Scoffern, Armes de jet et compositions explosives, comprenant quelques nouvelles ressources de guerre : avec des renseignements spéciaux sur l'artillerie rayée, dans ses principales variétés, J. Corréard, (lire en ligne)
- « La balistique », sur chez-alice.fr (consulté le ).
- « fred.elie.free.fr/balistique_i⊠»(Archive.org ⹠Wikiwix ⹠Archive.is ⹠Google ⹠Que faire ?).
- la phase de balistique extérieure est parfois divisée en deux : la phase de stabilisation du projectile juste aprÚs sa sortie du canon appelé balistique de transition (ou intermédiaire), et le reste du vol toujours appelé balistique extérieure.
- « Théorie de la balistique », sur pagesperso-orange.fr (consulté le ).