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André Tulard

André Tulard, né André Louis Henri Tulard le à Nérondes et mort le à Paris 13e[1], est un haut fonctionnaire français connu pour avoir créé sous le régime de Vichy un ensemble de fichiers des Juifs de l'ancien département de la Seine : le « fichier Tulard »[2]. Il était sous-directeur du service des étrangers et des affaires juives à la préfecture de police de Paris[3] de 1940 à 1943[4].

André Tulard
Biographie
Naissance
Décès
Nom de naissance
André Louis Henri Tulard
Nationalité
Activité
Enfant
Autres informations
Distinction

Il est le père de l'historien Jean Tulard, né de son union en 1932 avec Hélène Bouissy (1900-1986).

Biographie

Sous-directeur au « Service des Ă©trangers » de la prĂ©fecture de police de Paris oĂą il Ă©tait entrĂ© en 1921, qui devint sous Vichy « Service des Ă©trangers et des affaires juives »[5], il Ă©labora ainsi le « fichier juif » utilisĂ© pour la rafle du VĂ©lodrome d'Hiver des 16 et , qui recensait près de 150 000 personnes, dont plus de 64 000 sont de nationalitĂ© Ă©trangère. Sous la Troisième RĂ©publique, AndrĂ© Tulard avait dĂ©jĂ  rĂ©alisĂ© un premier fichier pour la PrĂ©fecture de police de Paris qui recensait les « communistes »[6].

La première ordonnance nazie relative au statut des Juifs en zone occupée, publiée le [2] - [4] - [7], oblige les Juifs à se déclarer comme tels entre le 3 et le [7] dans les commissariats de police et sous-préfectures[2] - [4] - [7].

Le rĂ©gime de Vichy promulgue le le premier Statut des Juifs. Dans le seul dĂ©partement de la Seine, 149 734 personnes[4] - [7] se prĂ©sentent dans les commissariats. Les renseignements obtenus sont recueillis par la prĂ©fecture de police, qui constitue, sous la direction d'AndrĂ© Tulard[4], un ensemble de quatre fichiers (alphabĂ©tique, par nationalitĂ©s, par adresses, par professions)[7] reprĂ©sentant au total 600 000 fiches[4] - [7]. Selon le rapport Dannecker[8] « [...] ce fichier se subdivise en fichier simplement alphabĂ©tique, les Juifs de nationalitĂ© française et Ă©trangère ayant respectivement des fiches de couleur diffĂ©rentes, et des fichiers professionnels par nationalitĂ© et par rue ». Il a Ă©tĂ© ensuite transmis Ă  titre gracieux Ă  la section IV J de la Gestapo, chargĂ©e du « problème juif ». Le fichier sera principalement utilisĂ© pour l'organisation de la rafle du VĂ©lodrome d'Hiver, les 16 et [4].

AndrĂ© Tulard rencontre ainsi le SS Dannecker le , dans ses bureaux de l'avenue Foch, en prĂ©paration de la rafle, accompagnant Jean Leguay, les commissaires de police François et Émile Hennequin et d'autres policiers[9]. Le , lors d'une nouvelle rĂ©union au siège du Commissariat gĂ©nĂ©ral aux questions juives (CGQJ), Ă  laquelle AndrĂ© Tulard n'assiste pas, mais oĂą sont prĂ©sents Jean Leguay, Pierre Gallien, adjoint de Darquier de Pellepoix (chef du CGQJ) et d'autres policiers (ainsi que des reprĂ©sentants de la SNCF et de l'Assistance publique), le SS Rötke note que « le directeur Tulard compte sur un chiffre global de 24 000 Ă  25 000 arrestations. »[10]. Deux jours plus tard, le , AndrĂ© Tulard remet sa dĂ©mission[11], laquelle est refusĂ©e ; le prĂ©fet de police AmĂ©dĂ©e Bussière, qui avait entĂ©rinĂ© la rafle du , aurait craint le passage du fichier au Commissariat gĂ©nĂ©ral aux questions juives[12]. Le fichier a de toute façon Ă©tĂ© utilisĂ©. Le , AndrĂ© Tulard reçoit des ordres directement du SS Rötke, visant Ă  organiser les prochains convois de dĂ©portation (les 22, 24 et )[13]. Il devient alors directeur du service des Ă©trangers[14].

André Tulard participe aussi à la logistique de l'attribution des étoiles jaunes[15].
Avec nombre de commissaires de police affectés au sein de la Préfecture de Police, il est présent, fin , à l'inauguration du camp de Drancy, lieu ultime avant les camps de concentration et d’extermination.

S'étant élevé le contre la dénaturalisation des Juifs français[16], André Tulard est écarté du service à la demande du chef de la Gestapo, Karl Oberg[17], le [18].

Il n'a fait l'objet d'aucune poursuite à la Libération[3].

Il meurt chez lui, 3 square Arago à Paris 13e le 3 février 1967 à l'âge de 68 ans.

DĂ©coration

Le « fichier juif »

Le , la circulaire d'Édouard Depreux, ministre de l'Intérieur ordonne la destruction de « tous les documents fondés sur la qualité de Juif », en application de l'ordonnance du 9 août 1944 relative au rétablissement de la légalité républicaine sur le territoire continental[19]. Le , une seconde circulaire du ministre, dont au moins un exemplaire a été conservé à la préfecture d'Évreux, vient préciser la première. « Je vous invite en conséquence à maintenir, le cas échéant, dans vos archives, les documents relatifs aux enquêtes, sévices et arrestations dont les personnes considérées comme juives ont été victimes, lorsque ces documents peuvent présenter des avantages pour de telles personnes, par exemple, en permettant la recherche et le regroupement d’individus disparus ou dispersés, ou la délivrance de certificats de déportation ou d’arrestation »[20]. Une partie des fichiers a été conservée au moins un certain temps.

Le , le Canard enchaîné affirme que le fichier des Juifs de la région parisienne serait au centre de la gendarmerie, à Rosny-sous-Bois[19]. La CNIL lance un appel aux administrations. Elle ne reçoit aucune réponse, les archivistes ne s'étant pas sentis délivrés par cette demande de leur obligation de réserve, et conclut qu'aucun fichier, ni à Rosny-sous-Bois, ni ailleurs (par exemple au Service des Anciens Combattants), n'a été trouvé, tout en précisant que de « larges zones d'ombre subsistent »[21] - [19]. Elle souligne qu'aucun inventaire de destruction d'archives ne les mentionne[19], le sénateur Henri Caillavet montrant par là son souci de ne pas mettre en cause ouvertement l'institution des Anciens combattants tout en faisant comprendre que le fichier est toujours là.

C'est dix ans plus tard, à l'automne 1991, que Serge Klarsfeld pense avoir découvert le « fichier Tulard » au service d'archives des Anciens Combattants, à Fontenay-sous-bois, en consultant un inventaire confidentiel, sous le nom de « Grand fichier établi par la préfecture de police en . »[19]. Devant ce qu'il considère comme de l'inertie bureaucratique, Serger Klarsfeld alerte Le Monde, qui publie un article les 13 et [22]. L'historienne Sonia Combe se rend à son tour aux archives des Anciens combattants et constate que l'inventaire officiel répertorie le fichier sous l'intitulé « Fichier Drancy »[23]. Le rapport Gal soulignera plus tard la « culture du secret » imprégnant l'administration des archives, le secrétaire d'État Louis Mexandeau parlant d'« omerta »[24].

En , Jack Lang nomme une commission chargée de déterminer le sort du fichier. Cette commission comprend les historiens René Rémond (président du Conseil supérieur des Archives), Jean-Pierre Azéma, André Kaspi ainsi que Jean Kahn, président du Conseil représentatif des institutions juives de France (CRIF) et Chantal Bonazzi, conservateur général de la section contemporaine des Archives de France. La commission produit deux documents déjà recensés par les archivistes de la Préfecture de Police de Paris qui établissent que des opérations de destruction ont eu lieu les 15 et dans un premier temps, le dans un second temps. Elle les publie en deuxième annexe de son rapport après y avoir joint les arrêtés, instructions, procès-verbaux, notes et courriers afférents[25]. En application de l'article 3 de l'ordonnance du ainsi que de la circulaire d'Édouard Depreux en date du , ce pilon tardif visait des papiers concernant le « recensement des Israélites, personnes et biens, fiches et dossiers ».

Les conclusions de la « Commission Rémond » restent contestées par des spécialistes de l'histoire des archives, dont Sonia Combe, qui estiment que le fichier du service d'archives des Anciens Combattants est le « fichier Tulard »[26]. Ceux-ci s'appuient notamment sur la nature matérielle du support employé, sa forme, ses couleurs, son atelier d'impression, son mode d'utilisation. Ils soulignent que les procès-verbaux de destruction mentionnés par la commission n'établissent pas qu'il s'agit de destruction totale.

Certains ayants droit, qui n'ont jamais reçu d'offre d’indemnisation, ce qui était l'objet déclaré de la conservation du fichier, ont demandé la destruction de celui ci au nom de la loi Informatique et Libertés qui prohibe les fichiers contenant des « données sensibles » sur « l'origine ethnique ou raciale »[27]. Inversement, le Mémorial du martyr juif inconnu a réclamé de pouvoir le conserver.

Outre le « fichier Tulard », la Belgique a eu un fichier des Juifs, moins perfectionnĂ© et effectuĂ© par les Allemands, de mĂŞme que l'Italie fasciste (2 600 fiches de Juifs Ă©tablies en 1938 par la police italienne pour la « Direction gĂ©nĂ©rale de la dĂ©mographie et de la race »)[28].

Notes et références

  1. Base LĂ©onore
  2. (en) Michael Curtis, Verdict on Vichy – Power and prejudice in the Vichy France regime, Arcade Publishing, 2003, 419 p. (ISBN 1559706899 et 978-1559706896), p. 159 [lire en ligne sur books.google.fr (page consultée le 11 mai 2009)]
  3. French children of the holocaust – A memorial, Serge Klarsfeld, page 1825, sur le site holocaust-history.org, consulté le 15 mai 2009
  4. ldh-toulon.net, LDH Toulon, « Le fichage des Juifs », 11 octobre 2007
    « Dans le département de la Seine, le recensement est effectué par les services de la préfecture de Police : 149 734 hommes, femmes et enfants juifs, dont 64 070 Juifs de nationalité étrangère, se firent ainsi recenser durant le mois d’octobre, soit environ les neuf dixièmes des Juifs français et étrangers qui habitaient alors la région parisienne. À partir des bulletins de déclaration, un système de quatre sous-fichiers conçu par André Tulard, sous-directeur de la direction des étrangers et des affaires juives jusqu’en juillet 1943, fut mis en place : un sous-fichier alphabétique, un sous-fichier par nationalité, un sous-fichier par domicile, un sous-fichier par profession, soit quelque 600 000 fiches, qu’on prit l’habitude d’appeler le « fichier Tulard ». »
  5. Maurice Rajsfus, La police de Vichy : les forces de l'ordre françaises au service de la Gestapo, 1940/1944, Le Cherche midi éditeurs, 1995, p. 109
  6. Michel-Louis Lévy, « Le numéro INSEE : de la mobilisation clandestine (1940) au projet Safari (1974) », Dossiers et recherches de l'INED, no 86, [PDF] [lire en ligne], p. 23-34, sur le site ined.fr, la mention d'André Tulard apparaît page 28: « Hélas les services de police organisèrent rafles et déportations à partir de leurs propres fichiers, adaptés de celui mis au point avant-guerre à la Préfecture de Police par André Tulard pour surveiller les menées communistes. ». Sur la non implication du SNS, voir René_Carmille#Rapport_Rémond
  7. Éric Conan, « Les fichiers de la honte », L'Express, 4 juillet 1996 [lire en ligne sur lexpress.fr (page consultée le 11 mai 2009)]
  8. Centre de Documentation Juive Contemporaine (CDJC-XXVI I), cité par Maurice Rajsfus dans La police de Vichy – Les forces de l'ordre française au service de la Gestapo, 1940-1944, Le Cherche-Midi éditeur, 1995.
  9. Maurice Rajsfus, op. cit., p. 117
  10. CDJC-XXV b 60, cité par Rajsfus, op. cit., p. 120
  11. Annette Kahn, Le Fichier, Robert Laffont, Paris, 1992, p. 28
    Résumé de sa carrière où est mentionnée sa démission.
  12. « Une lettre de M. Jean Tulard », Le Monde.fr,‎ (lire en ligne, consulté le )
  13. CDJC-XXV b 86, cité par Rajsfus, op. cit., p. 125-126
  14. Rajsfus, op. cit., p. 125 et 155
  15. Maurice Rajsfus, La Police de Vichy – Les forces de l'ordre françaises au service de la Gestapo, 1940/1944, Le Cherche midi éditeurs, 1995, p. 106-107
  16. René Rémond (dir.), Jean-Pierre Azéma, André Kaspi, Le fichier juif, rapport de la commission présidée par René Rémond au Premier ministre, éd. Plon, Paris, 1996, 232 p. (ISBN 2259185525 et 978-2259185523)
    Les protestations de ce dernier sont indiquées p. 29
  17. Les critiques sont citées dans René Remond, Le fichier juif, op. cit., p. 82
  18. Michaël R. Marrus et Robert O. Paxton, Vichy et les Juifs, éd. LGF – Le Livre de Poche, Paris, 1990 ; rééd. 2004, 971 p. (ISBN 2-253-05247-7 et 978-2253052470), p. 556
    Citant à la note 90 le rapport des Allemands contre André Tulard.
  19. Sonia Combe, « Les fichiers de juifs. De la dissimulation à la désinformation », in Lignes, no 23, octobre 1994, p. 96-98
  20. Archives départementales de l’Eure, cote 14 W 91, Évreux.
  21. Sonia Combe cite le 3e rapport d'activité de la CNIL.
  22. Sonia Combe, op. cit., p. 99
  23. S. Combe, « Le fichier des Juifs : enquête sur une disparition. », France Culture, Paris, 11 & 12 juillet 1992.
  24. Sonia Combe, op. cit., pp. 100, 202
  25. René Rémond, op. cit..
  26. Sonia Combe, op. cit..
  27. Sonia Combes, op. cit., p. 101.
  28. Sonia Combe, op. cit., p. 125.

Bibliographie

  • Jean-Pierre AzĂ©ma, « La vĂ©ritĂ© sur le fichier juif » (entretien), L'Histoire, no 163, , p. 58-60.
  • Jean-Pierre AzĂ©ma, « EnquĂŞte sur le fichier juif » (entretien), L'Histoire, no 200, p. 6-7.
  • Sonia Combe, « Les fichiers de juifs : de la dissimulation Ă  la dĂ©sinformation », dans Lignes, no 23, , p. 93-127.
  • Maurice Rajsfus, La Police de Vichy : les forces de l'ordre françaises au service de la Gestapo, 1940/1944, Le Cherche midi, 1995.
  • RenĂ© RĂ©mond (dir.), Jean-Pierre AzĂ©ma, AndrĂ© Kaspi, Le « Fichier juif », rapport de la commission prĂ©sidĂ©e par RenĂ© RĂ©mond au Premier ministre, Ă©d. Plon, Paris, 1996, 232 p. (ISBN 2259185525 et 978-2259185523).
  • Éric Conan, Henry Rousso, Vichy, un passĂ© qui ne passe pas, Ă©d. Fayard, coll. « Pour une histoire du xxe siècle », 1994 ; rĂ©Ă©d. Gallimard, coll. « Folio Histoire », 1996 (ISBN 978-2070329007), chapitre II : « Les archives : on nous cache tout, on nous dit rien », p. 97-156.
  • Laurent Joly, L'antisĂ©mitisme de bureau : enquĂŞte au cĹ“ur de la PrĂ©fecture de police de Paris et du Commissariat gĂ©nĂ©ral aux questions juives (1940-1944), Paris, Grasset, , 444 p. (ISBN 978-2-246-73691-2, BNF 42428143, prĂ©sentation en ligne).

Annexes

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